Où l’on continue de répondre aux objections de nos adversaires.
Nos adversaires prennent une semblable objection de 1 Corinthiens 8.6, où l’Apôtre parle en ces mots : Ainsi donc, pour ce qui est de manger des choses sacrifiées aux idoles, nous savons que l’idole n’est rien au monde, et qu’il n’y a aucun autre Dieu qu’un seul. Car bien qu’il y en ait qui soient appelés dieux, soit au ciel, soit en terre (comme il y a plusieurs dieux et plusieurs seigneurs), toutefois nous n’avons qu’un seul Dieu père duquel sont toutes choses, et nous par lui ; et un seul Seigneur Jésus-Christ, par lequel sont toutes choses, et nous par lui, etc.
Voici l’argument qu’en tire Crellius : Le second témoignage que nous produirons pour prouver notre sentiment touchant l’unité de la divinité du Père, sera ce célèbre passage de St-Paul, où il nous explique ce que c’est qu’un seul Dieu, lorsqu’il dit : Nous avons un seul Dieu père, duquel sont toutes choses, et nous par lui. Que pouvait-on dire de plus clair pour montrer qu’il n’y a point d’autre qui soit cet unique Dieu, que le Père de notre Seigneur Jésus-Christ ? En effet, St-Paul expliquant qui est cet unique Dieu, dit simplement que c’est le Père, et il ne dit pas que c’est le Fils et le Saint-Esprit. Or, il n’y avait aucune raison que saint Paul, devant expliquer qui est ce seul Dieu, fit seulement mention du Père, en omettant les autres personnes, s’il est vrai que ce seul Dieu n’est pas seulement le Père, mais encore le Fils et le Saint-Esprit, puisque ces deux dernières personnes étaient aussi propres à faire connaître quel est cet unique Dieu, que celle du Père, et qu’ainsi elles n’ont point dû être passées sous silence.
Il est bon de faire d’abord quelques réflexions, qui seront autant de réponses générales à cette difficulté. La première est que, si l’on considère bien, exactement ce passage, comme plusieurs autres qui lui sont parallèles, on trouvera que le nom de Père et celui de Dieu ne signifie pas une seule personne de la divinité, mais cette essence, cette divinité qui est commune à toutes les personnes. C’est ce que les théologiens entendent lorsqu’ils disent en leur langage que Dieu se prend là ὀυσιοδῶςa. Dieu donc, cet Être éternel, invisible, incorruptible, immense, tout-puissant, qui n’est ni le Père seul, ni le Fils seul, ni le Saint-Esprit seul, mais qui comprend le Père, le Fils et le Saint-Esprit, est nommé Père dans un sens vague et général, parce qu’il est le principe duquel sont toutes choses, et nous par lui. Il est appelé Père dans cet endroit dans le même sens qu’il est nommé ailleurs le Père des lumières, duquel descend toute bonne donation et tout don excellent ; ou dans le même sens qu’il est dit aux Ephésiens, ch. 4 : Il y a un seul Dieu qui est le Père de tous, etc. L’attribut de Père est là un attribut général, qui marque que Dieu est le principe de toutes choses. C’est un attribut semblable à ceux de Créateur, de Rédempteur, de Sauveur, qui conviennent au Père, au Fils et au Saint-Esprit, parce qu’ils sont attachés à l’essence qui est commune aux trois personnes. Crellius dispute en vain pour montrer que Jésus-Christ et le Saint-Esprit ne sont jamais appelés du nom de Père dans l’Écriture ; il se trompe dans le principe et dans la conclusion. Il se trompe dans le principe : Jésus-Christ est appelé le Père du siècle ou de l’éternité, dans l’oracle d’Esaïe, comme Crellius le reconnaît lui-même. Cette expression nous montre que Jésus-Christ peut être appelé aussi le Père de toutes choses ; car, comme Jésus-Christ est le Père du siècle parce qu’il a fait les siècles, suivant la doctrine du Saint-Esprit rien n’empêche aussi de dire que Jésus-Christ est le Père de toutes choses, puisque toutes choses ont été faites par Jésus-Christ. Car par lui toutes choses ont été faites, et