Je n’ai point ouvert la bouche puisque c’est toi qui l’a fait.
Je suis accueilli dans un foyer où s’épanouit un handicapé mental du type mongoloïde. Ce garçon de trente ans est traité en fils à part entière, il a « son temps d’antenne » comme les autres et manifeste d’ailleurs une joyeuse exubérance à laquelle s’associent volontiers tous les membres de la famille. Pas de tension ni de brusquerie mais de la vraie gaîté. Ce spectacle me touche et j’essaie de mesurer quelle victoire sur eux-mêmes ont dû remporter, et remportent chaque jour, les parents qui voient l’un des leurs, chair de leur chair, ainsi marqué pour la vie.
Le père me raconte ses expériences :
« Cinq mois après sa naissance, nous avons appris notre malheur alors que nous revenions d’un camp de jeunes où j’avais eu le privilège d’en voir plusieurs répondre à l’appel du Seigneur. Le choc de cette révélation fut terrible. Je me jetai en pleurant au pied du berceau disant à Dieus : «s Pourquois ? Nous t’avons donné notre vie, nous t’aimons et te servons avec joie … Viens à notre aide car cette épreuve nous terrasses ». Aucune voix ne vint du ciel mais un verset de l’Écriture s’imposa à moi : Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu (Romains 8.28). Alors je me relevai, balbutiant : « Je ne comprends pas mais j’accepte et je me soumets à ta volonté. Secours-moi pour que je tienne bon. Certainement, cet enfant servira au bien de tous, pourvu que tu nous donnes patience et force … ».
Vingt-huit ans après, ma femme et moi pouvons affirmer que Dieu a tenu parole. D’une constante sollicitude à notre égard, Il s’est merveilleusement révélé à notre enfant, permettant qu’en dépit de son sérieux handicap, il le reconnaisse pour son unique Sauveur et l’accepte comme tel sans que nous ayons eu de notre côté, à « forcer les choses ». Bien mieux, le Seigneur a daigné se servir de lui pour en amener plusieurs à l’Évangile. Gloire à notre Dieu qui nous a soutenus et fortifiés à l’heure difficile, Il est authentiquement le « Fidèle et le Véritable » (Apocalypse 19.11). Certes, les épreuves ne nous ont pas été épargnées depuis cette naissance, mais dans chacune d’elles il nous a été donné de découvrir, non sans lutte parfois, les marques de Son amour infini ».
A ce témoignage émouvant, je me dois d’ajouter que j’ai pu, lors du culte dans la paroisse, entendre ce jeune homme prier à haute voix et avec ferveur, il est vrai dans un langage inintelligible pour moi mais dont la teneur n’échappait pas à ses proches. Il intercédait pour les membres éprouvés de la communauté, criait à Dieu en faveur des pécheurs de la cité et surtout, rendait gloire au divin Créateur. Ce garçon plein d’entrain occupe actuellement un emploi à sa mesure – recevant ainsi un modeste salaire – susceptible de lui apporter un certain équilibre et une réelle satisfaction. Aussi, ai-je demandé à ce père qui me paraît avoir donné le meilleur à son fils, de me communiquer quelques conseils concernant l’éducation des handicapés mentaux. Les voici brièvement : (1)
(1) Ici, je laisse parler le père de l’enfant, ne m’estimant guère autorisé à conseiller des parents ainsi éprouvés.
a) Il apparaît de première importance que les parents éprouvés acceptent de recevoir la « consolation du Seigneur » pour le bien de la famille tout entière. Ceux qui demeurent dans la”révolte et refusent cette consolation ne pourront apporter aux leurs qu’aigreur et brusquerie. Rien ne sert de s’apitoyer sur son propre sort et de se lamenter sans cesse en ressassant son épreuve : il vaut mieux faire face à la situation avec courage et détermination. Le centre doit être déplacé. Au lieu de se poser en victime – ce qui paraîtrait légitime – il est préférable de se préoccuper du bonheur de l’enfant.
b) A tout prix, cachez votre chagrin. Qu’il n’en paraisse rien devant l’handicapé lui-même car il souffrirait de se savoir, confusément sans doute, la cause de votre tristesse. Parlez de votre épreuve à Dieu et donnez-lui votre fardeau lorsque vous en ressentez le poids. Votre enfant a besoin de se savoir aimé, de réaliser qu’il est un sujet de joie comme les autres membres de la famille. C’est son handicap qui vous éprouve et non l’enfant lui-même. Certes, les parents auront besoin d’une double dose de patience à l’égard d’un être qui ne réagit pas normalement, mais Dieu la leur accordera s’ils se confient en Lui.
c) Pas de faiblesse non plus devant le débile. C’est une autre façon de le traiter « comme les autres ». Parfois, j’ai dû rester plus de dix minutes à attendre – c’est long – sans céder, jusqu’à ce que mon enfant exécute l’ordre reçu. Pour la formation de son caractère, il est indispensable qu’il sente au-dessus de lui une autorité, celle de ses parents (et non celle de ses frères et sœurs). En cédant à tous ses caprices, on risque d’en faire un être odieux.
