Il est bon de répondre avant à quelques objections que nous fait un savant écrivain de ce temps, auquel nous rendons volontiers la justice qui lui est due, bien qu’il ne paraisse pas content de nous.
Un auteur, dit-il, qui a cru mal à propos arec M. Huet, que pour prouver la vérité de la religion judaïque, il fallait supposer que les livres de Moïse, tels que nous les avons, sont véritablement de lui, emprunte d’Aben Ezra une réponse à ce raisonnement ; il soutient que le sens de ce passage revient à celui-ci : Or le Cananéen était dès lors dans le pays, il s’en était déjà rendu le maître lorsqu’Abraham y arriva, etc.
Ni cet auteur, à qui l’on fait dire ce qu’on veut, n’a cru mal à propos, ni il n’a cru avec M. Huet, ni il n’a cru absolument qu’il fût nécessaire, pour prouver la vérité de la religion judaïque, de supposer que les livres de Moïse, tels que nous les avons, sont véritablement de lui. Il y a une grande différence entre croire que ces livres sont de Moïse en l’état où ils sont, et croire qu’on ne puisse prouver la vérité de la religion judaïque, qu’en supposant que ces livres, en l’état où ils sont, sont véritablement de Moïse ; on a défendu le premier, mais on n’a jamais cru le second. On a bien jugé qu’il était nécessaire, pour établir la religion judaïque, de montrer que l’Écriture de Moïse n’avait pu être essentiellement corrompue, ou que les faits qu’elle contient sont venus jusqu’à nous, comme l’on s’en explique en propres termes ; mais on ne s’est pas imaginé que l’addition de trois ou quatre parenthèses, ou de quelques noms propres qui ont pu être ajoutés pour l’éclaircissement, ou quelque généalogie insérée par les mêmes auteurs sacrés qui ont reçu le Saint-Esprit pour composer le reste de cette Écriture, ou même de plus grands changements qui ne touchent point à l’essentiel, puissent raisonnablement nous faire douter d’une religion fondée sur tant de faits si liés les uns aux autres, conservés dans plusieurs monuments différents, et qu’il aurait été impossible ni d’inventer ni de supposer contre la notoriété publique ; et l’on espère que ceux qui liront avec quelque équité toutes les réflexions que l’on fait là-dessus, y trouveront une évidence qui vaut une démonstration.
Au fond, Dieu étant le souverain magistrat dans la république des Hébreux, tout ce qui s’y faisait par son ordre doit lui être nécessairement rapporté. Les lois que les Israélites reçoivent sont ses lois ; le gouvernement de cette république est son gouvernement ; et l’Écriture qu’ils ont entre les mains, son Écriture. Les livres de Moïse sont les livres de Dieu, parce qu’ils sont écrits par l’ordre de Dieu, Dieu ayant ordonné expressément à Moïse d’écrire au livre l’histoire d’Amalek, comme les autres événements considérables qui arrivaient au peuple juif ; il étaient écrits aussi par la direction de sa providence, ou par l’inspiration de son Esprit ; celui qui avait mis son Esprit dans les personnes qui travaillaient aux ornements du temple ne manquant pas de le donner aux prophètes qu’il suscitait extraordinairement, soit pour gouverner le peuple en son nom, soit pour l’instruire de sa part, soit pour dicter ses lois, soit pour conserver la mémoire de tant d’illustres événements.
Pour mieux comprendre cette vérité, supposons que Moïse n’ait pas écrit les livres qu’on lui attribue, mais qu’il les ait fait écrire par quelque autre à qui il en a donné l’ordre, et qu’il les ait approuvés après qu’ils ont été écrits, et qu’il ait voulu qu’ils fussent reçus comme s’il les avait écrits lui-même ; vous n’aurez point de peine à comprendre, premièrement, que ces livres sont plutôt les livres de Moïse que les livres de son secrétaire, surtout si vous supposez que c’est Moïse qui en a fourni les mémoires, qui a corrigé l’écrit ou dirigé l’écrivain pour l’empêcher de rien mettre que de vrai. En second lieu, vous comprendrez facilement que Moïse peut y ajouter quelques parenthèses ou substituer des noms connus à des noms inconnus, sans rien ôter à l’autorité de cette Écriture. En troisième lieu, vous demeurerez d’accord qu’il n’est pas même nécessaire de savoir le nom de celui qui a écrit ces livres sous l’autorité de Moïse et par son ordre ; ou que, si cela est nécessaire, ce n’est que pour connaître la date de ces ouvrages. En quatrième lieu, vous comprendrez que Moïse a pu se servir d’un ou de plusieurs écrivains, selon qu’il lui aura plu, pour achever cette histoire et ordonner aux derniers d’insérer la mort des autres sur la fin de leur histoire, sans qu’on puisse prendre cela pour un véritable changement.
Nous n’avons qu’à mettre à présent Dieu en la place de Moïse, et Moïse et les autres prophètes qui sont venus après lui en la place de ces écrivains ou secrétaires écrivant sous Moïse ou par son ordre, et nous trouverons la vérité dans cette supposition. L’Écriture des Juifs est l’Écriture de Dieu. Moïse et les autres prophètes ne sont que des secrétaires qui écrivent par son ordre et par son Esprit. Il n’est pas nécessaire que l’on connaisse le nom des écrivains ou secrétaires qui les ont écrits ; ou si cela est nécessaire, ce n’est que pour connaître en quel temps ils ont été écrits, ou pour des raisons pareilles, mais non pour leur donner quelque autorité qu’ils tirent de ces auteurs subalternes. Comme c’est là l’Écriture de Dieu, les hommes n’y peuvent rien changer sans une témérité impie et sacrilège : mais Dieu y peut changer lui-même ; et ces mêmes écrivains, à qui il a donné son Esprit pour continuer cet ouvrage ; y peuvent insérer ou des parenthèses, ou des liaisons, ou des généalogies que le Saint-Esprit leur fait juger nécessaires pour le temps auquel ils écrivent. Nous ne disons pas que cela arrive, mais nous soutenons que, quand cela arriverait, il n’en faudrait pas être fort surpris. Ces petits changements qu’on nous objecte ne sont donc d’aucune considération, quand même ils seraient incontestables, lorsqu’on suppose que ces livres ont été écrits les uns après les autres pour faire un corps de révélation ; ils ont été écrits par l’ordre de Dieu, et par des hommes qui avaient son Esprit.