sans lui rien de ce qui a été fait n’a été fait. On me dira que Jésus-Christ est bien nommé Père du siècle, mais qu’il n’est pas nommé simplement le Père. Je réponds, premièrement, qu’aussi Dieu n’est pas nommé, dans le passage que nous examinons, simplement le Père, mais bien le Père duquel sont toutes choses, etc. Je demande d’ailleurs pourquoi ce titre n’est pas donné à Jésus-Christ. Est-ce parce qu’il est trop grand, et que par cette raison il doit être propre au Dieu souverain ? Ou est-ce parce qu’il est trop bas, et que pour cela il doit être propre à la créature ? Si c’est le dernier, comment le Dieu souverain se nomme-t-il notre Père ? Et si c’est le premier, comment saint Paul, qui n’est qu’une créature, ose-t-il s’appeler de ce nom ? Car, dit-il, quand vous auriez plusieurs pédagogues en Jésus- Christ, toutefois vous n’avez point plusieurs pères. Si Jésus-Christ n’est pas notre Père, comment est-il dit de Jésus-Christ que quand il aura mis son âme en oblation pour le péché, il se verra de la postérité ? etc. Et comment peut-il dire à Dieu : Me voici et les enfants que tu m’as donnés, selon l’application que lui l’ait de cet oracle l’auteur de l’épître aux Hébreux ? Comment Jésus-Christ nous donne-t-il une seconde naissance ? Comment nous régénère-t-il, nous crée-t-il ? Comment est-il notre second Adam ? Comment est-il appelé notre résurrection et notre vie ? Mais, encore un coup, il n’est pas nécessaire que nous nous arrêtions à cette considération ; l’attribut de Père peut se prendre en deux manières : ou il est seul, ou il est joint à d’autres adjectifs qui le limitent. Nous consentons que, lorsqu’il est seul, il signifie cette personne de la Divinité, qui est distincte du Fils ; mais ici l’attribut de Père est certainement limité. Dans ce passage il ne faut pas dire : nous avons un seul Dieu le Père, et s’arrêter là ; mais, nous avons un seul Dieu le Père, duquel sont toutes choses. Si l’apôtre eût dit : il y a un seul Dieu, le principe duquel sont toutes choses, nos adversaires ne trouveraient rien dans les paroles de cet apôtre qui leur fût favorable ; et quand nous ne pourrions point trouver dans l’Écriture une pareille épithète donnée à Jésus-Christ ou au Saint-Esprit, cela ne nous embarrasserait pas beaucoup, et ne nous empêcherait pas de convenir que tous les sujets auxquels le titre de Dieu convient, peuvent aussi être appelés le principe duquel sont toutes choses. Or, il est vrai que le Père duquel sont toutes choses, et le principe duquel sont toutes choses, sont des expressions équivalentes, et par conséquent ils ne peuvent pas tirer plus d’avantage de l’une de ces expressions que de l’autre.
a – Substantiellement. (ThéoTEX)
La seconde réponse générale que nous pouvons faire à cette objection, est qu’encore le Père, le Fils et le Saint-Esprit participent à une même essence, ce qui est évident de ce que l’Écriture leur attribue la même gloire et les mêmes perfections, trois personnes de la très sainte et très glorieuse Trinité paraissent dans l’ouvrage de notre salut sous une forme toute différente. Le Père ordonne, le Fils exécute, le Saint-Esprit applique. Le Père qui envoie son Fils, qui traite l’alliance, est proprement celui qui soutient la personne et le caractère de Dieu, et c’est la raison pour laquelle il est appelé plus souvent Dieu que les autres personnes. Le Fils paraît comme médiateur, tenant la place des hommes, et revêtus des droits de la Divinité. Le Saint-Esprit tient la place de Dieu et de Jésus-Christ, et supplée à l’absence de ce dernier. Il ne faudrait donc pas s’étonner que le nom de Dieu, qui est commun à toutes les personnes de la très sainte et très glorieuse Trinité, fût attribué au Père, qui soutient ce caractère d’une façon toute particulière dans le grand ouvrage de notre salut.
