(Fin de 1527 à la fin de février 1528)
Le Nouveau Testament est interdit – Le zèle d’Hamilton – Il fait recevoir l’Evangile par tous les siens – Il prêche aux environs de Kincavil – De grandes foules accourent l’entendre – Il se marie – Les prêtres conspirent sa perte – L’archevêque l’appelle à Saint-André – Son zèle redouble – Les prêtres lui tendent des pièges – Il dispute contre Alésius – Il le convertit à la vérité – Alexandre Campbell trahit Hamilton – On décide la mort d’Hamilton – On éloigne le roi – Sir James Hamilton marche au secours de son frère – L’archevêque armé pour repousser l’attaque
L’Église de Rome, au seizième siècle, et en particulier en Écosse, était loin d’être apostolique, quoiqu’elle prît ce titre ; rien ne ressemblait moins à saint Jean, à saint Pierre que ses primats et ses prélats mondains et parfois guerriers. Les véritables successeurs des apôtres étaient ces réformateurs qui annonçaient les doctrines des apôtres, travaillaient comme eux, étaient comme eux persécutés et mis à mort. Les éléments théocratiques et politiques qui se combinent dans Rome y ont, sauf certaines exceptions, substitué la loi, c’est-à-dire le culte extérieur, les ordonnances cérémonielles, les pèlerinages, les exercices de la vie ascétique à l’Évangile. La Réformation a été une puissante réaction de l’élément évangélique et moral contre l’élément légal, sacerdotal, ascétique et ritualiste qui avait envahi l’Église. Cette réaction allait déployer son énergie en Écosse et Hamilton devait en être d’abord le principal organe.
Déjà, avant son retour, les livres saints étaient arrivés en grand nombre dans les principaux ports du royaume. L’attention s’était éveillée, mais en même temps l’ignorance, la mauvaise foi, le fanatisme, s’étaient soulevés contre les Écritures évangéliques. Les prêtres disaient que l’Ancien Testament était le seul vrai, et prétendaient que le Nouveau avait été récemment inventé et écrit par Martin Luthera. En conséquence, en août 1527, le comte d’Angus, excité par Dunbar, évêque d’Aberdeen, avait renforcé l’ordonnance de 1525, et arrêté que les sujets du roi qui répandraient les livres saints seraient punis des mêmes peines que les gens du dehors. Si donc un navire arrivait à Leith, Dundee, Saint-André ou Aberdeen, aussitôt les officiers du roi le visitaient, et s’il se trouvait à bord des exemplaires du Nouveau Testament le navire et la cargaison étaient confisqués et le capitaine mis en prison.
a – « Plerique sacerdotum, novitatis nomine offensi, contenderunt Novum Testamentum nuper a Martino Luthero fuisse scriptum. (Buchanan, Hist., lib. XV, p. 534.)
Quelque temps après cette ordonnance, le bâtiment qui portait Hamilton prit port, et, quoique ce jeune chrétien eût toujours son Nouveau Testament dans sa poche, il débarqua sans être arrêté et se rendit à Kincavil ; c’était vers la fin de 1527. Patrick aimait tendrement sa mère, sa sœur ; chacun appréciait son caractère aimable ; les domestiques et tous ses voisins étaient ses amis. Cette douceur facilitait son œuvre. Mais ce qui faisait surtout sa force, c’était la profondeur et la sincérité de son esprit chrétien. « Christ a porté nos péchés sur son dos et nous rachetés par son sangb ; » telle était la corde principale qui vibrait dans son âme. S’il exposait un sujet, il faisait taire ses propres raisonnements et laissait parler la Bible. Nul n’avait un discernement plus net des rapports et des contrastes qui caractérisent la doctrine évangélique. Aux qualités de l’esprit il joignait des vertus morales éminentes ; il pratiquait les principes qu’il croyait véritables avec une inébranlable fidélité ; il les exposait avec une touchante charité ; il les défendait avec une décision énergique. S’il s’approchait d’un laboureur, d’un moine, d’un noble, c’était avec le désir de lui faire du bien, de le conduire à Dieu. Il s’ingéniait à chercher tous les moyens de rendre témoignage à la véritéc. Son courage était ferme, sa persévérance indomptable, et sa noble gravité faisait excuser sa jeunesse. Sa position sociale ajoutait à son influence. Nous avons vu que l’aristocratie jouait un plus grand rôle en Écosse que dans aucun autre pays de l’Europe. Les Écossais eussent trouvé étrange qu’un homme du peuple se mêlât de réformer l’Église ; mais si celui qui leur parlait appartenait à une famille illustre, la position qu’il assumait leur paraissait légitime et tous étaient disposés à prêter l’oreille à sa voix. Tel était le réformateur que Dieu donnait à l’Écosse.