D’ailleurs, nous reconnaissons qu’il n’est pas impossible que ces petites additions ne se soient coulées insensiblement de la marge dans le texte, comme cela se vérifie des autres livres. Par exemple, il y avait peut-être dans le texte du chap. 14 de la Genèse : Et il les poursuivit jusqu’à Laïs ou Lezem ; on aura mis à la marge Dan, pour expliquer ce nom propre qui était devenu inintelligible. Les écrivains, dans la suite, trouvant ces deux noms, les auront joints de cette manière ; Jusqu’à Lezem, qui est Dan ; et peu à peu on aura ôté Lezem et retenu Dan. Je ne dis point que cela soit arrivé de la sorte ; mais je dis que quand cela serait arrivé, il n’en faudrait pas être surpris ; car, premièrement ; il ne faut pas alléguer ici la Providence, qui doit veiller à ce qu’il ne se fasse point de changements dans son Écriture : cela est vrai des changements essentiels, mais non pas de ces petits changements qui ne méritent pas même de porter ce nom : d’ailleurs, pour éviter ces petites révolutions grammaticales, il faudrait que Dieu fit un miracle constant et perpétuel pour inspirer et remplir d’un esprit prophétique, non seulement ceux qui ont composé ces livres, mais encore tous ceux qui les ont copiés et écrits dans tous les siècles. Or, un miracle constant et perpétuel est impossible, parce qu’outre qu’il est hors des voies de la sagesse de Dieu, et qu’il changerait la foi en vue s’il arrivait, et que même il deviendrait inutile s’il était continuel ; car alors il serait tout aussi aisé à Dieu de se révéler par des révélations continuelles et immédiates, et sans le secours d’aucune écriture : d’ailleurs, un miracle perpétuel enferme une espèce de contradiction, parce qu’un miracle est une interruption des lois de la nature, et qu’une si longue et si ordinaire interruption se changerait elle-même en une loi naturelle.
Après tout cela on nous fera, comme je crois, la justice de croire que nous ne faisons point dépendre la vérité de la religion judaïque de ces petits changements qu’on croit reconnaître dans les écrits de Moïse, et que ce n’est point la nécessité de défendre notre cause, mais le désir de dire ce que nous pensons et que nous croyons véritable, qui nous fait être d’un autre sentiment que ceux qui nous attaquent sur ce sujet.
Mais, continue cet auteur, il n’a pas pris garde que dans ces deux passages la particule hébraïque qui marque le temps, ne signifie qu’alors. Pour dire en hébreu dès lors, il faut dire meaz ou minaz, et non pas az, comme il y a dans ces deux endroits.
Pardonnez-moi, on y a pris garde ; mais on a cru que meaz ou minaz se prenait quelquefois dans la même signification que az, selon le sujet dont il est parlé et les autres circonstances du discours. Cet auteur lui-même n’a pas pris garde qu’on ne raisonne pas ici par la force de la particule hébraïque réglant les sens de ce passage, mais par la force du sens de ce passage déterminant la signification de là particule hébraïque ; car, lorsque nous voyons ces deux propositions se suivre dans un discours : Abraham arriva en ce pays-là ; Alors le Cananéen était au pays ; il me semble qu’il est naturel d’interpréter ainsi ces propositions : Le Cananéen était au pays lorsqu’Abraham y arriva ; ou, si vous voulez, dès ce temps là ; et qu’ainsi az et menaz ont ici, par la force du sens, la même signification : mais il faut l’entendre rapportant nos paroles.
Le même auteur soutient ainsi sa pensée ; C’est qu’il se peut faire que les Cananéens aient été dépossédés de ce pays-là par quelques-uns des enfants de Cuz, qui furent d’abord puissants en la terre, et qui régnèrent sous Nimrod, petit-fils de Noé. Il a voulu dire que Nimrod était fils du petit-fils de Noé, mais cela n’est rien. La plus grande faute qu’il fait, c’est qu’il nie que la Genèse dise que les Cananéens furent les premiers qui occupèrent la Palestine. On voit le contraire dans les vers. 18 et 19 du chap. 10, où l’auteur sacré nous apprend que les familles des Cananéens, dans la dispersion du genre humain, se mirent en possession de ce pays-là, après avoir remarqué que les enfants de Nimrod, fils de Cuz, possédèrent la Mésopotamie et l’Assyrie.
Je n’ai point du tout besoin, pour soutenir ma pensée, de supposer qu’il y ait eu dans ce pays une autre nation qui ait été dépossédée par les Cananéens ; car, soit que cela soit, soit que cela ne soit pas, il est également vrai que les enfants de Canaan n’y avaient pas toujours été ; et cela suffit pour avoir donné lieu à Moïse de remarquer fort à propos que lorsque Abraham arriva dans ces quartiers-là, le Cananéen était dans le pays ; ce qui signifie naturellement qu’il y était déjà établi. Il a raison de remarquer que Nimrod était fils du petit-fils de Noé, qui était Cuz ; mais il ne devait pas ignorer qu’on dit fils de Manassé, pour dire petit-fils de Manassé, et que je peux de même dire fils ou petit-fils de Noé, pour dire un de ses descendants. Que s’il veut qu’on parle dans la rigueur, j’avoue qu’au lieu de petit-fils de Noé, j’ai dû écrire fils du petit-fils de Noé ; mais c’est toute la faute que j’ai faite, car j’ai eu très juste raison de nier que la Genèse dise que les Cananéens furent les premiers qui occupèrent la Palestine ; et je nie qu’on voie le contraire dans les vers. 18 et 19 du chap. 10 de la Genèse, cités par cet auteur. Voici ces deux versets avec ceux qui précèdent immédiatement : Mais Canaan engendra Sidon son premier né, et Her, et Jebusi, et Amorri, et Girgasi, et Heni, et Archi, et Sini, et Arvadi, et Sarnari, et Hamachi, dont après se sont éparses les familles des Cananéens ; et les limites des dits Cananéens furent depuis Sidon, quand tu vas vers Guerar jusqu’en Gaza, en tirant vers Sodome et Gomorre, Adama et Tseboïm, jusqu’à Laza. Je trouve là deux choses qui ne font rien à notre question : la première, est la généalogie des Cananéens ; la seconde, est une description géographique du pays que les Cananéens possédèrent, et de ses limites. La première de ces deux choses est inutile à notre question ; car il ne s’agit pas ici de savoir d’où sont sorties ces familles des Cananéens. La seconde ne l’est pas moins. On ne demande pas ici quelles étaient les limites du pays que les Cananéens possédèrent, mais en quel temps ils commencèrent à le posséder. On dit qu’il n’est pas impossible que les familles des Cananéens, commençant à se répandre sur la terre, aient trouvé quelques autres familles descendant de Mesraïm ou de Cuz, qu’elles furent obligées de déposséder ; et l’on a eu raison de soutenir que l’auteur de la Genèse ne dit rien qui détruise cette pensée, parce qu’encore qu’il marque l’établissement des Cananéens au pays dont il donne la description, il ne particularise rien, et ne dit ni le temps ni la manière de cet établissement. Il ne serait pas impossible que Nimrod, lequel, selon quelques-uns, fut le premier qui, sous le prétexte de la chasse, assembla dès gens, les arma, et s’en servit ensuite pour s’assujettir les autres peuples, s’étant saisi du plus beau et du meilleur pays qu’il trouvait devant lui, et les ayant contraints de lui céder la place ; ce que l’Écriture entend apparemment, lorsqu’elle dit qu’il devint puissant en la terre : il n’est, dis-je, pas impossible qu’il se soit étendu jusqu’au pays de Canaan, etc.
Mais ce n’est rien que cela, et il n’est pas nécessaire de perdre du temps à détruire une supposition que j’abandonnerai moi-même de bon cœur, si l’on veut : c’est une chose que j’avais dite en passant, et que j’avais dite avec raison, comme je viens de le prouver. Mais je consens qu’elle ait été mal avancée, que fait cela pour détruire le sort de mon raisonnement, qui est fondé, non sur ce qu’il y avait eu dans ce pays une autre nation avant que les Cananéens s’y établissent, mais sur ce que les Cananéens n’y avaient pas toujours été ? C’est ce que j’avais assez clairement exprimé, comme cet auteur l’avoue en continuant de rapporter ainsi mes paroles.
