Institution de la Religion Chrétienne

LIVRE II
Qui est de la cognoissance de Dieu, entant qu’il s’est monstré Rédempteur en Jésus-Christ : laquelle a esté cognue premièrement des Pères sous la Loy, et depuis nous a esté manifestée en l’Evangile.

Chapitre VII
Que la Loy a esté donnée, non pas pour arrester le peuple ancien à soy, mais pour nourrir l’espérance de salut qu’il devoit avoir en Jésus-Christ, jusques a ce qu’il veinst.

2.7.1

De tout le discours que nous avons fait, il est facile à recueillir que la Loy n’a pas esté donnée environ quatre cens ans après la mort d’Abraham, pour eslongner de Jésus-Christ le peuple esleu : mais plustost pour tenir les esprits en suspens jusques à l’advénement d’iceluy et les inciter à un désir ardent de telle venue : les confermer aussi en attente, afin qu’ils ne défaillissent pour la longueur du terme. Or par ce mot de Loy je n’enten pas seulement les dix préceptes, lesquels nous monstrent la reigle de vivre justement et sainctement, mais la forme de religion telle que Dieu a publiée par la main de Moyse. Car Moyse n’a pas esté donné pour Législateur, afin d’abolir la bénédiction promise à la race d’Abraham : plustost nous voyons que çà et là il rappelle les Juifs à ceste alliance gratuite que Dieu avoit establie avec leurs Pères, et de laquelle ils estoyent héritiers : comme s’il eust esté envoyé pour la renouveler. Ce qui a esté amplement manifesté par les cérémonies. Car il n’y auroit rien plus sot ou frivole, que d’offrir de la gresse et fumée puante des entrailles des bestes pour se réconcilier avec Dieu, ou avoir son refuge à quelque aspersion de sang ou d’eau, pour nettoyer les souilleures de l’âme. Brief si tout le service qui a esté sous la Loy est considéré en soy, comme s’il ne contenoit nulles ombres ne figures qui eussent leur vérité correspondante, il semblera que ce soit un jeu de petis enfans. Parquoy ce n’est pas sans cause que tant au sermon dernier de sainct Estiene qu’en l’Epistre aux Hébrieux, ce passage où Dieu commanda à Moyse de faire le tabernacle avec ses dépendances selon le patron qui luy avoit esté monstré en la montagne, est si diligemment noté Actes 7.44 ; Héb. 8.5 ; Exode 25.40. Car si le tout n’eust eu son but spirituel, les Juifs y eussent aussi bien perdu leur peine, comme les Payens en leurs badinages. Les gaudisseurs et gens profanes, qui n’ont jamais appliqué leur estude à droicte piété, se faschent d’un tel amas de cérémonies qu’on voit en la Loy : et non-seulement s’esmerveillent comme Dieu a voulu donner tant de peine au peuple ancien, le chargeant de tant de fardeaux : mais se mocquent de tant de façons de faire, comme des menus fatras et jeux de petis enfans : voire pource qu’ils ne regardent pas à la fin, de laquelle quand les figures de la Loy sont séparées, on les peut bien juger vaines et inutiles. Mais ce patron duquel il est parlé, monstre bien que Dieu n’a pas ordonné les sacrifices pour occuper en choses terrestres ceux qui le voudroyent servir, mais plustost pour eslever leurs esprits plus haut. Ce qu’on peut vérifier par sa nature : car comme il est Esprit, aussi ne prend-il plaisir qu’à service spirituel. Ce que plusieurs sentences des Prophètes tesmoignent, quand ils rédarguent les Juifs de leur bestise, en ce qu’ils pensoyent que les sacrifices tels quels fussent aucunement prisez de Dieu. Leur intention n’estoit point de rien déroguer à la Loy : mais estans droicts et vrais expositeurs d’icelle, ils ont ramené le vulgaire des Juifs au but duquel ils s’estoyent destournez. Desjà nous avons à recueillir, puis que la grâce de Dieu a esté offerte aux Juifs, que la Loy n’a pas esté vuide de Christ. Car Moyse leur a proposé ceste fin de leur adoption : c’est qu’ils fussent pour royaume sacerdotal à Dieu Ex. 19.6, ce qu’ils ne pouvoyent obtenir, s’il n’y eust eu une réconciliation plus digne et précieuse que par le sang des bestes brutes. Car quelle raison ne propos y auroit-il, que les fils d’Adam, lesquels par contagion héréditaire naissent tous esclaves de péché, fussent soudain eslevez en dignité royale, et par ce moyen faits participans de la gloire de Dieu, sinon qu’un si haut bien et si excellent leur parveinst d’ailleurs ? Comment aussi le droict de sacrificature leur pouvoit-il appartenir, ou avoir lieu entre eux, veu qu’ils estoyent abominables à Dieu par les macules de leurs vices, sinon qu’ils eussent esté consacrez en cest office par la saincteté du chef ? Parquoy sainct Pierre en tournant les mots de Moyse, a usé d’une grâce et dextérité qui est bien à noter : c’est qu’en signifiant que la plénitude de grâce que les Juifs ont goustée sous la Loy, a esté desployée en Jésus-Christ : il dit, Vous estes le lignage esleu, et la sacrificature royale 1Pi. 2.9 ? Car ce changement de mots tend à ce qu’on cognoisse que ceux ausquels Jésus-Christ est apparu par l’Evangile, ont receu plus de biens que leurs Pères : d’autant qu’ils sont tous ornez et revestus d’honneur sacerdotal et royal, afin d’avoir liberté de se présenter devant Dieu franchement par le moyen de leur Médiateur.

