Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 5
Comparution, condamnation, martyre

(Fin de février, 1er mars 1528)

10.5

Hamilton parait devant le conseil épiscopal – Ses hérésies – Sa réponse – André Duncan tente de le délivrer – Hamilton est enfermé au château – La cour inquisitoriale – Hamilton devant ses juges – Débats – Outrages – La sentence – On prépare le supplice – Hamilton au pied du bûcher – Il est lié sur le bûcher – Campbell le tourmente et l’outrage – Sa famille et sa patrie – Le supplice dure six heures – Les deux Hamilton

La Parole de Dieu, quand elle retentit au milieu des hommes, a un double effet. Le premier, nous l’avons vu, c’est de gagner des âmes à Dieu par la beauté de l’amour divin qu’elle manifeste ; mais il en est un autre. Elle ne donne pas seulement, elle demande ; elle exige un nouveau cœur et une nouvelle vie. L’orgueil de l’homme se révolte contre les commandements de Dieu ; le cœur aigri s’irrite contre ceux qui les apportent, et pousse à la persécution. La parole évangélique, comme la parole créatrice, sépare la lumière et les ténèbres, — ceux qui obéissent et ceux qui se rebellent. C’est ce qu’on voyait alors en Écosse.

Le jour où Hamilton devait paraître devant le Conseil épiscopal étant arrivé, il se leva de grand matina. Calme, et pourtant ardent d’esprit, il brûlait du désir de professer la vérité en présence de cette assemblée. N’attendant pas l’heure qui lui avait été fixée, il quitta sa demeure, se présenta inopinément au palais archiépiscopal entre sept et huit heures, peu après le lever du soleil. Beaton était déjà à l’œuvre, ayant voulu s’entendre avant la séance avec les membres de son conseil. On vint lui dire qu’Hamilton arrivait et le demandait. L’archevêque se garda bien de lui accorder un entretien particulier. Les diverses hérésies dont on accusait Hamilton avaient été formulées. Tous les assistants étaient d’accord sur les chefs d’accusation. Beaton résolut aussitôt de profiter de l’empressement de Patrick et d’avancer la séance. L’archevêque ordonna que la cour se formât ; chacun prit sa place selon son rang, et l’on fit paraître l’accusé. Un des membres du conseil était chargé de développer devant le jeune docteur la longue série des hérésies qu’on lui imputait. Hamilton fut introduit ; il s’était attendu à converser intimement avec Beaton ; il se trouvait tout à coup devant un tribunal d’un aspect sombre et inquisitorial ; la gueule du lion s’ouvrait devant lui. Toutefois, en présence de ces juges qu’il savait décidés à lui ôter la vie, il demeura doux et calme.

a – « Very early in the morning. » (Fox, Acts, IV, p. 559.) — The last of Februar. (Knox, Hist. of the Ref., I, 18, and 511.) — Pridie, Cal. Martii. Lambert, In Johan. Apocal. in Dedicat.



Patrick Hamilton (1504-1528)

« Vous êtes accusé, dit le juge-commissaire, d’enseigner de fausses doctrines : 1° que la corruption du péché demeure dans l’enfant après le baptême ; 2° que nul homme ne peut, par la puissance du libre arbitre, faire aucun bien ; 3° que nul ne demeure sans péchés tant qu’il est dans cette vie ; 4° que tout vrai chrétien doit savoir s’il est dans l’état de grâce ; 5° qu’un homme n’est pas justifié par les œuvres, mais par la foi seulement ; 6° que les bonnes œuvres ne font pas un homme bon, mais qu’un homme bon fait de bonnes œuvres ; 7° que la foi, l’espérance et la charité sont intimement unies, en sorte que celui qui n’a pas une de ces vertus n’a pas les autres ; 8° que l’on peut maintenir que Dieu est cause du péché dans ce sens, que quand il retire de l’homme sa grâce, celui-ci ne peut plus que pécher ; 9° que c’est une doctrine diabolique, d’enseigner que l’on obtient la rémission des péchés au moyen de quelques pénitences ; 10° que la confession auriculaire n’est pas nécessaire au salut ; 11° qu’il n’y a point de purgatoire ; 12° que les saints patriarches étaient dans le ciel avant la passion de Jésus-Christ ; 13° que le pape est l’antechrist et qu’un prêtre a autant de pouvoir qu’un papeb. »

b – Spotswood, History of the church of Scotland, p. 63.