Mais il ajoute, que soit qu’il y eût eu une autre nation dans le pays, soit qu’il n’y en eût point eu, il est certain que les enfants de Canaan n’y avaient pas toujours été. Les enfants de Noé s’étaient répandus peu à peu, continue-t-il ; les familles s’étaient multipliées, et s’avançant par degrés sur la terre, les enfants de Canaan avaient déjà occupé, il y avait longtemps (si l’on veut) ce pays lorsque Abraham y arriva. Le lecteur qui pouvait ignorer cette chronologie, est averti par Moïse, que les Cananéens étaient dès le temps d’Abraham dans le pays. Mais l’auteur suppose ici sans raison que Moïse ne l’avait pas dit ; au lieu qu’il l’a exprimé très distinctement dans le passage du chapitre dixième que l’on a cité.
Je ne suppose rien sans raison ; car, y ayant à considérer deux choses sur le sujet des Cananéens, leur établissement dans le pays dont nous parlons, et le temps de cet établissement, nous convenons que le premier est exprimé très distinctement au chap. 10 de la Genèse, mais nous soutenons que le second ne l’est point du tout ; et c’est de ce dernier dont il s’agissait.
Un autre nous dirait peut-être ici, que l’ordre du récit de l’historien nous fait comprendre l’ordre des événements ; mais l’auteur que nous réfutons est trop habile pour dire cela : on le redresserait facilement, en lui faisant remarquer que le chap. 10 de la Genèse nous parle de l’établissement des Cananéens au pays dont il s’agit ici, et que ce n’est que le chap. 11 qui fait mention de la dispersion des hommes et de la confusion des langues, quoiqu’il soit incontestable que cette dispersion, qui vient la seconde dans l’ordre du récit, a été la première dans l’ordre de l’événement, et que les Cananéens n’ont possédé le pays où ils se sont habitués en dernier lieu, qu’après que les familles eurent été dispersées, et le langage des hommes confondu à Babel.
On pourrait nous faire une objection, que cet auteur ne nous fait pas, et nous dire qu’il n’y a pas d’apparence que l’auteur de la Genèse ait remarqué que le Cananéen était établi en ce pays-là, dès le temps d’Abraham, parce que cela s’en allait sans dire. Cela s’en allait sans dire ? Pas tant qu’on pourrait se l’imaginer. Il est certain qu’Abraham a vécu quarante ans avant la dispersion ; et il est vrai que ce n’est qu’après la dispersion que les Cananéens s’établirent dans ce pays-là : leur établissement ne s’est donc fait que du temps d’Abraham, et il était encore nouveau lorsque Abraham arriva en ce pays-là.
Au reste, soit que l’on considère ces paroles, le Cananéen était alors dans le pays, par rapport aux versets qui précédent, soit qu’on les regarde par rapport aux versets qui suivent, soit qu’on s’arrête uniquement au verset d’où elles ont été prises, il n’y a rien de si facile que de confirmer l’exposition que nous en avons donnée, et de la confirmer d’une manière qui satisfera tous les esprits raisonnables : car, pour ce qui regarde le premier, il est dit dans les versets précédents, qu’Abraham étant âgé de soixante-quinze ans, sortit de Charan, et qu’il arriva avec Saraï sa femme, et Lot son neveu, dans la terre que Dieu lui avait marquée. L’historien remarque que, lorsque Abraham y arriva, le Cananéen était au pays. Il me semble que cette chronologie n’est pas ridicule, et qu’il n’y avait pas si longtemps que les Cananéens étaient dans ce pays-là, que l’historien ne pût judicieusement remarquer qu’ils y étaient établis lorsque Abraham y arriva.
A l’égard des versets qui suivent, il est dit que le Seigneur apparut à Abraham, et qu’il lui dit : Je donnerai cette terre à ta postérité. Dieu promet à ce patriarche une terre qui est déjà possédée par d’autres habitants : voilà de quoi exercer sa foi. Abraham croit néanmoins ce que Dieu lui dit, et bâtit un autel au Seigneur, qui lui est apparu. Ces circonstances que l’historien rapporte dans les versets qui suivent immédiatement, nous font voir que ce n’est pas sans raison qu’il a fait cette remarque : Or le Cananéen était alors au pays, et que cette remarque sert très bien à nous faire connaître et la nature de la promesse de Dieu, et la grandeur de la foi d’Abraham.
Mais arrêtons-nous au verset d’où ces paroles ont été tirées, et dont elles font partie ; c’est le verset 6 ; le voici : Et Abraham passa outre en la terre jusqu’au lieu de Sichem, savoir, jusqu’en la plaine de Moré ; or le Cananéen était alors dans le pays ; ou bien : et le Cananéen était alors dans le pays. Abraham sort du lieu de son parentage pour s’en aller en une terre que Dieu lui a montrée, et qu’il espère posséder. Quand il y arrive, il la trouve possédée par d’autres habitants ; cela l’oblige à pénétrer plus avant dans le pays, pour voir s’il ne le trouvera point vide d’habitants dans des endroits plus éloignés. Il passe outre en la terre jusqu’au lieu de Sichem, jusqu’en la plaine de Moré, et il trouve encore le Cananéen dans ce pays. Cela le rebuterait sans doute, si Dieu ne lui apparaissait, et ne lui confirmait la promesse qui lui a déjà été faite.
Toutes ces considérations prises de ce qui précède, de ce qui suit les paroles que nous examinons, et du verset même dont elles sont prises, confirment merveilleusement l’exposition que nous en avions donnée ; et il me semble qu’il faudrait manquer de lumière, ou d’attention, ou de sincérité, pour n’en demeurer pas d’accord. Mais continuons de répondre à notre auteur.
Enfin, il dit (il rapporte mes paroles) que dans un siècle où il n’y avait point d’enfant qui ne sût que les Cananéens avaient été dépossédés par les Israélites, enfants d’Israël, fils d’Abraham, il n’était pas nécessaire d’avertir le lecteur, qu’au temps d’Abraham les Cananéens étaient encore dans le pays. Mais ne faut-il pas instruire des choses les plus connues de notre temps, la postérité, qui les ignorerait si l’on se contentait de ne remarquer que des choses peu connues ? D’ailleurs, n’arrive-t-il pas souvent, qu’en parlant on ajoute des éclaircissements qui ne sont point nécessaires, et sans lesquels les enfants mêmes entendraient ce qu’on dit ? L’Écriture n’est-elle pas toute pleine d’exemples de cette manière de parler ? On n’en rapportera qu’un, qui se trouve Deut.11.30, où Moïse parle ainsi à Israël des monts de Guérizin et de Hebal : Ne sont-ils pas, dit-il, au delà du Jourdain, à côté du chemin tirant vers le soleil couchant, au pays des Cananéens qui habitent la campagne, vis-à-vis de Guilgal, près des plaines de Moré ? Qu’était-il besoin de dire que c’est au pays des Cananéens ? Qui le pourrait ignorer en entendant le reste des paroles de Moïse ?
