Des journées de maladie et de fièvre suivirent, dans lesquelles Hudson Taylor ressentit davantage son isolement et son angoisse. Heureusement, il avait été vacciné peu auparavant et échappa ainsi à une grave attaque de petite vérole.
Une nuit, il fut réveillé en sursaut ; il ne put se rendormir et fut assailli par de grandes appréhensions. Depuis de longs mois, il attendait la réponse du tuteur de celle qu'il aimait. L'inquiétude remplissait son cœur. Les efforts qu'il faisait pour tout remettre entre les mains de Dieu semblaient augmenter ses souffrances. Mais, continuellement, au-dessous de lui, étaient les « bras éternels ». Celui dont la sympathie est infinie veillait sur Son enfant accablé et, par le moyen le plus sûr de tous, lui donna du soulagement.
Maria vint dans la journée, écrivit-il plus tard à sa sœur ; elle s'approcha de moi et le calme se fit dans mon cœur. Pendant quelques minutes, je me sentis sous le charme de sa présence, puis je lui tendis la main ; elle la prit et la serra si tendrement que je la remerciai du regard. Elle me fit signe de ne pas parler ; en même temps, elle mit son autre main sur mon front. Immédiatement, fièvre, mal de tête, agitation, tout me quitta et je m'endormis pour me réveiller reposé, quoique bien faible. En me réveillant, je saisis sa main.
Il eut la joie, au moment où il était en convalescence, de voir son ami M. Burdon, de Shanghaï, venu à Ningpo pour faire ses préparatifs de mariage. Il était fiancé à l'aînée des demoiselles Dyer depuis près d'une année, et il allait l'épouser le 16 novembre. Sans envier le moins du monde leur bonheur, Hudson Taylor ne pouvait que sentir d'une manière très vive le contraste avec ses propres circonstances, compliquées spécialement par l'hostilité de Mlle Aldersey, dont l'opposition était toujours plus violente. Elle continuait à répandre les accusations, les plus graves, à un point tel que Maria se demandait comment il se faisait que sa confiance en lui, qu'elle ne connaissait pourtant pas beaucoup, n'avait pas fléchi. Mais leur amour était profond ; il s'enracinait en Dieu.
À cette époque, les deux jeunes gens se rencontraient fort rarement, même en public, car l'école où les demoiselles Dyer enseignaient avait été transférée de l'autre côté du fleuve dans les bâtiments de la Mission Presbytérienne. Vivant avec Mme Bausum dans la maison brune à côté de l'école, elles étaient ainsi proches voisines de M. et Mme Way, dont l'affection et l'admiration pour Hudson Taylor devaient être un réconfort pour Maria. On parlait souvent de lui, qui avait exposé sa vie en soignant M. Quaterman, le propre frère de Mme Way, et les doigts de Maria couraient fréquemment sur les touches de l'harmonium qui avait appartenu au défunt, et avait été donné à son bien-aimé.
Les forces étant revenues, Hudson Taylor redoubla d'activité dans la ville. Le travail qu'il accomplissait avec M. et Mme Jones portait des fruits réjouissants. À leurs réunions, ils ajoutèrent des repas gratuits pour les indigents, et ce fut là une source de grande satisfaction. Le Seigneur subvenait à ses besoins plus généreusement encore qu'auparavant, et, dans l'esprit de la parole : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement », il trouvait sa joie à mettre au service des autres tout ce qu'il avait reçu.
Distribuer chaque jour une soixantaine de repas constituait naturellement une grosse charge pour leurs finances et ils dépensèrent souvent jusqu'au dernier sou avant de voir arriver de nouvelles ressources. Hudson Taylor et son collègue se tenaient toujours devant Dieu dans la prière, et Dieu honora leur foi tout en permettant qu'elle fût souvent mise à l'épreuve.
Beaucoup pensent que je suis très pauvre, écrivait le jeune missionnaire au milieu de novembre. C'est assez vrai dans un sens, mais, grâces à Dieu, c'est « comme pauvre, et cependant enrichissant plusieurs ; comme n'ayant rien, mais possédant toutes choses ». Même si je le pouvais, je ne voudrais pas être autrement que je ne suis, entièrement dépendant du Seigneur, et un canal pour aider les autres.
