Mouvement et immobilité – Zwingle et Luther – Retour de Luther à la scolastique – Respect pour la tradition – Occam – Tendance contraire de Zwingle – Commencement de la controverse – Œcolampade et le syngramme de Souabe – Strasbourg médiateur
Cependant, ce n’était pas sur le baptême seulement qu’il devait y avoir des dissentiments ; de plus graves encore devaient se manifester sur la doctrine de la cène.
L’esprit humain, affranchi du joug qui avait pesé sur lui pendant tant de siècles, faisait usage de sa liberté ; et si le catholicisme romain a les écueils du despotisme, le protestantisme doit craindre ceux de l’anarchie. Le caractère du protestantisme, c’est le mouvement ; comme celui de Rome, c’est l’immobilité.
Le catholicisme romain, qui possède dans la papauté un moyen d’établir sans cesse de nouvelles doctrines, paraît d’abord, il est vrai, avoir un principe éminemment favorable aux variations. Il en a, en effet, largement usé ; et nous voyons Rome, de siècle en siècle, produire ou ratifier de nouveaux dogmes. Mais, son système une fois complété, le catholicisme romain s’est établi le champion de l’immobilité. Son salut est là ; il est semblable à ces bâtiments facilement ébranlés, desquels on ne peut rien ôter, sans en amener la ruine. Rendez le mariage aux prêtres de Rome, ou bien portez atteinte à la doctrine de la transsubstantiation, tout le système est ébranlé, et tout l’édifice tombe.
Il n’en est pas ainsi du christianisme évangélique. Son principe est beaucoup moins favorable aux variations et il l’est beaucoup plus au mouvement et à la vie. En effet, d’un côté il ne reconnaît comme source de la vérité qu’une Écriture, seule et toujours la même, depuis le commencement de l’Église jusqu’à la fin : comment donc varierait-il, ainsi que l’a fait la papauté ? Mais, d’un autre côté, c’est chaque chrétien qui doit aller lui-même puiser à cette source ; et de là naissent le mouvement et la liberté. Aussi le christianisme évangélique, tout en étant au xixe siècle ce qu’il était au xvie et ce qu’il était au premier, est-il dans tous les temps plein de spontanéité et d’activité, et remplit il actuellement le monde de recherches, de travaux, de Bibles, de missionnaires, de lumière, de salut et de vie.
C’est une grande erreur que de coordonner et presque de confondre avec le christianisme évangélique le mysticisme et le rationalisme, et de lui imputer leurs travers. Le mouvement est dans la nature du protestantisme chrétien ; il est antipathique à l’immobilité et à la mort ; mais c’est le mouvement de la santé et de la vie qui le caractérise, et non les aberrations de l’homme privé de sens, ou les agitations de la maladie. Nous allons voir ce caractère se manifester dans la doctrine de la cène.
On devait s’y attendre. Cette doctrine avait été comprise de manières très diverses dans les temps anciens de l’Église. Cette diversité subsista jusqu’à l’époque où la doctrine de la transsubstantiation et la théologie scolastique commencèrent en même temps à régner sur le moyen âge. Mais cette domination étant ébranlée, les anciennes diversités devaient reparaître.
Zwingle et Luther, après s’être développés chacun à part, l’un en Suisse, l’autre en Saxe, devaient pourtant un jour se trouver en présence. Le même esprit et, à beaucoup d’égards, le même caractère les animaient. Tous deux étaient remplis d’amour pour la vérité et de haine pour l’injustice, tous deux étaient violents de leur nature ; et cette violence était tempérée, dans l’un et dans l’autre, par une sincère piété. Mais il y avait dans le caractère de Zwingle un trait qui devait le pousser plus loin que Luther. Ce n’était pas seulement comme homme qu’il aimait la liberté, c’était aussi comme républicain et comme compatriote de Tell. Accoutumé à la décision d’un État libre, il ne se laissa point arrêter par les considérations devant lesquelles recula Luther. Il avait d’ailleurs moins étudié que celui-ci la théologie scolastique, et il se trouvait ainsi avoir de plus franches allures. Tous deux attachés avec ardeur à leurs convictions intimes, tous deux décidés à les défendre et peu habitués à fléchir devant les convictions d’autrui, ils devaient se rencontrer, comme deux coursiers superbes, qui, lancés à travers la bataille, se heurtent tout à coup dans le combat.
