(Fin 1531 à 1534)
Les nobles complotent contre les prêtres – Ils se concertent avec Henri VIII – Intrigues du parti romain – Alexandre Seaton, confesseur du roi – Sa hardiesse – Il s’enfuit en Angleterre – Alésius écrit au roi – Réponse de Cochlée – Henri Forrest – Sa dégradation – Son supplice – David Straiton de Lauriston – Sa conversion – Son jugement – Son martyre – Procès de Catherine Hamilton – Les évangéliques fuient l’Écosse
Les évêques de l’Écosse semblaient triompher. Hamilton était mort, Alesius en exil, aucune voix évangélique ne se faisait plus entendre dans le royaume. Ils pensèrent alors à écraser cette fière aristocratie, qui prétendait que les fonctions de l’État appartenaient aux nobles et non aux prêtres. Déjà les biens du comte de Cramford avaient été confisqués ; les comtes d’Argyll, de Bothwell et plusieurs autres avaient été mis en prison, et on avait fait des affronts au comte de Murray, à lord Maxwell, à sir James Hamilton et à leurs amisa. L’archevêque de Glasgow, chancelier d’Écosse, allant plus loin, enleva aux nobles leur antique juridiction, et y substitua un collège de justice, composé surtout d’ecclésiastiques. Les nobles ne pensèrent plus qu’à délivrer l’Écosse du joug du clergé et se décidèrent à invoquer l’aide de Henri VIII. Quelques-uns d’entre eux commencèrent même à ressentir quelque intérêt pour ces humbles évangéliques qui étaient, comme eux, les objets de la haine des prêtres. Cet intérêt devait contribuer un jour au triomphe de la Réformation. Il fut résolu que le comte de Bothwell entamerait des négociations avec Henri VIII, et cela dans le moment même où ce prince se séparait de Rome ; cette alliance pouvait mener loin.
a – « The sore emprisonment of the Eric of Argyll, the little exstymation of the Erle of Murray and the lord Maxwell, » etc. (Northumberland à Henri VIII, State papers, IV, p. 598.)
Le comte de Northumberland se trouvait alors à Newcastle, chargé par le roi d’Angleterre de veiller à ses affaires dans le nord du royaume. Ce fut à lui que Bothwell s’adressa. Northumberland en ayant référé à Henri, il fut convenu que les deux comtes se rencontreraient de nuit à Dillston, à égale distance à peu près de Newcastle et de la frontière d’Écosse. Au milieu de la longue nuit du 21 décembre 1531, Bothwell accompagné de trois de ses amis arriva au lieu fixé où Northumberland l’attendaitb. Ils entrèrent immédiatement en conférence. L’esprit, les connaissances, les manières exquises du comte de Bothwell frappèrent le lord anglais. « Vraiment, écrivit-il à Henri VIII, je n’ai rencontré de ma vie un seigneur aussi agréable et d’une si belle apparence. » Bothwell, aigri par l’orgueil des prêtres, exposa leur conduite à l’égard d’Angus, d’Argyll, de Murray. « Ils m’ont gardé moi-même en prison dans le château d’Édimbourg pendant six mois, dit-il, et ils m’auraient mis à mort sans l’intervention de mes amis ; je sais qu’un tel sort me menace encore. » Bothwell ajouta que si le roi d’Angleterre voulait délivrer les nobles écossais des maux qu’ils avaient à craindre, il était prêt, lui Bothwell, à se joindre à Henri VIII avec mille gentilshommes et six mille hommes d’armes. « Nous le couronnerons sous peu, ajouta-t-il, dans la ville d’Édimbourgc. » Les nobles irrités se livraient en effet à des pensées étranges ; le seul remède aux maux de leur pairie était, selon eux, l’union de l’Écosse et de l’Angleterre sous le sceptre de Henri VIII. L’Écosse eut dès lors subi une réforme de par le roi ; mais elle était réservée à d’autres destins, sa réforme devait être populaire et se faire par la Parole de Dieu.
b – « The Erle Bothwell in the night and other three. » (State papers, IV, p. 597.)
c – « To crown your Grace in the town of Edinburgh within bre tyme. » (Ibid., p. 598.)
