Caecilius Cyprianus (le nom de Thascius est un sobriquet dont on ignore l’origine et la signification) est né à Carthage, probablement vers l’an 210, d’une famille fortunée, mais païenne. Après une éducation soignée et complète, il enseigna la rhétorique, plaida, semble-t-il, au barreau, s’acquit bientôt une réputation méritée, et se lia avec ce que la ville comptait de plus distingué. Cependant, tout ce bonheur humain ne remplissait pas son âme. Vers l’an 245, sous l’influence d’un prêtre vénérable nommé Caecilianus, il se convertit au christianisme. Sa conversion fut parfaite. Peu de temps après il était élevé au sacerdoce, et, au commencement de 249, succédait, comme évêque de Carthage, à Donatus. Son épiscopat ne dura que neuf ans, qui furent bien remplis. Au début de 250 éclata la persécution de Dèce. Cyprien, par prudence et pour éviter d’attirer sur son peuple, par sa présence, la violence des persécuteurs, dut se retirer aux environs de Carthage. Il y rentra au printemps de 251, et s’y occupa immédiatement de l’affaire des lapsi, c’est-à-dire de ceux que la persécution avait entraînés à une apostasie plus ou moins explicite. Un mélange de modération et de force permit à l’évêque de la mener à bien. Puis, entre 252-254, une peste désola Carthage ; en 255, la querelle commença qui divisa Cyprien et le pape Etienne sur la question de la valeur du baptême conféré par les hérétiques ; et le silence sur cette question était à peine fait qu’une nouvelle persécution commençait au mois d’août 257. Cyprien exilé à Curubis y resta un an. Rappelé en 258, il fut arrêté le 13 septembre dans sa villa, sommé de sacrifier et, sur son refus, décapité le lendemain. Nous avons le procès-verbal authentique de son martyre.
Une tradition rapportée par saint Jérôme nous apprend que saint Cyprien lisait assidûment les écrits de Tertullien et l’appelait « le maître » (Da magistrum). Pourtant, on imaginerait difficilement deux hommes d’un caractère plus dissemblable que saint Cyprien et Tertullien. Autant le second était emporté et violent, autant le premier était maître de soi, patient et équilibré. Saint Cyprien, remarque son biographe Pontius, s’imposait par sa distinction et sa supériorité ; mais il se faisait aimer par sa simplicité, sa charité et la cordialité de son accueil. Son activité prodigieuse, à laquelle rien n’échappait, n’était ni empressée ni turbulente. Homme d’autorité, il est de la race des grands évêques administrateurs et conducteurs de leur peuple, Basile, Ambroise, Léon, Grégoire. Par son ascendant personnel il a groupé autour de son siège tout l’épiscopat de l’Afrique et en a été le primat effectif, sans en avoir le titre.
Ces qualités de mesure et de clarté, saint Cyprien les a portées dans ses compositions littéraires. Chez lui, nulle recherche du style ni de l’effet à produire, sinon celle qu’il garde involontairement de son tempérament africain et de son ancien métier de rhéteur. Tout est pour l’utilité pratique de ses lecteurs. Par la régularité et l’harmonie, c’est un classique. Sa langue, moins riche, moins expressive que celle de Tertullien, est plus correcte, encore qu’elle accuse sensiblement la décadence et qu’elle ait un goût prononcé de terroir. Les siècles qui l’ont suivi ont beaucoup admiré son style et l’ont beaucoup imité. Bien que ce fût un modèle imparfait, leur choix, en somme, était heureux.
Saint Cyprien a laissé treize ouvrages authentiques, auxquels il faut joindre ses lettres. Les treize ouvrages sont ou bien des œuvres apologétiques, ou bien des traités de morale et de discipline ecclésiastique.
I. Parmi les premières il faut mettre d’abord l’écrit A Donat (Ad Donatum), composé vraisemblablement peu après la conversion de l’auteur. Saint Cyprien y décrit la transformation morale que le baptême a opérée en lui, et presse son ami de s’abandonner à la grâce chrétienne.
