Arrivée à Augsbourg – De Vio – Son caractère – Serra-Longa – Conversation préliminaire – Visite des conseillers – Retour de Serra-Longa – Le prieur – Sagesse de Luther – Luther et Serra-Longa – Le sauf-conduit – Luther à Mélanchton
A peine à Augsbourg, et avant même d’y avoir vu personne, Luther, voulant rendre au légat tous les honneurs qui lui étaient dus, pria Wenceslas Linck d’aller lui annoncer son arrivée. Linck le fit, et déclara humblement au cardinal, de la part du docteur de Wittemberg, que celui-ci était prêt à comparaître devant lui, quand il l’ordonnerait. Le légat se réjouit à cette nouvelle. Il tenait donc enfin le fougueux hérétique ; il se promettait bien qu’il ne sortirait pas des murs d’Augsbourg comme il y était entré. En même temps que Linck se rendait vers le légat, le moine Léonard partit pour aller annoncer à Staupitz l’arrivée de Luther à Augsbourg. Le vicaire général avait écrit au docteur qu’il viendrait certainement aussitôt qu’il le saurait dans cette ville. Luther ne voulait pas tarder un instant à lui faire connaître sa présencek.
k – L. Epp. I, p. 144.
La Diète était terminée. L’Empereur et les électeurs s’étaient déjà séparés. L’Empereur, il est vrai, n’était pas parti ; mais il se trouvait à la chasse dans les environs. L’ambassadeur de Rome restait donc seul à Augsbourg. Si Luther y était venu pendant la Diète, il y eût trouvé de puissants défenseurs ; mais tout semblait maintenant devoir plier sous le poids de l’autorité papale.
La Diète était terminée. L’Empereur et les électeurs s’étaient déjà séparés. L’Empereur, il est vrai, n’était pas parti ; mais il se trouvait à la chasse dans les environs. L’ambassadeur de Rome restait donc seul à Augsbourg. Si Luther y était venu pendant la Diète, il y eût trouvé de puissants défenseurs ; mais tout semblait maintenant devoir plier sous le poids de l’autorité papale.
de Vio (Cajetan)
Le nom du juge devant lequel Luther devait comparaître n’était pas propre à le rassurer. Thomas de Vio, surnommé Cajetan, de la ville de Gaëte, dans le royaume de Naples, où il était né en 1469, avait donné dès sa jeunesse de grandes espérances. A seize ans, il était entré dans l’ordre des Dominicains, contre la volonté expresse de ses parents. Plus tard, il était devenu général de son ordre et cardinal de l’Église romaine. Mais ce qui était pis pour Luther, ce savant docteur était l’un des plus zélés défenseurs de cette théologie scolastique que le réformateur avait toujours si impitoyablement traitée. Sa mère, assurait-on, avait rêvé durant sa grossesse, que saint Thomas en personne instruirait l’enfant qu’elle mettrait au monde et l’introduirait dans le ciel. Aussi de Vio, en devenant dominicain, avait-il changé son nom de Jacques contre celui de Thomas. Il avait défendu avec zèle les prérogatives de la papauté et les doctrines de Thomas d’Aquin, qu’il regardait comme le plus parfait des théologiensl. Amateur de la pompe et de la représentation, il prenait presque au sérieux cette maxime romaine, que les légats sont au-dessus des rois, et s’entourait d’un grand apparat. Le Ier août, il avait célébré dans la cathédrale d’Augsbourg une messe solennelle, et, en présence de tous les princes de l’Empire, il avait placé le chapeau de cardinal sur la tête de l’archevêque de Mayence, agenouillé devant l’autel, et remis à l’Empereur lui-même le chapeau et l’épée consacrés par le pape. Tel était l’homme devant lequel le moine de Wittemberg allait comparaître ; couvert d’un froc qui n’était pas même à lui. Au reste, la science du légat, la sévérité de son caractère et la pureté de ses mœurs, lui assuraient en Allemagne une influence et une autorité que d’autres courtisans romains n’auraient pas facilement obtenues. Ce fut sans doute à cette réputation de sainteté qu’il dut sa mission. Rome avait compris qu’elle servirait admirablement ses vues. Ainsi les qualités mêmes de Cajetan le rendaient plus redoutable encore. Du reste, l’affaire dont il était chargé était peu compliquée. Luther était déjà déclaré hérétique. S’il ne voulait pas se rétracter, le légat devait le faire mettre en prison ; et s’il lui échappait, il devait frapper d’excommunication quiconque oserait lui donner asile. Voilà ce qu’avait à faire de la part de Rome le prince de l’Église devant lequel Luther était citém.
l – Divi Thomæ Summa cum commentariis Thomæ de Vio. Lugduni, 1587.
m – Bulle du pape. (I, Opp. (L.) XVII, p. 174.)