Une tendance pratique dominait dans le caractère de Zwingle et de la Réformation dont il fut l’auteur, et cette tendance se proposait deux grands résultats : dans le culte, la simplicité ; dans la vie, la sanctification. Mettre le culte en accord avec les besoins de l’esprit, qui cherche non les pompes du dehors, mais les choses invisibles, tel était le premier besoin de Zwingle. L’idée d’une présence corporelle de Jésus-Christ dans la cène, source de toutes les cérémonies et de toutes les superstitions de l’Église, devait donc être abolie. Mais un autre besoin du réformateur suisse le conduisait aux mêmes résultats. Il trouvait que la doctrine de Rome sur la cène, et même celle de Luther, supposait une certaine influence magique, nuisible à la sanctification ; il craignait que le chrétien, s’imaginant recevoir Jésus-Christ dans le pain consacré, ne recherchât plus avec autant de zèle à s’unir à lui par la foi du cœur. « La foi, disait-il, n’est pas une connaissance, une opinion, une imagination ; c’est une réalitép. Elle entraîne une union réelle avec les choses divines. » Ainsi, quoi qu’aient pu dire les adversaires de Zwingle, ce fut non un penchant au rationalisme, mais une vue profondément religieuse, qui l’amena aux doctrines qui lui furent propres.
p – Fidem rem esse, non scientiam, non opinionem vel imaginationem. (Comment. de vera relig. Zw. Opp. III. 230.)
Le résultat des travaux de Zwingle coïncida avec ses tendances. En étudiant l’Écriture dans son ensemble, comme il avait coutume de le faire, et non seulement par morceaux détachés, et en ayant recours, pour résoudre les difficultés de langage, à l’antiquité classique, il parvint à la conviction que le mot est, qui se trouve dans les paroles de l’institution, doit être pris dans le sens de signifie, et dès l’an 1525, il écrivit à un ami que le pain et le vin ne sont dans la sainte cène, que ce que l’eau est dans le baptême. « C’est en vain, ajoutait-il, que l’on plongerait mille fois dans l’eau un homme qui ne croit pas. La foi, voilà donc ce qui est requisq. »
q – Haud aliter hic panem et vinum esse puto quam aqua est in baptismo. (Ad Wittenbachium, epp. 15 juin 1523.)
Luther partit d’abord de principes assez semblables à ceux du docteur de Zurich. « Ce n’est pas le sacrement qui sanctifie, dit-il, c’est la foi dans le sacrement. » Mais les écarts des anabaptistes, dont le mysticisme spiritualisait tout, amenèrent un grand changement dans ses vues. Quand il vit des enthousiastes qui prétendaient à une inspiration particulière, briser les images, rejeter le baptême, nier la présence du Christ dans la cène, il en fut effrayé : il y eut en lui comme une sorte de pressentiment prophétique de dangers qui menaceraient l’Église, si cette tendance ultraspiritualiste y prenait le dessus, et il se précipita dans une voie toute différente ; semblable à un pilote qui, voyant sa nacelle pencher fortement d’un côté, et près de sombrer, se jette avec force de l’autre côté, pour rétablir l’équilibre.
Dès lors, Luther donna aux sacrements une plus haute importance. Il établit qu’ils n’étaient pas seulement des signes, au moyen desquels on reconnaissait extérieurement les chrétiens, comme le disait Zwingle, mais des témoignages de la volonté divine propres à fortifier notre foi. Il y a plus : Christ, selon lui, avait voulu communiquer aux fidèles une pleine assurance de leur salut, et, afin de sceller cette promesse de la manière la plus efficace, il y avait ajouté son véritable corps, dans le pain et dans le vin. « De même, ajoutait-il, que le fer et le feu, qui sont pourtant deux substances distinctes, se confondent dans un fer ardent, en sorte que dans chacune de ses parties il y a à la fois fer et feu, de même, et à plus forte raison, le corps glorifié de Christ se trouve dans toutes les parties du pain. »
Ainsi il y eut peut-être à cette époque, de la part de Luther, quelque retour à la théologie scolastique. Il avait fait pleinement divorce avec elle dans la doctrine de la justification par la foi ; mais dans celle du sacrement il n’abandonna qu’un point, la transsubstantiation, et garda l’autre, la présence corporelle. Il alla même jusqu’à dire qu’il aimerait mieux ne recevoir avec le pape que du sang, que de ne recevoir que du vin avec Zwingle.
