La meilleure manière d’entrer en matière dans cette discussion, c’est de commencer par rendre gloire à Dieu, créateur du ciel et de la terre, et de tout ce qu’ils contiennent ; à ce Dieu que nos adversaires, dans leurs propositions blasphématoires, font naître du chaos. Nous démontrerons qu’il n’y a rien au-dessus de lui, ni après lui ; que c’est lui seul qui, de son propre mouvement et de sa propre volonté, a créé tout ce qui existe, puisqu’il est le seul Dieu, le seul créateur, le seul Père de tout, qui contient tout et qui conserve tout.
Comment serait-il possible de concevoir l’existence, soit d’une autre puissance ou d’un autre principe, ou enfin d’un autre Dieu, puisque, dès qu’on admet Dieu, on admet par cela même la nécessité que toutes choses soient contenues en lui, et que rien ne puisse le contenir lui-même ? Car, s’il y a quelque chose en dehors de lui et qui ne soit pas lui, il ne contient donc pas toutes choses, puisque ce qui serait en dehors de lui échapperait à sa puissance. L’universalité ne peut se concevoir là où il manque quelque chose, là où quelque chose est incomplet. Dans cette hypothèse, Dieu trouverait son commencement, son milieu et ce qui le finit, dans quelque chose en dehors de lui. Mais, s’il aboutit aux choses qui se trouvent en haut, il commencera donc après celles qui sont en bas : et par suite, il sera nécessaire qu’il aboutisse par tous les points à ce qui est en dehors de lui, et que ce qui est en dehors de lui le circonscrive de toutes parts ; car un objet qui aboutit dans un autre est circonscrit et enveloppé par cet autre. Il faudra donc conclure, du système de nos adversaires, que le Dieu souverain de toutes choses, quel que soit le nom qu’on lui donne, qu’il soit le Plerum, ou la divinité banale de Marcion, est comme bloqué et enfermé par une puissance en dehors de lui, et nécessairement supérieure à lui, par la raison que le contenant est plus grand que le contenu ; or, ce qui est plus grand a plus de puissance que ce qui est moins grand ; et ce qui a le plus de puissance est nécessairement ce qui est Dieu.
Mais de ce que, selon nos adversaires, il y aurait eu quelque chose en dehors du Plerum, qui aurait été cause productrice de leur divinité suprême, il est inévitable, ou que le Plerum contînt ce quelque chose en dehors de lui, ou fût contenu par lui ; car autrement le Plerum, et ce quelque chose en dehors de lui, seront distincts et séparés par un immense intervalle l’un de l’autre. Mais s’ils sont obligés de nous accorder ce point, ils admettent nécessairement l’existence d’une essence tierce, qui servira à séparer, par un intervalle immense, le Plerum de ce quelque chose qui est en dehors de lui : dès lors, cette puissance tierce circonscrit et enveloppe les deux autres ; elle sera donc plus grande que le Plerum et que ce qui est en dehors du Plerum, comme les contenant l’un et l’autre : ainsi les hypothèses de ce genre se multiplieront à l’infini. En effet, si cette puissance tierce commence par en haut, elle finira par en bas, et elle sera également terminée par ses côtés ; et ainsi, il lui manquera toujours quelque chose. Ainsi, en ce qui concerne Dieu, l’esprit de nos adversaires ne peut s’arrêter à rien ; cherchant de tous côtés ce qui n’est pas, sans pouvoir trouver ce qui est réellement, c’est-à-dire un Dieu véritable.
J’attaquerai, par le même argument, le système des marcionites. Leurs deux dieux seront de même séparés par un intervalle immense, et ce même intervalle les termine et les circonscrit. Car il faut admettre nécessairement que si plusieurs dieux sont séparés de tous les côtés, ils ont chacun un endroit par où ils finissent et un endroit par où ils commencent : ainsi, de ce qu’ils disent qu’il y a quelque chose qui serait au-dessus du Créateur souverain de toutes choses, on pourra en faire un argument contre eux, et on aura le droit de supposer un autre Plerum au-dessus du Plerum, un troisième ensuite au-dessus de celui-ci ; enfin un Bythus par-dessus leur Bythus, et entasser ainsi les puissances les unes sur les autres, de tous côtés : ainsi, les suppositions se multiplieraient à l’infini, l’esprit ne pourrait s’arrêter à quoi que ce soit, et il faudra nous perdre avec eux dans un océan de dieux et de mondes.
Dans ce ridicule système, chaque dieu vit content de son petit empire et ne se mêle pas de ce qui se passe chez ses voisins ; à moins toutefois qu’il ne devienne injuste ou avare, et qu’il ne sache pas conserver sa dignité de Dieu ; ce qui pourrait fort bien arriver. Ainsi chaque créature glorifierait son créateur, qui se suffirait à lui-même et ne se mêlerait en rien des affaires des autres ; cependant, s’il se conduisait mal, il serait convenable qu’il fût jugé par tous les autres dieux et condamné à un châtiment sévère. Car il faut de deux choses l’une : ou qu’il y ait un seul Dieu, qui contient en lui l’universalité des êtres, qui a créé tout ce qui existe dans la plénitude de sa volonté et de sa puissance, ou bien qu’il y ait plusieurs créateurs et plusieurs dieux dont l’empire et la puissance de chacun auraient pour limites et pour bornes l’empire et la puissance du dieu le plus voisin de lui, et qu’ensuite tous ces dieux soient contenus et circonscrits par un autre dieu plus grand qu’eux tous ; mais alors aucun de ces petits dieux ne sera Dieu. Car chacun sera fort peu de chose, comparé à l’ensemble des autres dieux, ses collègues ; et il ne pourra donc pas être regardé comme possédant la toute-puissance. On voit donc que ce système aboutit nécessairement, et pour toute conclusion, à une impiété et à un blasphème.