Le vrai, le propre nom de Dieu dans l’A. T. c’est le tétragramme יהוה (voyez déjà Lévitique 24.11 ; Deutéronome 28.58) c’est là, disent les Juifs, « le nom » par excellence, « le grand nom », « le nom unique », ou enfin « le nom hamphorasch, שם המפרש », expression obscure, sur laquelle Luther a écrit tout un livre, mais qu’on n’est pas encore certain d’avoir bien comprise. Cela veut-il dire le nom de Dieu distinctement prononcé, comme le pense Munk, qui s’appuie pour cela sur l’emploi du mot parasch chez Onkélos et Ibn Esdras dans leur commentaire sur Lévitique 24.11h ? L’explication ordinaire est-elle la bonne, qui traduit le mot de Hamphorasch par Explicitum, c’est-à-dire le nom qui est remplacé par d’autres noms de Dieui, ou bien le nom qui désigne le mieux l’essence de Dieu ? Ou bien encore cela veut-il dire le nom séparé ? Mais séparé de quoi ? De la connaissance des hommes, ou bien des autres noms, dans ce sens que les autres noms de Dieu expriment des perfections divines qui ont des analogies chez d’autres êtres, tandis que ce nom-là exprime l’essence elle-même de Dieu ? Voilà bien des interprétations. Choisissez.
h – Munk : Le guide des égarés par Mosc ben Maïmun. Paris 1856.
i – Buxtorff.
Pour en revenir au mot יהוה, il a, dans le texte massorétique de l’A. T., en vertu d’un Keri perpétuel, les points voyelles du nom d’Adonaïj. Là où le mot d’Adonaï figure déjà dans la phrase, comme par exemple Ésaïe 22.12, 14, les voyelles de Elohim sont substituées à celles de Adonaïk.
j – Le chateph-patach d’Adonaï est remplacé dans Jéhovah par un scheva simple. Mais ce n’est là qu’une abréviation insignifiante.
k – Tel n’est pas le cas lorsque Adonaï et Jéhovah, tout en étant voisins, appartiennent pourtant à deux phrases différentes ; ainsi Psaumes 16.2.
Chacun sait que les Juifs n’osent pas prononcer le nom de Jéhovah ; ils prétendent que Lévitique 24.16, le leur défend positivement. Et en effet, au lieu de lire : « Celui qui aura blasphémé le nom de l’Éternel sera puni de mort », ils lisent : « Celui qui aura prononcé le nom de l’Éternel ». Les Septante avaient déjà commis cette erreur. Nous disons cette erreur, car si même נקב, dont le sens primitif est « percer », peut arriver à avoir le sens de « prononcer », comme le pense Hengstenberg, il est pourtant beaucoup plus naturel, d’après le contexte (voyez surtout 11 et 15), de lui laisser le sens de lacérer, maudire.
[La Mischna renferme sur ce sujet des données assez divergentes. Ici nous lisons (Berachoth, 9, 5), à propos du Ruth 2.4, et de Juges 2.16, que dans les salutations il est permis de prononcer le nom de Dieu ; ce qui paraît dirigé contre les disciples de Dosithée, ce magicien de Samarie qui avait prohibé d’une manière absolue l’emploi du nom de Dieu, tandis que les Samaritains s’en servaient du moins pour prêter serment. Là (Sanhédrin 10, 1), il est dit positivement que parmi ceux qui n’auront aucune part au monde à venir, se trouvent les téméraires qui prononcent le Nom. Plus loin (Thamide 7, 2), il est rapporté que les prêtres prononçaient le Nom quand ils se trouvaient dans le sanctuaire, mais que partout ailleurs ils s’en abstenaient soigneusement.]
Les Juifs prétendent que, depuis la destruction du temple, on a complètement perdu le secret de la vraie prononciation de ce nom. Mais cela ne pouvait satisfaire les théologiens chrétiens, et depuis le xvie siècle on s’habitua peu à peu à unir aux quatre consonnes sacrées les voyelles d’Adonaï, ce qui, avec quelques modifications insignifiantes en hébreu, donne le mot de Jehovah.
