La vie d’Isaac a eu moins de vicissitudes, elle a suivi un cours plus simple et plus paisible que celle d’Abraham, de Jacob ou de Joseph ; nous en savons assez cependant pour être certains qu’il a marché sur les traces de son père et conservé jusqu’au bout la foi et la patience. Le trait le plus saillant de son caractère, c’est cette débonnaireté dont il avait déjà fait preuve lorsque, jeune garçon, il se laissait lier sur l’autel par Abraham.
Autant que nous en pouvons juger par l’Ecriture, Isaac eut moins fréquemment qu’Abraham des révélations de Dieu. Deux fois seulement l’Eternel lui apparut, chaque fois pour le consoler dans ses épreuves ; la première, lorsqu’il craignit d’être obligé d’émigrer à cause de la disette (v. 2-5) ; la seconde, lorsque la jalousie des Philistins le chassa des lieux où il vivait heureux (v. 24). Dieu lui confirma les promesses données à son père. Ces promesses, qui avaient une portée éternelle, l’accompagnèrent pendant toute sa longue vie de pèlerin (Isaac parvint à l’âge de cent quatre-vingts ans). Comme Elie, fortifié par un seul repas, marche quarante jours et quarante nuits (1 Rois 19.8), ainsi, affermi par les paroles de Dieu, Isaac put marcher un siècle durant à travers le monde, et c’est avec ces paroles dans le cœur qu’il s’est endormi. Lui aussi a vu Christ en esprit et mis son espérance dans ce grand jour où la gloire de la postérité sainte — c’est-à-dire de Christ et de ses élus — sera manifestée et les bénédictions du royaume des cieux répandues sur toute la terre Nous marchons sur la même route et vers le même but. On pourrait être tenté de dire qu’il était facile aux patriarches de conserver leur foi et leurs sentiments célestes, puisque Dieu leur apparaissait ; tandis que le même privilège ne nous est pas accordé. Mais non ; bien loin qu’ils aient reçu plus que nous, c’est nous, chrétiens, au contraire, qui avons déjà reçu beaucoup plus qu’eux. Il n’est pas vrai qu’ils eussent besoin de moins de foi que nous pour persévérer jusqu’au bout. Sans doute Dieu leur est apparu d’une manière visible et sous une forme humaine. Mais la foi leur était nécessaire pour conserver l’assurance que ce n’était point là une illusion et que le Seigneur leur était réellement apparu et leur avait parlé. Leur tâche, comme la nôtre, était de croire à une Parole dont l’Esprit de Dieu leur attestait la vérité dans le fond de leurs cœurs. Mais Dieu nous a parlé avec plus d’abondance encore et de clarté qu’à eux. Il est vrai, il ne nous est pas encore accordé de voir ; mais Dieu ne nous a rien refusé de ce qui peut vivifier et fortifier notre foi. Dans le baptême il nous a bénis, et il a dit à chacun de nous : Sois mon enfant pour toujours ! Par la Parole du pardon, il est venu à nous, et nous a, comme à Isaac, donné cette assurance : « Ne crains point, car je suis avec toi. » Dieu est-il jamais apparu aux patriarches d’une manière aussi saisissante et aussi consolante que dans la sainte Cène, où il s’unit à nous, afin que nous soyons en lui, et lui en nous ? Que d’autres soient tristes et se plaignent ou laissent froidement passer devant eux ces manifestations de sa présence pleine de grâce, nous, nous ne méconnaîtrons pas Celui qui vient à notre rencontre, et nous saurons lui apporter le joyeux hommage de notre foi !
Au temps où Isaac vivait en étranger chez les Philistins de Guérar, il craignit qu’ils ne le tuassent à cause de sa femme Rébecca, et il tomba dans la même faute qu’Abraham, qui, à deux reprises, avait renié Sara. Si l’on voulait se poser en accusateur, il serait facile de dire beaucoup de mal de cette conduite. Mais prenons garde de considérer les chutes des patriarches avec les yeux des pharisiens et des moqueurs, et de tomber dans le péché de Cham. Souvenons-nous que Jésus range « l’œil malin » parmi les choses qui souillent l’homme (Marc 7.22). Mais comment est-il possible qu’un homme de foi se montre si faible, un sage si insensé, et qu’un juste tombe dans un tel péché ? La réponse n’est pas difficile. Cela est possible, parce que les patriarches étaient par nature aussi faibles et aussi fragiles que nous le sommes, et Dieu l’a permis afin que, lorsqu’un jour ils paraîtront au nombre des rachetés, toute gloire revienne à lui et non pas à eux. Enfin cela est écrit afin que nous soyons avertis comme nous en avons besoin.
