- « Don » peut-il être un nom personnel ?
- Est-ce un nom propre du Saint-Esprit ?
Objections
1. Tout nom personnel évoque une distinction en Dieu. Mais celui de don n'évoque pas de distinction en Dieu, puisque, selon S. Augustin, le Saint-Esprit, « don de Dieu, est ainsi donné qu'il se donne lui-même en tant qu'il est Dieu ». Par conséquent « le don » n'est pas un nom personnel.
2. Aucun nom personnel ne convient à l'essence divine. Or, d'après S. Hilaire, l'essence divine est le don que le Père donne au Fils. « Le don » n'est donc pas un nom personnel.
3. Selon S. Damascène, il n'y a ni sujet, ni serviteur dans les Personnes divines. Mais la qualification de don évoque certaine dépendance aussi bien à l'égard de celui qui reçoit qu'à l'égard de celui qui donne. « Le don » n'est donc pas un nom de Personne divine.
4. « Le don » implique un rapport à la créature. Il s'attribue donc à Dieu dans le temps, à ce qu'il semble. Mais les noms personnels, tels ceux de Père et de Fils, s'attribuent à Dieu éternellement. Dès lors, « le don » n'est pas un nom personnel.
En sens contraire, « de même, dit S. Augustin, que le corps de chair n'est pas autre chose que la chair, ainsi “le don du Saint-Esprit” n'est pas autre chose que le Saint-Esprit ». Or « le Saint-Esprit », voilà bien un nom personnel ; donc « le don » est aussi un nom personnel.
Réponse
On appelle « don » ce qui est apte à être donné. Or, ce que l'on donne se rapporte et au donateur et au bénéficiaire ; si quelqu'un donne une chose, c'est qu'elle lui appartient ; et s'il la donne à un autre, c'est pour qu'elle appartienne désormais à cet autre. D'une Personne divine aussi, on dit qu'elle est « d'un autre », soit en raison de son origine, par exemple : « le Fils du Père », soit parce qu'elle est en la possession d'un autre. Comment cela ? Nous possédons ce dont nous pouvons librement user ou jouir à volonté ; en ce sens, une Personne divine ne peut être possédée que par la créature raisonnable unie à Dieu. Les autres créatures peuvent bien être mues par une Personne divine : cela ne leur confère pas le pouvoir de jouir de cette divine Personne, ni d'user de son effet. Mais la créature raisonnable obtient parfois ce privilège, lorsqu'elle se met à participer du Verbe divin et de l'Amour qui procède, jusqu'à pouvoir librement connaître Dieu en vérité et l'aimer parfaitement. Donc la créature raisonnable peut seule posséder une personne divine. Quant à réaliser cette possession, elle ne peut y parvenir par ses propres forces : il faut que cela lui soit donné d'en haut, puisque, ce que nous tenons d'ailleurs, nous disons que cela nous est donné. Voilà comment il convient à une Personne divine d'être donnée, et d'être Don.
Solutions
1. Dans la mesure où, dans l'expression « Don de tel ou de tel », le complément nous réfère à l'origine, le terme de don y évoque bien une distinction personnelle. Cela n'empêche pas le Saint-Esprit de se donner lui-même, puisqu'il s'appartient et peut user ou mieux, jouir de lui-même. S. Augustin ne dit-il pas : « Qu'y a-t-il d'aussi tien que toi ? » Mais on peut dire autrement et mieux : le don doit appartenir au donateur à quelque titre ; et ce rapport d'appartenance : être à quelqu'un, ou de quelqu'un, peut se vérifier de plusieurs manières. D'abord par identité, comme dans le passage qu'on vient de citer de S. Augustin : alors le don ne se distingue pas du donateur, mais seulement de celui à qui il est donné. En ce sens, on dit que le Saint-Esprit se donne lui-même. Une chose peut aussi être appelée la chose « de quelqu'un », comme sa propriété ou son esclave ; alors le don se distingue essentiellement du donateur. En ce sens, le « don de Dieu » est quelque chose de créé. On dit enfin : ceci est la chose « d'un tel », à raison uniquement de l'origine ; ainsi nous disons : le Fils du Père, le Saint-Esprit de tous deux. Si c'est bien en ce sens qu'on rapporte le don au donateur dans l'expression Don de Dieu, le Don se distingue alors personnellement du Donateur, et Don est un nom personnel.
