Il y a, remarque saint Justin, deux avènements de Jésus-Christ annoncés par les prophètes, l’un dans l’humilité de l’incarnation, l’autre dans la gloire avec l’armée des anges (I Apol. lii, 3 ; Dial. xlix, 2 ; cx, 2). En attendant ce second avènement, les âmes des justes, habitant, suivant saint lrénée, un lieu invisible, aspirent après la résurrection de leurs corps et leur comparution devant le Seigneur, deux mystères qui, précédés de l’apparition et de la défaite de l’antéchrist, se produiront quand le monde aura duré 6000 ansa.
a – v.31.2. Remarque de Tixeront : « L’eschatologie de saint Irénée est, dans l’ensemble, d’une note archaïque prononcée ; il y suit trop littéralement l’Apocalypse. » (ThéoTEX : L’avenir en jugera…)
Des questions eschatologiques, deux surtout retenaient l’attention au moment où nous sommes, bien qu’à des degrés différents. La première était celle de la résurrection de la chair contre les païens et les gnostiques. On sait que saint Justin et Athénagore ont composé sur ce sujet chacun un traité pour établir le dogme et réfuter les objections qu’on y faisait. Les autres apologistes, Tatien (13), Théophile (ii, 14, 15), Minucius Félix (34) ne manquent pas non plus d’affirmer la croyance chrétienne. Quant à saint Irénée qui y revient souvent contre les gnostiques, il prouve la résurrection des corps par la résurrection même de Jésus-Christ (v.31.2), par l’habitation du Saint-Esprit en nous (v.13.4), par la nature de l’eucharistie (v.2.3 ; iv.18.5 ; cf. Démonstr., 42).
La seconde question était celle du millenium. Saint Justin et saint Irénée admettent tous deux, après la résurrection, un règne des justes sur la terre avec Jésus-Christ pendant mille ans. L’un et l’autre cependant, comme on l’a ci-dessus remarqué, tout en étant fermement attachés à cette opinion, avouent que beaucoup de chrétiens orthodoxes ne la partagent pas ; et de fait nous ne la trouvons pas enseignée chez nos autres auteurs.
Justin, Dial., lxxx, lxxxi ; Irénée, v, 32-35. Il faut remarquer que saint Irénée admet deux résurrections, une première pour les justes seuls, une seconde, qui est générale, après le millenium révolu. Cette croyance à la résurrection et au millenium, écrit M. Puech (op. cit.,) à propos de saint Justin, « montre à quel point il se faisait une règle de puiser désormais ses opinions uniquement dans l’Écriture, combien il était détaché de la philosophie… Ici est la véritable pierre de touche ».
La résurrection générale des corps, qui fera reparaître chacun dans sa propre chair, sera donc suivie du jugement. Éternel sera le supplice des méchants dans le feu qui tourmentera et leur corps et leur âme. Éternel aussi le bonheur des élus dans la vue et la possession de Dieu. Cette possession toutefois ne sera pas égale en tous, car il y a dans la maison du Père différentes demeures, et les uns seront reçus au ciel, d’autres habiteront le paradis, d’autres enfin la Jérusalem renouvelée. Le monde actuel périra dans un embrasement général. Puis, à son tour, la mort sera détruite, et le Fils à qui le Père a tout soumis se soumettant lui-même au Père, Dieu sera tout en tous (d’après 1 Corinthiens 15.24-28).
Concluons ce chapitre en remarquant que saint Irénée ferme comme une première période de l’histoire du dogme. Avec lui finit cette théologie qui ne fait guère que rapporter les données primitives scripturaires ou traditionnelles, et qui ne s’avance au delà que par occasion et d’une allure timide. Il en est lui-même le fidèle et le plus complet représentant. Homme, par excellence, de tradition, il s’interdit systématiquement de spéculer et de rien ajouter à ce qu’il pense être la foi. Mais d’ailleurs cette foi nous apparaît déjà dans son œuvre avec toutes ses affirmations, ou du moins avec tous les germes qui se développeront plus tard. En Occident, ce développement se fera graduellement et sans secousses, et la théologie n’y perdra jamais le caractère de science éminemment traditionnelle que saint Irénée lui a imprimé. Si elle ne tient pas de l’évêque de Lyon ses formules et sa langue technique — que Tertullien lui donnera, — elle tiendra de lui tout le fond de ses enseignements et — chose en un sens plus importante — le sentiment de la voie d’autorité dans laquelle elle doit conduire ses recherches et réaliser ses progrès. En Orient, ce développement sera plus rapide et en quelque sorte subit. Un homme va paraître qui, partant lui aussi des données de la tradition, en brisera les cadres et tentera, émule des gnostiques, d’écrire à lui seul une explication scientifique et orthodoxe du christianisme. Œuvre grandiose mais prématurée, dont l’influence sera immense, mais dont plusieurs éléments devront être plus tard abandonnés, comme les ébauches d’un esprit plus vaste que sûr, comme les parties ruineuses d’un édifice trop hâtivement construit.