b – « Christ bare our sins on his back. » (Patrick’s Places, dans Fox, Acts, IV, p. 565.)
c – « To testify the truth, he sought all means. » (Fox, ibid., p. 563.)
Le frère aîné de Patrick, sir James Hamilton, ayant succédé aux biens et aux titres de son père, avait été nommé shérif du comté de Linlithgow. James n’avait pas les talents de son frère, mais il était plein de droiture et d’humilité. Sa femme, Isabelle Sempill, appartenait à une ancienne famille d’Écosse et dix jeunes enfants entouraient ce couple aimable. Catherine, sœur de Patrick, avait quelque ressemblance avec lui, beaucoup de simplicité, d’esprit et de décision. Mais c’était surtout près de sa mère, la veuve du preux chevalier, que Patrick cherchait et savourait les joies pures et vives de la vie domestique. Il ouvrit son cœur à tous ces êtres bien-aimés ; il leur annonça la paix qu’il avait trouvée dans l’Évangile, et, peu à peu, ses parents furent amenés à la foi, et en donnèrent plus tard d’éclatantes preuves.
Bientôt il ne put renfermer dans sa famille le zèle dont il était dévoré. L’affection qu’il avait pour l’Évangile faisait taire en lui toutes les craintes et, plein de courage, il était prêt à recevoir les insultes que sa foi pourrait provoquer. « La véritable lumière que Dieu avait semée dans son esprit, commençait à s’en échapper avec abondance, et il sortait de lui comme de brillants rayons qui éclairaient les pécheursd. » Hamilton parcourait la contrée environnante, où son nom lui assurait partout un accueil cordial. Quand on voyait arriver le jeune laird, les ouvriers quittaient le champ qu’ils cultivaient, des femmes sortaient de quelque pauvre chaumière, tous se rassemblaient respectueusement autour de lui et lui prêtaient une oreille attentivee. Des prêtres, des bourgeois de la ville voisine, des femmes de condition, des seigneurs quittant leurs châteaux, des gens de toutes classes se joignaient à euxf. Patrick les accueillait avec un sourire bienveillant et des manières pleines de grâce. Il adressait aux âmes la première parole de l’Évangile : Convertissez-vous ! mais aussi il exposait les erreurs de l’Église romaineg. Ses auditeurs s’en retournaient étonnés de sa connaissance des Écritures, et le peuple ému du salut qu’il annonçait, s’accroissait de jour en jour. Au midi du manoir de Kincavil, se trouvait une chaîne de rochers dont les pics altiers et les pentes parsemées de touffes d’arbres faisaient, au milieu de cette contrée, l’effet le plus pittoresque. Là, plus d’une fois il s’entretint de l’Évangile avec les gens de la campagne qui, dans la chaleur du jour, venaient se reposer à l’ombre des rochers. Il montait quelquefois sur ces collines et de leur cime il contemplait toute l’étendue du pays dans lequel il annonçait la bonne nouvelle. Ce Craig subsiste encore, monument pittoresque de la mission évangélique d’Hamiltonh.
d – « The bright beams of the true light began most abundantly to burst forth… » (Knox, Hist. of the Ref., edit. Wodron, p. 15.)
e – « Wherunto many gave ear. » (Spotswood’s Hist., p. 62.)
f – « All sorts of people. » (Ibid.)
g – « He spared not to shew the errors crept into Christian religion, » etc. (Ibid.)
h – « To the south of the house of Kincavil, in the craig quarter. » (Chartre du 3 sept. 1507. Lorimer’s Hamilton.)
