Voyez mes mains et mes pieds, car c’est bien moi-même. Touchez-moi et voyez, car un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai … la chair et le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu… Christ transformera le corps de notre humiliation à la ressemblance du corps de sa gloire.
Pour résumer et compléter ce qui concerne la personne même de Jésus ressuscité, et particulièrement son corps, nous ne pourrons pas être aussi bref que nous l’avons été dans le chapitre précédent.
1° Il faut distinguer ce qui se passa jusqu’à l’Ascension et ce qui la suivit, — ce fut par le fait même de l’Ascension que Jésus fut glorifié et monta vers son Père, pour être souverainement élevé, — la période de quarante jours qui précéda l’Ascension fut une période essentiellement transitoire, pendant laquelle Jésus se proposait seulement de convaincre ses disciples de sa résurrection et de leur adresser ses dernières instructions orales (Jean 20.17 ; Actes 1.2-3, etc.).
2° Jésus ressuscita avec le même corps qui avait été déposé dans le sépulcre et dans lequel il avait souffert, corps parfaitement semblable à notre corps actuel. En effet, lorsque Jésus s’adresse pour la première fois à Marie-Madeleine, celle-ci croit que c’est le jardinier qui lui parle (Jean 20.15). Lorsqu’elle reconnaît la voix de Jésus, lui disant : Marie ! elle s’élance vers lui pour le saisir et Jésus lui dit : Ne me touche pas ! (Jean 20.16-17) — Lorsque Jésus apparaît aux deux disciples qui se rendaient à Emmaüs, il chemine, il converse avec eux et ceux-ci le prennent pour un passant quelconque ; ils ne le reconnaissent que lorsque, prenant du pain, il rend grâces et le leur distribue (Luc 24.15-31). Avant ce moment, ce qui seul faisait sur eux quelque impression extraordinaire, dont ils ne se rendaient pas bien compte, c’était la manière dont il leur parlait et leur expliquait les Écritures (Luc 24.32) — Le soir, lorsque Jésus apparaît subitement aux disciples réunis, ils sont, il est vrai, saisis de crainte, ils s’imaginent voir un esprit, mais Jésus leur dit : Pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi de telles pensées montent-elles dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds, car c’est bien moi-même. Touchez-moi et voyez, car un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai. Et en disant cela, il leur montre ses mains et ses pieds. Et comme dans l’excès de leur joie, ils doutent encore et sont tout étonnés : Avez-vous ici quelque chose à manger ? leur dit-il ; et il mange devant eux (Luc 24.36-43).
[Pierre pouvait même aller jusqu’à dire devant Corneille et ses amis (Actes 10.40-41) : Dieu l’a ressuscité au bout de trois jours et il a permis qu’il apparût, (v. 41) non pas à tout le peuple, mais aux témoins que Dieu avait élus d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui, après qu’il fut ressuscité des morts. Nous inclinons en effet à rattacher, avec de Wette et Meyer, ces derniers mots : après qu’il fut ressuscité des morts, à ce qui les précède immédiatement, et non, comme le font plusieurs interprètes, à la fin du v. 40.]
