Entre la loi de sainteté et la volonté affranchie, il se fait un rapport d’intime et absolue dépendance qui doit s’étendre sur l’existence tout entière. Dans ce milieu de la liberté reconquise, il n’est aucun acte ni aucun moment que nous puissions soustraire à la règle du devoir. Dans l’existence chrétienne, une chose indifférente (adiaphoron) ou simplement permise, n’a plus de raison d’être. Il n’est, en effet, qu’un légalisme grossièrement exagéré pour se représenter le devoir sous la forme d’un total de permissions ou de restrictions, et tenir en même temps pour assuré que tous les actes que la lettre n’interdit pas deviennent par ce seul fait licites et tombent dans la complète dépendance de notre libre décision. Une pareille conception n’est possible que pour celui qui n’a pas compris que le devoir embrasse notre existence tout entière et se confond avec l’idéal de perfection morale qu’elle doit constamment poursuivre. Mais le devoir se confondant avec l’idéal de la personnalité humaine, n’implique-t-il pas l’idée de ce qui peut ou ne peut pas être permis ? Le devoir, en effet, ne pouvant s’accomplir qu’avec le concours de deux facteurs, la loi ou la volonté générale et la liberté ou la volonté individuelle, on ne peut jamais se le représenter à l’avance sous une formule précise, et rigoureuse. On doit donc toujours réserver la part de la liberté individuelle, autant dire la possibilité du licite ou de l’illicite, sous la réserve que cette possibilité ne nous sorte jamais du domaine moral et soit toujours l’expression de notre libre vouloir. En ce sens, on peut affirmer qu’il est incontestablement en morale des actes qui ne sont que permis. Pour citer un exemple, nous ne pouvons concevoir le grand art sans la possibilité d’une œuvre qui ne peut être essentiellement belle et morale qu’à la condition d’exprimer, non point une loi générale, mais une volonté exclusivement libre et personnelle.
Il est donc tout aussi impossible de déterminer à l’avance quelles sont les choses permises, arrêter et préciser le milieu dans lequel on peut les rencontrer, qu’il nous est impossible d’assigner à la stature morale la hauteur au-dessus, ou au-dessous de laquelle, elle ne se laisse plus concevoir.
C’est, en effet, le droit et le devoir de tout homme de s’affirmer en dernier ressort dans chacun de ses actes, tout en respectant le caractère sacré de la loi morale qui n’est la loi que pour être au-dessus de tous. Et aussi longtemps que nos actes ne sont pas en contradiction contre elle, si personnelle que soit la forme qu’ils revêtent, et alors même qu’on ne saurait toujours les comprendre, il faut forcément au point de vue moral en reconnaître la légitimité.
Cette vérité est d’une application usuelle, surtout lorsqu’il s’agit de juger des actes qui relèvent infiniment plus du sens artistique que du sens moral. C’est dans le monde de l’art, en effet, que la liberté individuelle trouve le milieu de sa véritable expansion. Aussi, lorsqu’il s’est agi de déterminer les rapports de l’art et de la morale, on a vu éclater la grande controverse piétiste sur les choses indifférentes. Les piétistes, dans la première moitié du siècle précédent, interdisaient rigoureusement tous les divertissements, le spectacle, la musique, dès lors qu’ils ne représentaient pas un intérêt strictement religieux : la danse, les cartes, ils les déclaraient incompatibles avec la vocation du chrétien que tout entière appelle la sainteté. Leurs adversaires, au contraire, les représentants de l’Eglise officielle les tenaient pour choses indifférentes. Les deux parties avaient également tort ; les piétistes d’abord, parce qu’ils ne comprenaient la sanctification que sous la forme du renoncement et ne voulaient pas voir que l’abus du monde n’en proscrit pas l’usage. Et surtout parce que, pour eux, l’art était impie dès lors qu’il n’était pas au service immédiat de la religion et n’en portait pas la livrée. Mais les défenseurs du christianisme traditionnel se trompaient tout autant et plus gravement encore, dès lors qu’ils absolvaient la mondanité, en tant qu’art ou divertissements mondains, sans se préoccuper des rapports que l’art et le monde peuvent avoir avec la morale et la conscience. Dès lors, et nous sommes bien obligé de le reconnaître, que l’art occupe une place nécessaire dans l’histoire de la civilisation, on ne peut