Il faut ajouter, en troisième lieu, que le pronom seul qui limite le nom de Dieu en cet endroit, n’est point pris dans cette grande rigueur que pressent nos adversaires. Je veux dire que ce pronom exclut bien les autres choses dont il a été parlé, et auxquelles il a été fait allusion dans les versets précédents, mais non pas tous les autres sujets en général. Ce que j’avance se prouve par plusieurs exemples différents. Lorsque Jésus-Christ dit à ses disciples, en saint Jean : Vous me laisserez seul le pronom seul exclut bien les hommes, dont il était question mais il n’exclut point Dieu. Ce qui le marque, c’est que Jésus-Christ ajoute immédiatement après : mais je ne suis point seul car le Père est avec moi. Lorsqu’il est dit : Il n’y a point de salut en aucun autre qu’en lui, cette expression exclut bien les hommes, mais elle n’exclut pas le Père. Lorsqu’il est dit qu’il y a un seul docteur, à savoir, Jésus-Christ, ce terme seul, exclut les autres hommes de l’excellence de ce titre, mais non pas Dieu ; car il a été dit par les prophètes, ils seront tous enseignés de Dieu. Il est dit des pains de proposition, qu’il n’était permis à personne de les manger, mais aux sacrificateurs seuls ; le pronom seul exclut ceux qui étaient d’une autre famille, mais non pas les enfants des sacrificateurs. Lorsque il est dit que nous sommes justifiés par la foi seule, on prétend exclure les œuvres, mais non pas Dieu, Jésus-Christ, la miséricorde divine, le sacrifice de la croix, qui nous justifient chacun a sa manière. Lorsque Dieu dit par la bouche d’Esaïe : Je suis le Seigneur, et il n’y a point de Sauveur si ce n’est moi, etc. Le prophète n’a sans doute point voulu exclure Jésus-Christ, qui porte le nom de notre Sauveur dans l’Écriture, et duquel il avait été dit par le prophète qu’il serait appelé le Dieu et le Sauveur de toute la terre. Le même prophète parlant du dernier jour, dit que Dieu seul sera exalté en ce jour-là ; et comme nos adversaires eux-mêmes ne nient pas que Jésus-Christ ne doive venir juger les vivants et les morts, ils ne peuvent disconvenir aussi que Jésus-Christ ne doive avoir part à cette exaltation ; et ils doivent reconnaître que le pronom seul n’exclut que les idoles ou les créatures en général, qui est l’objet que le prophète avait dans l’esprit.
Que si nous voulions nous étendre à prouver que le pronom seul n’exclut que selon la matière et les circonstances du texte, et que je voulusse le justifier par des exemples, je n’aurai jamais fini. Un homme aurait bonne grâce, qui, lisant ces paroles de Jacob : Mon fils Benjamin ne descendra point avec vous ; car son frère est mort, et celui-ci m’est seul resté, en conclurait que Benjamin était le fils unique de Jacob, et que Juda et ses frères n’étaient point les enfants de ce Patriarche. Et lorsque l’évangéliste, après avoir fait l’histoire de la transfiguration de Jésus-Christ, et avoir représenté ce divin Sauveur s’entretenant avec Moïse et Elie, dit qu’il se fit une voix dans le ciel, disant : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, etc. et que lorsque cette voix eut été entendue, Jésus-Christ fut trouvé tout seul, pourrait-on prouver que Jésus-Christ était seul en toutes manières, et que ses disciples n’étaient point avec lui ? Marthe dit à Jésus-Christ : Seigneur, ne te soucies-tu point de ce que ma sœur m’a laissée seule à la maison pour servir, conclurait-on de là qu’il n’y avait dans la maison ni serviteurs ni servantes ?