En racontant cette même réunion, Jean rapporte que Jésus souffla devant ses disciples, en leur disant : Recevez le Saint-Esprit (Jean 20.22 ) — Le dimanche suivant, Jésus leur apparaissant de nouveau, dit à Thomas : Avance ici ton doigt et vois mes mains et avance ta main et la mets sur mon côté (Jean 20.27) — Lorsque Jésus apparaît sur les bords du lac de Génésareth, il est debout sur le rivage, il dit : Enfants, n’avez-vous rien à manger ? Il dit ensuite : Jetez le filet à la droite de la barque et vous trouverez, et les disciples ne reconnaissent le Seigneur que lorsqu’ils n’ont plus la force de retirer le filet. Descendus à terre, ils voient un brasier établi et du poisson posé dessus et du pain. Jésus leur dit : Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre, puis : Venez, mangez. C’est lui qui prend le pain, le leur donne et fait de même pour les poissons (Jean 21.4-13). Quand ils ont mangé, Jésus converse avec Pierre, Jean les suit et Pierre est assez à son aise pour se permettre l’indiscrète question : Seigneur, mais celui-ci, qu’en sera-t-il ? (Jean 21.15-21) — Le jour même de l’Ascension, Jésus conduit ses disciples de Jérusalem vers Béthanie (Luc 24.50) et ils n’hésitent point non plus à lui dire : Est-ce en ce temps-là que tu rétabliras le royaume pour Israël ? (Actes 1.6) Peu après, Jésus, ayant élevé les mains, bénit ses disciples au moment de se séparer d’eux et d’être enlevé au ciel (Luc 24.50-51). — Tous ces détails ne semblent-ils pas indiquer clairement que le corps de Jésus ressuscité n’avait rien d’extraordinaire, qu’il était bien le même qu’auparavant ?
Il est vrai qu’après sa résurrection, Jésus ne fut immédiatement reconnu ni par Marie-Madeleine, ni par les deux disciples qui se rendaient à Emmaüs, ni par les sept disciples qui pêchaient sur le lac de Génésareth. Et il est difficile d’en comprendre pleinement la raison. Mais on ne saurait nullement en conclure que le corps de Jésus fût déjà différent de ce qu’il était avant la mort. En particulier, pour ce qui concerne les deux disciples qui se rendaient à Emmaüs, le récit lui-même indique formellement que s’ils ne reconnurent pas d’abord le Seigneur et s’ils le reconnurent plus tard, cela vint de leurs dispositions personnelles.
3° Il faut admettre cependant que Jésus était guéri et miraculeusement guéri des blessures de la crucifixion. Le jour même de sa résurrection, il fait route avec les disciples qui se rendent à Emmaüs, sans que rien trahisse en lui la faiblesse et la souffrance. Tous les autres récits, et surtout Luc 24.36-40 et Jean 20.19-20, 27, où nous voyons Jésus montrer à ses disciples les cicatrices de ses blessures, font la même impression.
4° Il faut admettre encore que pendant ces quarante jours, Jésus ne vécut point continuellement avec ses disciples, comme il le faisait auparavant ; qu’il ne fit que leur apparaître à plusieurs reprises et en restant avec eux un peu plus ou un peu moins. L’apparition à Marie-Madeleine dut être très courte. Il y en eut de beaucoup plus longues : ainsi celle aux deux disciples qui allaient à Emmaüs, celle qui eut lieu sur les bords du lac de Génésareth, ou encore la dernière qui précéda l’Ascension — De plus il y eut évidemment quelque chose d’extraordinaire dans la manière dont commençaient et finissaient ces apparitions. Dès que les deux disciples l’eurent reconnu, il devint invisible et les quitta (Luc 24.31). Quand il apparut aux Apôtres le soir du premier dimanche et le dimanche suivant, ils avaient eu soin de fermer les portes et tout à coup Jésus se tint au milieu d’eux (Jean 20.19, 26) — Remarquons aussi qu’il accomplit évidemment un miracle, lorsqu’il dit aux sept disciples : Jetez le filet à la droite de la barque et vous trouverez, et que peu après ils ne pouvaient plus tirer le filet (Jean 21.6) — Mais ce même miracle, nous le retrouvons dans la vie antérieure du Seigneur, lors de la vocation de Simon à l’apostolat (Luc 5.4-11) — Nous retrouvons aussi dans la vie antérieure du Seigneur ou dans l’histoire des Apôtres depuis la Pentecôte, des miracles analogues à ce qui se passa lorsque Jésus devint invisible à Emmaüs ou lorsqu’il apparut tout à coup dans un lieu dont les portes avaient été soigneusement fermées. Ainsi nous voyons Jésus marcher sur le lac de Génésareth à la rencontre de ses disciples (Matthieu 14.25 ; Marc 6.48 ; Jean 6.19) et échapper aux poursuites des habitants de Nazareth, en passant au milieu d’eux (Luc 4.30) — Enfin dans Actes 5.19 ; 12.10, nous voyons un ange du Seigneur ouvrir les portes d’une prison et délivrer ainsi les Apôtres — Nous pensons donc, avec Julius Müller, que ce qu’il y eut d’extraordinaire dans la manière dont commençaient et finissaient les apparitions de Jésus ressuscité, peut très bien s’expliquer par un déploiement de puissance miraculeuse. Cette opinion nous paraîtrait plausible lors même que nous ne trouverions pas dans les Évangiles et dans les Actes des analogies aussi directes. La puissance miraculeuse est, en effet, infiniment variée et il n’y aurait rien d’étonnant que Jésus eût agi depuis sa résurrection d’une manière miraculeuse toute spéciale.