Luther avait repris des forces pendant la nuit. Le samedi matin, 8 octobre, déjà un peu reposé du voyage, il se mit à considérer son étrange situation. Il était soumis et il attendait que la volonté de Dieu se manifestât par les événements. Il n’eut pas longtemps à attendre. Un personnage, qui lui était inconnu, lui fit dire, comme s’il lui eût été entièrement dévoué, qu’il allait se rendre chez lui, et que Luther devait bien se garder de paraître devant le légat avant de l’avoir vu. Ce message venait d’un courtisan italien, nommé Urbain de Serra-Longa, qui avait été souvent en Allemagne comme envoyé du margrave de Montferrat. Il avait connu l’électeur de Saxe auprès duquel il avait été accrédité, et après la mort du margrave, il s’était attaché au cardinal de Vio.
La finesse et les manières de cet homme formaient le plus frappant contraste avec la noble franchise et la généreuse droiture de Luther. L’Italien arriva bientôt au monastère des Augustins. Le cardinal l’envoyait afin de sonder le réformateur et de le préparer à la rétractation qu’on attendait de lui. Serra-Longa s’imaginait que le séjour qu’il avait fait en Allemagne lui donnait de grands avantages sur les autres courtisans de la suite du légat ; il espérait avoir beau jeu de ce moine allemand. Il arriva accompagné de deux domestiques, et se présenta comme venant de son propre mouvement, à cause de l’amitié qu’il portait à un favori de l’électeur de Saxe, et de son attachement à la sainte Église. Après avoir fait à Luther les salutations les plus empressées, le diplomate ajouta affectueusement :
« Je viens vous donner un bon et sage conseil. Rattachez-vous à l’Église. Soumettez-vous sans réserve au cardinal. Rétractez vos injures. Rappelez-vous l’abbé Joachim de Florence : il avait, vous le savez, dit des choses hérétiques, et cependant il fut déclaré non hérétique, parce qu’il rétracta ses erreurs. »
Luther parle alors de se justifier.
Serra-Longa
Gardez-vous de le faire !… prétendriez-vous combattre comme en un tournoi le légat de Sa Sainteté ?….
Luther
Si l’on me prouve que j’ai enseigné quelque chose de contraire à l’Église romaine, je serai mon propre juge et je me rétracterai aussitôt. Le tout sera de savoir si le légat s’appuie sur saint Thomas plus que la foi ne l’y autorise. S’il le fait, je ne lui céderai pas.
Serra-Longa
Eh ! eh ! vous prétendez donc rompre des lances !…
Puis l’Italien se mit à dire des choses que Luther appelle horribles. Il prétendit que l’on pouvait soutenir des propositions fausses, pourvu qu’elles rapportassent de l’argent et qu’elles remplissent les coffres-forts ; qu’il fallait bien se garder de disputer dans les universités sur l’autorité du pape ; qu’on devait maintenir, au contraire, que le pontife peut d’un clin d’œil changer, supprimer des articles de foi ; et autres choses semblablesn. Mais le rusé Italien s’aperçut bientôt qu’il s’oubliait ; il en revint aux paroles douces, et s’efforça de persuader à Luther de se soumettre en toutes choses au légat, et de rétracter sa doctrine, ses serments et ses thèses.
n – Et nutu solo omnia abrogare, etiam ea quæ fidei essent. (L. Epp. I, 144.)
Le docteur, qui dans le premier moment avait ajouté quelque foi aux belles protestations de l’orateur Urbain (comme il l’appelle dans ses rapports), se convainquit alors qu’elles se réduisaient à peu de chose, et qu’il était beaucoup plus du côté du légat que du sien. Il devint donc un peu moins communicatif, et il se contenta de dire qu’il était tout disposé à montrer de l’humilité, à faire preuve d’obéissance, et à donner satisfaction dans les choses où il se serait trompé. A ces paroles, Serra-Longa s’écria tout joyeux : « Je cours chez le légat ; vous allez me suivre. Tout ira le mieux du monde, et ce sera bientôt fini…o »
o – L. Opp.(L.) XVII, p. i79.