Ce langage n’est point propre au Saint-Esprit. Les hommes parlent et ont toujours parlé de la même manière. Cette proposition, le seul Auguste a achevé la ruine de la maison de Pompée, n’exclut point ni Agrippa ni les autres lieutenants d’Auguste.
C’est donc une maxime très certaine que le pronom seul ne doit point être pris dans toute l’étendue et dans toute la force dont sa signification naturelle le rend capable ; mais qu’il est limité par les objets dont on parle et par les autres circonstances du discours. Cela étant, je dis que dans le passage que nous examinons le pronom seul qui ajoute à Dieu, peut bien exclure les idoles, les divers sujets qui sont sur la terre et dans le ciel, et même les choses qui ont été honorées du nom de Dieu et de Seigneur, parce que c’est de cela qu’il s’agit en cet endroit ; mais je nie que ce pronom exclue aussi en même temps Jésus-Christ, qui, au contraire, nous est représenté comme participant à un même empire et à une même gloire avec le vrai Dieu.
Nous n’en douterons point si nous ajoutons, en quatrième lieu, que, selon les idées que l’Écriture nous donne sur ce sujet, il y a une si étroite union entre le Père et le Fils, que ce qu’on dit de l’un, on doit aussi l’entendre de l’autre. Jésus-Christ ne se contente point de dire que lui et le Père sont un ; ce qui, à s’arrêter là semblerait pouvoir être expliqué de l’unité de consentement : il nous dit qu’en possédant le Fils on possède le Père : Qui a le Fils a la vie ; qui n’a point le Fils n’a point la vie. Il dit que qui honore le Fils honore le Père. Il nous fait entendre qu’en connaissant l’un on connaît l’autre. Philippe, celui qui m’a vu, il a vu mon Père ; et pourquoi dis-tu montre-moi le Père ? Il nous apprend que tout ce qui est au Père est à lui. L’Écriture leur attribue mêmes perfections, mêmes qualités, mêmes ouvrages, mêmes propriétés, même gloire, etc.
Il résulte de là, en cinquième lieu, que l’écriture attribuant quelque qualité ou quelque perfection au Père seul, ne prétend point exclure le Fils. Nos adversaires eux-mêmes sont obligés d’en demeurer d’accord, et de reconnaître par-là combien est faible leur objection ; car lorsque Jésus-Christ dit qu’il n’y a nul bon si ce n’est Dieu, prétendent-ils exclure Jésus-Christ ? Et n’est-il pas toujours véritable que Jésus-Christ est le débonnaire par excellence ? Et lorsque ce divin Sauveur nous dit : N’appelez aucun sur la terre votre maître, car un seul est votre maître, prétend-il s’exclure lui-même ? Et lorsque Dieu nous est représenté comme étant seul notre Sauveur, faudra-t-il exclure Jésus-Christ ? Ou lorsque Jésus-Christ nous est représenté comme notre seul Sauveur, n’y ayant point de salut en aucun autre, faudra-t-il exclure Dieu ? L’Écriture attribue à Dieu d’être seul sage, seul bon, et d’avoir seul l’immortalité, faudra-t-il dire que le pronom seul exclut tellement tout les autres sujets, que ces titres ne conviennent point à Jésus-Christ ? Et lorsque St-Paul ne se propose de savoir que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié, aura-t-il eu dessein de dire que la connaissance du Père n’est point nécessaire à notre salut ? Et lorsqu’il est dit, nul ne connaît les choses de Dieu si ce n’est l’Esprit de Dieu qui est en lui, aurait-on droit d’en conclure que le Père et le Fils ne connaissent point les choses qui sont de Dieu ?
