C’est une sorte de lieu commun chez les écrivains que nous étudions que Dieu peut être connu par les créatures dont il est l’auteur ; mais c’en est un aussi qu’il est infiniment au-dessus de l’intelligence humaine, et que nous ne saurions comprendre sa nature. Dieu est principaliter ; seul véritablement il est ; il est au-dessus de toute forme et de toute catégorie : comme il n’y a pas de genre supérieur à lui et qu’il est d’ailleurs infiniment simple, on ne saurait le définir par le genre et la différence spécifique : on peut dire de lui ce qu’il n’est pas ; on ne peut pas dire ce qu’il est proprement.
De ce Dieu transcendant saint Grégoire aime à célébrer la miséricorde, Salvien à proclamer la justice. Dans ses virulentes apostrophes à son siècle, le prêtre de Marseille pose en principe qu’il n’y a pas à se demander si les effets de l’action et de la Providence divines en ce monde sont justes ou injustes. Par cela même qu’ils viennent de Dieu, ils sont plus que justes.
On a dit plus haut le grand nombre d’écrits sur la Trinité qu’avait suscités, en Afrique principalement, la controverse contre les barbares ariens. Cependant, en général, on chercherait en vain dans cette énorme littérature des principes et des points de vue nouveaux, constituant un progrès notable sur ce qu’avait écrit saint Augustin. On y trouve surtout des textes accumulés, comme dans le Contra Maximinum de l’évêque Céréalis (v. 484), et des réfutations d’objections, comme dans les traités mis sous le nom de Vigile de Tapse. En tout cas la solution augustinienne sur la procession du Saint-Esprit a fait autorité, et, dans toute l’Église latine, on enseigne que le Saint-Esprit procède a Patre et Filio. En Afrique, saint Fulgence, l’auteur du Contra Varimadum et celui du livre viii du De trinitate, le diacre Ferrand ; à Rome probablement, l’auteur d’Arnobii catholici et Serapionis conflictus, puis Boèce, les papes Hormisdas et saint Grégoire le Grand, pour ne nommer que ceux-là ; en Gaule, saint Prosper, saint Eucher, Fauste de Riez, Gennade, Julien Pomère, saint Césaire, Avit de Vienne ; en Espagne, Pastor de Galice, saint Isidore, saint Ildefonse, en témoignent clairement. Non seulement les auteurs particuliers l’admettent, mais, en Espagne, les conciles introduisent cette doctrine dans leurs professions de foi. Le symbole Quicunque vult, dont nous parlerons bientôt, la contient aussi.
C’est encore à saint Augustin que se rattachent saint Fulgence et saint Grégoire le Grand dans les explications qu’ils donnent sur les missions divines. Ces missions ont pour principe les processions, et n’en sont, pour ainsi dire, qu’une prolongation ad extra. Par le seul fait que le Fils est engendré par le Père, et que le Saint-Esprit procède de l’un et de l’autre, le Fils et le Saint-Esprit sont, de quelque façon, envoyés. Cette mission se complète quand le Fils s’incarne, et quand le Saint-Esprit est donné aux âmes par la grâce.
Saint Fulgence a reproduit les vues philosophiques de l’évêque d’Hippone sur la mémoire, l’intelligence et la volonté, image de la Trinité divine dans l’âme humaine ; et Julien de Tolède s’est appuyé également sur son autorité pour soutenir contre ses censeurs la légitimité de sa formule trinitaire : « Voluntas genuit voluntatem sicut et sapientia sapientiam ». Mais, plus remarquables que ces décalques sont les efforts que Boèce a faits, dans deux courts opuscules, pour éclairer et justifier par la philosophie les plus obscures données du mystère. Le Quomodo Trinitas unus Deus ac non tres dii explique que les relations étant quelque chose d’extérieur en quelque sorte à la substance, la substance, et partant l’unité divine, n’est pas touchée par les relations personnelles qui constituent la Trinité. La brève dissertation sur la question Utrum Pater et Filius ac Spiritus sanctus de divinitate substantialiter praedicentur répond à cette question négativement, parce que la substance divine étant quelque chose d’absolu et d’unique, tout ce qui est énoncé de Dieu substantialiter l’est absolument et identiquement des trois personnes. Or, les trois personnes divines ne peuvent être énoncées l’une de l’autre, et sont essentiellement quelque chose de relatif. « Quo fit, conclut Boèce, ut neque Pater, neque Filius, neque Spiritus sanctus, nec Trinitas de Deo substantialiter praedicentur, sed, ut dictum est, ad aliquid. » On reconnaît, à ces exemples, le philosophe théologien dont l’influence au moyen âge devait être si grande, et la prédilection de la scolastique commençante pour les questions de logique et de précision verbale.
La foi trinitaire cependant avait reçu, en Occident, sa définitive expression dans le symbole Quicunque vult, dont la fortune fut si universelle. Le Quicunque vult — tout le monde est d’accord sur ce point — est un écrit d’origine exclusivement latine, à la composition duquel ni saint Athanase ni l’Église grecque n’ont concouru. On peut ajouter, sans grande chance d’erreur, qu’il est un écrit primitivement un, et sorti tout entier de la même plume. Mais les difficultés commencent lorsqu’il s’agit de lui assigner une patrie, une date et un auteur. On a successivement désigné comme son lieu d’origine Trêves, le midi de la Gaule et Lérins en particulier, Rome et l’Espagne. On l’a mis au ive, au ve, au vie et même au viiie siècle. On en a fait l’œuvre d’Anastase II (496-498), de Venance Fortunat, de Césaire d’Arles, de saint Vincent de Lérins, d’Honorat ou d’Hilaire d’Arles, de saint Ambroise et même de saint Hilaire de Poitiers. Si quelques-unes de ces solutions doivent être résolument écartées, aucune ne saurait prétendre à la certitude complète.
[L’opinion la plus généralement adoptée place la composition du Quicunque entre les années 430-540, et le fait originaire de cette partie méridionale de la Gaule qui gravite autour d’Arles. Les formules qu’il présente se rapprochent en tout cas de celles de saint Augustin et des Lériniens, et en particulier de saint Césaire.]
Ce qui reste certain, c’est l’autorité que ce symbole a conquise à partir du viie siècle dans les églises latines, autorité qui, au ixe siècle, en a fait introduire l’usage dans la liturgie. Par la netteté puissante avec laquelle elle a formulé le dogme, cette œuvre d’un théologien inconnu a mérité d’être assimilée aux solennelles définitions des conciles. L’Église latine l’a adoptée comme un document authentique de sa foi, et comme un résumé fidèle des enseignements de ses évêques et de ses docteurs en matière trinitaire et christologique.