Il sortit. Le moine saxon, qui avait plus de discernement que le courtisan romain, pensa en lui-même : « Ce rusé Sinon s’est laissé bien mal dresser et bien mal instruire par ses Grecsp. » Luther était suspendu entre l’espérance et la crainte. Cependant l’espérance prit le dessus. La visite et les assertions étranges de Serra-Longa, qu’il appelle plus tard un médiateur maladroitq, lui firent reprendre courage.
p – Hunc Sinonem, parum consulte instructum arte pelasga. (L. Epp. I, 144.) Voyez Enéide de Virgile, chant 2.
q – Mediator ineptus. (L. Epp. I, 144.)
Les conseillers et les autres habitants d’Augsbourg, auxquels l’Électeur avait recommandé Luther, s’empressèrent tous de venir voir le moine dont le nom retentissait déjà dans toute l’Allemagne. Peutinger, conseiller de l’Empire, l’un des patriciens les plus distingués de la ville, qui invita souvent Luther à sa table, le conseiller Langemantel, le docteur Auerbach de Leipzig, les deux frères Adelmann, tous deux chanoines, plusieurs autres encore, se rendirent au couvent des Augustins. Ils abordèrent avec cordialité cet homme extraordinaire qui avait fait un long voyage pour venir se mettre entre les mains des suppôts de Rome. « Avez-vous un sauf-conduit ? lui demandèrent-ils. — Non, répondit le moine intrépide. — Quelle hardiesse ! » s’écrièrent-ils alors. « C’était, dit Luther, un mot honnête pour désigner ma téméraire folie. » Tous, d’une voix unanime, le sollicitèrent de ne pas se rendre chez le légat avant d’avoir obtenu un sauf-conduit de l’Empereur lui-même. Il est probable que le public avait déjà appris quelque chose du bref du pape, dont le légat était porteur.
« Mais, répliqua Luther, je me suis bien rendu sans sauf-conduit à Augsbourg, et j’y suis arrivé à bon port. »
« L’Électeur vous a recommandé à nous ; vous devez donc nous obéir et faire ce que nous vous disons, » reprit Langemantel avec affection, mais avec fermeté.
Le docteur Auerbach se joignit à ces représentations. « Nous savons, dit-il, qu’au fond du cœur le cardinal est irrité au plus haut point contre vousr. On ne peut se fier aux Italienss. »
r – Sciunt enim eum in me exacerbalissimum intus, quicquid simulet foris… (L. Epp. I, p. 143.)
s – L. Opp. (L.) XVII, p. 201.
Le chanoine Adelmann insista de même : « On vous a envoyé sans défense, et l’on a précisément oublié de vous pourvoir de ce dont vous aviez le plus besoint. »
t – L. Opp. (L.)XVII, p. 203.
Ces amis se chargèrent d’obtenir de l’Empereur le sauf-conduit nécessaire. Ils dirent ensuite à Luther combien de personnes, même d’un rang élevé, penchaient en sa faveur. « Le ministre de France lui-même, qui a quitté il y a peu de jours Augsbourg, a parlé de vous de la manière la plus honorableu. » Ce propos frappa Luther, et il s’en ressouvint plus tard. Ainsi, ce qu’il y avait de plus respectable dans la bourgeoisie de l’une des premières villes de l’Empire, était déjà gagné à la Réformation.
u – Seckend., 144.
On en était là de l’entretien, lorsque Serra-Longa reparut. « Venez, dit-il à Luther, le cardinal vous attend. Je vais moi-même vous conduire vers lui. Apprenez comment vous devez paraître en sa présence. Quand vous entrerez dans la salle où il se trouve, vous vous prosternerez devant lui la face contre terre ; quand il vous aura dit de vous lever, vous vous mettrez à genoux ; et pour vous tenir debout, vous attendrez encore qu’il vous l’ordonnev. Rappelez-vous que c’est devant un prince de l’Église que vous allez comparaître. Du reste, ne craignez rien : tout se terminera vite et sans difficulté. »
v – Seckend., p. 150.
Luther, qui avait promis à cet Italien de le suivre dès qu’il l’y inviterait, se sentit embarrassé. Cependant il n’hésita pas à lui faire part du conseil de ses amis d’Augsbourg, et il lui parla d’un sauf-conduit.
« Gardez-vous bien d’en demander un, reprit aussitôt Serra-Longa ; vous n’en avez pas besoin. Le légat est bien disposé et tout prêt à finir la chose amicalement. Si vous demandez un sauf-conduit, vous gâterez toute votre affairew. »
w – L. Opp. (L) 179
« Mon gracieux seigneur, l’électeur de Saxe, répondit Luther, m’a recommandé en cette ville à plusieurs hommes honorables. Ils me conseillent de ne rien entreprendre sans sauf-conduit : je dois suivre leur avis ; car si je ne le faisais pas et qu’il arrivât quelque chose, ils écriraient à l’Électeur mon maître que je n’ai pas voulu les écouter.