L’écrit A Demetrianus est d’un autre caractère. Ce Demetrianus, païen vicieux et malfaisant, ne cessait de calomnier les chrétiens et de fatiguer l’évêque lui-même de ses visites insolentes. Le jour vint où celui-ci jugea bon de lui répondre. Après l’avoir stigmatisé comme le plus vil des hommes, il fait remarquer que Demetrianus accuse à tort les chrétiens d’être la cause des fléaux qui désolent le monde et l’Afrique. La vraie cause de ces maux est l’obstination des païens qui provoque la colère de Dieu.
Outre ces deux ouvrages rédigés, on peut faire entrer dans l’œuvre apologétique de saint Cyprien les trois écrits suivants, qui sont de simples recueils de matériaux et de textes.
Quod idola non sint dii (Les idoles ne sont pas des dieux), suite de notes tirées parfois littéralement de Minucius Félix et de l’Apologétique de Tertullien, et rangées de façon à prouver la fausseté de l’idolâtrie et la vérité du christianisme. L’ouvrage est probablement antérieur à 250. On en a contesté l’authenticité, mais cependant ce genre de recueil est bien dans la manière de saint Cyprien. Très occupé, l’évêque de Carthage aimait à se préparer ainsi d’avance des matériaux qu’il pût rapidement utiliser, le cas échéant. On en a deux autres exemples : les Testimonia ad Quirinum et l’ouvrage Ad Fortunatum. Les Témoignages, en trois livres (249-250), présentent les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament qui établissent le caractère provisoire de la Loi juive (ch. 1), la réalisation des prophéties en Jésus-Christ et sa divinité (2), et qui concernent la foi, les devoirs et les vertus du chrétien (3). L’écrit A Fortunat (automne de 257) groupe spécialement les textes scripturaires relatifs au devoir du chrétien durant la persécution. On comprend assez de quelle importance sont ces deux recueils pour l’histoire de la Bible latine en Afrique avant la Vulgate.
II. En tête des ouvrages moraux et disciplinaires de saint Cyprien, il faut mettre les deux traités De lapsis et De unitate catholicae ecclesiae, qui ont été lus tous deux au concile de 251. L’objet du premier est de montrer que, avant d’être réconciliés, les apostats de la persécution de Dèce doivent faire une sérieuse pénitence. Celui du second est de prouver qu’il ne peut y avoir dans le monde et dans chaque diocèse qu’une seule vraie Église, et que, dans cette Église, l’unité doit régner par la communion des fidèles entre eux et avec l’évêque ; que le schisme par conséquent est un crime des plus graves. L’ouvrage est dirigé contre Novat et ses partisans. De bonne heure, le texte a subi des retouches que quelques critiques ont attribuées à saint Cyprien lui-même.
Parmi les traités moraux de saint Cyprien, le plus original et le plus vivant est celui De la mortalité, sorte de lettre pastorale publiée pendant la peste de 252-253, pour relever le courage des habitants de Carthage terrorisés. Le De opere et eleemosynis fait l’éloge de l’aumône ; le De zelo et livore flagelle l’envie ; les autres traités De habitu virginum (249), De oratione (vers 252), De bono patientiae (256) ne sont guère que des imitations assez pâles des traités correspondants de Tertullien. Inférieur par le style et par le trait à son modèle, saint Cyprien lui est cependant supérieur comme moraliste : ses peintures sont plus vraies parce qu’elles sont mieux observées, et ses conseils plus sages, parce qu’ils sont empreints de modération.
III. Les lettres de saint Cyprien constituent la plus importante partie de son œuvre. On sait que lui-même en avait gardé des copies, et avait formé des dossiers de celles qui concernaient le même objet. Il s’en est conservé cinquante-neuf, qui s’occupent de questions dogmatiques ou disciplinaires, mais qui offrent toutes un intérêt historique de premier ordre. Pearson (Annales cyprianici, 1682) est le plus ancien auteur qui les ait exactement datées : les travaux subséquents n’ont que très peu modifié ses conclusions.