d) Surtout, ne jamais cacher son enfant, ni le tenir éloigné de la société sous prétexte qu’il n’est pas présentable. C’est l’orgueil qui inspire cette façon d’agir. Refusez d’être humilié par sa présence. Accordez-lui son temps de promenade. Qu’il aille se frotter aux autres à l’école maternelle, au culte ou aux études bibliques de la communauté. En un mot, faites-le participer le plus possible à la vie de la famille, de l’Église et de la société.
e) Il convient d’associer l’enfant, autant que faire se peut, aux menus travaux de la vie quotidienne. Qu’à son tour, il essuie la vaisselle ou range l’armoire. La famille forme une équipe de travail dans laquelle l’handicapé a sa place. Certes, il est plus facile, plus sûr et plus rapide d’agir soi-même, mais il doit apprendre de bonne heure à se débrouiller et à travailler car les parents ne seront pas toujours là pour le guider et l’entretenir. A force de répéter un geste et d’accomplir une même tâche, il acquerra une certaine habileté propre à le stimuler.
f) Enfin et surtout, il importe que le foyer soit comme « un nid » chaud et douillet pour cet enfant fragile à bien des égards. Il faudra constamment avoir les yeux sur lui pour le protéger, le défendre contre la méchanceté des grands et des petits. Les êtres normaux, trop souvent inconscients et cruels, ont besoin eux aussi d’être éduqués. En prêchant d’exemple par une affectueuse sollicitude à l’égard de l’handicapé, les parents influenceront les frères et sœurs, les incitant à veiller sur lui, à l’entourer de leurs soins, et à s’occuper de lui avec patience. Ces derniers peuvent beaucoup pour son épanouissement tant moral que spirituel.
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Certes, il y a des enfants mentalement normaux et cependant grandement éprouvés par une malformation, une laideur ou une infirmité dont la gravité n’échappe à personne. Leur peine est d’autant plus grande qu’ils sont plus lucides.et intelligents. Il faut à leur endroit les trésors d’amour et de sagesse – que donne l’Esprit-Saint (2 Timothée 1.7) – pour les aider, sans les blesser, à surmonter leur peine et surtout à s’accepter tels qu’ils sont. A ce sujet, signalons trois erreurs à éviter à tout prix devant eux :
1. — La première est de garder le silence dans la famille sur l’handicap physique qui éprouve l’un de ses membres, de ne jamais en souffler mot, d’en faire un sujet tabou ; bref, de se taire mystérieusement devant lui pour chuchoter par derrière comme si cette infirmité avait quelque chose de choquant ou de honteux. Au contraire, parlez-en très naturellement, avant l’âge scolaire. Votre enfant doit apprendre à vivre avec cette malformation en surmontant tout sentiment d’infériorité.
2. — La deuxième erreur, plus cruelle que maladroite, est d’ironiser à propos d’un défaut de langue, d’un dos bossu, d’un tic nerveux ou d’une légère claudication. Dès la maternelle, il essuiera des quolibets et au fil des mois deviendra le souffre-douleur d’une société impitoyable. Aussi faut-il le préparer à affronter ces épreuves et l’armer pour la vie en l’aidant, avec délicatesse, à déposer sa peine auprès du Seigneur chaque fois qu’il est en crise (1 Pierre 5.7). Avec lui et pour lui, demandez à Dieu une grâce spéciale, celle d’être réconcilié avec son « écharde » (2 Corinthiens 12.9-10).
3. — Enfin, troisième erreur, il est également cruel et maladroit de prédire le malheur à l’infortuné en lui déclarant par exemple : « Avec ce que tu as, tu ne te marieras jamais .… Tu ne pourras pas gagner ta vie … Tu nous seras toujours à charge » .… Langage odieux. Votre enfant en larmes entrevoit-il l’avenir avec inquiétude ? Amenez-le à reprendre courage en lui citant l’exemple de gens plus affectés que lui dont la vie a été cependant bien remplie et à la gloire de Dieu. Pour ma part, je n’’oublierai jamais le visage rayonnant de cette grande handicapée qui, lors d’une émission télévisée, fit de pénibles efforts pour taper ces quelques mots sur sa machine à écrire : « Je suis heureuse. Alléluia ! ». Les parents, indiscutablement de vrais chrétiens, avaient sû communiquer la joie de vivre à un être pourtant bien diminué.
Quoi qu’il en soit, l’épreuve est grande pour un père ou une mère, spectateurs quotidiens de la souffrance d’un enfant handicapé, dans l’incapacité de s’ébattre comme ceux de son âge. Je ne connais pas d’autre démarche pour sortir d’un légitime désarroi, que celle d’apporter ce grand fardeau à Celui qui est venu pour donner « un vêtement de louange au lieu d’un esprit abattu » (Esaïe 61.3). Celui-là seul qui sera consolé pourra communiquer courage et consolation à l’âme désemparée.
LES PARENTS S’INTERROGENT