Le roi d’Angleterre avait bien des motifs d’intervenir en Écosse. Jacques V venait de conclure une alliance de cent ans avec Charles-Quint, cet ennemi mortel de Henri VIII, et avait même demandé la main de la sœur de l’empereur, l’ex-reine de Hongrie. Cette princesse s’était refusée à cette union, et l’empereur avait proposé à Jacques sa nièce Dorothée, fille du roi de Danemarkd.
d – State papers. (Ibid., p. 574, 29 sept. 1531.)
Bothwell put même apprendre à Northumberland, dans cette conférence nocturne, des choses plus graves. Un ambassadeur secret de Charles-Quint, lui dit-il, Pierre de Rosemberg, a été dernièrement à Édimbourg, et là il a eu un long entretien avec le roi dans ses appartements privés, et lui a promis que l’empereur le mettrait à même avant Pâques de prendre le titre de prince d’Angleterre et duc d’Yorke. Le parti romain désespérant de Henri VIII, voulait transmettre sa couronne à son neveu, le roi d’Écosse. Bothwell ajouta que Jacques ayant, au sortir de cette conférence, rencontré le chancelier du royaume et quelques nobles, s’était hâté de leur apprendre cette magnifique promesse de Charles-Quint. Le chancelier s’était contenté de dire : « Je prie Dieu qu’il me fasse voir le jour où le pape la confirmera. » Le roi répondit : « Laissez seulement faire l’empereur, il travaillera vigoureusement pour nous ! » Ce n’était pas Jacques V, mais son petit-fils, qui devait monter sur le trône des Tudor.
e – « That we may lawfully write ourself, prince of England and Duke of York. » (Ibid., p. 699.)
Le projet conçu par les nobles écossais de placer l’Écosse sous le sceptre de l’Angleterre, n’était pas si facile à exécuter qu’ils l’imaginaient. Les prêtres qui croyaient avoir surmonté les dangers provenant de la Réforme, se faisaient fort d’écarter de même ceux dont la noblesse les menaçait. Mais c’était à tort qu’ils croyaient décidément éteint l’incendie allumé par la Parole de Dieu. Des flammes jaillirent tout à coup dans les lieux mêmes où l’on s’attendait le moins à en voir paraître.
Un moine de cet ordre de Saint-Dominique, si dévoué à l’inquisition, un confesseur du roi, Alexandre Seaton, homme d’une haute stature, franc, prompt d’esprit, hardi, même audacieuxf, jouissait à la cour d’une grande considération. L’état de l’Église l’affligeait profondément ; aussi, ayant été chargé de prêcher le carême (1532) dans la cathédrale de Saint-André, il résolut de professer courageusement dans cette Rome écossaise la doctrine céleste qui faisait des exilés et des martyrs. Prêchant devant un nombreux auditoire, il dit : « Jésus-Christ est la fia de la loi et nul ne peut par ses œuvres satisfaire à la justice divine. Une foi vivante, qui saisit la miséricorde de Dieu en Christ, peut seule procurer au pécheur la rémission des péchés. Mais depuis combien d’années la loi de Dieu, au lieu d’être droitement enseignée, n’est-elle pas obscurcie par la tradition des hommes ? » On s’étonnait de ce discours ; quelques-uns demandaient pourquoi il ne disait pas un mot du purgatoire et oubliait la vertu des pèlerinages et d’autres œuvres méritoires ; mais les prêtres eux-mêmes n’osaient porter plainte contre lui. « Il est, disaient-ils, confesseur de Sa Majesté et jouit de la faveur du prince et du peupleg. »
f – « Of an audacious and bold spirit, » (Spotswood, p. 68.)
g – Knox, Hist. of the Ref., p. 45, 46.