Luther persista dans sa résolution, et Serra-Longa se vit obligé de retourner vers son chef pour lui annoncer l’écueil qu’avait rencontré sa mission, au moment où il se flattait de la voir couronnée de succès.
Ainsi se terminèrent les conférences de ce jour avec l’orateur de Montferrat.
Une autre invitation fut adressée à Luther, mais dans une intention bien différente. Le prieur des Carmélites, Jean Frosch, était son ancien ami. Il avait soutenu des thèses, deux ans auparavant, comme licencié en théologie, sous la présidence de Luther. Il vint le voir et le pria instamment de venir demeurer chez lui. Il réclamait l’honneur d’avoir pour hôte le docteur de l’Allemagne. Déjà l’on ne craignait pas de lui rendre hommage en présence de Rome ; déjà le faible était devenu le plus fort. Luther accepta, et se rendit du couvent des Augustins à celui des Carmélites.
Le jour ne se termina pas sans qu’il fit de sérieuses réflexions. L’empressement de Serra-Longa et les craintes des conseillers lui faisaient également comprendre la position difficile dans laquelle il se trouvait. Néanmoins, il avait pour protecteur le Dieu qui est dans le ciel, et, gardé par lui, il pouvait s’endormir sans frayeur.
Le lendemain était un dimanchex : il eut ce jour-là un peu plus de repos. Cependant, il dut endurer un autre genre de fatigue. Il n’était question dans toute la ville que du docteur Luther, et tout le monde désirait voir, comme il l’écrit à Mélanchton, « ce nouvel Érostrate qui avait allumé un si immense incendiey. » On se pressait sur ses pas, et le bon docteur souriait sans doute de ce singulier empressement.
x – 9 octobre.
y – Omnes cupiunt videre hominem, tanti incendii : Herostratum. (L. Epp. T. p. 146.)
Mais il dut subir encore un autre genre d’importunités. Si l’on était désireux de le voir, on l’était encore plus de l’entendre. De tous côtés on lui demandait de prêcher. Luther n’avait pas de plus grande joie que d’annoncer la Parole. Il eût été doux pour lui de prêcher Jésus-Christ dans cette grande ville et dans les circonstances solennelles où il se trouvait. Mais il montra en cette occasion, comme en beaucoup d’autres, un sentiment très juste des convenances et beaucoup de respect pour ses supérieurs. Il refusa de prêcher, dans la crainte que le légat ne pût croire qu’il le faisait pour lui faire de la peine et pour le braver. Cette modération et cette sagesse valaient bien un sermon sans doute.
Cependant les gens du cardinal ne le laissaient pas tranquille. Ils revinrent à la charge. « Le cardinal, lui dirent-ils, vous fait assurer de toute sa grâce et sa faveur : pourquoi craignez-vous ? » Ils s’efforçaient, en lui alléguant mille raisons, de le décider à se rendre auprès de lui. « C’est un père plein de miséricorde, » lui dit l’un de ces envoyés. Mais un autre s’approchant, lui dit à l’oreille : « Ne croyez pas ce qu’on vous dit. Il ne tient pas sa parolez. » Luther demeura ferme dans sa résolution.
z – L. Opp. (L.) XVII, p. 205.
Le lundi matin, 10 octobre, Serra-Longa revint encore à la charge. Le courtisan s’était fait un point d’honneur de réussir dans sa négociation. A peine arrivé : « Pourquoi, dit-il en latin, ne venez-vous pas chez le cardinal ?… Il vous attend plein d’indulgence, il ne s’agit pourtant que de six lettres : Revoca, rétracte. Venez ! vous n’avez rien à craindre. »
Luther pensa en lui-même que c’étaient des lettres importantes que ces six lettres-là ; mais sans entrer en discussion sur le fond de la chose, il répondit : « Dès que j’aurai obtenu le sauf-conduit, je comparaîtrai. »
Serra-Longa s’emporta en entendant ces paroles. Il insista, il fit de nouvelles représentations ; mais il trouva Luther inébranlable. Alors s’irritant toujours plus : « Tu t’imagines sans doute, s’écria-t-il, que l’Électeur prendra les armes en ta faveur, et s’exposera pour toi à perdre les pays qu’il a reçus de ses pères ? »
Luther
Dieu m’en garde !
