Dans les villes et les campagnes, de tous côtés, de nombreux pécheurs, hommes et femmes, venaient au Sauveur pour avoir la paix. C'était une grande joie pour Farel au milieu de ses difficultés. Outre l'opposition des catholiques, il avait encore à supporter bien des choses qui venaient de la chair et non de l'Esprit, même parmi les défenseurs de la cause de l'Évangile. Les auteurs catholiques font de tristes récits des violences commises par les réformés, mais il ne faut pas oublier que ces écrivains pensaient ne point faire mal en mentant dans le but de servir les intérêts de l'Église. Ils appelaient cela une « fraude pieuse ». Farel nous dit que dans plusieurs endroits les images furent brisées en secret par les prêtres eux-mêmes, soit pour exciter les papistes contre les réformés, soit pour gagner de l'argent en vendant les débris des images aux dévots comme reliques. « Mais, dit encore Farel, il y a aussi des gens qui brisèrent les images par orgueil et par méchanceté. »
Puis bien des gens entraient dans le courant des idées nouvelles parce qu'ils détestaient les prêtres, ou simplement par amour pour la nouveauté. Il y avait aussi des personnes qui subissaient l'influence de leurs parents et de leurs amis, mais dont la conscience n'avait jamais été réveillée.
Il n'est donc pas surprenant si, dans les rangs d'un parti composé d'éléments aussi divers, il s'est produit des violences regrettables vis-à-vis des catholiques. Les usages du temps les excusaient, et l'on était habitué à une rudesse de langage et de procédés qu'on ne connaît plus à notre époque. Farel lui-même emploie des expressions qui choqueraient maintenant, et peut-être n'a-t-il pas toujours montré la prudence du serpent unie à la douceur de la colombe.
De nos jours, on tombe dans l'excès contraire ; on trouve que l'épée de l'Esprit est trop tranchante, et comme les chiens de berger dont parle la fable, les pasteurs du troupeau font souvent alliance avec les loups, au grand détriment des brebis.
Mais il est impossible que l'orgueil, l'égoïsme, l'impatience de l'homme ne se manifestent pas dans toutes les œuvres auxquelles il se trouve mêlé ; nous rencontrons encore de nos jours ces misères chez les enfants de Dieu. Il ne faut pas que cela nous décourage, et nous ne devons pas juger de la cause par ceux qui la défendent, mais par la Parole de Dieu. Si la cause est de Dieu, il faut la soutenir quels que soient les manquements de nos compagnons d'armes et peut-être aussi les nôtres.
Il est impossible de donner ici une liste de tous les endroits où Farel prêcha dans la Suisse occidentale, et où son ministère fut béni. De tous côtés on réclamait des prédicateurs et l'on se réunissait pour la Cène sans autres formes que celles du Nouveau Testament. Dans ces petites réunions, tout se passait avec simplicité et sans les rites formalistes auxquels le monde attache tant de prix.
Dans le cours de cette année, nous voyons Farel deux fois emprisonné, continuellement insulté, attaqué, maltraité : L'évêque de Lausanne suscitait des émeutes, Berne les apaisait. « Je loue Dieu et Notre-Dame, écrivait l'évêque aux habitants d'Avenches à l'occasion d'un de ces tumultes, de ce que vous vous êtes montrés vertueux, bons et vrais chrétiens catholiques. Je vous en sais bon gré, et je vous prie et vous exhorte paternellement et affectueusement à vouloir bien continuer et persévérer, vous obtiendrez ainsi la grâce de Dieu, le bien de vos âmes et de vos corps, et à la fin la gloire du paradis. »
Peu après cela, Wildermuth écrivait à Berne « Sachez que maître Guillaume Farel a subi aujourd'hui dimanche à Payerne un si grand outrage que j'ai eu pitié de lui. Plût à Dieu que j'eusse eu vingt Bernois avec moi ! avec l'aide de Dieu nous n'aurions pas laissé arriver ce qui est arrivé. Car on a fermé à Farel les deux églises, de sorte qu'il a dû prêcher en plein air sur le cimetière. C'est alors qu'est survenu le banneret et le secrétaire de la ville, auquel je l'avais recommandé. Le banneret l'a fait prisonnier, mais pouvait-il faire autrement, car les gens qui voulaient jeter Farel à l'eau, menaçaient de lui en faire autant ».
En octobre, les gens de Grandson avaient demandé qu'on en appelât à Berne pour avoir la messe et l'Évangile en même temps. « Il leur fut répondu, dit Farel, que Messieurs de Berne ne voulaient pas des prêcheurs qui chantent la messe, mais qui prêchent purement et fidèlement l'Évangile, car la messe et l'Évangile sont comme le feu et l'eau... Et après cela on n'a jamais cessé de faire du trouble pendant le sermon, tant dedans l'église, comme dehors. On sonnait les cloches, on criait, on hurlait, on frappait aux portes en se moquant de ceux qui prêchaient et de ceux qui allaient les entendre. Les uns venaient mettre de grandes croix sous le nez du prédicateur, les autres faisaient la moue à la porte. Les prédicateurs recevaient des coups, des menaces, des injures... et en tout se sont montrées la patience et la tolérance de ceux qui aimaient la Parole de notre Seigneur. Car vraiment personne n'eût pu supporter les injures et outrages que faisaient les adversaires aux amis de la vérité. »
C'est à cette époque qu'un réformé, qui venait d'arriver à Grandson, écrivait le lendemain : « Les prédicants ont le visage aussi déchiré que s'ils s'étaient battus avec des chats, et l'on a sonné contre eux le tocsin comme pour une chasse aux loups. »
Quelques semaines plus tard, Masuyer, ministre de Concise, écrivait à Berne : « Le curé de Concise lisant dans une Bible chez un hôte nommé Pilloue..., l'une des filles de céans lui dit : Déclarez-nous quelque chose de ce livre, et il répondit : Ce n est pas à vous de savoir les affaires de Dieu, et elle dit : Aussi bien que vous, car je suis chrétienne et fille de notre Seigneur aussi bien que vous. Alors le curé se lève, la voulant frapper et lui dit : Si tu étais ma sœur, je te frapperais jusqu'à te faire baiser le plancher. Mais la fille prit une chaise pour se défendre et il n'osa la toucher. » Telles étaient les scènes au milieu desquelles les serviteurs du Seigneur prêchaient journellement.