(8) Que nos pères n'étaient point de race égyptienne, qu'ils ne furent chassés d'Égypte ni en raison de maladies contagieuses, ni pour d'autres infirmités de ce genre, je crois en avoir donné plus haut des preuves, non seulement suffisantes, mais encore surabondantes. Je vais mentionner brièvement les allégations ajoutées par Apion. (10) Il s'exprime ainsi dans le troisième livre de son Histoire d'Égypte : « Moïse, comme je l'ai entendu dire aux vieillards parmi les Égyptiens, était d'Héliopolis[1] ; assujetti aux coutumes de sa patrie, il installa des lieux de prières en plein air, dans des enceintes telles qu'en avait la ville et les orienta tous vers l'est[2] ; car telle est aussi l'orientation d'Héliopolis. Au lieu d'obélisques, il dressa des colonnes sous lesquelles était sculptée une barque ; l'ombre projetée par une statue sur la barque y décrivait un cercle correspondant à celui du soleil dans l'espace.[3] »
[1] Nous avons déjà vu ce détail dans Manéthôs, supra, I, § 238.
[2] Apion, dans son ignorance, confond les synagogues occidentales (προσευχαί) ou peut-être le temple d'Onias avec le temple de Jérusalem. En Occident on priait vers l'Orient, c'est-à-dire dans la direction de Jérusalem ; à Jérusalem même, cette direction, qui est celle du soleil levant, était prohibée par les docteurs, pour éviter toute confusion avec les païens (Soukka, 51 b ; Baba Batra, 25 a) ; dans le Temple, le Saint des Saints était à l'Ouest.
[3] Il y a là peut-être quelque vague souvenir des bassins et des colonnes de bronze du temple. Apion les a comparés à un de ces cadrans solaires à base hémisphérique ou conique comme on en a trouvé notamment en Égypte (Dictionnaire des Antiquités, Horologium, fig. 3886). Le mot [grec], scaphion, était précisément employé pour désigner la conque hémisphérique du cadran solaire. Cf. Th. Reinach dans les Mélanges Kaufmann, p. 13 suiv.
(12) Telle est l'étonnante assertion de ce grammairien. Ce mensonge n'a pas besoin de commentaire ; les faits le mettent en pleine évidence. En effet, ni Moïse lui-même, quand il éleva à Dieu le premier tabernacle, n'y a placé aucune sculpture de ce genre ou n’a recommandé à ses successeurs de le faire ; ni Salomon, qui dans la suite construisit le temple de Jérusalem, ne s'est permis aucune œuvre superflue comme celle qu'a imaginée Apion. (13) D'autre part, il dit avoir appris « des vieillards » que Moïse était Héliopolitain : c'est sans doute qu'étant plus jeune lui-même, il a cru des hommes qui, en raison de leur âge, avaient dû connaître Moïse et vivre de son temps. (14) Du poète Homère, lui grammairien, il ne peut nommer la patrie avec certitude, ni celle de Pythagore, qui a vécu, peu s'en faut, hier et avant-hier[4]. Mais sur Moïse, qui les précède de tant d'années, il se montre si crédule aux récits des vieillards que son mensonge en devient manifeste. (15) Sur l'époque où, selon lui, Moïse emmena les lépreux, les aveugles et les boiteux, l'accord est parfait, j'imagine, entre les écrivains antérieurs et cet exact grammairien. (16) En effet, selon Manéthôs, c'est sous le règne de Tethmôsis que les Juifs furent chassés d’Égypte, 393 ans avant la fuite de Danaos à Argos ; selon Lysimaque, c'est sous le roi Bocchoris, c'est-à-dire il y a 1.700 ans ; Molon et d'autres donnent la date à leur fantaisie. (17) Mais Apion, le plus sûr de tous, a fixé la sortie d’Égypte exactement à la VIIe olympiade et à la première année de cette olympiade, année, dit-il, où les Phéniciens fondèrent Carthage[5]. Il a ajouté de toutes pièces cette mention de Carthage dans la pensée qu'elle était un témoignage éclatant de sa véracité. Mais il n'a pas compris que par là il s'attire un démenti. (18) En effet, s'il faut, sur cette colonie, croire les annales phéniciennes, il y est écrit que le roi Hirôm vécut cent cinquante-cinq ans avant la fondation de Carthage[6] ; (19) j'en ai fourni les preuves plus haut d'après les annales phéniciennes, montrant que Hirôm était l'ami de Salomon