Serra-Longa
Abandonné de tous, où donc te réfugieras-tu ?
Luther
Élevant en haut le regard de la foi : Sous le ciela.
a – Et ubi manebis ?… Respondi : Sub cœlo. (L. Opp. in præf.)
Serra-Longa
Demeurant un instant silencieux, frappé de cette réponse sublime à laquelle il ne s’attendait pas ; puis continuant ainsi : Que ferais-tu si tu avais en tes mains le légat, le pape et tous les cardinaux, comme maintenant ils t’ont dans les leurs ?
Luther
Je leur rendrais tout respect et tout honneur. Mais la Parole de Dieu passe pour moi avant tout.
Serra-Longa
Riant, et agitant un de ses doigts à la manière italienne : Heim ! heim ! tout honneur !… Je n’en crois rien…
Puis il sortit, sauta en selle et disparut.
Serra-Longa ne revint plus chez Luther ; mais il se rappela longtemps et la résistance qu’il avait trouvée chez le réformateur et celle que son maître dut bientôt éprouver lui-même. Nous le retrouverons plus tard demandant à grands cris le sang de Luther.
Il n’y avait pas longtemps que Serra-Longa avait quitté le docteur, lorsque celui-ci reçut enfin le sauf-conduit qu’il désirait. Ses amis l’avaient obtenu des conseillers de l’Empire. Il est probable que ceux-ci avaient consulté à cet égard l’empereur, qui n’était pas loin d’Augsbourg. Il paraîtrait même, d’après ce que le cardinal dit plus tard, que ne voulant pas l’offenser, on lui demanda son consentement. Peut-être est-ce pour cela que de Vio fit travailler Luther par Serra-Longa ; car s’opposer ouvertement à ce qu’on donnât un sauf-conduit, eût été révéler des intentions qu’on voulait tenir cachées. Il était plus sûr de porter Luther lui-même à se désister de sa demande. Mais on s’aperçut bientôt que le moine saxon n’était pas homme à plier.
Luther va comparaître. En demandant un sauf-conduit, il ne s’est pas appuyé sur un bras charnel ; car il sait fort bien qu’un sauf-conduit impérial n’a pas sauvé Jean Hus des flammes. Il a seulement voulu faire son devoir en se soumettant aux avis des amis de son maître. L’Éternel en décidera. Si Dieu lui redemande sa vie, il est prêt à la donner joyeusement. En ce moment solennel, il éprouve le besoin de s’entretenir encore avec ses amis, surtout avec ce Mélanchton, déjà si cher à son cœur, et il profite de quelques instants de solitude pour lui écrire.
« Comporte-toi en homme, lui dit-il, comme d’ailleurs tu le fais. Enseigne à notre chère jeunesse ce qui est droit et selon Dieu. Pour moi, je vais être immolé pour vous et pour elle, si c’est la volonté du Seigneurb. J’aime mieux mourir, et même, ce qui serait pour moi le plus grand malheur, être privé éternellement de votre douce société, que de rétracter ce que j’ai dû enseigner, et de perdre ainsi, peut-être par ma faute, les excellentes études auxquelles nous nous adonnons maintenant.
b – Ego pro illis et vobis vado immolari… (L. Epp. I, 146.)
L’Italie est plongée, comme autrefois l’Egypte, dans des ténèbres si épaisses qu’on peut les toucher de la main. Personne n’y sait rien de Christ, ni de ce qui se rapporte à lui ; et cependant, ils sont nos seigneurs et nos maîtres pour la foi et pour les mœurs. Ainsi la colère de Dieu s’accomplit sur nous, comme parle le prophète : Je leur donnerai des jeunes gens pour gouverneurs, et des enfants domineront sur eux. Comporte-toi bien selon le Seigneur, mon cher Philippe, et éloigne la colère de Dieu par des prières ferventes et pures. »
Le légat, informé que Luther devait comparaître le lendemain devant lui, réunit les Italiens et les Allemands en qui il avait le plus de confiance, afin de considérer avec eux comment il fallait en agir avec le moine saxon. Les avis furent partagés. Il faut, dit l’un, le contraindre à se rétracter. Il faut le saisir, dit un autre, et le mettre en prison. Un troisième pensa qu’il valait mieux s’en défaire. Un quatrième, qu’on devait essayer de le gagner par la bonté et la douceur. Le cardinal paraît s’être arrêté d’abord à ce dernier avisc.
c – L. Opp. (L.) XVII, p. 183.