Bientôt il se mit à exposer l’Évangile dans les humbles églises des villages environnants ; il s’enhardit et prêcha même dans le beau sanctuaire de Saint-Michel, à Linlithgow, au milieu de nombreux et riches autels. A peine le bruit s’en fut-il répandu que chacun voulut l’entendre ; le nom qu’il portait, sa bonne grâce, sa science, sa piété, augmentaient de jour en jour le nombre des auditeurs ; depuis longtemps on n’avait vu une si grande foule accourir à l’églisei. Quelquefois Linlithgow, séjour favori de la cour, brillait d’un éclat inaccoutumé. Les membres de la famille royale, les nobles les plus illustres du royaume venaient se joindre dans l’église aux bourgeois et au peuple. Ce bel auditoire, dont les regards fixés sur lui n’intimidaient point le réformateur de vingt-trois ans, la simplicité, la clarté, la concision qui caractérisaient le style de Patrick étaient plus propres à agir sur les esprits des grands que des déclamations pompeuses. « Sais-tu ce que signifie cette parole, disait-il : Christ est mort pour toi ? Cela veut dire que comme tu devais mourir d’une mort éternelle, Christ, pour t’en délivrer, a mis sa propre mort à la place de la tienne. Tu as fait la faute, il a souffert la peine ; et il ne te demande rien pour cela, si ce n’est que pour l’amour de lui tu t’emploies au salut des autres, comme il s’est employé gratuitement au tienj. »
i – « A great following he had. » (Spotswood’s Hist., p. 62.)
j – Voir Fox, Acts and documents, IV, p. 570, 571.
Parmi ses auditeurs se trouvait une jeune fille noble, qui recevait avec joie la bonne nouvelle du salut. Hamilton reconnut en elle une âme semblable à la sienne. Il avait adopté les principes de Luther sur le mariage ; il connaissait les propos que le réformateur avait tenus sur ce sujet avec ses amis, et qui étaient racontés dans toute l’Allemagne. « Mon père et ma mère, disait un jour Luther, ont vécu dans le saint état du mariage et même les patriarches et les prophètes aussi ; pourquoi ne ferais-je pas de même ? Le mariage est le plus saint de tous les états et le célibat des prêtres a été la cause des plus honteux péchés. Il faut se marier et braver ainsi le pape, revendiquer la liberté que Dieu nous donne et que Rome prétend nous ravirk. » Cependant se marier était pour Hamilton un pas hardi, vu la nécessité présente, comme parle l’apôtre Paul. Abbé de Ferne, appartenant aux premières familles de l’Écosse, son mariage devait exciter au plus haut degré la colère des prêtres. Il fallait d’ailleurs une grande décision dans Patrick, une grande sympathie dans la jeune chrétienne, pour s’unir comme en présence de l’échafaud. Le mariage eut pourtant lieu, probablement au commencement de 1528. « Peu avant sa mort, dit Alesius, il épousa une jeune fille noblel. » Peut-être la connaissance de cette union ne sortit-elle pas du cercle de la famille. Elle a été inconnue des biographes jusqu’à nos joursm.
k – « Man soll’s dem Papst zuwieder thun, » etc. (Luther’s Tischreden, cap. 43.)
l – « Paulo ante mortem duxit nobilem virginem uxorem. » (Alesius, Liber Psalm., 1554.)
m – Le seul auteur qui l’ait mentionnée avant nous est M. le professeur Lorimer dans ses Mémoires, 1857.
Pendant qu’Hamilton prêchait à Linlithgow, l’archevêque Beaton était au monastère de Dunfermline, de l’autre côté du Forth, à quatre lieues de là environ. Le prélat, en apprenant le retour du jeune noble qui lui avait naguère échappé, comprit qu’un missionnaire animé de l’esprit de Luther, familiarisé avec les mœurs du peuple, appuyé par la famille puissante des Hamilton, était un adversaire redoutable. Les nouvelles qui croisaient le Forth, ou qui arrivaient d’Edimbourg, ne faisaient qu’augmenter les appréhensions de l’archevêque. Beaton était un ennemi décidé de l’Évangilen. Ayant gouverné l’Écosse pendant la minorité du roi, il s’indignait à la pensée des troubles dont la prédication d’Hamilton menaçait l’Église et le royaume. Le clergé partageait les terreurs de son chef ; la ville de Saint-André surtout, qu’un historien écossais a appelée « la métropole du royaume des ténèbreso, » était dans une grande agitation. Le doyen Spence, le recteur Weddel, l’official Simson, le chanoine Ramsay, les chefs de divers monastères s’entretenaient ensemble et s’écriaient que le péril était imminent et qu’il fallait absolument se débarrasser d’un si dangereux adversaire.
n – « A conjured ennemy to Christ Jesus. »(Knox, Hist. of the Réf., I, p. 15.)
o – Scot’s Worthies, p. 12.