La faute qu’Isaac avait commise en reniant sa position d’époux et de protecteur de sa femme, risqua, comme celle d’Abraham, d’amener de grands malheurs. Prenons garde de nous montrer faibles comme lui. C’est le devoir non seulement du ministre de Christ, mais de tout chrétien, de ne pas laisser amoindrir la charge et l’autorité dont Dieu l’a revêtu, de demeurer à son poste et d’en remplir toutes les obligations. Un chef de famille n’a pas le droit de laisser échapper de ses mains la direction de sa maison ; une mère, celui de se laisser mettre de côté par ses enfants ; aucun de nous n’a le droit de se dépouiller à son gré d’une dignité ou d’un pouvoir que Dieu lui a conféré : notre devoir est d’affirmer la position qu’il nous a assignée, non par orgueil ou par esprit de domination, mais avec humilité, par fidélité à notre vocation. La renier ne serait pas de l’humilité, mais de la faiblesse et de l’infidélité.
Isaac est humilié, puis relevé par la miséricorde de Dieu. Avons-nous expérimenté notre faiblesse ? Ne désespérons pas, mais cherchons un refuge auprès de Dieu, qui nous supporte comme il a supporté ses serviteurs dans les anciens âges.
Isaac est l’objet de la jalousie des Philistins. Ils lui font tout le mal qu’ils peuvent et remplissent de terre les puits creusés par Abraham, pour l’obliger à quitter le pays avec ses serviteurs et ses troupeaux. Abimélec lui-même est irrité contre lui et lui dit : « Retire-toi d’avec nous. » Isaac ne s’écarte point de la douceur ; il se comporte envers Abimélec comme autrefois Abraham avec Lot. Il cède, change de séjour, et fait patiemment creuser de nouveau les puits comblés. Mais les bergers de Guérar continuent à lui chercher chicane parce qu’il a trouvé de nouvelles sources. Il n’insiste pas sur son droit ; il leur abandonne les puits d’Esek et de Sitna. Enfin, Dieu lui fait trouver le repos près des puits de Réhoboth et de Séba. C’est à Béersébab que le Seigneur lui apparaît et le console et qu’à l’exemple de son père, il bâtit un autel et invoque le nom de l’Eternel.
b – Béerséba signifie « puits de Séba, » c’est-à-dire du serment.
Sa douceur et sa débonnaireté ont un résultat inattendu : il a la joie de voir Abimélec et ses chefs, qui l’avaient haï et chassé, venir à lui spontanément pour contracter avec lui une alliance de paix.
Isaac ne préfigure-t-il pas Celui qui ne résista, ni ne menaça, ni ne fit entendre sa voix dans les rues ? Dans sa jeunesse, lorsqu’il gravit le Morija, portant le bois sur lequel il doit être sacrifié, aussi bien que dans son âge mûr, il nous apparaît comme un précurseur de l’Agneau de Dieu. « Quand l’Eternel prend plaisir aux voies d’un homme, il apaise même envers lui ses ennemis » (Proverbes 16.7). « Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre. » La vérité de ces paroles éclate dans l’histoire d’Isaac. S’il eût répondu aux querelles par des querelles, Abimélec ne serait jamais venu à lui. Si Dieu a touché le cœur de ce prince, c’est qu’Isaac lui avait remis sa cause. Abimélec dit lui-même ce qui l’a fait changer de sentiment : « Nous voyons clairement que Dieu est avec toi. Tu es béni de l’Eternel. » Dieu est avec les débonnaires et il leur donne la victoire.
Isaac accepte la réconciliation qui lui est offerte ; il se réunit avec joie avec ses anciens ennemis pour un repas d’amitié, et il les reconduit ensuite paisiblement. On peul comparer ce repas de sacrifice célébré à Béerséba, à la réunion qui a lieu dans la maison de Job, lorsqu’après ses épreuves ses anciens amis, qui s’étaient éloignés de lui, reviennent s’asseoir à sa table, l’honorent de leurs présents et le consolent au-delà de tout ce qu’il avait souffert (Job 42.11).
La promesse faite aux débonnaires se vérifiera pour l’Eglise aussi bien que pour Isaac. Le succès en ce monde n’est pas pour ceux qui suivent les traces de Jésus, le débonnaire. Mais, dans le monde à venir, c’est à eux et à eux seuls que sera la place d’honneur. Il n’y a pas de promesse pour les querelleurs et les violents, pour tous ceux auxquels la douceur de Christ est étrangère. La récompense des doux sera de voir leurs adversaires venir à eux, s’asseoir à leurs pieds et confesser qu’ils étaient véritablement aimés de Dieu, et que c’est avec justice qu’ils sont maintenant élevés. C’est là ce que le Seigneur promet à l’Eglise de Philadelphie (Apocalypse 3.9) : il en sera d’elle comme d’Isaac ; ceux-là même qui lui ont dit : « Retire-toi d’ici, » recherchent son amitié, en lui disant : « Nous voyons que Dieu est avec toi ; tu es un béni de l’Eternel ! »