Il y a plus. Non seulement nous pouvons nous représenter Jésus faisant des miracles aussi bien après qu’avant sa résurrection, mais il nous semble encore que depuis sa résurrection il se trouvait tout autrement libre qu’avant sa mort, pour user de son pouvoir surnaturel.
Avant sa résurrection, il ne pouvait moralement en user qu’autant que le permettait le ministère de souffrance et d’humiliation qu’il avait à exercer. Dans la mystérieuse et importante scène de la Tentation au désert, il a faim, il souffre de cette faim. Si tu es le Fils de Dieu, lui dit le Tentateur, ordonne que ces pierres deviennent du pain ! Et Jésus repousse cette perfide insinuation en répondant : Il est écrit : Ce n’est pas de pain seulement que l’homme vivra, mais de toute parole sortie de la bouche de Dieu (Matthieu 4.2-4 ; Luc 4.2-4). Il débute ainsi par une solennelle application de ce grand principe auquel il resta fidèle jusqu’à l’instant où il put s’écrier sur la croix, qu’il avait tout accompli : ne jamais recourir au miracle pour la satisfaction de ses besoins personnels, fallût-il même souffrir ; ne jamais user de sa puissance surnaturelle qu’en faisant la volonté de Dieu, vraie nourriture de son être (Jean 4.32-34) — Dans la scène du Jardin de Gethsémané, qui précéda sa passion, comme la Tentation dans le désert précéda son ministère actif, il dit à Pierre : Remets ton épée à sa place… ou bien t’imagines-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père, qui me fournirait aussitôt plus de douze légions d’anges ? Mais dans ce cas comment les Écritures seraient-elles accomplies, puisqu’il faut qu’il en soit ainsi ? (Matthieu 26.52-54.) Il déclarait nettement par là qu’en vertu de sa relation unique avec le Père céleste, il n’avait qu’un mot à dire pour disposer d’une puissance surnaturelle qui le mettrait aussitôt hors de toute atteinte de ses ennemis, mais qu’il ne voulait pas faire usage de cette puissance, afin d’accomplir les Écritures et de réaliser les desseins de la miséricorde divine. Indépendamment même de ces deux remarquables passages, ne savons-nous pas d’après tout ce qu’enseignent les Écritures sur ce qu’était Jésus, qu’il a souffert librement, parce qu’il voulait souffrir, et qu’il le voulait par une filiale obéissance à son Père ? Le soir qui précéda sa mort, ne disait-il pas à ses disciples : Le chef du monde vient et il ne me peut rien, mais afin que le monde sache que j’aime le Père et que j’agis conformément à l’ordre que le Père m’a donné, levez-vous, sortons d’ici (Jean 14.30-31) ? Et quelques mois auparavant, n’avait-il pas dit publiquement : Mon Père m’aime parce que je donne ma vie, afin de la reprendre. Personne ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la reprendre. J’ai reçu cet ordre de mon Père (Jean 10.17-18) ?