Cet auteur veut bien qu’on lui dise d’abord, que l’exemple qu’il cite n’est pas fort heureusement trouvé. Il n’y a dans les paroles de Moïse rien que de fort nécessaire : Qu’était-il besoin de dire que c’est au pays des Cananéens ? Mais qu’est-il nécessaire plutôt que vous tronquiez le passage en le rapportant ? Car Moïse ne dit pas que ces monts sont au pays des Cananéens simplement, mais au pays des Cananéens qui habitent la campagne, ou dans certaines plaines du pays de Canaan : ce qui est très différent ; car ces monts pouvaient être au pays des Cananéens en général, et n’être pas au pays de ces Cananéens qui habitent la campagne. Qui le pourrait ignorer, ajoute-t-on, en entendant le reste des paroles de Moïse ? Tout le monde pouvait l’ignorer, et particulièrement ceux à qui Moïse adressait son discours, qui pouvaient ne pas savoir la carte de ce pays-là, et ignorer, les uns, ce que c’était que ce chemin tirant vers le soleil couchant ; les autres, ce que c’était que Guilgal ; les autres, ce que c’était que les plaines de Moré ; les autres ce que c’était que le pays des Cananéens qui habitent la campagne ; ce qui oblige Moïse à se servir de tous ces termes différents pour se faire mieux entendre, et pour être compris également de tous.
Les raisons ne lui réussiront pas mieux que les exemples. Ne faut-il pas instruire, dit-il, des choses les plus connues de notre temps, la postérité, qui les ignorerait si l’on se contentait de ne remarquer que des choses peu connues ? A son compte donc, l’auteur de la Genèse a dû instruire la postérité, que du temps d’Abraham les Cananéens étaient encore dans leur pays, et qu’ils n’en avaient pas encore été chassés par les Israélites. Bel avertissement pour la postérité ! Avertissement important, et sans lequel la postérité aurait été dans une ignorance profonde de l’histoire judaïque.
Mais n’arrive-t-il pas souvent, qu’en parlant on ajoute des éclaircissements qui ne sont point nécessaires ? etc. Je réponds qu’il y a des éclaircissements qui ne paraissent pas nécessaires, et qui ne laissent pas de l’être en effet, parce que, s’ils ne sont pas nécessaires à l’égard des savants, ils le sont à l’égard des ignorants, l’Écriture ayant été faite aussi bien pour les uns que pour les autres ; et que s’ils ne sont pas nécessaires dans un temps, ils le seront dans un autre ; et qu’enfin, s’ils ne sont pas nécessaires pour des usages de politesse, d’élégance ou d’éloquence humaine, ils le sont pour des usages ou de foi, ou de piété, ou d’édification, ou d’instruction simple et populaire.
Je consens donc qu’on dise tant qu’on voudra, qu’il y a dans les livres sacrés des éclaircissements qui nous paraissent inutiles, à nous qui avons l’esprit trop borné pour comprendre toutes les vues du Saint-Esprit, dont la sagesse est diverse en toutes manières ; mais je ne crois pas qu’on doive les croire tout a fait inutiles pour cela ; et si c’a été la pensée de l’auteur, il s’est assurément trompé.
Mais enfin, pour couper court à toutes ces petites défaites, je pose un principe qui ne peut être raisonnablement contesté, qui est, qu’il y a des éclaircissements qui, à force d’être inutiles, seraient ou ridicules ou extravagants. Ainsi, si un homme s’avisait de remarquer que, lorsque nos premiers parents étaient dans le jardin d’Eden, les Cananéens ne s’étaient pas encore établis dans le pays de Sidon, etc., il passerait pour un innocent ou pour un insensé ; sa remarque n’aurait rien de faux ni de mauvais, mais elle serait ridicule, et même extravagante, à force qu’elle serait inutile, et que son inutilité serait sensible et sauterait aux yeux.
Le principe étant certain, il ne faut que voir l’application qu’on en peut faire, et si cette remarque, les Cananéens étaient encore alors dans le pays, équivalente à celle-ci, ils n’avaient pas encore été exterminés comme ils le furent ensuite par les Israélites, n’est pas une de ces remarques qui serait absurde et ridicule à force d’être inutile.
Je voudrais bien savoir ce qu’on dirait d’un historien qui, faisant l’histoire romaine, et commençant par Enée, dirait que, lorsque celui-ci aborda dans l’Italie, ou, si l’on veut, lorsque longtemps après, Rhea Silvia fut trouvée grosse, les Romains ne s’étaient pas encore rendus maîtres des autres peuples.
Que si l’on veut des exemples tirés de l’Écriture sainte, je voudrais que l’on me dit si l’on ne rirait point de la naïveté d’un homme qui dirait que, lorsque Abraham alla en Egypte, il pénétra jusqu’au pays de Gossen, et que les Egyptiens étaient encore dans le pays, entendant que ce pays n’était pas encore habité par les Israélites, comme il le fut depuis. Supposons, si l’on veut, pour rendre l’exemple plus juste, que les Egyptiens firent place aux Israélites, et se retirèrent pour y laisser habiter les Israélites du temps de Joseph.
Que si cette remarque serait absurde parce qu’elle serait d’une inutilité ridicule et choquante, je ne vois point que l’on puisse éviter de faire le même jugement de celle-ci : or le Cananéen était alors au pays, si elle signifie : il y était encore et n’en avait point été chassé par les Israélites. Car encore une fois, n’est-ce pas là une belle remarque, que du temps d’Abraham les Cananéens étaient encore dans le pays, n’ayant point encore été chassés par les Israélites descendus d’Abraham de la manière que chacun sait ? Il n’y avait guère plus de vingt-cinq ou trente ans que les Cananéens s’étaient établis dans ce pays, lorsque Abraham y arriva, comme il est aisé de le justifier, en supposant qu’Abraham a vécu quarante ans avant que la dispersion arrivât ; et depuis Abraham jusqu’à ce que les Cananéens soient exterminés, il se passe plus de quatre cents ans. Cela étant, je demande lequel est le plus naturel, ou de penser que l’historien, par ces paroles : le Cananéen était alors au pays, a voulu dire qu’il y était déjà établi lorsqu’Abraham y arriva, établissement nouveau, et qui venait d’arriver, ou de croire que sa pensée a été, que le Cananéen du temps d’Abraham n’avait pas encore été chassé et exterminé, comme il le fut quatre cents ans après par la postérité d’Abraham.
De la considération de ce passage, cet auteur passe à celle de cet endroit du quatorzième chapitre de la Genèse, où il est dit qu’Abraham poursuivit ses ennemis jusqu’à Dan. Et voici comment il répond à ce que nous avions dit là-dessus : Mais est-on bien assuré qu’il n’y avait point un autre lieu qui s’appelait Dan ? (C’étaient mes paroles). On n’en a pas de démonstration ; mais quand on voit qu’Abraham, après avoir atteint ses ennemis à Dan, les poursuit et les mène battant jusqu’à Damas, on ne peut presque pas douter qu’il ne s’agisse de la ville que les Israélites appelèrent Dan, parce que cette ville se trouve sur le chemin. S’il est permis de doubler ainsi les villes et les hommes plutôt que d’abandonner un sentiment qui n’est appuyé sur aucune raison solide, on ne pourra juger du temps d’aucun historien par les noms qu’on trouvera dans son histoire.