pas le proscrire, sans le ranger au nombre des choses essentiellement mauvaises et maudites, ainsi que le fait le catéchisme de Luther, amendé et commenté par l’esprit piétiste. Sous cette influence, il condamne le théâtre de la manière la plus absolue. On ne peut pas, non plus, le reléguer au nombre des choses indifférentes. Il faut donc lui faire sa place dans l’ensemble des moyens qui concourent à l’éducation d’un peuple. L’art, quel qu’il soit, doit avoir sur la pensée de l’homme sa part d’influence. Si indirecte, si accessoire soit-elle, elle n’en est pas moins réelle. A ce titre, il faut qu’il apprenne à relever de la morale et de la religion et à concourir à la gloire de Dieu. Lors donc qu’on est appelé à juger les actes incriminés qui prétendent relever de l’art, il faudrait d’abord s’assurer du bien fondé de leurs prétentions. Le plus souvent, bien loin de représenter l’art véritable, ils n’en représentent que la caricature ; on ne peut alors que les condamner. Mais quand bien même au point de vue de l’art, on soit obligé de leur reconnaître une réelle valeur, il n’y aura jamais que la personne directement intéressée pour prononcer en dernière instance. Je suis seul juge pour dire les dangers ou les influences bienfaisantes que l’art peut me valoir dans le développement de ma vie morale. C’est donc ici qu’il faut savoir invoquer la parole de l’apôtre : « Tout m’est permis. Mais tout n’est pas opportun » (1 Corinthiens 6.12). J’ai certainement le droit d’user des jouissances de l’art, et au point de vue de la morale, nul ne peut me le contester ; mais à moi seul il appartient de régler l’usage de ce droit en me plaçant au point de vue exclusif de l’intérêt bien entendu de mon être moral, car tout ce qui concourt à mon édification, au sens le plus élevé et le meilleur, ne saurait m’être indifférent et nul ne saurait me l’interdire. A ce titre, tout ce qui peut agir sur l’ensemble de ma personnalité, alors même que son action ne pourrait se produire que par une seule de nos facultés, ne peut se concevoir comme une chose indifférente. Mais alors se pose la règle biblique ; « Tout ce qui ne vient pas de la foi est un péché » (Romains 14.23), c’est-à-dire, je dois m’abstenir de tout ce qui ne procède pas de la conviction profonde qui, pour moi, se confond avec le devoir et l’idéal. J’ai donc commis un péché, toutes les fois qu’après avoir participé aux jouissances permises que peut procurer la contemplation des œuvres de l’art ou de la nature, j’ai de la peine à retrouver mes habitudes et mon milieu religieux, et qu’au lieu de me sentir plus fort et plus actif pour la tâche de chaque jour, il m’en coûte de me reprendre à la prière et au travail. Et il n’est pas d’illusion possible à cet égard, lorsqu’il nous faut constater qu’elle s’est évanouie complètement, la paix de notre être moral, au contact d’une satisfaction d’un moment. Et après avoir pris part à une jouissance artistique, indifférente en elle-même, pour nous assurer qu’elle est bonne pour nous, nous n’avons qu’à nous demander si elle respecte et fait plus sensible la pureté de notre conscience : c’est là le critère infaillible.
Mais pour connaître exactement la part qu’il nous est permis de prendre aux jouissances du monde artistique, il nous faut entendre quels sont nos devoirs dans l’ensemble des relations sociales qui représentent ce que l’on appelle le monde. Ces devoirs se résument dans ce je ne sais quoi d’indéfinissable et que tous entendent, qui s’appelle la politesse. Pour la définir, il faudrait pouvoir saisir l’âme elle-même, se dégageant de la personnalité humaine pour l’exprimer à l’aide du geste, de l’attitude, du maintien, de l’accent, sous sa forme la plus individuelle et la plus expansive. Elle se retrouve dans la manière de s’asseoir, de se lever et de sortir ; la parole parlée en est la meilleure expression, mais il n’est pas jusques à la parole écrite qui n’en retienne l’empreinte. La véritable politesse doit exprimer la dignité et la grandeur ; il faut que, pleine d’aisance et de naturel, elle donne l’idée du parfait comme il faut, la grâce dans la beauté et la bonté de l’expression. On disait de Fénelon que la politesse lui était si familière, si naturellement exquise, qu’elle savait s’exprimer sous les formes les plus diverses, sans perdre jamais l’ascendant de la vertu et de la véritable dignité.