2. Le don doit appartenir au donateur à un titre quelconque ; parmi ces titres possibles, il y a l'identité et l'origine. Or c'est au premier de ces titres que l'essence est qualifiée de don du Père au premier des sens ci-dessus ; autrement dit, l'essence est « du Père » par identité.
3. En tant que nom personnel en Dieu, Don n'implique aucune dépendance : il dit pure relation d'origine au donateur. Mais par rapport à celui à qui la donation est faite, il évoque libre usage ou jouissance.
4. On parle de don sans qu'il y ait donation effective, en tant que la chose est apte à être donnée. La personne divine s'appelle donc éternellement Don, bien qu'elle soit donnée dans le temps. D'ailleurs, le fait que ce nom implique un rapport à la créature ne suffit pas à en faire un attribut essentiel ; cela suppose simplement que quelque chose d'essentiel est inclus dans sa notion, comme l'essence est incluse dans la notion de personne, on l'a vu plus haut.
Objections
1. On appelle don ce qui est donné. Or, selon Isaïe (Esaïe 9.6), « le Fils nous a été donné ». Donc ce nom le « Don » convient aussi bien au Fils qu'au Saint-Esprit.
2. Tout nom propre d'une personne signifie une de ses propriétés. Mais ce nom de Don ne signifie aucune propriété du Saint-Esprit. Ce n'est donc pas un nom propre de cette Personne.
3. On l'a vu : du Saint-Esprit, on peut dire qu'il est « l'Esprit de tel homme ». Mais on ne peut pas dire qu'il soit le Don de tel homme, mais seulement le Don de Dieu. C'est donc que l'appellation de Don n'est pas un nom propre du Saint-Esprit.
En sens contraire, S. Augustin a dit : « Pour le Fils, être né c'est tenir son être du Père ; de même pour le Saint-Esprit, être le Don de Dieu, c'est procéder du Père et du Fils. » Mais si procéder du Père et du Fils procure un nom au Saint-Esprit, ce sera son nom propre. Dès lors, Don est le nom propre du Saint-Esprit.
Réponse
Pris au sens personnel en Dieu, « le Don » est un nom propre du Saint-Esprit. On va s'en rendre compte par la considération suivante. D'après le Philosophe, il y a don au sens propre quand il y a donation sans retour, c'est-à-dire quand on donne sans attendre de rétribution ; « don » implique ainsi une donation gratuite. Or, la raison d'une donation gratuite est l'amour ; pourquoi donnons-nous gratuitement une chose à quelqu'un ? Parce que nous lui voulons du bien. Le premier don que nous lui accordons est donc l'amour, qui nous fait lui vouloir du bien. On voit donc ainsi que l'amour constitue le don premier, en vertu duquel sont donnés tous les dons gratuits.
Aussi, puisque le Saint-Esprit procède comme Amour, nous l'avons déjà dit, il procède en qualité de Don premier. C'est ce que dit S. Augustin : « Par le Don, qui est le Saint-Esprit, une multitude de dons sont distribués en propre aux membres du Christ. »
Solutions
1. Parce que le Fils procède comme Verbe, donc, par définition, à la ressemblance de son principe, le nom d'Image est propre au Fils, bien que le Saint-Esprit, lui aussi, soit semblable au Père. De même, parce que le Saint-Esprit procède du Père comme Amour, le nom de Don est propre au Saint-Esprit, bien que le Fils aussi soit donné. Car cela même que le Fils nous soit donné provient de l'Amour du Père : « Dieu, dit S. Jean (Jean 3.13), a tant aimé le monde qu'il lui a donne son Fils unique. »
2. Le nom de Don dit rapport au donateur à titre d'origine. Par là il inclut la propriété d'origine du Saint-Esprit, c'est-à-dire la procession.
3. Avant qu'un don soit donné, il n'appartient qu'au donateur ; mais après qu'il a été donné, il appartient à qui on l'a donné. La qualité de Don n'implique donc pas nécessairement sa donation actuelle ; et dans ces conditions, on ne peut pas l'appeler le Don de l'homme, mais seulement le Don de Dieu, c'est-à-dire du donateur. Quand il a été donné, alors il est l'Esprit ou le Don « de l'homme ».
Nous avons jusqu'ici traité des Personnes divines considérées en elles-mêmes. Il nous reste à les comparer à l'essence (Q.39), aux propriétés (Q.40) et aux actes notionnels (Q.41) ; puis à les comparer entre elles (Q. 42).