L’archevêque, son neveu, et d’autres clercs consultèrent donc ensemble sur les meilleurs moyens de perdre Hamilton. Beaucoup de prudence était nécessaire. Il fallait s’assurer des dispositions d’Angus, distraire le jeune roi qui, d’un caractère généreux, pouvait avoir envie de sauver son parent, faire tomber l’évangéliste dans quelque piège, car Beaton ne se souciait pas d’envoyer des hommes d’armes, saisir Patrick à Kincavil dans la maison de son frère le shérif ; l’archevêque résolut d’avoir recours à la ruse. En conséquence, Hamilton, quelques jours seulement après son mariage, reçut l’invitation de se rendre à Saint-André pour avoir une conférence amicale avec l’archevêque, concernant la religion. Le jeune noble, qui l’année précédente avait deviné les perfides projets du clergé, comprit la portée de l’entrevue qu’on lui demandait, et dit à ceux qui lui étaient chers que sous peu il perdrait la viep. Sa mère, sa femme, son frère, sa sœur, firent tous leurs efforts pour le retenir ; mais il était décidé à ne pas s’enfuir une seconde fois, et se demandait si le moment n’était pas arrivé où un grand coup pouvait être frappé et amener le triomphe de l’Évangile. Il déclara donc qu’il était prêt à se rendre dans la Rome de l’Écosse.
p – « Prædixit etiam se brevi moriturum, cum adhuc apud suos esset. » (Alesius, Liber Psalm.)
Dès son arrivée à Saint-André le jeune réformateur se présenta chez l’archevêque, qui lui fit le plus gracieux accueil. Peut-être ces bonnes grâces étaient-elles sincères et non perfides comme on l’a cru ; Beaton espérait-il le ramener ainsi dans le sein de l’Eglise ? Chacun dans le palais témoignait des égards à Hamilton. Le prélat lui avait fait préparer dans la ville un logement où il le fit conduire. Patrick, voyant le respect avec lequel on le traitait, se sentit encore plus encouragé à exposer franchement la foi qu’il avait dans le cœur. Il retourna au château où devait avoir lieu la conférence avec l’archevêque et d’autres docteurs ; tous montrèrent un esprit de conciliation ; tous parurent reconnaître les maux de l’Église ; quelques-uns semblèrent même partager à certains égards les sentiments d’Hamilton ; il sortit du château plein d’espérance. Il lui semblait voir dans l’épaisse muraille des préjugés romains une petite ouverture que la main de Dieu pouvait promptement agrandir. Il ne perdit pas de temps ; parfaitement libre, il allait et venait où il voulait, et pouvait défendre ses sentiments, sans qu’on y mît aucun obstacle. Ceci faisait partie du complot. Si l’archevêque était susceptible de quelque bienveillance, son neveu David et plusieurs autres étaient impitoyables ; ils voulaient qu’Hamilton parlât, qu’il parlât beaucoup ; il fallait qu’il fût pris en flagrant délit, pour qu’on osât le mettre à mort. Sans qu’il s’en doutât, il se trouvait, parmi ceux qui l’écoutaient, des gens qui prenaient note de ses paroles et faisaient aussitôt leur rapport. Ses ennemis ne se contentèrent pas de le laisser circuler librement dans les maisons particulières, les salles universitaires même lui furent ouvertes ; il pouvait « y enseigner et y disputer ouvertement, » nous dit un témoin oculaireq, sur les doctrines, les sacrements, les rites et l’administration de l’Église. Plusieurs aimaient entendre ce jeune noble annoncer, avec la permission du primat d’Écosse, des dogmes si étranges. « Ils se trompent, disait Hamilton à son auditoire, ceux dont la religion consiste en mérites humains, en traditions, en canons, en cérémonies, et qui font peu ou pas mention de la foi en Jésus-Christ. Ils se trompent ceux qui font de l’Évangile une loi, et de Christ un Moïse. Mettre la loi à la place de l’Évangile, c’est se parer d’une robe de deuil dans un jour de nocesr. » Puis il répétait comme déjà à Marbourg, comme Luther, comme Jésus-Christ : « Ce ne sont pas les bonnes œuvres qui font un homme bon ; mais c’est un homme bon qui fait de bonnes œuvress. » C’est sur cette proposition si chrétienne, si évidente, qu’il devait être surtout attaqué.