Bien souvent il peut se faire que la politesse ne soit qu’affaire d’attitude et de décor ; elle n’est alors qu’un masque qu’un acteur suffit à porter. Mais la politesse véritable est toujours le rayonnement involontaire de la bonté d’une belle âme, le fruit naturel et en quelque sorte spontané de l’être véritable ; on ne saurait en exagérer la valeur infinie. Il est, par contre, une certaine politesse, de rigueur pour tous, et à la portée de tous, monnaie banale qui porte l’empreinte des habitudes et des mœurs à la mode dans un moment donné. Sans nous faire illusion sur sa valeur réelle, nous sommes tenus de nous en servir sous peine d’être mis hors la loi. Elle va, changeant avec chaque génération, et se fait un jeu, semble-t il, d’attester par des caprices que nul ne peut expliquer, la tyrannie qu’elle exerce sur. l’opinion. Mais la personnalité humaine doit savoir se respecter en ne se conformant à ces formes changeantes, que si elles sont légitimes et nécessaires. Mais en respectant la loi quand elle sauvegarde la liberté de chacun et l’intérêt social, nous restons les maîtres et les juges de la manière dont nous croyons devoir nous comporter sous le rapport de la politesse et de ses convenances. Il faut cependant que les exceptions aux règles de la politesse que nous croyons pouvoir nous permettre, quand elles apparaissent contredire aux convenances reçues, s’imposent comme des actes sérieusement voulus et réfléchis. Mais ici les règles ne sauraient se prescrire. Les convenances à quelques-uns ne sauraient valoir pour tous. Les différences d’état, de situation sociale, de profession et d’âge, font loi. Ce qui convient à un jeune homme devient inconvenant pour un homme âgé. La différence des caractères et des professions a également ses exigences particulières à faire valoir. Ce qu’à tous ces titres, l’on peut se permettre dans ce domaine des relations sociales, constitue notre légitime indépendance. Mais à nous de nous assurer si la part de liberté que nous revendiquons contre les exigences et les caprices de la mode peut réellement servir à notre véritable indépendance. A nous de voir, également, si ce sont bien réellement les intérêts de la vérité que nous entendons défendre contre des convenances qui ne valent que parce qu’elles s’imposent et ne savent autrement se justifier.
Dans ce milieu des convenances sociales, il est évidemment des actes qu’il m’est loisible d’admettre ou d’omettre. Je dois seulement me rappeler que cette liberté, avant de servir à mes légitimes exigences, doit être la servante de la charité. En certains cas, il faut donc nous demander si ce n’est pas un devoir pour nous de nous interdire un acte, si légitime et si permis soit-il, quand nous nous apercevons qu’il peut être une occasion de scandale ou de trouble pour le prochain. Lorsqu’auprès de nous se rencontrent des frères que nous pourrions blesser dans leur conscience, en leur suggérant des doutes qui ne peuvent que les égarer, les aigrir, détruire en eux la confiance qu’ils nous accordent et qu’il leur est avantageux de nous conserver. Cette même question nous amène à nous demander si, par contre, il n’est pas des circonstances où, par égard et par charité pour le prochain, nous ne devons pas accomplir des actions qui, pour nous, ne sont nullement obligatoires.
En d’autres termes, n’est-il pas une accommodation aux faiblesses de nos frères pour s’imposer comme légitime avec toutes les conséquences négatives et positives qu’elle comporte ? Au sens négatif, l’apôtre Paul a déjà résolu la question, par la manière dont il tranchait pour les chrétiens de la primitive église celle de la participation aux aliments purs ou impurs. Il était alors parmi les chrétiens des judaïsants de la stricte observance qui pour ne pas commettre de sacrilège en mangeant de la viande sacrifiée sur l’autel de l’idole s’interdisaient, d’une manière absolue, l’usage de la viande parce qu’alors au marché se confondaient sur le même étal les viandes ordinaires et celles qui provenaient du service de l’autel (Romains 14.11 ; 1 Corinthiens 8.1-13) L’apôtre se déclare pour la pratique la plus libre et la plus large. Pour lui, il n’y a rien en soi d’impur et l’idole, n’étant rien par elle-même, n’a pas le pouvoir de souiller quoi que ce soit. Cependant, il impose comme règle absolue au chrétien de n’être jamais en scandale au prochain. Pour ce qui concerne les viandes sacrifiées aux idoles, quoique pour lui elles ne puissent entraîner aucune souillure, il déclare qu’il préférerait s’en interdire à jamais l’usage, s’il savait qu’à user de son droit, il pût être en scandale à son prochain (1 Corinthiens 8.13) Dans la suite des temps, sous des formes changeantes et toujours nouvelles, on