Le jeune réformateur de l’Écosse avait écouté attentivement cette longue énumération, rédigée en termes un peu scolastiques. Il y avait dans le réquisitoire des prêtres, des doctrines pour le maintien desquelles Hamilton était prêt à donner sa vie ; d’autres, il le reconnaissait, étaient sujettes à discussion ; mais les théologiens du primat avaient, dans leur zèle, ramassé tout ce qu’ils avaient pu trouver, le vrai et le faux, l’essentiel et l’accessoire, et ils jetaient cette masse confuse sur le jeune homme pour l’écraser. L’un des clercs qui l’avaient visité pour surprendre en lui quelque hérésie, avait prétendu que les réformateurs faisaient Dieu auteur du péché. Patrick l’avait nié, disant, — ce qui lui était reproché dans le huitième article, — que le pécheur peut atteindre à un degré d’endurcissement tel, que Dieu abandonne celui qui ne veut plus l’entendre. Hamilton distingua donc entre les divers chefs d’accusation : « Je déclare, dit-il, regarder les sept premiers articles comme certains, et je suis prêt à l’attester en levant la main vers le ciel. Quant aux autres points, ils sont matière à discussion ; mais je ne puis les déclarer faux, aussi longtemps qu’on ne m’a pas donné, pour les rejeter, de meilleures raisons que celles que j’ai entendues. »

Les docteurs conférèrent avec Hamilton sur chaque point ; puis les treize articles furent remis au jugement d’une commission de théologiens, nommée par le primat. Un ou deux jours après, les commissions ayant fait leur rapport, déclarèrent que tous les articles, sans exception, étaient hérétiques ; et le primat voulant donner au jugement une solennité particulière, annonça que la sentence serait prononcée dans la cathédrale, le dernier jour de février, devant une assemblée du clergé, de la noblesse et du peuplec.

c – Spotswood. (Ibid.)

Tandis que les prêtres s’apprêtaient à mettre à mort un des membres de l’illustre famille des Hamilton, de généreux laïques se préparaient à le délivrer. Les gens de Linlithgow n’étaient pas seuls à se mettre en marche. John André Duncan, laird d’Airdrie, qui, comme nous l’avons vu, avait été fait prisonnier par les Anglais à la bataille de Flodden, avait trouvé en Angleterre, pendant sa captivité, des amis qui l’avaient gagné à l’Évangile. De retour en Écosse, il avait fait de sa maison le refuge des évangéliques et s’était lié avec les Hamilton. Apprenant les dangers que courait Patrick, indigné de la conduite des évêques, brûlant du désir de sauver le jeune réformateur, Duncan avait armé ses gens et ses fermiers, et marchant sur la ville métropolitaine, se proposait d’y pénétrer de nuit, d’enlever son ami et de le conduire en Angleterre. Mais, avertis de l’entreprise, les cavaliers de l’archevêque s’étaient mis en marche, avaient entouré la faible troupe d’André Duncan, l’avaient désarmée et avaient fait Duncan lui-même prisonnier. La vie de ce noble chrétien évangélique fut épargnée grâce à l’intervention de son beau-frère, commandant de la troupe qui l’avait arrêté ; mais il dut de nouveau quitter l’Écossed.

d – Mc Crie, Life of Melville, I, note D, p. 416.

Cette tentative avait avorté au moment où les commissaires faisaient leur rapport sur les prétendues hérésies d’Hamilton. L’archevêque n’avait plus rien à ménager ; il ordonna d’arrêter le jeune évangéliste. Voulant éviter toute opposition, le capitaine du château de Saint-André, qui était chargé de l’expédition, attendit que la nuit fût venue, et se mettant à la tête d’une troupe bien armée, il entoura silencieusement la maison où se trouvait