Seaton ayant fait une absence, après le carême, l’archevêque et le clergé prirent courage, condamnèrent la doctrine qu’il avait prêchée, et nommèrent un autre dominicain pour la réfuter. Seaton revint aussitôt de Dundee où il était, fit sonner les cloches de la cathédrale, et montant en chaire, répéta plus énergiquement et plus clairement encore ce qu’il avait dit. Puis rappelant tout ce que l’évêque doit être d’après saint Paul, il demanda où il y en avait de tels en Écosse ? Le primat, informé de ce discours, le fit comparaître et lui reprocha d’avoir affirmé que les évêques n’étaient que des chiens muets. — Seaton répondit que c’était une accusation mal fondée. « Vous nous remplissez de joie, » s’écria Beaton. Mais les témoins confirmèrent leur déposition. « Ce sont des inventions, dit de nouveau le confesseur du roi à l’archevêque, ces gens-là ne savent pas distinguer entre l’apôtre saint Paul, le prophète Esaïe et moi. Saint Paul affirme, ai-je dit, qu’il faut que l’évêque enseigne. Esaïe déclare que ceux qui ne le font pas sont des chiens muets. Mais je n’ai rien affirmé de moi-même ; je me suis contenté de citer les paroles de l’Esprit de Dieu, j’ai laissé à chacun la liberté de s’appliquer ou non ses oracles. »
Beaton n’hésita pas ; ce ministre hardi embouchait évidemment la trompette d’Hamilton et d’Alesius. Le primat entreprit d’obtenir l’autorisation du roi pour agir contre son confesseur, et cela fut plus aisé qu’il ne l’imaginait. Seaton, comme Jean Baptiste, n’avait pas craint d’encourir la disgrâce du monarque et l’avait repris de ses désordres. Jacques n’avait rien dit pensant que le confesseur faisait son devoir. Mais quand il vit l’archevêque dénoncer Seaton : « Ah ! dit au primat ce jeune prince adonné à une vie dérégléeh, j’en sais plus que vous sur son audace ; » et dès lors, il affecta une grande froideur pour Seaton. Celui-ci comprenant le sort qui l’attendait, quitta le royaume et se réfugia à Berwick, deux ans environ après le carême prêché par lui en 1532.
h – « This carnal prince who altogether was given unto the fllthy lusts of the flesh. » (Knox, Hist., p. 48.)
Il n’y resta pas oisif : Il avait un dernier devoir à remplir envers le roi son maître. « Les évêques de votre royaume, lui écrivit-il, s’opposent à ce que nous enseignions l’Évangile de Christ. J’offre de me présenter devant Votre Majesté, et de convaincre les prêtres d’erreuri. » Le roi n’ayant point répondu, Seaton se rendit à Londres où il devint chapelain du duc de Suffolk, beau-frère de Henri VIII, et prêcha avec éloquence à de grands auditoires.
i – Knox’s Hist. of the Ref., p. 48-52.
Le roi d’Angleterre aimait assez recevoir les évangéliques exilés de l’Écosse. Un prêtre plus éclairé que les autres, André Charteris, avait appelé ses collègues des enfants du diable, et disait tout haut : « Si quelqu’un remarque leur astuce et leur fausseté et les accuse d’impureté, aussitôt eux l’accusent d’hérésie. Si Christ lui-même était en Écosse, nos pères le couvriraient de plus d’ignominie que ne l’ont fait autrefois les Juifs eux-mêmes. » Henri demanda à le voir, parla assez longuement avec lui et en fut très content : « Vraiment, lui dit-il, il est bien dommage que vous ayez jamais été prêtrej. »
j – Calderwood, I.
Le clergé s’était débarrassé d’Hamilton, de Seaton, d’Alesius, et pourtant il était inquiet, car il savait que les saintes Écritures se trouvaient en Écosse. « Il est défendu, fut-il publié dans toutes les paroisses, de vendre et de lire le Nouveau Testament. » Tous les exemplaires trouvés dans les boutiques devaient être brûlésk. Alesius, alors en Allemagne, fut grandement affligé et résolut de parler.
k – Msc. Advocate library. Pitcairn’s Criminal Trials, I, p. 161.
