Aberdeen, 14 mars 1637
Très honoré Monsieur,
Ce n’est point à l’oubli que j’attribue votre silence. Toutefois, j’ai un Ami qui ne m’oublie pas. Depuis que j’ai été enlevé à la chaire et que je suis en exil et en prison, j’ai appris bien des choses qui étaient auparavant des mystères pour moi. Dans la fournaise de l’épreuve, j’ai connu Celui dont l’amour sans bornes ne me semblait jadis qu’un menteur. Le voile qui couvrait mes yeux était si épais, que je n’étais point assuré de l’existence de Celui qui est la vie même. Mon cœur était dans une si grande agitation, que je me méprenais sur la présence de mon Maître. Ma foi était obscure, mon espérance glacée ; et, bien que mon amour eût quelque trace de bonheur, il n’avait point de flamme ; cependant je ne désespérai pas que quelque bien ne résultât des droits de Christ sur ma personne. Je savais bien que j’avais négligé de les faire valoir, car le tentateur était mon conseiller, attisant toujours au dedans le feu du mal qui me dévorait. Hélas ! je ne connaissais pas alors avec quel talent mon intercesseur, mon avocat, Jésus-Christ, savait faire valoir sa cause, ni avec quelle tendre compassion Il me pardonnerait toutes mes fautes Il s’est approché de mon âme portant la guérison sur ses ailes. Je ne lui dois pas une obole à cette heure, car Il s’est chargé de ma dette. Il m’a attendu, cherché, consolé.
Je crois, en vérité, que mon Seigneur souffre de m’avoir voilé sa face. Et maintenant que me manque-t-il ici-bas ! Christ n’a-t-Il pas comblé de ses biens le prisonnier ? Oh ! qu’Il est bon, qu’Il est aimable… Quelle douleur de ne pouvoir annoncer à personne sa douce présence, et de n’avoir pas ici-bas un cœur digne de servir de trône à mon Seigneur ! On voudrait soumettre mes sentiments à je ne sais quelle mesure, mais, avant d’y accéder, j’attendrai que mon Seigneur m’ait manifesté sa volonté. Je n’ose dire un mot ni pour ni contre ce qui se trame. A quoi servirait-il que des roues brisées voulussent traîner la Providence ? Folie que tout cela, vain regret qui dirige encore mes pensées vers l’accomplissement de mon ministère à Anwoth. J’ai appris à ne plus rien vouloir, à ne point me rebuter contre la tente de Kédar, à ne pas murmurer, parce que je suis éloigné de mes frères, de mes amis. Le monde tourne selon la volonté de Dieu. Ce qu’il veut est toujours bon. Je ne conteste rien ; à quoi me servirait-il de le faire ?
J’ai appris à supporter de plus grandes mortifications sans me plaindre, car voici, mon Seigneur m’entoure de tant de gratuités, que je n’ai rien de plus à désirer. A quoi me servirait d’adorer à genoux la grande idole de ce monde ? Le monde ! Non ! non ! Dieu n’est point un Dieu de bois. Je ne donnerais pas un verre d’eau pour conserver ma vie ; ma vraie demeure n’est pas ici, ce n’est pas ici que se trouve cette maison de mon Père, que j’ai hâte d’habiter. La terre n’est que son marche-pied.
Il est très vrai que la plus grande difficulté est de vivre ici-bas à l’abri de toute tentation. Dès que l’eau cesse de couler, elle se corrompt ; de même la foi a besoin que l’air circule librement autour d’elle, même les orages glacés de l’hiver lui sont utiles. La grâce se flétrit si l’adversité ne l’excite.
Jamais je n’avais aussi bien connu ma faiblesse que depuis que Jésus m’a voilé sa face et que j’ai dû le chercher sept fois le jour. Je sens, en ces moments, que je ne suis qu’un rameau sec, un vieux navire démâté, un os sans vigueur, qui ne soulèverait pas une paille. Mes péchés passés se dressent devant moi comme les appels de la mort.
L’état de mon frère m’a frappé au cœur. Quand mes blessures se cicatrisent, un léger coup suffit pour les faire saigner de nouveau ; mon âme est si sensible, qu’il faut peu de chose pour l’émouvoir. Jugez, d’après cela, combien je serais malheureux si la grâce ne me suffisait pas.
Malheur à moi à cause de l’état de mon pays, malheur à moi à cause des malheurs qui vont fondre sur ses enfants illégitimes. Le décret est passé, les femmes vont s’écrier : « Heureuses les stériles, les femmes qui n’ont point enfanté » (Luc 23.29). La colère du Seigneur s’est enflammée, et elle ne s’éteindra que lorsqu’Il aura accompli ses projets contre l’Ecosse.
La bénédiction du prisonnier est sur vous.