(5 février)
I. Agathe, vierge, de famille noble et d’une grande beauté, habitait Catane, où, dès l’enfance, elle cultivait saintement le Seigneur. Or, le consul de Sicile, Quintien, homme d’extraction basse, débauché, avare et idolâtre, convoitait de la prendre pour femme. Étant d’extraction basse, il pensait qu’un mariage avec une jeune fille noble le ferait respecter ; étant débauché, il désirait jouir de la beauté d’Agathe ; étant avare, il guettait ses richesses ; étant idolâtre, il rêvait de l’amener à sacrifier aux dieux. Mais comme la jeune fille, sollicitée par lui, restait inébranlable dans sa foi et sa chasteté, il la livra à une entremetteuse nommée Aphrodise et à ses neuf filles, qui vivaient de leur corps ; et il ordonna à ces créatures d’insister pendant trente jours auprès d’Agathe pour la faire changer d’avis. Et ces femmes s’ingéniaient à la détourner de la bonne voie, tantôt par la promesse de grands plaisirs, tantôt par la menace de cruels supplices. Mais sainte Agathe leur disait : « Mon âme s’appuie sur la pierre et a ses fondements dans le Christ ; et vos paroles ne sont que du vent, vos promesses des pluies, et les supplices dont vous voulez m’effrayer ne sont que des flots battant le rivage. En vain tout cela fait assaut contre ma maison ; celle-ci est solide et ne tombera pas ! » Mais tout en parlant ainsi elle pleurait jour et nuit, et priait, et implorait du ciel la palme du martyre. Et Aphrodise, la voyant rester inébranlable, dit au consul : « Ce serait chose plus facile d’amollir une pierre ou de changer du fer en plomb que d’écarter de sa direction chrétienne l’âme de cette jeune fille ! »
II. Alors Quintien se fit amener Agathe et lui dit : « De quelle condition es-tu ? » Et elle : « Non seulement je suis noble, mais aussi d’une famille illustre, comme peut l’attester toute ma maison ! » Et Quintien : « Si tu es noble, pourquoi as-tu des mœurs d’esclave ? » Et elle : « Parce que je suis l’esclave du Christ ! » Et Quintien : « Si tu te dis noble, comment peux-tu, en même temps, te dire esclave ? » Et elle : « L’esclavage du Christ est la noblesse suprême. » Alors le consul lui dit de sacrifier aux dieux, ou, si elle s’y refusait, de s’apprêter à tous les supplices. Et Agathe lui dit : « Que ta femme soit comme ta déesse, Vénus, et que tu sois, toi-même, comme a été ton dieu Jupiter ! » Alors Quintien la fit souffleter, disant : « Ne t’avise pas d’injurier ton juge ! » Mais Agathe lui répondit : « Je m’étonne que, raisonnable comme tu es, tu aies la sottise d’appeler dieux des êtres à qui tu ne veux point que ta femme et toi vous ressembliez. Tu dis, en effet, que je t’ai injurié en te souhaitant d’être comme Jupiter. Or, si tes dieux sont bons, je ne t’ai rien souhaité que de bon ; et si, au contraire, tu détestes leur coupable amour, tu n’as plus qu’à devenir chrétien comme je suis chrétienne. » Et le consul : « Assez parlé ! Sacrifie aux dieux, ou je te ferai mourir dans les pires supplices ! » Et, comme elle bravait ses menaces et l’invectivait devant tous, il la fit conduire en prison. Elle y alla joyeuse et triomphante, comme à un festin.