qui éleva le temple de Jérusalem, et qu'il contribua pour une grande part à la construction de cet édifice[7]. Or, Salomon lui-même bâtit le temple six cent douze ans après que les Juifs furent sortis d'Égypte[8]. (20) Après avoir donné à la légère, pour le nombre des expulsés, la même évaluation que Lysimaque[9] — il prétend qu'ils étaient cent dix mille — Apion indique une cause extraordinaire et bien vraisemblable qui explique, d'après lui, le nom du sabbat. (21) « Ayant marché, dit-il, pendant six jours, ils eurent des tumeurs à l'aine et, pour cette raison, ils instituèrent de se reposer le septième jour, une fois arrivés sains et saufs dans le pays nommé aujourd'hui Judée, et ils appelèrent ce jour sabbat, conservant le terme égyptien. Car le mal d'aine se dit en Égypte sabbô. » (22) Comment ne pas rire de cette niaiserie, ou, au contraire, comment ne pas s'indigner de l'impudence qui fait écrire de pareilles choses ? Apparemment tous ces cent dix mille hommes avaient des tumeurs à l'aine ? (23) Mais s'ils étaient aveugles, boiteux et atteints de toutes les maladies, comme le prétend Apion, ils n'auraient pas pu fournir même une marche d'un seul jour. Et s'ils ont été capables de traverser un vaste désert, et de vaincre, en combattant tous, les ennemis qui se dressaient devant eux, ils n'auraient pas été en masse atteints de tumeurs à l'aine après le sixième jour. (24) Car cette maladie n'atteint point naturellement ceux qui marchent par force : des myriades d'hommes, dans les armées, font pendant de longs jours de suite les étapes convenables ; et, d'autre part, comment croire que cette maladie leur soit venue toute seule ? ce serait l'hypothèse la plus absurde de toutes. (25) L'étonnant Apion, après avoir commencé par dire qu'ils mirent Six jours à parvenir en Judée[10], raconte ensuite que Moïse gravit la montagne nommée Sinaï, située entre l'Égypte et l'Arabie, y resta caché quarante jours et en descendit pour donner les lois aux Juifs. Cependant, comment se peut-il que les mêmes hommes restent quarante jours dans le désert sans eau, et aient traversé tout l'espace (entre les deux pays) en six jours ? (26) Quant au nom du Sabbat, le changement grammatical qu'il opère dénote beaucoup d'impudence ou une profonde ignorance ; car sabbô et sabbaton sont très différents. (27) En effet, sabbaton, dans la langue des Juifs, désigne la cessation de tout travail, et sabbô signifie chez les Égyptiens, comme il le dit, le mal d'aine.
[4] Josèphe aurait dû rappeler, à propos d’Homère, qu’Apion prétendait avoir appris d’un homme d’Ithaque la nature du jeu auquel jouissait les prétendants de Pénélope (Athénée I, p. 16 F). – On faisait de Pythagore tantôt un Samien, tantôt un Tyrrhénien ou même un Syrien (de l’île de Syros ?). Cf. Diogène Laërce, VII, I ; Clément d’Alexandrie, Stromat., I, 14.
[5] Pour les dates de l’Exode, d’après Manéthôs et Lysimaque, voir plus haut, I, 103 et 305. Pour (Apollonios) Molon, voir infra, II, 79, etc.. La date proposée par Apion correspond à 752 avant J.-C. C’est à peu près la date assignée au Bocchoris de la XXIVe dynastie par les chronographes. Mais cette date a pour but de faire coïncider les fondations de Carthage et de Rome, synchronisme absurde, emprunté à Timée (Denys d’Halicarnasse, I, 74).
[6] Supra, I, § 126.
[7] Supra, I, § 110 suiv.
[8] Ce chiffre ne s'accorde ni avec celui de la Bible (I Rois, VI, I), 480 ans, ni avec celui de Josèphe lui-même dans les Antiquités (VIII, 3, i, § 61) 592 ans. Mais on le retrouve dans un autre passage des Antiquités (XX, 10, 1, § 230).
[9] L'extrait de Lysimaque ci-dessus (I, 304 suiv.) ne donne aucun chiffre. Nous avons déjà (note, I, § 234) signalé d'autres omissions de ce genre, réparées après coup par Josèphe.
[10] Le texte ci-dessus d'Apion (§ 21), quoique très entortillé, pourrait s'interpréter autrement : le sabbat aurait été institué en Judée, en souvenir du repos du 7e jour, mais ce repos n'aurait pas eu lieu nécessairement en Judée.