q – Alesius.
r – « To put on a mourning gown in the feast of a marriage. » (On the law and the Gospel, Fox, Acts, IV, p. 575, 576.)
s – « Bona opera non faciunt bonum hominem, sed homo bonus facit bona opera. » (Alesius, Liber Psalm.)
Les ennemis du jeune réformateur triomphaient en l’entendant professer des principes si opposés à ceux de Rome ; mais voulant le compromettre davantage, ils engageaient avec lui des conversations particulières, dans lesquelles ils s’efforçaient de le faire aller jusqu’au bout de ses convictions antiromaines. Toutefois, il y avait aussi parmi ceux qui l’écoutaient des hommes droits, profondément émus, qui aimaient ce jeune Ecossais si plein d’amour pour Dieu et pour les hommes, se rendaient chez lui, lui exposaient leurs doutes et lui demandaient ses directions. Il les recevait avec bienveillance, les invitait souvent à sa table et cherchait à faire du bien à tous.
Parmi les chanoines de Saint-André se trouvait Alexandre Alane, mieux connu sous le nom latin de Alesius, qui, dans sa jeunesse, avait échappé à la mort sur Arthur’s seat. Ce jeune homme, d’un caractère modeste, d’un cœur sensible, d’un esprit modéré, mais ferme, d’une belle intelligence qui s’était développée dans l’étude des langues anciennes, avait fait de grands progrès dans la théologie scolastique et s’était rangé de bonne heure parmi les adversaires de la Réformationt. Son plus vif désir était de rompre une lance avec Luther ; la controverse avec le réformateur était alors le grand champ de bataille où les docteurs, jeunes et vieux, aspiraient à donner des preuves de leur valeur. Ne pouvant se mesurer personnellement avec celui qu’il nommait archihérétique, Alesius avait réfuté sa doctrine dans une dispute publique soutenue à l’université. Les théologiens de Saint-André l’avaient couvert d’applaudissementsu. « Certes, disaient-ils, si Luther avait été présent, il eût été obligé de se rendre ! » Aussi on avait conçu au sujet du jeune docteur les plus belles espérances. Alesius, sensible à ces éloges et catholique sincère, pensa qu’il lui serait facile de convaincre le jeune Hamilton de ses erreurs. Il l’avait connu avant le voyage de Marbourg ; il l’aimait, il désirait le sauver en le ramenant de son égarement.
t – Bayle, Dict. crit. Art. Alesius.
u – « Lutheri assertiones refutans, cum applausu theologorum. » (Alesius, Liber Psalm.)
Il se rendit dans ce dessein chez le jeune noble. La conversation commença. Alesius était armé de pied en cap, rempli de la science scolastiquev et de toutes les formules quomodo sit, quomodo non sic. Hamilton n’avait devant lui que l’Évangile, et il répondait à toutes les argumentations de son antagoniste par la parole claire, vivante et profonde des Écritures. On a vu plus d’une fois des hommes sincères embrasser la vérité, peu après s’être prononcés contre elle. Alesius, frappé, embarrassé, avait la bouche fermée, et sentait comme si « l’étoile du matin se levait dans son cœur. » Ce n’était pas seulement son intelligence qui était convaincue ; le souffle d’une vie nouvelle pénétrait dans son âme, et au moment où l’échafaudage de ses syllogismes était renversé, la vérité lui apparaissait toute rayonnante de gloire. Il ne se contenta pas de cette première conférence, il revint souvent voir Hamilton, prenant chaque jour plus de plaisir dans sa conversation ; sa conscience était gagnée, son esprit éclairé. Aussi de retour dans la cellule de son prieuré, contemplait-il avec étonnement le chemin qu’il venait de faire. « Le résultat de ma visite a été contraire à toute mon attente, disait-il, j’avais cru ramener Hamilton à la doctrine de Rome, et c’est lui qui m’a fait reconnaître mon erreurw.
v – « Doctrinae sententiarum. » (Alesius Liber Psalm.)
w – « Verum præter expectationem meam evenit, ut ex ipsius colloquio meum errorem agnoscerem. » (Ibid.)