Il y a bien des défauts dans ce raisonnement. Premièrement, l’auteur devait savoir qu’on ne double point ici les villes, parce qu’on ne croit point que ce Dan où Abraham atteignit les ennemis, fût une ville ; en second lieu, qu’il n’y avait rien de si fréquent dans l’Orient, que de trouver plusieurs villes du même nom ; il y avait plusieurs Ninives, plusieurs Antioches, etc. Pour un troisième, qu’un homme qui affirme doit avoir des raisons pour affirmer ; mais qu’afin qu’un homme doute et tienne son jugement suspendu, il suffit qu’on ne lui donne pas de suffisantes raisons de ce qu’on veut lui faire recevoir. Il s’agit d’un temps éloigné, et dont je n’ai pas des idées si distinctes que de ce que je vois. Je ne suis pas assuré qu’il n’y eût un autre lieu qui s’appelait Dan ; cela suffit, non pour m’obliger à affirmer qu’il y avait deux lieux qui portaient ce nom, mais pour me tenir en suspens, et me faire voir que je ne dois pas prononcer décisivement là-dessus. Mais l’auteur, qui a de la connaissance, ne devait pas dissimuler les raisons qu’on a de croire qu’il y avait un autre Dan : c’est, je pense, un fait qu’on ne contestera point, que le Jourdain portait le nom de Jourdain du temps de Moïse ; et l’on sait que le Jourdain tirait son nom de deux ruisseaux qui se joignaient pour le former, dont l’un s’appelait Jor, et l’autre Dan. Il est certain encore, que ce dernier Dan était, aussi bien que l’autre, sur le chemin de Damas ; et cela fait voir qu’on s’est un peu trop hâté de blâmer une suspension aussi raisonnable que celle que nous avons fait paraître.
Le même auteur poursuivant ses preuves, en prend une du chap. 35 : Et Israël partit, et tendit ses tabernacles au delà de Migdal-Heder, c’est-à-dire, de la tour du Bétail. Il dit qu’on appelait ainsi une tour qui était sur une des portes de Jérusalem, qu’on appelait la porte du Bétail (Michée 4.8 ; Néhémie 3.1) ; de sorte qu’on ne peut pas attribuer ces paroles à Moïse, du temps de qui les tours de Jérusalem n’étaient pas encore bâties. Mais qui a dit à cet auteur que cette tour du Bétail n’existait point du temps de Moïse ? Qui lui a dit qu’elle était sur une des portes de Jérusalem ? Qui lui a dit que cette tour ne fut bâtie qu’avec la ville de Jérusalem ? Qu’est-il nécessaire de confondre la porte du Bétail avec la tour du Bétail ? Qui nous empêchera de croire que la tour du Bétail étant dès le temps de Moïse, on bâtit ensuite une des portes de Jérusalem auprès de cette tour, et que cette tour donna son nom à cette porte ? Jacob et Laban bâtissent un Montjoie, pour être une borne que l’un et l’autre s’engagent de ne point passer ; pourquoi serait-il impossible que d’autres eussent anciennement bâti une tour comme une borne que le bétail ou les troupeaux ne doivent point passer ? Les passages ci-dessus marqués ne nous rendent pas plus savants à cet égard.
Mais voici une preuve qu’il prétend être beaucoup plus forte ; elle est prise de ces paroles du ch. 36 de la Genèse : Et ce sont ici les rois qui ont régné au pays d’Edom, avant qu’aucun roi régnât sur les enfants d’Israël. On dit qu’il paraît par ces paroles, et par le nombre des générations des enfants d’Edom, lesquelles sont en beaucoup plus grand nombre que celles qui se trouvent depuis Jacob, frère d’Edom, jusqu’à Moïse, que c’est un écrivain moins ancien qui a écrit cela.
Je ne sais si notre auteur a bien supputé, ou si c’est que nous supputons mal ; mais il est vrai que nous ne trouvons point que le nombre des générations d’Edom surpasse celui des générations des enfants de Jacob jusqu’à Moïse ; et c’est, à mon avis, se commettre un peu que d’avancer de pareils faits sans les avoir bien examinés. Ce qui l’a trompé apparemment, c’est que ne lisant pas avec trop d’attention le chap. 36 de la Genèse, il a confondu la généalogie des enfants d’Esaü avec celle des enfants de Seir Horien, et peut-être l’un et l’autre avec la succession des rois d’Edom ; ce qui fait un fort grand nombre de noms propres ; mais pour la généalogie d’Esaü, telle qu’elle est marquée dans cet endroit de la Genèse, la voici : Esaü eut trois femmes ; de la première il eut Eliphas ; de la seconde, Rahuel ; de la troisième, Jéhu, Shelom et Coré. Les enfants d’Eliphas, premier né d’Esaü, furent Theman, Omar, Sepho, Gatham, Cénés et Hamalek, qu’il eut d’une concubine. Les enfants de Rahuel, second fils d’Esaü, Nahath, Zara, Samma, Méza. Les enfants de Jéhu, Shelom et Coré, qui sont deux fils qu’Esaü eut de sa troisième femme, ne sont pas compris dans cette généalogie. Voilà ce grand nombre de générations d’Edom, sur lequel cet auteur se récrie, et qu’il croit surpasser celui des générations des enfants de Jacob jusqu’à Moïse. Il y pensera mieux, s’il lui plaît, une autre fois.
Au reste, bien loin qu’il faille tirer un argument pour montrer que ce n’est point Moïse qui a écrit le livre de la Genèse, de ce que le nombre des générations d’Esaü est trop grand dans cette généalogie des descendants d’Esaü, je ne sais si l’on ne doit point tirer une conséquence opposée de ce que le nombre de ces générations y est si petit. Ce qu’il y a de plus vraisemblable sur ce sujet c’est que Moïse a voulu seulement toucher en passant ces choses, afin que les Israélites connussent les limites des enfants d’Esaü, et qu’ils s’abstinssent de les troubler dans leur partage.
Cependant c’est le sentiment de Maïmonides, que ces rois qui avaient régné en Edom, étaient d’une autre nation que celle des Iduméens ; et si cette pensée était véritable, il serait assez facile d’entendre ici celle de Moïse. Il voudrait dire que les Iduméens, condamnés à l’esclavage par le testament prophétique d’Isaac, avaient déjà servi à sept ou huit rois étrangers, avant que les Israélites eussent vu régner aucun roi sur eux ; ce que Moïse a pu dire de son temps sans se tromper : mais, peu de temps après la mort de Moïse, ils servirent à des rois étrangers, tels qu’étaient le méchant roi Chusa, auquel les enfants d’Israël servirent huit ans ; Eglon, roi des Moabites, auquel les enfants d’Israël servirent dix-huit ans ; Jobin, roi de Canaan, qui régna en Hor, qui asservit le peuple pendant vingt ans, ayant pour chef de ses armées Sisara, etc.