Le grand principe de Luther était de ne s’éloigner de la doctrine et de la coutume de l’Église, que quand les paroles de l’Écriture le rendaient absolument nécessaire. « Où Christ a-t-il ordonné d’élever l’hostie et de la montrer au peuple ? avait dit Carlstadt. — Et où Christ l’a-t-il défendu ? » avait répondu Luther. Il y a là le principe de deux réformations. Les traditions ecclésiastiques étaient chères au Réformateur saxon. S’il s’en sépara en plusieurs points, ce ne fut qu’après de terribles combats, et parce que, avant tout, il faut obéir à la Parole. Mais quand la lettre de la Parole de Dieu lui paraissait en harmonie avec la tradition et l’usage de l’Église, alors il s’y attachait avec une inébranlable fermeté. Or, c’est là ce qui arrivait dans la question de la cène. Il ne niait point que le mot est ne pût être pris dans le sens que signalait Zwingle. Il reconnaissait, par exemple, qu’il fallait l’entendre ainsi dans ces paroles : La pierre était Christ (1 Corinthiens 10.4) ; mais il niait que ce mot dût avoir ce sens dans l’institution de la cène.
Il trouvait dans l’un des derniers scolastiques, celui qu’il préférait à tous les autres, Occamr, une opinion qu’il embrassa. Comme Occam, il abandonna le miracle sans cesse répété, en vertu duquel, selon l’Église romaine, le corps et le sang remplacent chaque fois, après la consécration du prêtre, le pain et le vin ; et, comme ce docteur, il y substitua un miracle universel, opéré une fois pour toutes, celui de l’ubiquité ou de la toute présence du corps de Jésus-Christ. « Christ, dit-il, est présent dans le pain et le vin, parce qu’il est présent partout, et surtout partout où il veuts. »
r – Diu multumque legit scripta Occami cujus acumen anteferebat Thomæ et Scoto. (Melancth. Vita Luth.)
s – Occam und Luther, Studien und Kritiken, 1839, p. 69.
Zwingle avait une tout autre tendance que Luther. Il tenait moins à conserver une certaine opinion avec l’Église universelle et à rester en rapport avec la tradition des siècles passés. Comme théologien, il regardait à l’Écriture seule, et c’était d’elle qu’il voulait recevoir librement et immédiatement sa foi, sans s’inquiéter de ce que d’autres avaient auparavant pensé. Comme républicain, il regardait à sa commune de Zurich. C’était l’idée de l’Église présente qui le préoccupait, et non l’idée de l’Église d’autrefois. Il s’attachait surtout à cette parole de saint Paul : Parce qu'il n'y a qu'un seul pain, nous qui sommes plusieurs, sommes un seul corps. Et il voyait dans la cène le signe d’une communion spirituelle entre Christ et tous les chrétiens. « Quiconque, disait-il, se conduit indignement, se rend coupable envers le corps de Christ, dont il fait partie. » Cette pensée eut une grande influence pratique sur les esprits ; et les effets qu’elle opéra dans la vie de plusieurs, y confirmèrent Zwingle.
Ainsi Luther et Zwingle s’étaient insensiblement éloignés l’un de l’autre. Peut-être cependant la paix eût-elle subsisté plus longtemps entre eux, si le turbulent Carlstadt, qui allait d’Allemagne en Suisse, et de Suisse en Allemagne, ne fût venu mettre le feu à ces opinions contraires.