L’œuvre de Jésus depuis sa résurrection était très différente de ce qu’elle avait été : il n’avait plus à souffrir. Pendant les quarante jours qui précédèrent son ascension, il n’avait pour tâche que de convaincre ses disciples de sa résurrection et de leur donner ses dernières instructions (Actes 1.3), et cela en leur apparaissant à diverses reprises. Dans ce but il importait sans doute qu’il reprît pour ces quarante jours le corps dans lequel il avait vécu, souffert, et qu’il le reprît en réalité, de manière que l’apparence ne fût pas trompeuse, mais véridique, et c’est pour cela qu’il ne devait point encore être glorifié, monter vers son Père. Mais ces conditions remplies, dès qu’il conservait son corps terrestre, pour parler le langage de 1Cor. ch. 15, et qu’étant dans ce corps, il apparaissait à diverses reprises à ses disciples pour achever de les préparer pour le jour de la Pentecôte, il était moralement libre d’user à son gré de sa puissance miraculeuse, et c’était la volonté de son Père qu’il en usât ainsi. C’est donc cette libre disposition de sa puissance miraculeuse qui nous explique tout ce qui nous est rapporté d’extraordinaire dans les apparitions de Jésus ressuscité, et elle nous paraît plus importante encore pour expliquer ce qu’il y a pour nous d’explicable dans le fond si mystérieux, sur lequel se détachaient ces apparitions, comme des moments isolés et parfois très courts.
Si nous nous demandons ce que faisait et où était le Seigneur dans l’intervalle des apparitions, s’il éprouvait dans son corps les besoins de nourriture, de repos, d’activité, que nous éprouvons nous-mêmes et qu’il avait certainement éprouvés avant sa mort, — à toutes ces questions et à d’autres encore que nous pourrions nous poser, nous répondrons sans hésiter : Nous ne savons pas et nous ne pourrions savoir qu’autant que nous en serions instruits par les Écritures, or elles ne nous disent rien pour satisfaire notre curiosité sur ces sujets. Ce que nous savons et ce qui doit nous suffire, c’est que Christ était ressuscité sans être déjà glorifié ; c’est qu’il avait de nouveau un corps semblable à notre corps actuel, mais qu’il pouvait de toute manière le soustraire à la souffrance et qu’en dehors des apparitions, il vivait comme il le jugeait bon, à coup sûr conformément à son absolue sainteté et dans une parfaite communion morale et religieuse avec le Père céleste. Cet état transitoire était encore à la vérité un état d’abaissement et de condescendance, mais infiniment moins que l’état qui l’avait précédé : il n’y avait plus de souffrance, mais il n’y avait point encore plénitude de gloire auprès du Père céleste.
5° C’est cette plénitude de gloire auprès du Père céleste que reçut Jésus en s’élevant au ciel le jour de l’Ascension. C’est alors qu’il fut souverainement élevé et qu’il s’assit à la droite de Dieu. C’est alors en particulier qu’il revêtit le corps de sa gloire, dont parle St. Paul (Philippiens 3.21), le corps incorruptible, glorieux, puissant, spirituel dont parle le même Apôtre d’une manière générale : 1 Corinthiens 15.42-44. C’est alors qu’il devint un Esprit vivifiant, l’Adam céleste, dont nous porterons l’image, après avoir porté celle de l’Adam terrestre (1 Corinthiens 15.47-49). Il retrouva dans le ciel toute la gloire dont il jouissait dès avant la création du monde, comme étant la Parole qui était au commencement auprès de Dieu (προς τὸν ϑὲον) et qui était Dieu (ϑεὸς) elle-même (Jean 1.1-2 ; 17.5, 24) ; mais il retrouva cette gloire, comme étant devenu la Parole faite chair (Jean 1.14), le Fils de l’homme, notre frère, notre Rédempteur — et c’est ainsi qu’en sa personne d’abord, il a souverainement élevé notre propre humanité.