Hamilton 1. Selon un historien, il s’était déjà couché pour prendre quelque repos, selon d’autres il était entouré d’amis pieux et dévoués et conversait avec eux. Le jeune réformateur, tout en appréciant l’affection et le zèle de son ami Duncan, ne désirait point qu’on employât la force pour le sauver. Il croyait que telle est la guerre, telles aussi sont les armes ; que pour une guerre spirituelle il faut des armes spirituelles ; que les soldats de Christ ne doivent combattre qu’avec le glaive de la Parole sainte. Il était calme, convaincu que Dieu gouverne tellement tout ce qui arrive à ses enfants, que ce que le monde estime un mal se trouve être pour eux un bien. Au moment même où des soldats cruels environnaient sa demeure, il se sentait entouré de solides remparts, sachant que Dieu range ses gens autour des siens, comme s’il s’agissait de défendre une forteresse. Dans ce moment on frappa plusieurs coups à la porte ; c’était le capitaine du château. Hamilton comprit ce que cela signifiait. Il se leva, s’avança, suivi de ses amis, et ayant ouvert la porte, il demanda au capitaine qui il cherchaite ; celui-ci ayant répondu, Hamilton dit : « C’est moi ! » et se livra en ses mains. Puis montrant ses amis il dit : « Permettez que ceux-ci se retirentf ; » et il leur demanda de n’opposer aucune résistance à la force publique. Mais ces chaleureux chrétiens ne pouvaient supporter la pensée de perdre leur ami. « Promettez-nous, disaient-ils au capitaine, promettez-nous de nous le rendre sain et sauf. » L’officier pour toute réponse emmena son prisonnier. Sur d’immenses rochers, qui s’élèvent à pic au-dessus de la mer, et dont la base est battue sans cesse par les flots, s’élevait alors le château, dont les pittoresques décombres servent maintenant de signal au navigateur. Ce fut dans les murs de ce manoir féodal qu’Hamilton fut conduit et renfermé.

e – « Processit ille obvius eis et petit quem quærerent. » (Ibid.)

f – « Orans ut discedere permitteret suos. » (Ibid.)

Enfin arriva le dernier jour de février, fixé par l’archevêque pour l’assemblée solennelle où la sentence devait être prononcée. Le primat, suivi d’un nombre considérable d’évêques, d’abbés, de docteurs, de chefs d’ordres religieux et des douze commissaires, entra dans la cathédrale, œuvre de plusieurs siècles, qu’une parole de Knox devait faire tomber en un seul jour, et dont les ruines magnifiques frappent encore le voyageurg. Beaton s’assit sur le siège de la cour inquisitoriale et tous les juges ecclésiastiques prirent place autour de lui. On remarquait parmi eux Patrick Hepburn, prieur de Saint-André, fils du comte de Bothwell, homme vil et débauché, qui avait onze enfants illégitimes et se glorifiait de porter dans les familles le trouble et le déshonneur. Ce vétéran de l’immoralité, qui eût dû être sur la sellette où l’on place les coupables, mais dont l’orgueil dépassait encore le libertinage, se posa d’un air effronté, sur le banc des juges. Non loin de lui était David Beaton, abbé d’Arbroath, jeune ambitieux qui convoitait déjà la dignité de son oncle et qui, comme pour se préparer à une longue œuvre de persécution, poussait vigoureusement à la condamnation de Patrick. Au milieu de ces hypocrites et de ces fanatiques, se trouvait une âme agitée, angoissée, le prieur des dominicains, Alexandre Campbell, les traits sombres et abattus. Une grande foule de chanoines, de prêtres, de moines, de nobles, de bourgeois, de gens du peuple, remplissaient le temple ; les uns avides du spectacle qu’on allait leur donner, les autres sympathiques à Hamilton. « J’étais moi-même présent, dit Alesius, et spectateur de cette tragédieh. »

g – L’auteur, pendant un séjour qu’il fit à Saint-André, en 1845, étudia sur les lieux mêmes les places dont il est ici question, et eut pour conducteur au milieu des belles antiquités de Saint-André l’historien de l’Eglise écossaise, le Dr Hetherington.

h – « Affui ego, spectator tragediæ. » (Alesius, Liber Psalm.)

