« Je suis apparu comme El-Schaddaï à Abraham, à Isaac et à Jacob, mais je n’ai point été connu d’eux par mon nom de Jéhovah » (Exode 6.3). Il résulte de ce passage que le nom de El-Schaddaï est propre à la révélation patriarcale. C’est déjà un nom du Dieu qui se révèle, mais ce n’est point encore l’équivalent du nom de Jéhovah. Qu’est-ce que ce mot de Schaddaï ? Ce n’est pas, comme le pensent Maïmonides et Calvin, un composé formé de la lettre Schin, signifiant : celui qui, et du verbe daï signifiant : être suffisant, étymologie qui donnerait à ce mot le sens de : Celui qui se suffit à soi-même, qui possède l’aséité. Schaddaï vient du radical Schad, être fort, déployer sa force, d’où le verbe Schadad, dompter, dévaster ; d’où le jeu de mots Joël 1.15 ; et Ésaïe 13.6 : Cette journée viendra comme un dégât de par le Tout puissant, כשד משדי יבוא. El-schaddaï, c’est donc le nom qui convient à Dieu quand il déploie puissamment sa force souveraine. Les Septante, qui dans le Pentateuque ne comprennent pas cette expression, la rendent fort bien dans le livre de Job par παντοκράτωρ.
[Ainsi nous admettons le radical primitif Schad. Mais de là, par où a passé ce mot pour devenir ce que nous le voyons ? Ewald pense que Schaddaï est une forme intensive du cattal de Schada. Nous préférons prendre la branche Schadad ; aï est une syllabe de formation qu’on retrouve dans Haggaï (Aggée), Zacchaï (Zachée), et dans plusieurs autres noms propres. Ce que nous rejetons absolument, c’est l’opinion qui consiste à voir dans le aï une suffixe de la première personne du pluriel comme dans Adonaï. Adonaï n’est jamais employé dans le langage ancien que par des personnes s’adressant à Dieu, tandis que (Genèse 17.1 ; 35.11) Dieu dit lui-même on parlant de soi : Je suis El-Schaddaï. Dreyling, dans ses Observations sacrées, a protesté contre notre manière de voir. « Schadad, dit-il, désigne une dévastation, non pas même par des forces naturelles, peste, grêle, déluge, mais uniquement par des ennemis. S’il venait de Schadad, le nom de Schaddaï siérait bien mieux au Diable qu’à Dieu. Et effectivement nous voyons que le démon en hébreu est parfois appelé Sched. » C’est fort bien, mais Dreyling part du point de vue que le premier sens de Schadad est dévaster, tandis que ce n’en est que le sens dérivé.]
Maintenant, quelle différence y a-t-il entre El-schaddaï et Elohim ? El-Schaddaï n’est plus la divinité qui règne en général dans le monde ; c’est le Dieu qui montre dans ses actes particuliers le pouvoir qu’il a de s’assujettir toutes choses. C’est Dieu qui, contre l’ordre de la nature, va rendre Abraham le père de peuples nombreux (Genèse 17.1 ; 38.3 ; 35.11). C’est le Dieu qui prend sous sa puissante protection la race avec laquelle il a fait alliance et qui lui fait sentir sa bienfaisante présence (Genèse 43.14 ; 48.3 ; 49.25) : « Elohim, dit fort bien Delitzsch, est le Dieu qui crée la nature et qui la conserve, en sorte qu’elle est et qu’elle subsiste. El-Schaddaï est le Dieu qui contraint la nature à faire des choses qui ne lui sont pas naturelles, le Dieu qui la viole pour qu’elle se plie aux exigences de la grâce. »
L’emploi de ce nom changera dès que celui de Jéhovah fera son apparition dans les livres saints. D’une part, on le verra rentrer alors dans la catégorie des noms de Dieu les plus généraux ; ainsi dans les discours de Balaam, il figure absolument sur la même ligne que les noms de El et de Eljon (Nombres 24.4,16) ; dans le livre de Job, sur la même ligne que El et Eloah. Mais d’autre part, quand il s’agira de bien faire ressortir le contraste qu’il y a entre la faiblesse de l’homme et la puissance de Dieu, comme dans le beau passage Ruth 1.20 et sq., ou bien s’il est question de l’écrasante majesté du Juge suprême (Joël 1.15 ; Ésaïe 13.6 ; Psaumes 48.14 ; Ezéchiel 10.5), ou de la toute-puissante protection qu’il accorde aux siens (Psaumes 91.1), alors on trouvera le nom de El-Schaddaï juxtaposé à celui de Jéhovah.
On a souvent considéré comme proche parent de Schaddaï, le mot Schédim, idoles, faux dieux, esprits malfaisants, puissances destructives (de Schadad, Deutéronome 32.17 ; Psaumes 106.37). Je crois plutôt que Schédim vient de Schoud, dominer, et signifie : Maîtres, dominateurs.