Une démarche faite pour maintenir la paix, fit éclater la guerre. Le conseil de Zurich, voulant prévenir toute controverse, prohiba la vente des écrits de Carlstadt. Zwingle, qui désapprouvait la violence de Carlstadt et blâmait ses expressions mystiques et obscurest, crut alors devoir défendre sa doctrine, soit en chaire, soit devant le conseil ; et bientôt après il écrivit au pasteur Albert de Reutlingen une lettre, où il disait : « Que Christ parle ou non du sacrement, dans le chapitre six de l’Évangile selon saint Jean, toujours est-il évident qu’il y enseigne une manière de manger sa chair et de boire son sang, dans laquelle il n’y a rien de corporelu. » Puis il s’efforçait de prouver que la cène, en rappelant aux fidèles, selon l’intention de Christ, son corps rompu pour eux, leur procurait cette manducation spirituelle, qui seule leur est vraiment salutaire.
t – Quod morosior est (Carlstadius) in cæremoniis non ferendis, non admodum probo. (Zw. Epp. p. 369.)
u – A manducatione cibi, qui ventrem implet, transiit ad verbi manducationem, quam cibum vocat cœlestem, qui mundum vivificet. (Zw. Opp. III. 573.)
Cependant Zwingle reculait encore devant une rupture avec Luther ; il tremblait à la pensée que de tristes discussions déchireraient cette société nouvelle, qui se formait alors au milieu de la chrétienté déchue. Mais il n’en fut pas de même de Luther. Il n’hésita pas à mettre Zwingle au rang de ces enthousiastes avec lesquels il avait déjà rompu tant de lances. Il ne réfléchit pas que si les images avaient été enlevées à Zurich, c’était légalement et par ordre de l’autorité publique. Accoutumé aux formes des principautés germaniques, il ne comprenait pas grand’chose à la marche des républiques suisses ; et il se prononça contre les graves théologiens helvétiques, comme contre des Müntzer et des Carlstadt.
Luther ayant fait paraître son écrit « contre les prophètes célestes, » Zwingle n’hésita plus et publia, presque en même temps, sa Lettre à Albert et son Commentaire sur la vraie et la fausse religion, dédié à François Ier. Il y disait : « Puisque Christ attribue à la foi, dans le VIe chapitre de saint Jean, la puissance de communiquer la vie éternelle et d’unir avec lui le fidèle, de la manière la plus intime, qu’avons-nous besoin d’autre chose ? Pourquoi aurait-il ensuite attribué cette vertu à sa chair, tandis qu’il déclare lui-même que sa chair ne sert de rien ? La chair de Christ, en tant que mise à mort pour nous, nous est d’une utilité immense ; car elle nous sauve de la perdition ; mais en tant que mangée par nous, elle ne nous est d’aucun usage. »
La lutte s’engageait. Poméranus, l’ami de Luther, se jeta dans le combat et attaqua un peu trop dédaigneusement l’évangéliste de Zurich. Œcolampade commença alors à rougir d’avoir combattu si longtemps ses doutes et d’avoir prêché des doctrines qui chancelaient déjà dans son esprit ; il prit courage et écrivit de Bâle, à Zwingle : « Le dogme de la présence réelle est la forteresse et la sauvegarde de leur impiété. Tant qu’ils garderont cette idole, nul ne pourra les vaincre. » Puis il entra aussi en lice, en publiant un livre sur le sens des paroles du Seigneur : Ceci est mon corpsv.
v – Il laissait au mot est sa signification ordinaire, mais il entendait par corps un signe du corps.
Le fait seul qu’Œcolampade se joignait au Réformateur de Zurich excita, non seulement à Bâle, mais dans toute l’Allemagne, une immense sensation. Luther en fut profondément ému. Brenz, Schnepff et douze autres pasteurs de la Souabe, à qui Œcolampade avait dédié son livre, et qui presque tous avaient été ses disciples, en éprouvèrent la peine la plus vive. Dans ce moment même, où je me sépare de lui pour une cause juste, dit Brenz en prenant la plume pour lui répondre, je l’honore et je l’admire autant qu’il est possible de le faire. Le lien de l’amour n’est pas rompu entre nous, parce que nous ne sommes pas d’accord. » Puis il publia avec ses amis le fameux Syngramme de Souabe, dans lequel il répondait à Œcolampade avec fermeté, mais avec charité et respect. « Si un empereur, disaient les auteurs du Syngramme, donne un bâton à un juge, en lui disant : Prends ! ceci est la puissance de juger… le bâton, sans doute, est un simple signe ; mais la parole y étant ajoutée, le juge n’a pas seulement le signe de la puissance, il a aussi la puissance elle-même. » Les vrais réformés peuvent admettre cette comparaison. Le Syngramme fut accueilli avec acclamation ; ses auteurs furent regardés comme les champions de la vérité ; plusieurs théologiens, et même des laïques, voulant avoir part à leur gloire, se mirent à défendre la doctrine attaquée et se précipitèrent sur Œcolampade.