Bientôt on entendit les pas des chevaux : l’escouade qui avait été chercher Hamilton arrivait. Le jeune évangéliste entra dans l’église, et dut monter sur une chaire élevée, d’où il pouvait être facilement vu et entendu de l’assemblée ; tous les yeux se dirigèrent sur lui : « Ah ! disaient les gens pieux, si ce jeune chrétien avait été mondain et se fût livré, comme les autres seigneurs de la cour, à une vie de dissipations et de dérèglementsi, il eût sans doute été aimé de tous, et cette fleur de jeunesse que nous lui voyons, se fût épanouie au milieu des louanges et des plaisirs. Mais parce qu’à son rang il ajoute la piété et les vertus, il va succomber sous les coups des méchants ! »

i – « After the manner of other Courtiers in ail kinds of licencious riotourness. » (Knox, Hist., I, app., p. 505.)

L’instance commença. Les commissaires remirent à la cour leur rapport, signé de leur main ; puis Alexandre Campbell se leva ; l’archevêque l’avait chargé de lire l’acte d’accusation, et l’infortuné n’avait osé se soustraire à cette horrible tâche. Hamilton fut ému de voir cet homme qu’il tenait pour son ami, paraître comme son accusateur ; toutefois il écouta avec calme le réquisitoire, Sa paix, sa noble simplicité, sa candeur, sa confiance dans le Seigneur frappaient tout le monde. « Vraiment, « dit Alesius, jamais homme n’a mieux réalisé cette parole : Assure-toi en l’Éternel, et fais ce qui est bonj. » Une lutte s’engagea entre le prieur des dominicains et le jeune réformateur. Celui-ci décidé à défendre sa foi devant cette grande assemblée, montra les sophismes de ses accusateurs, et établit la vérité par les témoignages des saintes Écritures. Campbell répondit ; mais Hamilton, toujours armé de la Parole de Dieu, répliqua, et son accusateur dut se taire. Campbell, malheureux, angoissé, convaincu intérieurement de la doctrine professée par son ancien ami, ne savait plus que faire. Il s’approcha du tribunal et demanda ses ordres. Les évêques et les théologiens, ne se souciant nullement d’une discussion publique, ordonnèrent à Campbell d’énumérer de vive voix certaines erreurs qui n’avaient pas encore été articulées, et d’appeler Hamilton hérétiquek. C’était mettre le pauvre dominicain à une nouvelle torture ; mais il devait aller jusqu’au bout ; il se tourna vers Hamilton et cria : « Hérétique ! tu as dit que tous les hommes ont le droit de lire la Parole de Dieu. Tu as dit qu’il est contraire à la loi divine d’adorer les images. Tu as dit que c’est une œuvre vaine que d’invoquer les saints et la vierge. Tu as dit qu’il est inutile de célébrer des messes pour sauver les âmes du purgatoire… » Ici le malheureux Campbell s’arrêta. — « Le purgatoire ! s’écria Patrick. Rien ne purifie les âmes, si ce n’est le sang de Jésus-Christl. » A ces mots, Campbell, se tournant vers l’archevêque, dit : « Monseigneur, vous l’entendez ; il méprise l’autorité de notre saint-père le pape. » — Puis comme s’il eût voulu étouffer par des injures la voix du noble et courageux chrétien : « Hérétique, s’écria-t-il, rebelle ! détestable ! exécrable ! impie !… » Hamilton se tournant vers lui, dit avec un accent plein de bonté : « Mon frère, ce que tu dis, tu ne le penses pas « dans ton cœurm. » C’était trop. Cette parole si tendre entra, comme une flèche, dans l’âme de l’infortuné dominicain ; se voir traité avec tant de douceur par celui dont il demandait la mort, lui fendit le cœur, un cri d’accusation se fit entendre dans le fond de son âmen. Campbell se troubla et n’ouvrit plus la bouche. La charité d’Hamilton lui avait assemblé des charbons de feu sur la têteo.

j – C’est à l’occasion de ce verset, Psa.37.3, que dans son Commentaire des Psaumes, Alesius raconte le jugement d’Hamilton.

k – « Jusserunt episcopi et theologi ut ei conviciaretur et vocaret eum hereticum. » (Alesius, Liber Psalm.)

l – Pittscottie, Hist. of Scotland, p. 133, 134.

m – « Mi frater, non ita sentis in animo. » (Alesius, Liber Psalm.)

n – « Hoc dicio ita conscientiam illius percutit. » (ibid.)

o – « Domum rediens… inciderit in phrenesin. » (Ibid.) Buchanan dit aussi, lib. XIV ad an. 1527 : « Nunquam ex eo die compos mentis fuit. »