Après ces réflexions générales, je viens à mon auteur que je veux suivre pas à pas. Saint Paul, dit-il, expliquant qui est ce seul Dieu, dit que c’est le Père, et ne dit point que ce soit le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Tout cela est faux ; ni saint Paul n’explique qui est ce seul Dieu, ni il ne dit que ce seul Dieu est le Père exclusivement au Fils et au Saint-Esprit. Saint Paul n’explique point qui est ce seul vrai Dieu ; ou si l’on appelle cela une explication, c’est une explication incomplète, une description, une explication proportionnée au sujet dont on parle. Il ne s’agissait en aucune façon, en cet endroit, d’expliquer la nature et l’essence du Père de notre Seigneur Jésus-Christ, et de marquer ce que le Père avait de plus élevé et de plus noble que son Fils, mais il s’agissait de décrire ce Dieu qui est opposé aux idoles, et de marquer l’avantage qu’il a, non seulement sur ces idoles, mais encore sur les rois, les magistrats et les anges, qui ont été quelquefois honorés du nom de dieu. C’est ce qui fait que l’Apôtre pense à décrire ce seul Dieu par des caractères qui l’élèvent au-dessus de ces autres sujets ; et se souvenant que les prophètes ont fait cette description des dieux créés : Les dieux qui n’ont point fait le ciel et la terre, seront rasés de dessous les cieux, il fait cette description opposé du vrai Dieu : Il y a un seul Dieu, père de toutes choses, ou bien duquel sont toutes choses, et nous par lui.
En effet, (continue cet auteur), l’Apôtre a voulu expliquer ici qui est ce seul Dieu. Or, je vous prie, celui-là explique-t-il bien une chose, qui passe sous silence plus de choses capables de la faire connaître qu’il n’en exprime, et qui, au lieu de parler de trois personnes, ne fait mention que d’une seule, comme serait l’Apôtre en cet endroit ? Lequel je vous prie, de nos adversaires, voulant expliquer qui est ce seul Dieu, fait seulement mention du Père et dit qu’il y a un seul Dieu ; qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, et qui ne dise plutôt qu’il y a un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit ?
Mais il est faux que l’Apôtre ait voulu expliquer à fond qui est ce seul Dieu ; il l’a voulu faire connaître autant que cela importait pour son sujet, en lui donnant un caractère qui l’élève au-dessus des seigneuries et des divinités créées, et l’appelant le Père, duquel sont toutes choses, et nous par lui. Il n’est pas nécessaire que toutes les fois qu’on parle de quelque chose on entreprenne de l’expliquer ; mais il l’est encore moins que toutes les fois que par quelque épithète on décrit en passant une chose, on l’explique à fond. L’Apôtre déclare en quelque endroit qu’il se ne propose de savoir que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ; dira-t-on que ce discours est absurde parce que l’Apôtre, entreprenant d’expliquer la connaissance du salut, passe plus de choses sous silence qu’il n’en exprime, ne faisant aucune mention de Dieu le Père, quoique Jésus-Christ déclare que c’est ici la vie éternelle, de connaître ce seul vrai Dieu, etc., et ne parlant ni du Saint-Esprit, ni de la vie éternelle, etc., ni des autres objets que l’Écriture propose à notre foi ? il est rapporté Actes 16.27, que le geôlier qui avait gardé Paul et Silas, ayant