Un jour, un autre interlocuteur se présenta chez Hamilton. C’était un jeune ecclésiastique, Alexandre Campbell, prieur des dominicains, qui avait comme Alesius un beau génie, une grande éruditionx et un caractère bienveillanty. L’archevêque, qui connaissait sa supériorité, l’invita à visiter fréquemment Hamilton, et à faire tous ses efforts pour le ramener au dogme romain. Campbell obéit à son chef ; mais tandis que certains prêtres ou moines questionnaient adroitement le jeune docteur dans le but de le perdre, le prieur des dominicains se proposait plutôt de le sauver. On se trompe quand on lui attribue dès le commencement une tout autre pensée. Campbell était, de même qu’Alesius, ouvert à la vérité, mais l’amour du monde et de ses faveurs dominait en lui, et c’est là ce qui devait le perdre. Il s’entretint souvent avec Hamilton sur le vrai sens des Écritures et reconnut la vérité des paroles de Patrick. « Oui, disait le prieur, l’Église a besoin d’être réformée en beaucoup de chosesz. » Hamilton, heureux de cet aveu, espérait l’amener à la foi, comme Alesius, et ne craignant pas un ami qu’il regardait presque déjà comme un frère, il ne lui cachait aucune de ses pensées et se l’attachait par sa sincérité même. Mais après quelques conférences, Campbell reçut l’ordre de l’archevêque de venir lui rendre compte du succès de ses démarches. Cette invitation frappa, ébranla le prieur ; et quand il fut en présence de Beaton et de ses conseillers, il se sentit intimidé, saisi de crainte à la pensée de déplaire au primat et d’encourir les censures de l’Église. Il eût voulu obéir à la fois au Seigneur et aux évêques, servir Dieu et humer de l’honneur ; mais il ne trouvait aucun moyen de mettre d’accord l’Évangile et le monde. Voyant tous les regards dirigés vers lui, il se troubla, il chancela, il répéta tout ce que le jeune noble de Kincavil lui avait dit dans l’intimité d’une confiance fraternelle ; il parut le condamner, il consentit même à devenir un de ses juges. Préférant ses aises, sa gloire et sa vie à la persécution, à l’opprobre et à la mort, Campbell tourna le dos à la vérité et abandonna Hamilton.
x – « Eorum qui Thomæ Aquinatis sectam imitantur, inter eruditiores habitas. » (Buchanan., lib. XIV, an. 1527.)
y – « Erat enim in eo placida natura. » (Alesius, Liber Psalm.)
z – Knox, Alesius, Spotswoods, Scot’s Worthies.
Quand le jeune réformateur apprit la trahison de Campbell, ce fut pour lui une vive douleur ; toutefois il ne se découragea pas. Au contraire, redoublant de zèle, il enseignait, soit dans son appartement, soit dans l’université, et rendait témoignage de pieds et de mains, comme on parlait alors, c’est-à-dire de tout son cœur, de toutes ses forces, à la Parole de Dieu. Nulle place dans le royaume n’était, pour commencer l’œuvre de la Réformation, plus importante que Saint-André. Hamilton y trouvait des étudiants et des professeurs, des prêtres, des moines de Saint-Augustin, de Saint-François, de Saint-Dominique, des chanoines, des doyens, des membres des cours ecclésiastiques, des nobles, des jurisconsultes, des laïques de tout rang. Tel fut le sol étendu, et en apparence favorable, où pendant un mois il répandit abondamment la semence divinea.
a – « Docuit et disputavit palam in Acaedemia, plus minus mensem. » (Alesius in Psalm.)