Alors la votation commença ; les membres de la cour ayant été unanimes à condamner l’innocent, le primat se leva et dit : « Christi nomine invocato. « Nous, Jacques, par la miséricorde de Dieu, archevêque de Saint-André, primat d’Écosse, siégeant en jugement dans notre église métropolitaine, avons trouvé Patrick Hamilton, entaché des diverses hérésies de Martin Luther, déjà condamnées par les conciles généraux. Nous déclarons donc le dit Hamilton hérétique ; nous le condamnons ; nous le privons de toutes dignités, ordres et bénéfices, et nous le livrons pour être puni, au bras séculierp. »

p – La sentence se trouve en son entier dans Fox, Acts, IV, p, 560.

Ayant dit, le primat posa sur la table qui était devant lui la sentence qu’il venait de lire, et les évêques, prieurs, abbés et docteurs présents vinrent signer tour à tour le document. Puis le primat, voulant donner à cet acte plus d’autorité, invita les personnes qui avaient un certain rang dans l’université, à y apposer aussi leur signature ; et de jeunes garçons, — le comte de Cassilis, par exemple, qui n’avait que treize ans, — furent du nombre ; les prêtres leur persuadaient qu’ils rendaient ainsi service à Dieu, ce qui flattait fort ces enfants. La cour se leva, et quelques milliers d’hommes armés ayant entouré Hamilton, le ramenèrent au châteauq.

q – « Conclusus inter aliquot millia armatorum. » (Alesius, Liber Psalm.)

Cette nombreuse escorte montrait les craintes qu’avait le clergé. La tentative de Duncan avait échoué, mais sir James Hamilton était encore à la tète de ses soldats ; beaucoup d’autres en Écosse s’intéressaient à ce jeune homme ; la mort de leur victime pouvait seule tranquilliser les prêtres. Ils décidèrent que la sentence serait exécutée le jour même. Le primat s’était assuré de la coopération du pouvoir ; Angus ne s’opposait pas à cette iniquité. Aussi, à peine la condamnation avait-elle été prononcée, que l’on vit les valets du bourreau élever en face de la porte du collège de Saint-Sauveur le bûcher sur lequel Hamilton devait être brûlé.

Pendant qu’on amassait le bois, qu’on enfonçait les pieux, Patrick prenait son dernier repas dans une des chambres du château ; il mangeait sobrement, comme toujours, mais sans la moindre agitation ; la sérénité était peinte sur son visage. Il allait de bon cœur au-devant de la mort, parce qu’elle le faisait entrer dans la maison de son Père ; il espérait même que son martyre serait un gain pour l’Église de Dieu. Midi sonna, c’était l’heure fixée pour le supplice ; Hamilton fit appeler le capitaine du château. Cet officier parut, il était profondément ému. Hamilton, sans quitter la table, lui demanda si tout était prêtr ? Le capitaine, dont le cœur était brisé en voyant tant d’innocence et tant de noblesse, payées par une mort cruelle, ne put se résoudre à prononcer aucun mot qui rappelât l’échafaud, et répondit avec émotion : Dii meliora ! « Que Dieu vous « donne un sort meilleur ! » Hamilton comprit, il se leva, prit d’une main son Évangile, de l’autre saisit avec affection celle du sympathique capitaine et marcha au supplice comme un agneaus. Quelques amis l’accompagnaient, son fidèle serviteur le suivait, et une garde nombreuse l’entourait. Il mettait la croix de Christ qu’il portait alors au-dessus de toutes les douceurs de la viet. Son esprit éprouvait une joie glorieuse et ferme qui valait mieux que celle du monde.

r – « Cum ipse adhuc in mensa sederet, jubet vocari præfectum et quant utrum omnia parata sint. » (Alesius, Liber Psalm.)

s – « Apprehensa ejus dextera, properat ad locum supplicii. » (Ibid.)

t – « Christi cruce cunctis vitæ commodis anteposita. » (Bezæ Icones.)