été frappé d’étonnement parce que l’ange du Seigneur avait opéré en leur faveur, les ayant menés dehors, et leur ayant dit : Seigneurs, que me faut-il faire pour être sauvé ? Ils lui dirent : Crois au Seigneur Jésus-Christ, et tu seras sauvé toi et ta maison. Dira-t-on que ces apôtres ont mal parlé dans cette occasion ? Il s’agissait de répondre à ce geôlier qui voulait savoir ce qu’il fallait faire pour être sauvé. Il était plus nécessaire de s’expliquer entièrement et parfaitement dans cette occasion, que dans celle dont il s’agit ici ; cependant, dans cette occasion qui semble demander que l’Apôtre s’explique tout à fait, l’Apôtre ne s’explique qu’à demi. Il ne lui dit point qu’il doit croire en Dieu et au Saint-Esprit, quoique cela fût indispensablement nécessaire, puisqu’il devait être baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il ne lui dit point qu’il est nécessaire qu’il se repente, bien que la repentance ne soit pas moins nécessaire que la foi. Il ne faut pas douter que Paul et Silas n’aient expliqué toutes ces choses à ce geôlier ; mais on ne doit pas douter aussi que Jésus-Christ n’ait expliqué le mystère de l’incarnation, du moins selon la mesure qui était proportionnée et convenable à l’état où se trouvaient alors ses disciples, et que les disciples ne l’aient aussi expliqué selon la portée des chrétiens de leur temps. L’eunuque de la reine Candace décrit ainsi la foi qu’il a au Seigneur : Je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. Sa foi n’avait-elle que ce seul objet ? Et peut-on dire qu’un homme explique bien une chose, qui tait plus de choses capables de la faire connaître qu’il n’en exprime ? Il n’est ni nécessaire ni possible de tout dire sur toutes sortes de sujets, et il ne faut connaître ni le langage divin, ni le langage humain, pour s’imaginer que les explications qu’on donne d’une chose par quelque adjectif ou par quelque épithète, doivent être des définitions exactes d’une exactitude de dialectique, et qu’elles doivent épuiser leur objet. Les philosophes parlent ainsi, mais les autres hommes parlent d’une manière toute différente. Il est vrai que, depuis que nous disputons sur ces grandes matières, nous aimons à parler avec une précaution qui ne serait pas nécessaire si jamais ces questions n’avaient été agitées, et que nous disons volontiers, le plus souvent qu’il nous est possible, un seul Dieu, Père, Fils, et Saint-Esprit. Mais combien de fois nous exprimons-nous autrement ! Et en combien d’occasions rendons-nous grâce à Dieu seul, auteur de notre être et de notre salut, par Jésus-Christ son Fils, qui est notre divin médiateur ! Ce qui est parler à peu près comme parle notre Apôtre.
Qui est-ce d’entre eux (ajoute Crellius) qui manquera à dire que c’est le Père, le Fils et le Saint-Esprit ? En effet, il faut qu’il parle ainsi s’il veut parler conséquemment à ses principes ; et d’autant plutôt l’Apôtre devait-il parler de cette manière, s’il eût été du sentiment de nos adversaires, qu’il devait prendre garde de ne pas donner lieu à cette erreur si grave et si pernicieuse, comme ils estiment, qui consisterait à croire que Dieu est un seul, aussi bien en personne qu’en essence ; et qu’il n’y a que le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ qui soit Dieu.