« J’apprends, Sire, écrivit-il au roi, que les évêques éloignent les âmes des oracles de Christ ; les Turcs pourraient-ils faire quelque chose de pire ? La morale serait-elle indépendante des saintes Écrituresl ? La religion ne serait-elle autre chose qu’une certaine discipline des mœurs publiques ? C’est la doctrine d’Épicure ; mais que deviendra l’Eglise si les évêques répandent des dogmes épicuriens ? Dieu ordonne qu’on écoute le Fils, non comme un docteur qui philosophe sur la doctrine des mœurs, mais comme un prophète qui révèle des choses saintes inconnues au monde. Si les évêques provoquent contre ceux qui entendent sa parole, les peines les plus dures, la connaissance de Jésus-Christ s’éteindra et le peuple prendra des opinions païennesm.
l – « Mores regi posse sine sacris libris ? » (Alesii Epistola contra decretum quoddam episcoporum in Scotia.) Cette lettre ne porte ni lieu d’impression, ni nom d’éditeur ; il y a seulement à la fin : Anno MDXXXIII.
m – « Ut populus paulatim induat ethnicas persuasiones. » (Ibid.)
« O roi sérénissime, résistez à ces conseils impies ! Ceux qui sont dans la force de l’âge, l’enfance et toute la génération à venir le réclament. On nous punit, on nous met à mort… Un homme, Eurybiade de Sparte, général en chef, ayant, dans une discussion levé son bâton sur Thémistocle, en lui défendant de parler, l’Athénien répondit : — Frappe, mais écoute ! — Nous dirons de même. Nous parlerons, car l’Évangile seul peut affermir les âmes, au milieu des périls infinis des temps actuels. »
Ni roi ni prêtres ne répondirent à la lettre d’Alesius ; mais un Allemand fameux, Cochlée, l’adversaire de Luther, se chargea d’engager Jacques V à fermer l’oreille à de tels discours : « Sire, lui écrivit-il, les maux que les Nouveaux Testaments disséminés par Luther ont fait fondre sur l’Allemagne, sont si grands, que les évêques, en détournant leurs brebis de cette pâture mortelle, se sont montrés de fidèles pasteurs. Des sommes incalculables ont été prodiguées pour imprimer des cent milliers d’exemplaires de ce livre. Or, quel profit en ont retiré les lecteurs, si ce n’est d’être emprisonnés, bannis et soumis à d’autres tribulations ? Un décret ne suffit pas, Sire, il faut agir. L’évêque de Trêves a fait jeter au Rhin les Nouveaux Testaments et avec eux les libraires qui les vendaient. Cet exemple a effrayé les autres, — et heureusement, car ce livre est l’évangile de Satan, et non de Jésus-Christn. » Tel était l’exemple proposé au roi Jacques.
n – Ce traité, sous forme de lettre, est intitulé : An expediat laicis legere Novi Testamenti libros lingua vernacula ? (Ex Dresda. Id. Junii 1533.)
En même temps le parti de Rome cherchait à brouiller l’Écosse avec l’Angleterre, et Jacques engageait déjà quelques escarmouches. Un jour, sous prétexte de chasse, il se jeta avec « une petite compagnie » de trois cents personnes dans les terres dont la possession lui était contestée par son oncleo. Un peu plus tard, quatre cents Écossais envahirent au lever du soleil les Marches (contrées frontières), et pillèrent ce qu’ils y trouvèrent ; Northumberland les repoussa et mit à mort les prisonniers qu’il leur fit. Les Écossais prenaient et brûlaient des villes de l’Angleterre ; les Anglais envahissaient l’Écosse et en ravageaient les villes et les campagnes. Le roi d’Écosse intimidé, se tourna vers le pape et le roi de France et cria de toutes ses forces au secours. Puis pour être à la fois agréable aux prêtres, au pape et à François Ier, il suivit le conseil de Cochlée ; seulement en Écosse le feu des bûchers fui substitué aux eaux du Rhin.
o – State papers, IV, p. 608 à 611.