Ce n’est qu’en étant glorifié que Jésus est ressuscité d’une manière définitive, comme nous devons ressusciter nous-mêmes. Aussi comprend-on comment le Jésus ressuscité dont il est question 1 Corinthiens 15.45-49, est proprement le Jésus glorifié. Le caractère transitoire de la période des quarante jours explique aussi comment dans certains passages du Nouveau Testament, entre autres Hébreux 1.3 ; 10.12, elle n’apparaît plus entre les dernières souffrances du Rédempteur et sa séance à la droite de Dieu, qui dès lors semblent se succéder sans interruption.
Tel est le résultat auquel nous avons été amené par l’étude assidue des textes, par le rassemblement de toutes les données qu’ils fournissent et, pour compléter celles-ci, par la recherche d’une hypothèse qui fût en pleine harmonie avec elles et au fond leur appartînt comme conséquence ou présupposition. Si simple que puisse paraître ce résultat, nous n’y sommes point parvenu sans passer par diverses fluctuations et il nous faut un certain courage pour le proclamer.
Parmi les théologiens de l’époque actuelle, en effet, il en est comme de Wette et Neander qui, avec une réserve assurément digne de tout notre respect, avouent leur impuissance pour résoudre le problème. D’autres cherchent à le résoudre, mais en sacrifiant plus ou moins une des données qu’il faut concilier : c’est ainsi que procèdent, d’une part, la tendance que j’appellerai docétique et dont j’oserai signaler comme représentants Rothe et Ewald, de l’autre la tendance opposée que je nommerai ultra-réaliste et à laquelle je rattacherai Schleiermacher et Bunsen.
Selon Rothe et Ewald, Christ a été glorifié en même temps qu’il a été ressuscité, et il n’est pas apparu tel qu’il était réellement. Selon Rothe, Jésus, déjà glorifié, se serait par moments revêtu de son ancien corps pour apparaître à ses disciples, et il l’aurait ensuite immédiatement déposé (entkleidet), absolument comme un vêtement ! — Selon Ewald, les apparitions de Christ ressuscité auraient été semblables aux théophanies de l’époque des patriarches, et les récits de nos Évangiles auraient quelque peu matérialisé ces apparitions.
D’après Schleiermacher, au contraire, Jésus serait ressuscité tel qu’il était avant sa mort, mais guéri des blessures de la crucifixion ; il aurait ensuite vécu avec ses disciples comme auparavant, et nos Évangiles auraient idéalisé à plusieurs égards la réalité historique — Bunsen, enfin, méconnaît complètement l’importance de l’Ascension et va jusqu’à prétendre que Christ ressuscité a dû repasser par la mort !
Après ces deux tendances extrêmes, nous mentionnerons deux opinions plus modérées, que nous n’avons pas pu nous approprier en définitive, bien qu’elles soient professées par des théologiens avec lesquels nous marchons ordinairement d’accord.
D’après la première de ces opinions, Christ aurait bien été glorifié en même temps qu’il était ressuscité, mais il serait apparu tel qu’il était réellement, avec un corps déjà transformé, transfiguré, glorifié. C’est ce que pensent, entre autres : Krabbe, J.-Chr-.K. von Hofmann, W. Krüger. Krabbe reconnaît cependant qu’il ne peut expliquer ainsi d’une manière satisfaisante Luc 24.24, 39, 42-43, et ces versets sont loin d’être les seuls qui semblent incompatibles avec son point de vue — Si nous voulons nous représenter ce qu’auraient éprouvé les disciples en face de Jésus glorifié, nous n’avons qu’à nous souvenir de l’impression des Apôtres lors de la Transfiguration, ou encore de ce qu’éprouva Saul en se rendant à Damas, et St. Jean lui-même lors de la vision qu’il eut du Seigneur dans l’île de Patmos.
D’après la seconde de ces opinions, le corps de Christ ressuscité aurait été jusqu’à l’Ascension dans un état intermédiaire entre le corps actuel, terrestre, et le corps glorifié ; et il y aurait eu en lui un développement continu dans le sens de la glorification, jusqu’au moment de l’Ascension. Ainsi pensent Riggenbach, Pressensé, Martensen, Schmid, Godet, Bleek et aussi Julius Müller.