Pour parler conséquemment à ses principes, il n’est pas nécessaire qu’un homme explique toujours ses principes à fond ; et quoique nous soyons bien persuadés du mystère de la Trinité, nous pouvons bien parler du Père sans faire mention du Fils, et du Fils sans faire mention du Père, et du Saint-Esprit sans faire mention du Père et du Fils ; et il n’est pas nécessaire que chaque mot que nous prononçons soit une explication de ce grand mystère. Il n’a pas été nécessaire aussi qu’à chaque parole que les apôtres ont prononcée, ils aient appréhendé de donner occasion à quelque grande hérésie. Comme les erreurs, et même les erreurs graves et mortelles qui sont possibles, sont infinies, ils n’auraient jamais parlé s’il avait fallu qu’ils les prévinssent toute. Mais j’admire ici l’aveuglement de nos adversaires, qui, voulant argumenter contre nous, nous fournissent un argument invincible contre eux-mêmes. Ont-ils bien pensé à ce qu’ils avancent dans cette occasion ? N’ont-ils pas vu que nous pouvions les combattre et les défaire par leurs propres armes ? Quoi ! si les apôtres ont dû s’empêcher de donner occasion à des erreurs dangereuses et mortelles, n’ont-ils pas dû éviter de tenir un langage qui, par ses impressions les plus naturelles, engage les hommes au blasphème et à l’impiété ? Peuvent-ils, sans avoir abandonné tout le soin qu’ils doivent avoir du salut des hommes et de la gloire de Dieu, peuvent-ils appliquer à Jésus-Christ les caractères de la gloire la plus essentielle, la plus propre et la plus incommunicable de la Divinité ? Peuvent-ils lui appliquer des oracles qui manifestement ne parlent que du Dieu souverain ? Peuvent-ils dire que Jésus-Christ est Dieu, qu’il est avant toutes choses, qu’il a créé toutes choses, qu’il en est la fin et le principe, qu’il est égal à Dieu, que tout genou doit se ployer devant lui, que toute langue doit lui donner gloire, qu’il est le prince de la paix, le Père des siècles, etc. Et dans tous ces passages qu’on emploie contre nous, les apôtres ont-ils pu associer Jésus-Christ avec son Père, comme un égal avec son égal ? Peuvent-ils dire que la vie éternelle consiste à connaître le Père, et à connaître Jésus-Christ ; et maintenant, opposant ce dernier aux faux dieux et aux dieux subalternes, comme aux autres seigneurs, déclarer qu’il y a un seul Dieu qui est le Père, duquel sont toutes choses, et nous par lui ; et un seul Seigneur, par lequel tant Joutes choses, et nous par lui, comme si Jésus-Christ allait de pair avec son Père ? Y a-t-il rien de plus scandaleux ni de plus impie que cette familiarité avec laquelle Jésus-Christ traite le Dieu souverain, s’il est vrai qu’il ne soit qu’une simple créature ? Cela est admirable. Il semble que le Saint-Esprit n’a dû avoir soin que du salut de nos adversaires. Il a dû éviter de les engager dans une erreur dangereuse. Eh quoi ! n’a-t-il point dû aussi éviter de nous donner occasion d’impiété et de blasphème ? Certainement rien n’est si précieux, rien n’est si incommunicable que la gloire de Dieu ; rien n’a dû par conséquent être évité avec tant de soin que de donner occasion aux Chrétiens de dépouiller le Dieu souverain de sa gloire pour la donner à un autre.
D’où il paraît aussi (c’est Crellius qui parle), que ce que quelques-uns répondent n’est rien ; lorsqu’ils disent que saint Paul a dit que ce seul Dieu est le Père par attribution ou par appropriation, comme ils parlent. Car de cette manière il n’aurait point instruit le vulgaire des Chrétiens, mais plutôt il l’aurait jeté dans une erreur très pernicieuse. En effet, le peuple ne connaît point en quoi consiste cette attribution qu’on établit ici, puisque plusieurs d’entre les doctes n’en ont pas seulement ouï parler, etc.