Un jeune moine, nommé Henri Forrest, qui se trouvait dans le couvent des bénédictins de Linlithgow, également vif dans ses sympathies et ses antipathies, avait été touché des paroles d’Hamilton, et exprimait hautement et partout ses regrets de la mort du jeune parent du roi, l’appelant un martyr. Ce moine fut bientôt convaincu d’un crime plus énorme encore ; il lisait le Nouveau Testament. L’archevêque le fit mettre en prison à Saint-André. Un jour, un religieux (envoyé par le prélat) se présenta à lui, pour lui administrer, dit-il, des consolations ; et, s’offrant à le confesser, il sut, par des questions habiles, amener le jeune bénédictin à dire tout ce qu’il pensait sur les doctrines d’Hamilton. Forrest fut aussitôt condamné à être livré aux autorités séculières pour être mis à mort, et une assemblée cléricale se forma pour le dégrader. Le jeune évangélique avait à peine franchi la porte où elle siégeait, que, découvrant l’archevêque et les prêtres rangés en cercle devant lui, il comprit ce qui l’attendait et s’écria d’une voix pleine de mépris : « Fi de la duplicité ! Fi des faux prêtres qui révèlent le secret des confessionsp ! » Un clerc s’étant alors approché de lui pour le dégrader, le bénédictin, las de tant de perfidies, s’écria : « Otez-moi non seulement vos ordres, mais encore votre baptême. » Il entendait par là, dit un historien, les pratiques superstitieuses que Rome a ajoutées à l’institution du Seigneur. Ces paroles irritaient toujours plus l’assemblée : « Il faut le brûler, dit le primat, pour épouvanter tous les autres. » Un homme simple et candide qui se trouvait à côté de Beaton, lui dit d’un ton ironique : « Monseigneur, si on le brûle, faites en sorte que ce soit dans une cave, car la fumée du bûcher d’Hamilton a infesté d’hérésie tous ceux qui en ont senti l’odeur. » Ce conseil ne fut pas suivi. Au nord de Saint-André, dans les comtés de Forfar et d’Angus, se trouvaient beaucoup de gens qui aimaient l’Évangile venu d’Allemagne ; on trouve encore dans cette contrée le village de Luthermoor, le torrent de Luther qui se jette dans le North-Esk, le pont de Luther et le moulin de Lutherq. Les adversaires de Forrest résolurent d’élever son bûcher en un lieu tel que la population de Forfar et d’Angus pût en voir les flammesr, et comprendre ainsi à quel danger on s’expose en tombant dans le protestantisme. Le bûcher fut donc placé au nord de l’église de l’abbaye de Saint-André, et le feu fut discerné de ces districts du nord qui devaient porter plus tard le nom de Luther. Henri Forrest fut le second martyr de l’Écosse.
p – « Fie on falsehood ! lie on false friars. » (Fox, Acts, IV, p. 579.)
q – Anderson, Bible annals, II, p. 443, note.
r – « To the intent that all the people of Forfar might see the fire, » etc. (Fox, Acts, IV, 579.)
Bientôt, de ces mêmes contrées, sortit celui qui devait être le troisième à donner sa vie en Écosse pour la Réformation. Une gentilhommière, située sur les bords de la mer, près de l’embouchure du North-Esk, était habitée par l’un des Straiton de Lauriston, à qui, depuis le sixième siècle, appartenait la terre de ce nom ; les membres de cette famille étaient généralement distingués par une grande stature, la force du corps, l’énergie du caractère. David, fils puîné (l’aîné habitait le château de Lauriston), digne de ses aïeux, avait des manières rudes, et un esprit opiniâtre. Il affichait un grand mépris pour les livres, surtout pour les livres religieux, préférant lancer sa barque à la mer, mettre ses voiles au vent, jeter ses filets et lutter corps à corps avec les vents et avec les flots. Il eut bientôt d’autres luttes à soutenir. Le prieur de Saint-André, Patrick Hepburn, plus tard évêque de Murray, homme fort avare, apprenant que David faisait de très belles pêches, lui en demanda la dîme : « Dites à votre maître, répondit le fier gentilhomme, que s’il veut l’avoir, il vienne la prendre sur place. » Dès lors, chaque fois qu’il retirait ses filets, il criait aux pêcheurs : « Payez la dîme au prieur de Saint-André, » et ceux-ci jetaient chaque dixième poisson dans la mer.
Le prieur de Saint-André ayant appris cette étrange manière de faire droit à sa réclamation, ordonna au vicaire d’Eglesgreg d’aller recevoir les poissons. Le vicaire obéit ; mais le rude gentilhomme voyant le prêtre et ses gens se mettre sans façon de la partie, leur donna un coup d’épaule et si vivement que quelques-uns d’entre eux tombèrent dans la mers.
s – « So that some of them fall into the sea. » (Fox, Acts, IV, p. 579.)