[M. Godet, à l’appui de cette manière de voir, cite Marc 16.12 : il apparut sous une autre forme à deux d’entre eux. Or il ne s’agit pas ici d’une forme différente de celle qu’avait Jésus avant sa mort, mais bien d’une forme différente de celle sous laquelle il était apparu à Marie-Madeleine : apparition dont il est question v. 9-11. D’ailleurs le récit de l’apparition de Jésus aux deux disciples, tel qu’il se trouve dans Luc, montre clairement que l’aspect de Jésus n’avait alors rien d’extraordinaire : les deux disciples ne prirent-ils pas longtemps le Seigneur pour un quelconque de leurs compatriotes ? — Godet cite encore à l’appui de son opinion Jean 20.17 : Je monte vers mon Père. Mais la manière dont il interprète ailleurs ces mots, en disant : « Le mot : je monte, n’est point un adieu, mais une promesse de réunion : un au revoir, dans peu ! » est bien plus d’accord avec notre point de vue. Ailleurs encore il interprète dans le sens d’un avenir prochain, des mots dont la forme grammaticale est cependant celle du présent : ainsi quand il rapporte : Je reviens à vous (Jean 14.18), au retour de Jésus par le Saint-Esprit lors de la Pentecôte, ou encore : Je m’en vais vers mon Père (Jean 16.10), à l’Ascension.]
Christ se faisant voir aux deux disciples qui se rendaient à Emmaüs, et, le soir du premier dimanche, aux Apôtres réunis, nous paraît décidément avoir eu le même corps qu’avant sa mort. De plus, nous ne voyons dans les Évangiles aucune trace d’une glorification progressive jusqu’à l’Ascension : sur les bords du lac de Génésareth et même dans la réunion qui précéda l’Ascension, nous retrouvons Jésus ressuscité tel qu’il était lorsqu’il apparut le premier jour. L’idée d’un état intermédiaire entre le corps terrestre et le corps glorifié nous semble étrange, tandis qu’il est positivement enseigné que les chrétiens qui vivront sur la terre lors du retour de Christ, seront subitement transformés. Enfin l’hypothèse d’un déploiement plus large de la puissance miraculeuse du Seigneur pendant les quarante jours, bien que son corps fût redevenu ce qu’il était auparavant, nous paraît plus biblique, plus simple et très suffisante.
Ajoutons que nous avons eu l’agréable surprise de retrouver dans un passage de Bengel cité par Krabbe, notre manière de voir sur le corps de Christ ressuscité pendant les quarante jours, et sur la transformation qui s’opéra lors de l’Ascension — Ajoutons aussi que jusqu’à Origène, tous les Pères qui parlent avec précision du corps de Christ entre la Résurrection et l’Ascension, le disent avoir été le même que celui dans lequel Jésus avait souffert. Origène semble avoir été le premier à enseigner que le corps du Seigneur avait été glorifié en même temps que ressuscité. C’est ce que reconnaît C.-L. Müller, qui cite plusieurs passages d’Ignace, de Justin Martyr, d’Irénée, de Tertullien, et dont l’appréciation a ici d’autant plus de poids qu’il croit distinguer l’opinion d’Origène dans la plupart des écrits du Nouveau Testament.
En terminant ce chapitre, constatons enfin que nous avons vu complètement disparaître les prétendues contradictions qu’on a signalées dans chacun des Évangiles, en soutenant que certains passages parlent du corps de Jésus ressuscité, comme étant le même qu’avant la mort, tandis que d’après d’autres il aurait été déjà transfiguré. Pour nous, ces derniers passages se concilient parfaitement avec les premiers, à cause de la manière dont Jésus ressuscité nous semble avoir usé de son pouvoir miraculeux.
Quant à la différence qu’on a relevée entre les apparitions de Christ avant son Ascension, et l’apparition sur le chemin de Damas, elle nous paraît très bien s’expliquer par la considération que cette dernière apparition fut la seule où se montra d’une manière sensible le Christ glorifié.