Les savants donnent une autre explication à ces paroles : Ils disent que ce n’est pas une chose fort extraordinaire parmi les Orientaux, de donner le nom de roi à celui qui a la souveraine autorité dans un État ; que Procope en fait une maxime plus générale, et remarque que les nations étrangères en général ont accoutumé de donner à leurs chefs le nom de rois : ils disent que, dans l’endroit de la Genèse où Abraham est appelé un prince de Dieua, les Septante ont traduit βασιλὲυς παρὰ τοῦ Θεου, un roi qui vient de Dieu : et qu’enfin il y a plusieurs endroits de l’Écriture où le nom de roi est donné à un juge ou chef du peuple. On en peut donner divers exemples ; mais voici les principaux. le premier se trouve Deutéronome 33.5, où il est dit que Moïse fut un roi juste, ou dans la droiture, בישרון מלך. Le second se lit au chap. 17 du livre des Juges, où il est remarqué (c’était après la mort de Samson) qu’il n’y avait point de roi en Israël, et que la tribu de Dan, de son chef, se chercha et se procura un pays où elle s’établit, parce qu’elle n’avait pas encore eu de portion avec les autres tribus ; ce qui évidemment ne signifie autre chose, sinon que depuis la mort de Samson, il n’y avait aucun chef de toutes les tribus, tels qu’étaient ceux qui sont appelés juges pour diriger cette action de la tribu de Dan, et mener les autres tribus à leur secours pour les établir dans la terre qu’ils cherchaient, comme Moïse l’avait ordonné, en défendant que les tribus de Ruben et de Gad s’établissent au delà du Jourdain, jusqu’à ce qu’ils eussent aidé leurs frères à conquérir des portions pour eux : c’est de quoi l’on peut à peine douter, lorsque l’on considère cet autre passage Juges 21.25, où il est dit, à l’occasion de la désolation des Benjamites, que les autres tribus avaient exterminés pour punir le crime d’un particulier, et dont elles s’étaient ensuite repenties : En ce temps-là il n’y avait point de roi en Israël, mais chacun faisait ce que bon lui semblait ; c’est-à-dire qu’il n’y avait point de chef absolu sur les tribus, qui, par son autorité, les empêchât de se faire la guerre, et qui prescrivit à chacun son devoir. Enfin, le dernier passage que nous produirons, est Juges.9.6, où il est dit que les hommes de Sichem établirent Abimelek pour leur roi, l’expression de l’original étant qu’ils le firent régner, et l’établirent roi ; ce qui pourtant veut dire qu’ils l’établirent juge : et certainement ce n’est pas sans raison que ces souverains magistrats ou chefs du peuple, que l’Écriture appelle des juges, שופטים et qui se trouvent parmi les autres nations, étant appelés chez les Grecs, si je ne me trompe, Δικαι ; chez les Tyriens, Suffètes ; chez les Romains, Dictatores ; chez les anciens Romains, Interreges, et que Josèphe nomme fort bien ἡγεμῶνες, ἀντοκράτορες ; que ces souverains magistrats, dis-je, ou chefs du peuple, s’appellent des rois, puisque, s’ils n’en avaient ni la pompe ni l’équipage, ils en avaient du moins tout le pouvoir et toute l’autorité ; ils agissaient en souverains, et avaient la puissance du glaive indépendamment même du Sanhédrin, comme cela paraît par l’exemple de Gédéon, qui de son autorité privée fait mourir les hommes de Soccoth et les habitants de Phanuel ; et par l’exemple de Jephté, qui fit mourir un si grand nombre d’Ephraïmites (Juges 12.6).
a – נשיא אלהים.
Après ces remarques, il me semble qu’on peut entendre du règne des juges aussi bien que de celui des rois, proprement ainsi nommés, ces paroles de la Genèse : Avant qu’aucun roi régnât en Israël, c’est-à-dire, jusqu’à Moïse, qui est le premier qui a été le chef du peuple. Avant lui, chaque famille avait eu son chef, qui était le premier-né, ayant droit de commandement sur ses frères, et même le droit de la sacrificature ; ensuite chaque tribu eut son chef ; mais Moïse est le premier qui a été établi chef de toutes les tribus, et qui a été établi comme roi en Israël, sous l’autorité de Dieu, qui en était le premier Monarque. Ainsi ces paroles : Avant qu’aucun roi régnât en Israël, seraient équivalentes à celles-ci :Avant qu’il y eût aucun juge, ou souverain magistrat, ou chef de tout le peuple.
Toutes les difficultés qu’on peut faire contre cette exposition, ne nous semblent pas trop considérables. Dira-t-on que les juges ne portent point le nom de rois dans l’Écriture ? Nous avons prouvé le contraire. Prétendra-t-on que le terme de régner ne se dit que des rois proprement dits :Avant qu’aucun roi régnât, etc. Nous avons produit un passage du neuvième chapitre des Juges, qui dit non seulement que les Israélites établirent roi Abimelek, mais encore qu’ils le firent régner sur eux ; car c’est ce qu’emporte cette expression de l’original : אבימלך למלך. On dira peut-être qu’il ne se peut pas qu’une si longue suite de rois aient régné en Edom depuis Esaü jusqu’à Moïse, ou jusqu’au temps que Moïse fut établi chef du peuple d’Israël ; mais on le dira mal. En effet, les rois qui régnèrent en Edom successivement, sont Bela, Jobab, Husam, Adad, Semla, Saül, Balanan, Adar, tous venus de pays différents ; ce qui fonde la pensée de Maïmonides, qui prétend qu’ils étaient étrangers à l’égard des fils d’Edom.
Mais, quoi qu’il en soit, ce ne sont là que huit personnes qui ont régné les unes après les autres en Edom. Le temps qui s’est passé depuis que les enfants d’Esaü dépossédèrent les enfants de Hor, et gagnèrent sur eux le pays de Seïr, qui est le temps auquel ils commencèrent à être en assez grand nombre, sera, si l’on veut, de deux cent trente ou quarante ans. La supposition n’est pas étrange, puisque depuis Abraham jusqu’à la sortie des enfants d’Israël sous Moïse, l’Écriture elle-même compte quatre cents ans. Or, je demande si, dans l’espace de deux cent trente ou quarante ans, il n’y peut point avoir eu huit rois en Edom. Qu’on lise bien l’histoire, et qu’on voie l’état du monde, l’on trouvera qu’il n’y a guère d’exemples dans aucun royaume, ni dans aucun empire de la terre, où deux cent trente ans n’aient vu couler plus de huit règnes. Ce qui pourrait faire quelque difficulté, c’est qu’il est aussi fait mention des ducs d’Edom. Mais je réponds que ces ducs sont de deux sortes ; les uns qui ont été avant les rois, lesquels n’étaient que les chefs de leurs familles : tels étaient le duc Theman, le duc Sepho, le duc Cénés, le duc Coré, etc. ; car, s’ils avaient été des ducs ou des souverains proprement dits, ils n’auraient pu l’être tous, puisqu’ils étaient frères ; mais il y en aurait eu un qui, commandant aux autres, aura porté la qualité de duc. Les autres sont ceux qui suivirent les rois ; et ce sont ceux dont Moïse parle dans son cantique, lorsqu’il dit : Alors seront épouvantés les princes d’Edom. Vous voyez qu’ils étaient plusieurs qui régnaient à la fois, et qu’ainsi l’auteur de la Genèse a pu faire le catalogue des ducs d’Edom au pluriel, c’est-à-dire des ducs qui commandaient en Edom de son temps : car, y ayant eu plusieurs princes ou ducs en Edom, du temps même de Moïse, Moïse lui-même a dû nous en faire un catalogue plus nombreux, s’il est vrai qu’il ait voulu décrire la succession des ducs comme celle des rois. Que si l’on suppose que c’est un homme qui a vécu après David qui a écrit le livre de la Genèse, il est incompréhensible qu’il mette un si petit nombre de ducs dans son catalogue, lorsque ces ducs ont dû être en si grand nombre, seulement depuis Moïse jusqu’à David.