Le prieur intenta un procès à Straiton pour crime d’hérésie. Jamais concile n’avait appelé de ce nom sa manière de payer la dîme. N’importe, le mot hérétique était alors si redouté que le hardi gentilhomme commença à s’émouvoir ; son orgueil s’abattit, et reconnaissant ses péchés, il sentit qu’il avait besoin du Dieu qui pardonne. Il rechercha donc tous ceux qui pouvaient lui parler de l’Évangile ou le lui lire, car il ne savait pas lire lui-même.
Non loin de sa demeure, se trouvait le château de Dun, dont le baron, John Erskine, prévôt de Montrose, descendant des comtes de Marr, avait fréquenté diverses universités en Écosse et à l’étranger, et avait été amené à la foi évangélique.
« Dieu, dit Knox, l’avait merveilleusement éclairé. » Son château, où retentissait la parole des prophètes et des apôtres, était toujours ouvert à ceux qui avaient soif de vérité ; aussi les chrétiens évangéliques des environs y avaient-ils des réunions fréquentes. Erskine s’aperçut du changement qui s’opérait dans l’âme de son rude voisin ; il vint le voir, s’entretint avec lui, l’exhorta à changer de vie. Bientôt Straiton fréquenta assidûment les assemblées du château, « et fut, dit Knox, transformé comme par un miraclet. »
t – « Miraculously, as it was, he appeared to be cbanged. » (Knox, Hist. of the Ref., I, p. 59. Scot’s Worthies, p. 20.)
Le jeune baron de Lauriston, son neveu, possédait un Nouveau Testament. Straiton se rendait souvent au château pour y entendre quelques parties de l’Évangile. Un jour, l’oncle et le neveu sortirent ensemble, se promenèrent dans les environs, puis se retirèrent en un lieu solitaire pour y lire l’Évangile. Le jeune laird choisit le deuxième chapitre de saint Matthieu. Straiton écoutait attentivement comme si c’était à lui que le Seigneur adressât le discours qui s’y trouve rapporté. Quand vint cette déclaration de Jésus-Christ : « Quiconque me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon père qui est aux cieux, » Straiton ému, saisi, tomba à genoux, étendit ses mains en haut et porta quelque temps vers le ciel, mais sans rien dire, un humble et fervent regard ; il semblait en extaseu. Enfin, ne pouvant-plus contenir les sentiments qui le pressaient, il s’écria : « J’ai été méchant, Seigneur, et tu ne serais que juste si tu retirais de moi ta grâce ! Toutefois, pour l’amour de ta miséricorde, ne permets pas que la crainte des souffrances ou de la mort me fasse renier jamais ni toi, ni ta véritév ! » Dès lors, il se mit à servir avec zèle le maître dont il avait senti la grande charité. Le monde lui paraissait une vaste mer, pleine d’agitation, où les hommes ne cessent d’être rudement ballottés jusqu’à ce qu’ils soient entrés dans le port de l’Évangile. Le pêcheur se fit pêcheur d’hommes. Il exhortait ses connaissances et ses amis à chercher Dieu, et répondait aux prêtres avec fermeté. Un jour qu’ils l’invitaient à faire les œuvres pies qui délivrent du purgatoire. « Je ne connais d’autre purgatoire, répondit-il, que la passion de Christ et les tribulations de la vie. » Straiton fut conduit à Edimbourg, et jeté en prison.
u – « On hearing them, he became of a sudden as one enraptured or inspired. » (Scot’s Worthies, p. 20.)
v – « He throw himself on his knees, extented his hands, » etc. (Ibid.)