Le nom d’attribution est peut-être inconnu, mais la chose est très connue ; et c’est de la chose qu’il s’agit principalement. On en peut donner une infinité d’exemples. L’attribution consiste à donner à un seul un nom qui convient à plusieurs autres. Ainsi le nom du Seigneur convenant au Père et au Fils, c’est une attribution que de le donner à Jésus-Christ seul ; et le nom de Dieu convenant aussi à l’un et à l’autre, c’est une attribution toute semblable que de le donner au Père seul. On doit dire la même chose du titre de Sauveur ou Rédempteur. Ce titre est commun à Dieu le Père et à Jésus-Christ son Fils. Lorsqu’on le donne à Jésus-Christ seul, et qu’il est dit, par exemple, qu’il n’y a point d’autre nom- sous le ciel, par lequel il nom faille être sauvés, cela s’appelle une attribution ou une appropriation d’un nom commun au Père et au Fils, donné au Fils seulement. Dira-t-on que l’Écriture n’a point connu l’amour d’appréciation et l’amour d’intention, parce que ces termes, qui sont de l’école, ne se trouvent point dans l’Écriture ? Il est vrai que les noms n’y sont pas, mais la chose y est. L’amour d’intention consiste à aimer Dieu de tout son cœur, de toutes ses forces, etc. L’amour d’appréciation, à quitter maisons, parents, biens, etc., pour l’amour de Dieu. Il en est de même du sujet dont il s’agit ici. Car ou l’auteur qui nous fait l’objection a entendu simplement que le terme d’attribution est étranger au vulgaire des Chrétiens, ou il a cru que la chose représentée par ce terme, leur était aussi étrangère et aussi inconnue que le nom. Si c’est le nom, nous en demeurons d’accord : mais le nom ne fait rien à l’affaire. Si c’est la chose, il est facile de le redresser, en lui montrant dans ces dernières paroles, il y a un seul Seigneur, savoir, Jésus-Christ, une attribution toute semblable à celle que nous reconnaissons dans celle-ci : Nous avons un seul Dieu le Père, etc.
D’ailleurs (c’est le même auteur qui parle), si le terme de Dieu est pris en cet endroit comme étant propre au Père, ou il enferme une excellence particulière, et se prend pour la personne qui est la source des autres, ou il se prend pour le Père, sans marquer aucune excellence particulière. Si l’on dit le premier, nous avons fait voir au chapitre précédent que ceux qui parlent ainsi, ou se contredisent eux-mêmes, et reconnaissent en effet que le Père seul est le Dieu souverain, ou qu’ils ne disent rien du tout. Si c’est le dernier (que ce nom appliqué au Père ne marque aucune excellence qui lui soit propre), il s’en suit que l’Apôtre n’aura point parlé à propos. Car il ne s’agissait pas de savoir si le Père était un seul, mais si Dieu est un seul, comme cela paraît par les paroles qui précédent, etc.
Nous rendons à Crellius ses propres paroles. Si le terme de Seigneur est pris en cet endroit comme étant propre au Fils, ou il enferme une excellence particulière, et se prend pour la personne qui a une autorité primitive, ou il se prend pour le Seigneur, sans marquer aucune excellence particulière. Si l’on dit le premier, on fera voir que ceux qui parlent ainsi, ou se contredisent eux-mêmes, et reconnaissent en effet que le Fils est le Seigneur souverain, ou qu’ils ne disent rien du tout. Si c’est le dernier, il s’ensuit que l’Apôtre n’aura point parlé à propos. Car il ne s’agissait pas de savoir si le Fils était un seul, mais si le Seigneur est un seul, comme cela paraît par les paroles qui précèdent. Que nos adversaires répondent les premiers à cette objection.
Pour nous, nous ne sommes pas en peine d’y répondre. Car qu’est-ce que cette objection, qu’un pur galimatias ? Le terme de Dieu, pour être approprié au Père, ne laisse pas de retenir sa naturelle signification, et de signifier cette excellence, ou cette éminence infinie de perfection, qui distingue cette essence de tous ceux qui ont été nommés dieux ou seigneurs sur la terre ou dans les cieux. Le Père qui est distingué, non du Fils ou du Saint-Esprit, car il ne s’agissait pas de cela, mais des faux dieux, des magistrats et des anges, est considéré comme plus parfait que tout ce qui avait été appelé Dieu. Qu’y a-t-il là de si difficile à comprendre ? Jésus-Christ n’est-il pas de même distingué en cet endroit, non du Père, car il n’était pas question de cela, mais de ceux qui ont été appelés Seigneur sur la terre ou dans les cieux.
Crellius s’embarrasse après cela dans des raisonnements métaphysiques qu’il n’est pas nécessaire de réfuter, et même qu’il ne serait pas facile de rapporter en notre langue. Passons à quelque chose de plus important.