Il arriva sur la place. Tout était prêt : bois, charbon, poudre et autres matières inflammables. Parvenu devant le bûcher, il se découvrit la tête, et levant les yeux au ciel, resta quelques moments immobile, en prièreu. Puis il se tourna vers ses amis, et remit à l’un d’eux son Évangile. Alors, appelant son serviteur, il se dépouilla de sa robe, de son habit, de son bonnet et, avançant les bras, les lui présenta en disant : « Prends, ces vêtements ne me serviront à rien dans le feu, et ils peuvent être encore, à toi, de quelque usage. C’est le dernier présent que tu recevras de moi, — sauf l’exemple de ma mort, dont je te demande de garder le souvenir dans ton cœur. La mort est amère pour la chair… mais elle est l’entrée dans la vie éternelle que nul ne peut posséder s’il renie Jésus-Christv. »

u – « Viso palo, ad quem alligandus erat, aperit caput, suscipiensque in cœlum, orat. » Alesius, Liber Psalm.)

v – Knox, Hist. of the Ref., p. 17. Spotswood, p. 63.

L’archevêque désirant être agréable à la puissante famille des Hamilton, avait chargé quelques-uns de ses clercs d’offrir au jeune réformateur la vie sauve s’il voulait se soumettre à l’autorité absolue du pape. « Non, répondit Hamilton, votre feu ne me fera pas rétracter la foi que j’ai professée. Il vaut mieux que mon corps brûle dans vos flammes, pour avoir confessé le Sauveur, que si mon âme brûlait dans l’enfer, pour l’avoir renié. J’en appelle à Dieu de la sentence prononcée contre moi et me remets à sa miséricordew. »

w – Pittscottie, Lorimer.

Les bourreaux s’approchèrent pour faire leur office ; ils passèrent une chaîne de fer autour du corps de la victime et l’attachèrent ainsi au pieu qui s’élevait au-dessus du bûcher. Hamilton comprenant que des douleurs aiguës pouvaient le faire broncher, demanda à Dieu que les flammes ne lui arrachassent pas la moindre parole qui affligeât son divin maître. « Au nom de Jésus, ajouta-t-il, je livre mon corps au feu, et remets mon âme aux mains du Père. » Trois fois le bûcher fut allumé et trois fois, le bois étant vert, il s’éteignitx. Tout à coup la poudre placée entre les fagots éclata, et un morceau de bois lancé contre Hamilton lui écorcha une partie du corps, mais la mort n’était pas encore là. Se tournant vers le bourreau, il lui dit avec douceur : « N’avez-vous pas du bois sec ? » Quelques hommes coururent en chercher au château. Alexandre Campbell était là, luttant avec sa mauvaise conscience et d’autant plus violent qu’il était plus angoissé et plus misérable. Les domestiques du bourreau, apportant du bois sec, ranimèrent les flammes. « Hérétique, dit Campbell, convertis-toi ! « rétracte-toi ! invoque Notre-Dame, dis seulement : Salve Regina. — Si tu crois à la vérité de ce que tu dis, répondit Patrick, rends-en témoignage en mettant seulement le bout de ton doigt dans ce feu, où tout entier je brûley. » Le malheureux dominicain se garda bien de le faire ; il se mit à insulter le martyr : Alors, Hamilton lui dit : « Retire-toi de moi, messager de Satan ! » Campbell, furibond, s’agitait autour de la victime, comme un lion rugissant. « Soumets-toi au pape, criait-il, ce n’est qu’en s’unissant à lui qu’on est sauvé. » Patrick était navré de douleur en voyant à quel degré d’endurcissement son ancien ami était parvenu. « Méchant homme, lui dit-il, tu sais très bien le contraire ; tu me l’as dit toi-même. » Puis cette noble victime, enchaînée au poteau et déjà à moitié brûlée, se sentant bien au-dessus du malheureux qui le tourmentait, parla comme un juge, commanda comme un roi, et dit au dominicain : « Je t’appelle devant le tribunal de Jésus-Christz. » A ces mots, Campbell cessa ses clameurs, il resta muet et, quittant la place, s’enfuit effrayé dans son monastère. Son esprit s’égara, une fureur violente le saisit ; il était comme possédé du démon, et peu après, il mouruta.

xIbidem.

y – « Tu si vera doces, infer digitum hue, ubi totus ardeo. » (Alesius Liber Psalm.)

z – « I appeal thee before the tribunal seat of Jesus-Christ. » (Knox, Hist., I, p. 18.)

a – « Insania conflictatus mortem obiit. » (Buchanan, lib. XIV, an. 1527.) — Ut in phrenesin incident, et non longe post mortuus sit. » (Alesius, Liber Psalm.)