Il y trouva un autre Écossais. Norman Gourlay, qui, ayant voyagé sur le continent après avoir reçu les ordres, y avait été éclairé par la parole de l’Évangile. Convaincu que le mariage est honorable entre tous, Gourlay s’était marié à son retour en Écosse, et un prêtre lui ayant rappelé la défense de Rome : « Le pape, répondit-il, n’est pas un évêque, mais un antichrist, et il n’a point de juridiction en Écosse. »
Le 26 août 1534, ces deux serviteurs de Dieu furent introduits dans une salle de l’abbaye de Holyrood. Les juges y siégeaient et le roi, vêtu de rouge des pieds à la tête, était là comme pour leur prêter main-forte. Jacques V sollicita ces deux chrétiens affermis d’abjurer leurs doctrines. « Brûlez votre bill, rétractez-vousw, » leur disait-il ; mais Straiton et Gourlay préféraient qu’on les brûlât eux-mêmes. Le roi ému, ébranlé, eût voulu leur faire grâce ; mais les prêtres lui déclarèrent qu’il n’en avait pas le droit, puisque ces gens étaient condamnés par l’Église. Le 27 août après-midi, un grand bûcher fut allumé sur le sommet de Calton-Hill afin qu’on pût en voir de loin les flammes, et le feu dévora ces deux nobles chrétiens. Si la Réforme a été plus tard si ferme en Écosse, c’est que la semence en a été sainte.
w – « To recant and burn his bill. » (Spotswood, p. 66.)
Ce n’était pas encore assez. Toutes ces hérésies, pensait-on, proviennent d’Hamilton ; il fallait donc extirper sa famille du sol écossais. Mais sir James, bon gentilhomme, magistrat intègre et aimant l’Évangile, n’était pourtant pas d’humeur à se laisser brûler comme son frère. Aussi, ayant un jour reçu l’ordre de comparaître devant le tribunal, il s’adressa immédiatement au roi, qui lui fit dire secrètement de ne pas se présenter. Sir James quitta donc le royaume ; il fut condamné, excommunié, banni, privé de ses biens et vécut près de dix ans à Londres dans une extrême détresse.
Sa sœur Catherine était à la fois une chaude Écossaise et une huguenote décidée. Elle ne voulut pas s’échapper, et comparut à Holyrood en présence du tribunal ecclésiastique et du roi lui-même. « Par quel moyen, lui dit-on, croyez-vous être sauvée ? — Par la foi au Sauveur, répondit-elle, et non par « les œuvres. » Alors un des canonistes, maître John Spence dit fort longuement : « Il faut distinguer entre les diverses œuvres. Premièrement il y a des œuvres de congruité, secondement il y a des œuvres de condignité. Les œuvres des justes sont de cette dernière catégorie et méritent la vie « éternelle ex condigno. Il y a aussi les œuvres pies ; puis les œuvres de surérogation ; » et il expliquait en termes scolastiques ce que toutes ces expressions voulaient dire. Ces mots étranges retentissaient aux oreilles de Catherine comme le bruit d’un faux-bourdon. Lassée de ce babil théologique, elle s’échauffa et s’écria : « Œuvres par-ci, « œuvres par-là… Qu’est-ce que signifient toutes ces œuvres ?… Il y a une seule chose que je sache de science certaine, c’est que nulle œuvre ne peut me sauver, si ce n’est l’œuvre de Christ mon Sauveur ! » Le docteur restait ébahi et ne répondait rien, tandis que le roi s’efforçait inutilement de cacher un rire convulsif. Il tenait à sauver Catherine et lui faisant signe de s’approcher, il la supplia de déclarer au tribunal qu’elle respectait l’Église. Catherine, qui n’avait jamais pensé à se mettre en rébellion contre les puissances supérieures, laissa le roi dire ce qu’il voulut, et se retira en Angleterre, puis en France, probablement dans la famille de son marix qui, de son vivant, était officier français à la suite du duc d’Albany.
x – Fox, Acts, IV, p. 579. Scot’s Worthies, p. 16.
Mais ces supplices, ces exils ne mirent pas fin à l’orage. Plusieurs autres chrétiens évangéliques durent aussi alors quitter l’Écosse. Gawyn Logie, chanoine de Saint-André, principal régent du collège de Saint-Léonard, où Patrick Hamilton avait eu une si grande influence, avait répandu les principes scripturaires parmi les étudiants, en sorte que si l’on voulait faire comprendre qu’un tel était évangélique, on disait : « Il a bu au puits de Saint-Léonard ! » Logie quitta l’Écosse en 1534. Johnston, avocat à Édimbourg, Fife, ami d’Alesius, M’Alpine et plusieurs autres durent aller en même temps en exil. Le dernier, connu sur le continent sous le nom de Maccabée, se concilia la faveur du roi de Danemark et devint professeur à l’Université de Copenhague.