a vu renaître la même question. Constamment sont aux prises les deux tendances qui divisaient les chrétiens de la primitive église. L’une étroite et méticuleuse ne voit que l’ennemi avec lequel il ne faut jamais pactiser. Elle croit que son contact à lui seul peut souiller. Elle ne connaît donc qu’un seul précepte, elle le multiplie et le diversifie indéfiniment : ne touchez pas à ceci, ne goûtez pas à cela. Cette tendance ne va jamais seule ; toujours elle provoque par ses exagérations la tendance contraire ; réagissant contre ses étroitesses, elle se fait toujours plus indépendante et croit que la terre et tout ce qu’elle renferme appartient au Seigneur et qu’il n’est rien de souillé par lui-même, excepté le péché. Au lieu de dire les viandes sacrifiées aux idoles, on dit aujourd’hui la poésie, l’art, le théâtre, la danse, la musique, les réceptions mondaines, les festins, les fêtes populaires. Mais si changées que puissent paraître les conditions et le milieu, la question reste la même. La charité chrétienne exige incontestablement que les plus intelligents, les plus forts, les plus indépendants, n’usent de leur liberté, qu’en ayant égard à la faiblesse de leurs frères et qu’ils renoncent à se faire leur part, si légitime soit-elle, plutôt que de provoquer le scandale dans l’Eglise dont l’édification doit passer avant toute satisfaction personnelle. Et cependant, au nom même de la charité, cette condescendance doit avoir des limites. A condescendre toujours, on finirait par légitimer les erreurs des faibles et rendre impossible l’affirmation de la vérité au plus grand détriment de tous, des faibles les premiers, et de leurs meilleurs défenseurs. Le devoir envers nos frères faibles, nous pourrons donc le considérer comme véritablement accompli, quand nous leur aurons donné à connaître que nos satisfactions personnelles nous sont toujours secondaires au regard de leur véritable édification. Mais il faut nous assurer que notre attitude à leur égard leur laisse la conviction que notre manière de faire n’est point inspirée par des sentiments de mondanité ou d’indifférence pour leurs meilleurs intérêts, mais par le désir de les amener à une conception plus large de la vérité chrétienne. On ne peut donc véritablement s’accommoder aux faiblesses de ses frères qu’en s’efforçant de les leur faire connaître. C’est ainsi que l’apôtre l’a toujours entendu et pratiqué ; tout en recommandant, d’une part et avec instance, l’accommodation et le support, de l’autre, il s’efforce de faire, sentir que ces pratiques méticuleuses ont pour cause première une connaissance incomplète de la vérité chrétienne. « Je sais, dit-il, et je suis convaincu dans le Seigneur qu’il n’est aucune chose qui par elle-même soit souillée et qu’il n’est de souillure que pour celui qui l’a conçue dans son esprit » (Romains 14.14). Tout en se faisant une loi de ne jamais être un scandale aux simples, il faut donc s’en faire une également de ne jamais subir leur étroitesse comme un joug sacré. En toute occasion, il faut de plus maintenir le principe de la liberté évangéliquef. On doit donc protester de la manière la plus formelle contre tous ceux qui voudraient faire une loi absolue et obligatoire pour tous, de conventions qui n’auraient, en définitive, qu’une valeur locale et toute personnelle. La liberté tout en considérant le droit des faibles, ne doit jamais oublier qu’elle est également tenue au respect d’elle-même. Si une intelligence meilleure et plus complète de la vérité nous amène à la conviction que les prescriptions que s’impose le rigorisme prétendu ascétique ne renferment en elles-mêmes rien de condamnable, il nous faut les considérer non seulement comme recommandables mais comme nécessaires à un certain moment de notre existence et de notre développement chrétien. En conséquence, lorsque nous nous trouvons en présence de ces préceptes volontaires, notre première préoccupation doit être de ne jamais en faire une occasion de nous constituer les juges de nos frères et de porter atteinte à la charité chrétienne. Car ainsi que le dit l’apôtre, : « Notre frère a pour maître le Seigneur et c’est pour lui qu’il se tient debout ou qu’il tombe » (Romains 14.4) et à lui seul appartient le jugement.
f – (Actes 15.20) En décidant que les chrétiens d’origine païenne auraient à s’abstenir des viandes sacrifiées aux idoles (décision au reste qui paraît n’avoir jamais été observée en dehors des limites de la Palestine) le synode de Jérusalem prit une décision et qui ne valait absolument que pour les circonstances du moment. Il voulait rendre aux païens devenus chrétiens toute leur liberté en réduisant la législation mosaïque à l’abstinence des viandes sacrifiées aux idoles.