Aux sentiments les plus douloureux succédaient dans le cœur d’Hamilton les affections les plus tendres. De déchirantes séparations s’approchaient ; ses pensées, tout en se portant vers le ciel, ne se détournaient pas du manoir de Kincavil. Il avait l’espoir de devenir père ; quelque temps après, sa femme mit au monde une fille qui fut nommée Issobel, vécut plus tard à la cour, et reçut à plus d’une reprise des dons de la faveur royaleb. Hamilton toujours plein du plus tendre respect pour sa mère, ne l’oublia pas sur le bûcher et la recommanda à l’affection de ses amisc. Après sa femme, après sa mère, vint sa patrie : « O Dieu, dit-il, ouvre les yeux de mes concitoyens, afin qu’ils connaissent ta vérité ! »

b – Le savant M. David Laing en a trouvé la note dans les livres du trésor. (Voir son appendice à l’Hist. de la Réform. de Knox, I, p. 515.)

c – « Commandat matrem amicis. » (Alesius, Liber Psalm.)

Tandis que l’amour débordait ainsi dans le martyr, plusieurs des malheureux qui l’entouraient aggravaient son supplice. Un boulanger, prenant une brassée de paille, la jeta dans le feu pour en augmenter la vivacité ; au même moment, un coup de vent arrivant de la mer activa la flamme qui s’éleva jusqu’au-dessus du bûcher. La chaîne, que Patrick avait autour du corps, était toute rouge et l’avait déjà presque partagé en deuxd. Un des spectateurs, probablement un évangélique, lui cria : « Si tu crois encore vraie la doctrine pour laquelle tu meurs, donne-nous-en un signe. » Deux doigts de sa main étaient déjà consumés ; étendant le bras il éleva les trois autres, et les tint immobiles comme signe de sa foie. Le supplice durait depuis midi, et il était près de six heures du soir ; on avait brûlé Hamilton à petit feuf. Au milieu du tumulte, on l’entendit pousser ce cri : « O Dieu ! « combien de temps encore les ténèbres couvriront-elles ce royaume, jusqu’à quand permettras-tu que la tyrannie des hommes triomphe ? » La fin approchait, le bras du martyr commençait à faiblir ; ses trois doigts tombèrent. Il dit : « Seigneur Jésus ! reçois mon esprit ! » Il baissa la tête ; son corps s’affaissa, et les flammes, achevant leur ravage, le réduisirent en cendres.

d – « Cum jam scissus per medium ignita catena ferrea. » (ibid.)

e – « Erexit tres digitos, aliis duobus combustis. » (Alesius, Liber Psalm.)

f – « In igne, ab hora XII usque ad VI, vespere, sedit ustulatus magisquam combustus. » (Ibid.)

La foule se retira, saisie de ce grand et douloureux spectacle, et jamais la mémoire de la mort du jeune réformateur ne s’effaça du souvenir de ceux qui en avaient été témoins. Elle se grava surtout dans l’âme d’Alesius. « J’ai vu, disait-il plusieurs années après dans une ville d’Allemagne, j’ai vu dans ma patrie le supplice d’un homme de grande naissance, Patrick Hamiltong. » Et il racontait l’histoire en quelques mots concis et pénétrants. Singulière destinée que celle des deux Hamilton ! Le père et le fils moururent d’une mort violente ; le premier, de celle des héros ; le second, de celle des martyrs. Le père avait été en Écosse le dernier des chevaliers du moyen âge ; le fils y fut le premier des soldats de Christ dans les temps nouveaux. Le père honora sa famille en remportant souvent dans les tournois et dans les combats les palmes de la victoire ; le fils, dit une voix illustre, celle de Théodore de Bèze, « annoblit la race royale des Hamilton, souillée plus tard par quelques-uns de ses membres, et l’orna de cette couronne du martyre, qui est infiniment plus précieuse que toutes les couronnes des roish. »

g – Alesii responsio ad Cochleum.

h – Théodore de Bèze ; Icones.

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