Pour donc bien développer tout cela, il faut distinguer trois sortes de gouvernements dans la maison d’Edom ; un gouvernement paternel, royal et ducal. La première autorité est celle des pères ou patriarches sur leurs enfants : ils sont appelés ducs par l’auteur de la Genèse. La seconde fut celle des rois, qui réunissaient toutes les familles sous le gouvernement d’un seul homme, qui était appelé roi ; et l’auteur de la Genèse décrit assez exactement la succession de ces rois, ch. 26. La dernière est celle des ducs ; car après la mort d’Adad, le dernier de ces rois, les Iduméens obéirent à des princes ou des ducs qui étaient plusieurs à la fois, comme cela paraît et par le cantique de Moïse, que nous avons déjà cité, et par plusieurs autres passages de l’Écriture. L’auteur de la Genèse ne se propose point de marquer tous les ducs, sans exception, qui ont régné en Edom, et qui ont succédé les uns aux autres ; car le catalogue serait assurément plus nombreux qu’il n’est, et surtout s’il était vrai que ce fût Esdras ou quelque autre qui eût vécu depuis que le temple fut bâti, qui fût l’auteur de la Genèse.
Au reste, comme Moïse a non seulement prédit que les enfants d’Israël voudraient avoir un roi, mais même qu’il a donné des préceptes assez étendus sur ce sujet, nous ne voyons point qu’il y eût un fort grand inconvénient a dire que c’est des rois d’Israël, proprement ainsi nommés, que Moïse parle lorsqu’il dit : Ce sont ici les rois qui ont régné en Edom avant qu’aucun roi régnât en Israël.
Je ne sais en quel rang nous devons mettre quelques preuves qui sont particulières à cet auteur, mais qui sont si peu considérables, que l’auteur lui-même consent qu’on ne les regarde que comme des soupçons. Par exemple, il ne veut point que ce soit Moïse qui ait écrit ces paroles de la Genèse, chap. 2 : Et l’or de ce pays-là est bon ; là aussi se trouve le bdellion et la pierre d’onyx. Il n’y a pas d’apparence, dit-il, que Moïse, qui ne s’était jamais fort éloigné de l’Egypte, eût tant de connaissance d’un pays assez éloigné, dans un temps où les voyages étaient fort rares et fort difficiles ; et il n’y en a encore moins que Dieu lui ait révélé qu’il y avait de l’or dans ce pays-là, et que l’or de ce pays-là était bon. Cet auteur s’écriera ici qu’on n’a point de goût pour les preuves de critique : il aura raison, si toutes ses preuves ressemblent à celle-là. Qui a jamais ouï parler qu’il fallût avoir une connaissance particulière d’un pays, pour savoir que ce pays produit de l’or, et que cet or est bon ? C’est la première chose que l’on fait. Le commerce était ouvert entre le pays de Canaan ou la Palestine, et l’Egypte, du temps de Joseph, qui fut mené en Egypte par des marchands ismaélites : il devait l’être encore mieux du temps de Moïse. Et s’il passait des hommes de la Palestine en Egypte, du temps des patriarches, n’y a-t-il pas bien de quoi s’étonner qu’on ait vu en Egypte de l’or d’Avila, ou qu’on l’ait connu, ou qu’on en ait ouï parler, ou que Moïse ait trouvé cela dans les mémoires de ses pères ? Et ne craint-on pas de se commettre par de si petites remarques ?
Et le commencement de son règne fut Babel, Erec, etc. De ce pays-là il sortit en Assyrie, et bâtit Ninive, etc. On dit que cette exactitude à décrire la fondation des villes de Mésopotamie et d’Assyrie, sent le style d’un auteur qui avait été en ce pays-là. Et moi je dis que ce style est d’un homme qui fait l’histoire du monde, et nous apprend l’origine des villes et des nations les plus connues et les plus importantes ; ce qui est le dessein de tout le livre de la Genèse. Mais cet auteur voudrait-il répondre à une question qu’on va lui faire ? Croit-on que Moïse, quand il écrivait (il croit que Moïse a écrit quelque chose du Pentateuque), ait écrit sur des mémoires, ou sans mémoires ? S’il dit que c’est sans mémoires, il se contredit lui-même ; et il ne faut que lire son livre pour s’en apercevoir. S’il croit que Moïse a écrit sur quelques mémoires, on lui demande pourquoi il ne veut point que Moïse ait pu parler de l’or d’Avila et des villes de la Mésopotamie, sans y avoir jamais été ? Et pourquoi est-il nécessaire là-dessus que nous croyions que celui qui a écrit cela avait passé l’Euphrate, puisque Moïse ne l’ayant pas passé, il écrivait peut-être sur les mémoires de gens qui l’avaient passé ? Mais ce n’est pas là de quoi je me plains le plus ; je trouve bien plus étrange cet autre raisonnement qu’il nous va faire sur le sujet de la ville de Ninive.
Car, enfin, tout est ici incertain. On connaît à peine quel est le véritable nom de cette ville ; les uns la nomment Ninus, les autres Neneve, les autres Ninive. On ignore le lieu où elle était bâtie : les uns veulent qu’elle l’ait été auprès de l’Euphrate, les autres auprès du Tigre : de ces derniers encore, les uns l’ont placée à l’orient du Tigre, et les autres à son occident ; les uns au-dessus, et les autres au-dessous d’une autre rivière nommée Lycus. Il y en a d’autres qui prétendent qu’il y a eu deux villes de Ninive, l’une dans la Comagène, l’autre dans l’Assyrie ; l’une auprès de l’Euphrate, et l’autre au delà du Tigre. On n’est pas trop certain du temps que cette grande ville fut ruinée ; les uns veulent qu’elle l’ait été par les Mèdes, les autres par les Chaldéens, et d’autres qu’elle l’ait été par les uns et par les autres ; c’est-à-dire deux fois, et qu’Assuérus et Nébukadnetsar l’ont tour à tour désolée. Ce qui est considérable, c’est qu’Hérodote lui-même, dont l’auteur fait tant de cas, ne sait ce qu’il dit lorsqu’il parle de Ninive ; car tantôt il dit que l’Euphrate passe par le milieu de Ninive, livre I, chapitre 185, et tantôt il dit que Ninive est située sur l’Euphrate, chapitre 193 ; et dans un autre endroit il dit que le Tigre passe au travers de Ninive. Suidas écrit que Sémiramis, reine des Assyriens, changea le nom de Ninive en celui de Babylone ; et presque tous les autres historiens disent le contraire. Presque tout ce que nous connaissons d’antiquaires ont pris ce qu’ils disent de Ninus, de Ctésias ou d’Hérodote. Ctésias est un auteur très fabuleux ; on en demeure d’accord : mais Hérodote ne l’est pas moins. Voilà pas de sûrs garants de ce qu’on peut croire ou ne croire pas là-dessus ? Je passe plus avant. La critique de Bochart touchant les noms qui sont contenus dans le chapitre dixième de la Genèse, toute docte qu’elle est, ne roule que sur des fondements très incertains, comme sur l’affinité du son des termes, sur ce que les auteurs du siècle ont écrit, sur l’étymologie des noms, sur la combinaison de ces mêmes noms qui se trouvent cités ensemble, et sur de pareilles choses, qui souvent font naître des conjectures fort véritables et fort heureuses, mais qui, sans difficulté, n’ont pas assez de certitude ni d’évidence pour former des difficultés raisonnables. L’auteur voit bien qu’on ne peut asseoir aucun jugement bien assuré sur des principes si douteux et si incertains, et que sans qu’on entre dans l’examen particulier de sa nouvelle critique à cet égard, ce qui nous mènerait trop loin, il suffit de lui faire remarquer qu’il n’y a que de l’incertitude dans les principes sur lesquels il raisonne.