Les adversaires du Nouveau Testament voyant le succès des enseignements d’Hamilton, s’alarmaient chaque jour davantage. Il fallait ne plus tarder, pensaient-ils, mettre de côté toute condescendance, et frapper le grand coup. Patrick fut sommé de paraître au palais archiépiscopal, pour répondre à l’accusation d’hérésie portée contre lui. Ses amis, alarmés, le conjurèrent de fuir ; il paraît même que l’archevêque l’eût vu avec plaisir partir de nouveau pour l’Allemagne. Lord Hamilton, comte d’Arran, était à la fois oncle de Patrick et neveu par alliance du primat ; celui-ci voulait avoir quelques égards pour un jeune homme dont il respectait la familleb ; mais l’obstacle devait venir du côté d’Hamilton. Quand il avait traversé la mer du Nord, pour se rendre en Écosse, il s’était décidé à perdre, s’il le fallait, la vie, pourvu que par sa mort Christ fût magnifié. La joie d’une bonne conscience était tellement affermie dans son âme, qu’aucune douleur de la chair ne pouvait la lui ôter.
b – « Metu cognatorum ejus. » (Lambert. Apocal.)
Patrick ne voulant pas fuir devant l’échafaud, ses ennemis résolurent de se débarrasser d’un antagoniste si redoutable.
Une chose pourtant les arrêtait. Le roi, faible et irréfléchi, mais humain et généreux, permnettrait-il qu’on immolât ce jeune membre de sa famille qui faisait l’admiration même de ses adversaires ? Jacques V s’intéressait réellement à Patrick ; il avait voulu le voir, et l’avait exhorté à se mettre d’accord avec les évêquesc. Si, au dernier moment, les Hamilton lui demandaient sa grâce, comment pourrait-il la refuser ? Pour éluder cet obstacle, le clergé romain résolut d’éloigner le jeune monarque. Son père, Jacques IV, faisait chaque année un pèlerinage à la chapelle de Saint-Duthac, fondée par Jacques III, dans le comté de Ross, au nord de l’Écosse. Les évêques décidèrent d’engager ce prince, âgé alors de dix-sept ans, à entreprendre ce lointain voyage quoique l’on fût au milieu de l’hiverd. Le roi y consentit, soit qu’il fût habilement trompé par les prêtres, soit que, les voyant décidés à se défaire d’Hamilton, il laissât faire en s’en lavant les mains ; il partit pour Saint-Duthace et les prêtres se mirent aussitôt à l’œuvre.
c – « Adhortante rege ipso. » (Lesley, de Rebus gestis, etc., p. 421.)
d – « They travailled with the king, that he should pass in pilgrimmage to St Duthac. » (Knox, Reform, I, p. 16.)
e – On a nié ce voyage malgré les témoignages positifs de Knox, Spotswood et d’autres. Mais une lettre d’Angus à Wolsey, du 30 mars 1528, dit que le roi était alors in the north country, in the extreme parts of his realm. Ce témoignage est décisif.
La nouvelle du danger imminent qui menaçait Patrick porta le trouble dans le manoir de Kincavil. Sa femme, sa mère, sa sœur, étaient vivement émues ; sir James résolut de ne pas se borner à de stériles soupirs et d’arracher son frère aux mains de ses ennemis. Shérif de Linlithgow, capitaine de l’un des châteaux du roi, il lui fut facile d’assembler des hommes d’armes et il partit pour Saint-André à la tête d’une petite armée, persuadé que, s’il réussissait, Jacques V à son retour de Saint-Duthac lui donnerait un bill d’indemnitéf. Mais, arrivé sur les bords du Forth, qu’il devait passer pour se rendre dans le comté de Fyfe, il vit qu’une violente tempête agitait les eaux et qu’il était impossible de traverserg. Sir James et ses hommes d’armes s’arrêtèrent sur le rivage, suivant la vague d’un air triste et écoutant avec douleur le bruit de la tempête. L’archevêque ayant appris qu’une troupe paraissait de l’autre côté du Forth, réunit un nombre considérable de cavaliers pour repousser l’attaqueh. Ceux qui voulaient sauver Hamilton étaient aussi ardents que ceux qui voulaient le perdre. Lequel des deux partis remporterait la victoire ? Telle était la question.
f – « Cum frater Patricii duxisset exercitum. » (Lambert, Liber Psalm.)
g – « Ventis fuit impeditus. » (Lambert, Liber Psalm.)
h – « Aliquot millia conscripserunt equitum. » (Ibid.) Le nombre est sans doute exagéré.