Nous avons établi dans le premier article que la première personne se nomme le Père, tout d’abord par rapport à la seconde ; et ce rapport hypostatique du Père au Fils se reflétera dans les fonctions économiques, c’est-à-dire dans les relations historiques du Père au monde. Or, comme le Père est en Dieu même, disions-nous, le porteur immédiat de l’essence divine, celui qui, seul appelé ὁ Θεός, se communique éternellement à la seconde personne comme à son image (Colossiens 1.15), c’est encore le Père qui est la personne primordiale, invisible, inaccessible à toute créature : Jean 1.18 ; 1 Timothée 1.17 ; 6.10. Mais ce n’est point la transcendance stérile et déserte telle que celle que la philosophie attribue au τὸ ὄν, que nous rattachons à son existence ; le Père, qui se nomme ὁ Θεός, se nomme aussi ὁ ὥν ; car il est le fonds et la source de toute existence créée : δι’ οὗ τὰ πάντα (1 Corinthiens 8.6) ; il est le Père de la créature (Matthieu 6.9), et de toute créature humaine, même dégénérée (Matthieu 7.11), comme il est le Père de la seconde personne divine, à cette différence près qu’il communique au Fils l’être en soi, l’aséité (Jean 5.26), et qu’il ne communique à la créature que la vie, le mouvement et l’être (Actes 17.28)h.
h – Ce passage ainsi que les deux précités, 1 Timothée 1.17 ; 6.16, ne désigne que le Père, puisque Christ est nommé dans le contexte, et spécialement Actes 17.31.
« Dieu apparaît donc, écrit Beck, dans cette première série de passages comme Père des bons et des méchants, non pas en considération d’une alliance particulière, mais en dedans des relations universelles qui existent entre lui en tant que Dieu et l’homme en tant qu’homme. Il est leur Père à la fois en considération de leur universelle indigence et de leur dignité d’hommes. Comme Père, il montre sa sollicitude spéciale en offrant à tous ses récompenses et ses délivrances, et par l’accès qu’il ouvre à tous ceux qui le prient. C’est là la condescendance paternelle du Maître du monde, qui motive la confiance de l’homme. Mais en même temps, Dieu est, dans la perfection morale de son amour universel (Matthieu 5.48 ; Luc 6.30), le modèle qui oblige tous les hommes et sollicite leur obéissance. »
Comme c’est de Lui que tout être procède, c’est à Lui aussi qu’appartient toute initiative dans le conseil avant le temps : Romains 8.29-30 ; Éphésiens 1.11 ; comp. 1 Pierre 1.2, comme de l’action dans le temps.
C’est Lui qui est implicitement désigné dans les nombreux cas où Dieu est appelé le Père du peuple d’Israël : Exode 4.22 ; Deutéronome 32.6 ; Ésaïe 63.10 ; 64.8 ; Jérémie 3.4,19 ; 31.9 ; Osée 1.10, comme le prouve la citation commune qui en est faite : 2 Corinthiens 6.16-18, et qui se rapporte spécialement au Père, puisque Christ est nommé tôt avant. C’est au Père que Jésus-Christ rapporte sans cesse à la fois l’initiative de l’œuvre de la rédemption manifestée par l’envoi du Fils sur la terre (Luc 10.16 ; Jean 3.16, et celle de ses propres œuvres dans le présent et dans l’avenir (Jean 5.19-20). Le Père est le Dieu de l’Evangile (Romains 1.1 ; comp. Romains 1.3 ; 1 Corinthiens 1.24 ; comp. 1 Corinthiens 1.30) ; le Seigneur suprême de tous les êtres : ἐπὶ πάντων, en même temps que l’essence vivante qui les environne, διὰ πάντων, et qui les pénètre, ἐν πᾶσιν ἡμῖν (Éphésiens 4.6). Dieu le Père est le Chef de Christ lui-même (1 Corinthiens 3.22 ; 11.3).
Mais le Père n’a pas seulement l’initiative des grandes œuvres historiques et universelles ; son action vise aussi les individus ; et comme c’est lui qui, avant le temps, a donné au Fils toute âme élue (Jean 17.2), il attire dans le temps au Fils toute âme croyante (Jean 6.44) ; et comme c’est de lui encore que procède l’Esprit dans l’existence hypostatique (Jean 15.26), c’est lui qui préside à l’œuvre de la sanctification du croyant, auquel l’Esprit est communiqué de sa part (Jean 14.26).
Aussi est-ce au Père, comme au Κύριος suprême, que doit remonter en dernière analyse et que saint Paul, en particulier, fait remonter toute prière et toute adoration (Matthieu 6.9 ; Actes 4.24 ; Romains 1.9), comme c’est à Lui que doit être rapportée en dernière fin toute gloire (Jean 17.1 ; 1 Corinthiens 8.6 : εἰς αὐτόν). Car le Père, de qui sont toutes choses et qui est sur toutes choses, sera aussi au terme de l’histoire de l’univers, et dès le passage du temps à l’éternité : ὁ θεὸς τὰ πάντα ἐν πᾶσιν. (1 Corinthiens 15.28).