Il cite après cela Genèse 37.14, où il est dit, que Jacob envoya Joseph de la vallée d’Hébron à Sichem ; il remarque que, pendant que les Cananéens furent maîtres du pays, on appela cette ville Kiriath-Arba, mais qu’elle changea de nom lorsqu’elle fut à Caleb, et s’appela Hébron, du nom de son petit-fils.
Mais de toutes les preuves critiques, celles qui se prennent des noms sont les plus suspectes. Qui ne sait, en effet, qu’il y a plusieurs personnes et plusieurs lieux dans l’Écriture qui portent un même nom, et qu’ainsi il est très facile de se méprendre par ces noms équivoques ? Ainsi il y a deux Gédéons, l’un de la tribu de Benjamin, dont il est parlé au livre des Nombres ; l’autre de la tribu de Manassé, qui délivra et jugea Israël. Il y a deux Dans, l’un ville, et l’autre rivière ; deux Eglons, l’un ville, dont il est parlé au chap. X de Josué ; l’autre un roi des Moabites, dont il est parlé au troisième des Juges : deux Zarès, l’un de la tribu de Siméon, l’autre de la tribu de Juda. Il y a de même deux Hébrons, l’un fils de Caat, et petit-fils de Lévi, chef de la famille des Hébronites ; l’autre qui est un des descendants de Caleb. Cela fait voir déjà qu’il n’est pas sûr de tirer trop de conséquences des noms propres qui se trouvent dans l’Écriture.
Il faut remarquer en second lieu, que l’auteur suppose, sans le prouver, qu’Hébron, petit-fils de Caleb, donna son nom à Kiriath-Arba. Il serait bon qu’on n’avançât point de pareilles choses, sans en apporter de bonnes preuves ; car le premier chapitre du livre des Chroniques, d’où l’auteur semble l’avoir pris, ne dit rien moins que cela. D’ailleurs, il est parlé dans l’Écriture d’une vallée d’Hébron, de montagne d’Hébron, d’une ville appelée Hébron ; et il est remarqué qu’au temps de Josué le roi d’Hébron fut du nombre des rois vaincus par les Israélites. Qui sait si le pays n’a pas donné le nom à la ville qui s’appelait Kiriath-Arba, et qui commença à se nommer Hébron du nom de la contrée qui était connue du temps de Moïse.
Au fond, quand il serait vrai que Josué, qui reçut ordre de Dieu de continuer l’histoire sainte, comme l’Écriture nous l’apprend, ou les prophètes qui sont venus après Josué, auraient substitué des noms propres connus à des noms qui ne s’entendaient plus, je nie qu’ils eussent changé l’Écriture pour cela, et qu’on en pût tirer la moindre conséquence contre la certitude de la révélation. Mais, puisque l’on peut soutenir avec probabilité, que cela même ne s’est point fait, et qu’il paraît d’ailleurs par ce nombre innombrable de noms propres qui se lisent dans la Genèse, qui ne sont point connus parmi nous, et qui ne l’étaient pas même du temps d’Esdras, puisque les prophètes emploient des noms qui sont bien plus connus que ceux de la Genèse, pour exprimer les lieux dont ils parlent ; je crois que si l’on voulait s’en donner la peine, et que cela fût bien nécessaire, on pourrait tirer de là une preuve tout opposée au but de cet auteur.
La difficulté qu’on prend des villages de Jaïr, serait considérable, si l’Écriture ne nous parlait des deux Jaïr qu’il faut bien distinguer, l’un fils de Ségub, petit-fils d’Esron et de Macchir, fils de Manassé par sa grand’mère, d’où vient qu’il est nommé petit-fils de Manassé dans l’Écriture (1 Chroniques 2.22 ; Deutéronome 2.14 ; 1 Rois 4.13 ; Nombres 32.41). Ce Jaïr fut fils de Ségub, frère de Caleb : mais il y a un autre Jaïr qui fut juge en Israël, qui vécut trois ou quatre cents ans après l’autre (Jug.10.3). Il est vrai que ce dernier juge avait trente fils, qui habitèrent trente villes qu’on nommait Avoth-Jaïr, comme on nomme aussi quelques villes de Galaad du nom du premier Jaïr, et cela n’est pas fort étonnant ; mais il ne se peut pas que le premier Jaïr ait été juge en Israël dans le temps marqué au livre des Juges, à moins qu’on ne lui accorde une vie semblable à celle des patriarches de l’ancien monde ; ce qui ne s’accorderait pas avec ce que l’Écriture dit, que toute cette génération, qui avait connu Josué, mourut ; que les Israélites péchèrent, et furent asservis à des nations étrangères, et qu’ensuite Dieu leur suscita des juges. Josué vécut fort longtemps, car il mourut âgé de cent dix ans. Tous ceux qui avaient connu Josué moururent. Les Israélites péchèrent, et furent longtemps asservis. Dieu suscita des juges : Jaïr n’est ni le premier ni le second de ces juges. Otoniel procure aux Israélites un repos de quarante ans ; Eglon les asservit dix-huit ans. Aod tue Eglon, et procure aux Israélites un repos de quatre-vingts ans. Ils sont assujettis ensuite par Jabin : Débora les délivre. Les enfants d’Israël pèchent encore ; Dieu les livre aux Madianites, Gédéon les délivre. Gédéon meurt ; Abimélec son fils lui succède : celui-ci meurt, et Thola juge après lui Israël vingt-trois ans : après lui succéda Jaïr Galaadite, et juge Israël vingt-deux ans.
Pour sa remarque de prophète et voyant, elle est à mon avis, très peu de chose. On peut dire, pour répondre à l’objection qu’il en tire, qu’il y a eu un temps en Israël où c’était en usage assez commun de dire : Allons consulter le Voyant (Roé) de l’Éternel ; et un temps où il était plus ordinaire de nommer ce voyant du nom de Nahi : mais c’est tout ce qu’il y a de véritable en cela ; car, comme je ne crois pas que l’auteur voulût nous contester que les prophètes n’aient été nommés les voyants de l’Éternel parmi les Israélites jusqu’à Esdras, et même de son temps, bien qu’ils fussent appelés plus ordinairement du nom de prophètes, je ne nie pas aussi qu’il n’y ait eu un temps en Israël ou l’usage ordinaire voulût qu’on les nommât plutôt des voyants que des prophètes, dans le style ordinaire et familier ; et c’est tout ce qu’on peut recueillir du passage qu’on cite à ce sujet.