[Il paraît que c’est Pierre Galatin, un ami de Reuchlin, qui a fait prévaloir cette prononciation. Cependant Reuchlin lui-même ne l’admet pas encore, ou du moins il ne s’en sert pas. tandis que Luther en fait constamment usage.]
Plusieurs théologiens modernes admettent cette manière de voir, ainsi Meyer, Stier et surtout Hofemannl. Le mot de Jehovah, d’après eux, serait composé, formation assurément des plus elliptiques, de trois temps du verbe être. Je serait mis pour Jehi, je serai ; ho pour hové, je suis ; et va pour hava, j’étais. On cite à l’appui de cette thèse le nom du Seigneur, Apocalypse 1.4 ; 4.8 : « Celui qui est, qui était et qui vient. » Mais, outre que les temps ne se succéderaient pas dans le même ordre, celui qui vient n’est pas synonyme de celui qui sera. Aussi voyons-nous dans l’Apocalypse que, dès que la venue du Seigneur est considérée comme accomplie, il ne s’appelle plus que : Celui qui est et qui étaitm. Puis la forme abrégée de Jaou, qui se trouve à la fin de beaucoup de noms propres comme Eliau (Elie), Iremeiaou (Jérémie), ne s’explique guère si l’on admet la prononciation Jehovah. On en a appelé au latin Jupiter, Jovis ; mais on a oublié que la forme complète de ce nom est Diospiter, Diovis.
l – Dans le journal des Etudes bibliques de 1859.
m – Voyez Apocalypse 11.17, d’après la meilleure leçon, et Apocalypse 16.5.
Prenons, pour nous diriger dans nos recherches, le fameux passage Exode 3.13-15. Quand Moïse demande quel est le nom du Dieu qui l’envoie, il lui est répondu : « Je suis celui qui suis : Ehjeh ascher Ehjeh. Tu diras aux enfants d’Israël : Ehjeh m’a envoyé vers vous. » Quand après cela le v. 15 poursuit en disant : Tu parleras ainsi : יהוה, le Dieu de vos pères, m’a envoyé vers vous, — il est clair que le mot יהוה doit être considéré comme un nom formé de la 3e personne de l’imparfait du verbe Hava, forme ancienne de Haia, être. Alors, de deux choses l’une : il faut lire ou bien Jahvé, ce qui me paraît le plus probable, ou bien Jahva, ce qui se pourrait aussi. Mais je préfère la prononciation qui rattache ce nom à l’imparfait du verbe être, car cette formation-là est très fréquente en hébreu, surtout pour des noms propres (Jacob, Israël). Conformément à la signification de l’imparfait, les noms qui en proviennent désignent une personne d’après une manière d’être qui lui est propre et qu’on peut remarquer continuellement en elle. C’est quelque chose d’analogue à la terminaison tor qui se trouve en latin dans tant de substantifs, et qui n’est certainement, pas sans rapport avec la terminaison turus du participe futur actif.
Nous prononçons donc Jahvé. Les syllabes Jaou, dont nous parlions plus haut et qui terminent un grand nombre de noms propres, sont une abréviation très naturelle de Jahvé ; et Jaou à son tour donne par une nouvelle contraction Joho ou Jo. Encore une simplification, et nous avons יה, cette forme la plus abrégée de toutes, qui apparaît pour la première fois dans le cantique de Moïse (Exode 15.2), puis très souvent dans les Psaumes : הל.ֻלו יה (Alléluia) Louez l’Éternel !
Quant à la tradition, son témoignage n’est point décisif. Théodoret dit bien que les Samaritains prononçaient Jabé, mais il ajoute que les Juifs prononçaient Aia. Epiphane parle aussi de Jabé, mais Origène de Jaôia. Diodore attribue aux Juifs la prononciation Jaô ; Sanchoniaton, cité par Eusèbe, Yeuô ; Clément d’Alexandrie, Jaou ; Jérôme, Jaho. Impossible de rien conclure de tout cela.
[Lors même que nous nous sommes décidé pour Jahvé, nous nous servirons du nom de Jéhovah, qui est consacré par l’usage. N’y aurait-il pas de l’affectation à vouloir par exemple remplacer le nom du Jourdain par celui de Jardèn, qui serait pourtant plus exact ?]