III. Le lendemain, le consul lui dit : « Renie le Christ et adore les dieux ! » Puis, sur son refus, il la fit attacher à un chevalet pour être torturée. Et Agathe dit : « J’éprouve, parmi ces souffrances, la joie qu’éprouve un homme qui apprend une bonne nouvelle, ou qui voit ce qu’il a longtemps désiré voir, ou qui reçoit un immense trésor ! » Le consul, furieux, lui fit tordre les seins, et ordonna ensuite de les lui arracher. Et Agathe : « Tyran cruel et impie, n’as-tu pas honte de couper, chez une femme, ce que tu as toi-même sucé chez ta mère ? Mais sache que j’ai d’autres mamelles, dans mon âme, dont le lait me nourrit, et sur lesquelles tu es sans pouvoir ! » Alors le consul la fit remettre en prison, défendant qu’aucun médecin vînt la visiter, ni qu’on lui donnât rien à manger ni à boire. Or, voici qu’à minuit un vieillard entra dans sa prison, précédé d’un enfant qui portait une torche. Et ce vieillard lui dit : « Ce consul insensé qui t’a fait souffrir, tu l’as fait souffrir davantage encore par tes réponses. Et moi, qui ai assisté à ton supplice, j’ai vu que les plaies de tes seins pouvaient être guéries. » Et Agathe : « Jamais je n’ai usé pour mon corps de remèdes matériels : ce serait une honte que je perdisse aujourd’hui ce que j’ai su garder jusqu’ici ! » Et le vieillard lui dit : « Ma fille, que ta pudeur ne s’alarme pas de moi, car je suis chrétien ! » Et Agathe : « En vérité, ma pudeur ne saurait s’alarmer, car, d’abord, tu es un vieillard, et puis, mon corps se trouve si affreusement déchiré qu’il ne peut inspirer de convoitise à personne. Mais je te remercie, respectable père, d’avoir daigné t’intéresser à moi ! » Et le vieillard : « Mais alors, pourquoi ne veux-tu pas me permettre de te guérir ? » Agathe répondit : « Parce que j’ai pour maître Jésus-Christ, qui, s’il le juge bon, peut, avec un seul mot, me guérir de suite ! » Alors le vieillard sourit, et lui dit : « Eh bien, ma fille, je suis l’apôtre de Jésus, et c’est lui qui m’a envoyé vers toi pour t’annoncer en son nom que tu étais guérie ! » Sur quoi ce vieillard, qui était saint Pierre, disparut, répandant sur son passage une lumière si prodigieuse que tous les gardes de la prison s’enfuirent, épouvantés. Et sainte Agathe se trouva entièrement guérie, avec ses deux seins restaurés par miracle. Et, comme les portes de la prison étaient ouvertes, d’autres prisonniers l’engagèrent à s’enfuir avec eux. Mais elle répondit : « À Dieu ne plaise que je perde, en m’enfuyant, la couronne qui m’est réservée, et que j’expose aussi les gardes à souffrir de mon fait ! »
IV. Quatre jours après, le consul la fit comparaître devant lui, et, de nouveau, lui ordonna d’adorer les dieux. Et Agathe : « Tes paroles ne sont que du vent ; comment veux-tu, insensé, que j’adore les pierres, et que je renie le Dieu du ciel qui m’a guérie ? » Et le consul : « Qui t’a guérie ? » Et Agathe : « Le Christ, fils de Dieu ! » Et Quintien : « Oses-tu citer de nouveau ce nom que je ne veux pas entendre ? » Et Agathe : « Tant que je vivrai, mon cœur et mes lèvres invoqueront le Christ ! » Et Quintien : « Nous allons bien voir si ton Christ te guérit une seconde fois ! » Il ordonna alors de répandre des tessons brisés, d’y mêler des charbons ardents, et de traîner la jeune fille, toute nue, sur ce lit mortel. Mais pendant qu’on procédait au supplice, un grand tremblement de terre survint, qui ébranla toute la ville, renversa le palais, et écrasa deux conseillers de Quintien. Et tout le peuple accourut vers le consul, lui reprochant d’avoir causé cette catastrophe par l’injuste punition infligée à Agathe. Alors Quintien, qui redoutait à la fois le tremblement de terre et la sédition du peuple, fit ramener Agathe dans sa prison, où elle se mit en prière et dit : « Seigneur Jésus, toi qui m’as créée et gardée depuis l’enfance, toi qui as préservé mon corps de souillure et mon esprit de l’amour du siècle, toi qui m’as permis de vaincre les souffrances, reçois maintenant mon âme dans ta miséricorde ! » Et, après avoir ainsi prié à très haute voix, elle expira. Cela se passait vers l’an du Seigneur 253, sous le règne de l’empereur Decius.
V. Les fidèles oignirent son corps d’aromates et le placèrent dans un sarcophage. Et voici qu’un jeune homme revêtu d’une tunique de soie, et accompagné de cent autres beaux jeunes gens en tuniques blanches, s’approcha du tombeau, y déposa une tablette de marbre, et disparut aussitôt avec ses compagnons. Et, sur la tablette était écrit ceci : « Âme sainte, spontanée, honneur à Dieu et délivrance de la patrie. » Ce qui signifie qu’Agathe eut une âme sainte, s’offrit spontanément au martyre, fit honneur à Dieu, et sauva sa patrie. Et le don miraculeux de cette tablette de marbre eut pour résultat que même les païens et les Juifs commencèrent à vénérer le tombeau de la sainte. Quant à Quintien, il se rendait à la maison de sainte Agathe, dans l’espoir d’y découvrir des trésors cachés, lorsque les deux chevaux de son char se mirent à frémir des dents et à ruer ; et l’un d’eux le mordit, l’autre, d’un coup de sabot, le lança dans le fleuve, où jamais son corps ne put être retrouvé.
VI. Un an environ après la mort de sainte Agathe, une montagne voisine de Catane se rompit et un torrent de feu en jaillit, qui, sautant de rocher en rocher et brûlant tout sur son passage, menaçait de s’abattre bientôt sur la ville. Alors la foule des païens courut au tombeau de la sainte, arracha le voile qui le couvrait et l’étendit au pied de la montagne ; et ce voile arrêta la descente du feu, et sauva la ville. Ce miracle eut lieu le jour même de l’anniversaire de la naissance de sainte Agathe.