Ils venaient d'avoir encore un exemple des soins et de la fidélité de Dieu. Quelques jours auparavant, ils se trouvaient dans la plus grande extrémité, au sein de leur œuvre d'amour et de miséricorde à Kuen-kiao-teo. Soixante-dix personnes affamées, les plus pauvres parmi les pauvres, avaient eu leur repas ce matin-là, et avaient écouté pendant une heure et plus l'histoire de l'amour rédempteur. Nyi, qui venait d'être baptisé, et les autres chrétiens indigènes étaient très utiles pour cela ; nul doute que leur foi ne fût fortifiée par les expériences dont ils étaient les témoins.
Eh bien ! ce samedi matin, continue Hudson Taylor, nous payâmes toutes les dépenses et achetâmes ce qu'il fallait pour le dimanche. Après cela, il ne nous restait pas un dollar. Nous ne savions pas comment le Seigneur s'occuperait de nous le lundi, mais sur le manteau de la cheminée nous avions nos deux textes en chinois : Eben-Ezer et Jehovah-Jireh, et Il nous garda de douter un seul instant.
Ce jour même, des lettres qui avaient fait la moitié du tour de la terre arrivèrent à Ningpo, alors qu'aucun courrier n'était attendu. Mises à la poste en Angleterre deux mois auparavant, elles arrivaient à bon port après un voyage si favorable que la prière « Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien » fut exaucée avant le coucher du soleil.
Ce jour-là, dit encore Hudson Taylor, le courrier arriva avec une semaine d'avance, et M. Jones reçut une traite de deux cent quatorze dollars. Nous rendîmes grâces à Dieu et prîmes courage.
La traite fut présentée à un commerçant et, bien qu'il s'écoulât d'habitude plusieurs jours avant que nous pussions toucher les fonds, cette fois-ci il nous dit — « Venez lundi, l'argent sera prêt. » Nous allâmes et, bien qu'il n'eût pu acheter tous les dollars, il nous remit un acompte de soixante-dix dollars. Ainsi tout était bien.
Oh ! qu'il est doux de vivre dans la dépendance directe du Seigneur, qui ne fait jamais défaut !
Le lundi, les pauvres eurent leur repas comme d'habitude, car nous ne leur avions pas dit de ne pas venir, étant assurés que c'était là l'œuvre de Dieu et qu'Il nous donnerait le nécessaire. Nous ne pouvions que pleurer en voyant non seulement nos besoins couverts, mais encore la veuve et l'orphelin, l'aveugle, le boiteux et le déshérité, tous ensemble, nourris par la bonté de Celui qui s'occupe même des passereaux.
Peu de temps après cette délivrance, Hudson Taylor s'aperçut que Dieu avait travaillé pour lui d'une autre manière aussi. Ce fut en effet vers la fin de novembre que les lettres impatiemment attendues arrivèrent : elles étaient favorables !
Après s'être soigneusement renseigné à Londres, M. Tarn était arrivé à la conclusion qu'Hudson Taylor était un jeune missionnaire plein de rares promesses. Les secrétaires de la Société pour l'Évangélisation de la Chine ne disaient que du bien de lui et, de tous les côtés, les renseignements étaient excellents. Le tuteur de Mlle Dyer ne tint donc pas compte des bruits discordants qui provenaient de Chine et consentit cordialement aux fiançailles de sa nièce ; il demandait seulement que le mariage n'eût lieu qu'à sa majorité, qu'elle allait atteindre dans un peu plus de deux mois.
Oh ! comme notre jeune missionnaire était pressé de voir sa bien-aimée ! Mais comment arranger une entrevue ? Les nouvelles de cette espèce ont heureusement des ailes. Mme Knowlton, de la Mission Baptiste Américaine, apprit bientôt son désir ; elle lui fit dire de venir chez elle et, en même temps, elle envoya chercher Mlle Maria Dyer. Un peu plus tard, les deux fiancés, profondément émus et reconnaissants, étaient assis à côté l'un de l'autre sur le canapé, dans le salon de leur compréhensive amie.
Plus de quarante ans après, la joie de ce moment était encore vivante dans le cœur d'Hudson Taylor. « Mon amour pour Maria ne s'est jamais refroidi, disait-il ; il n'est pas refroidi maintenant. »