Si, par égard pour les faibles, il est des actions qu’il faut nous interdire, dans le même ordre d’idées, il en est d’autres que nous sommes tenus d’accomplir. Ici, également, nous pouvons en appeler à saint Paul ; pour ne pas nuire à son ministère parmi les chrétiens juifs, il consentit à faire circoncire Timothée, son fils, dans la foi et son compagnon d’œuvre, dont le père était grec et sa mère juive. Pour lui-même, cependant, il ne reconnaissait aucune valeur à la circoncision et la considérait comme abrogée par le seul fait de la promulgation de l’Évangile. Mais pour beaucoup de chrétiens d’alors, la circoncision retenait une valeur religieuse qu’ils entendaient respecter ; saint Paul se conformait à leurs scrupules, se faisant juif avec les juifs. Par égard pour eux, il fit circoncire Timothée ; il s’acquittait aussi du vœu du nazaréat et offrait un sacrifice dans le temple de Jérusalem à la seule fin d’attester le respect dont il honorait les pratiques traditionnelles du peuple d’Israël (Actes 21.26). Mais en même temps, par son grand et libre ministère, il proclamait hautement que, pour lui, la circoncision n’avait plus aucune valeur et cessait d’être une obligation légale. Et à ce point de vue, il affirmait la liberté des chrétiens d’origine païenne et ne consentait pour elle à aucune concession. Aussi, lorsque Tite, un chrétien d’origine païenne et son compagnon d’œuvre, était mis en demeure de subir la circoncision, il repoussait cette exigence avec toute l’énergie de sa libre conviction (Galates 2.3-5). Dans son enseignement apostolique, il affirme bien haut qu’en Christ il ne sert de rien d’être circoncis ou de ne l’être pas, qu’il ne s’agit que d’être une nouvelle créature et que seule, la foi opérante par la charité retient une réelle valeur (Galates 5.6 ; 6.15).
Il nous faut donc attentivement considérer les intérêts de nos frères faibles, mais nous ne devons pas cependant tolérer qu’ils fassent de leur faiblesse un joug que nous n’ayons plus qu’à subir. Et lorsque, de nos jours, au sein de notre Eglise, nous voyons s’élever des individualités entreprenantes et ambitieuses qui, au nom des progrès de la piété, de la liberté et de la conscience, c’est-à-dire au nom de leur esprit dominateur, demandent que pour eux l’Eglise renonce à ses institutions les plus vitales et les plus chères, autant dire, qu’elle se suicide elle-même, nous connaissons assez ce que valent de pareilles prétentions pour que nous n’éprouvions aucune répugnance à leur faire l’opposition la plus énergique.
Les principes que nous venons de revendiquer peuvent également s’appliquer dans la sphère des intérêts et de l’action politiques, tous doivent facilement le comprendre. Il faut donc que tous, ici, consentent aux concessions, mais sous la condition expresse du respect et de l’intégrité des principes. Toujours les hommes intelligents et sérieux se sentiront obligés à lutter contre ces faux compromis, ces alliances menteuses que l’on décore du nom d’opportunisme et qui ne valent que pour compromettre la justice en l’obligeant à pactiser avec l’injustice. Contre ces alliances, ils se lèveront avec d’autant plus d’énergie, qu’à chaque instant l’on a vu des hommes d’Etat se laisser aller à des compromissions qui n’ont jamais valu qu’au déshonneur de la bonne cause. A le faire, ils ne se doutent pas qu’en pareils agissements, ils sont les complices et les fauteurs de cette anarchie immorale qui bientôt ne laissera plus subsister aucune vérité de l’ordre religieux.
L’idéal de cette accommodation immorale et par conséquent impolitique, c’est encore le jésuitisme qui s’est chargé de le réaliser. L’histoire de ses missions en Chine et aux Indes en est la preuve irrécusable. Dans ces contrées, pour faciliter la conversion des païens et leur admission dans l’Eglise qui, seule, a la prétention de sauver, ils avaient fait du Christianisme le plus monstrueux amalgame d’éléments païens et chrétiens. Grâce à ces profanations, il n’était plus qu’un ritualisme. qui n’avait du Christianisme que le nom, et dont il eût été difficile de reconnaître l’origine.