Alors Strasbourg se présenta comme médiateur entre la Suisse et l’Allemagne. Capiton et Bucer étaient amis de la paix, et la question débattue était, selon eux, d’une importance secondaire ; ils se jetèrent donc au milieu des deux partis, envoyèrent à Luther un de leurs collègues, George Cassel, et le conjurèrent de se garder de rompre le lien de fraternité qui l’unissait aux docteurs de la Suisse.
Nulle part le caractère de Luther ne parut d’une manière plus frappante que dans cette controverse sur la cène. Jamais on ne vit si bien la fermeté avec laquelle il gardait une conviction qu’il croyait chrétienne, sa fidélité à ne chercher pour elle des fondements que dans la sainte Écriture, la sagacité de sa défense, et son argumentation animée, éloquente, souvent accablante. Mais jamais aussi on ne vit mieux l’opiniâtreté avec laquelle il abondait dans son sens, le peu d’attention qu’il accordait aux raisons de ses adversaires et la promptitude peu charitable qui le portait à attribuer leurs erreurs à la méchanceté de leur cœur et aux ruses du démon. Il faut, dit-il au médiateur de Strasbourg, que les uns ou les autres nous soyons les ministres de Satan, les Suisses ou nous… »
C’était là ce que Capiton appelait « les fureurs de l'Oreste saxon ; » et ces fureurs étaient suivies de défaillances. La santé de Luther en était affectée ; un jour il tomba évanoui dans les bras de sa femme et de ses amis ; et il fut toute une semaine comme dans la mort et dans l’enferw. « Il avait, dit-il, perdu Jésus-Christ et était poussé çà et là par les tempêtes du désespoir… Le monde s’écroulait et annonçait par des prodiges que le dernier jour était proche. »
w – In morte et in inferno jactatus. (L. Epp. III. 132.)
Mais les divisions des amis de la Réformation devaient avoir encore des conséquences plus funestes. Les théologiens romains triomphaient, surtout en Suisse, de pouvoir opposer Luther à Zwingle. Cependant si, après trois siècles, le souvenir de ces divisions apportait aux chrétiens évangéliques le fruit précieux de l’unité dans la diversité, et de la charité dans la liberté, elles n’auraient pas été inutiles. Même alors, les réformateurs, en se mettant eu opposition les uns avec les autres, montraient que ce n’était pas une haine aveugle de Rome qui les dominait et que la vérité était le premier objet de leurs recherches. Il y a là, il faut le reconnaître, quelque chose de généreux ; et une conduite si désintéressée ne laissa pas de porter quelques fruits. et d’arracher, même à des ennemis, un sentiment d’intérêt et d’estime.
Il y a plus ; et ici encore l’on peut reconnaître que cette main souveraine, qui dirige toutes choses, ne permet rien sans un dessein plein de sagesse. Luther, malgré son opposition à la papauté, avait éminemment un instinct conservateur. Zwingle, au contraire, était porté à une réformation radicale. Ces deux tendances opposées étaient nécessaires. Si Luther et les siens avaient été seuls au jour de la Réforme, l’œuvre se fût trop tôt arrêtée, et le principe réformateur n’eût point accompli sa tâche. Si, au contraire, il n’y avait eu que Zwingle, le fil eût été trop brusquement rompu, et la Réformation se serait trouvée isolée des siècles qui l’avaient précédée.
Ces deux tendances, qui, à un œil superficiel, peuvent sembler n’être là que pour se combattre, avaient au contraire charge de se compléter ; et nous pouvons le dire après trois siècles, elles ont rempli leur mission.