2.7.2<

Il est yci à noter en passant, que le royaume qui a esté dressé en la maison de David, estoit une partie de la charge et commission qui avoit esté donnée à Moyse, et de la doctrine de laquelle il avoit esté ministre. Dont il s’ensuit que tant en la lignée de Lévi qu’aux successeurs de David, Jésus-Christ a esté proposé devant les yeux des Juifs, comme en un double miroir : pource que (comme j’ay n’aguères dit) ils ne pouvoyent estre autrement sacrificateurs devant Dieu, veu qu’ils estoyent serfs de péché et de mort, et pollus en leur corruption. On peut aussi maintenant veoir combien est vray ce que dit sainct Paul, que les Juifs ont esté retenus sous la Loy Gal. 3.24, comme sous la garde d’un maistre d’eschole, jusqu’à ce que la semence, en faveur de laquelle la grâce avoit esté donnée, veinst. Car d’autant que Jésus-Christ ne leur estoit point encores familièrement monstré, ils ont esté semblables pour ce temps-là à des enfans, et leur rudesse et infirmité ne pouvoit porter plene science des choses célestes. Or comment ils ont esté conduits à Jésus-Christ par les cérémonies, il a esté desjà exposé, et on le peut encores mieux comprendre par beaucoup de tesmoignages des Prophètes. Car combien qu’ils fussent obligez à offrir journellement nouveaux sacrifices pour appaiser Dieu, toutesfois Isaïe leur monstre que tous péchez seroyent effacez pour un coup par un sacrifice unique et perpétuel. Ce qu’aussi Daniel conferme Esaïe 53.5 ; Daniel.9.26-27. Les Sacrificateurs estans choisis de la lignée de Lévi, entroyent au sanctuaire : mais ce pendant il estoit dit au Pseaume, que Dieu en avoit esleu un seul, voire establi avec serment solennel et immuable, pour estre Sacrificateur selon l’estat de Melchisédec Ps. 110.4. L’onction de l’huile visible avoit lors son cours : mais Daniel, selon qu’il avoit eu par vision, prononce qu’il y en aura bien une autre. Je n’insisteray pas plus longuement sur cecy, d’autant que l’autheur de l’Epistre aux Hébrieux, depuis le quatrième chapitre, jusques à l’onzième déduit au long et au large et monstre clairement que toutes les cérémonies de la Loy sont de nulle valeur et nul proufit, jusques à ce qu’on viene à Jésus-Christ. Quant aux dix commandemens, ceste sentence de sainct Paul leur compète aussi bien : asçavoir que Jésus-Christ est la fin de la Loy, en salut à tous croyans. Item, Que Jésus-Christ est l’âme ou l’esprit qui vivifie la letre, laquelle en soy autrement seroit mortelle Rom. 10.4 ; 2Cor. 3.6. Car au premier passage il signifie que c’est en vain que nous sommes enseignez quelle est la vraye justice, jusques à ce que Jésus-Christ la nous donne tant par imputation gratuite, qu’en nous régénérant par son Esprit. Pourtant à bon droict il nomme Jésus-Christ l’accomplissement ou la fin de la Loy : pource qu’il ne proufiteroit rien de sçavoir ce que Dieu requiert de nous, sinon que Jésus-Christ nous secourust, en nous allégeant du joug et fardeau insupportable, sous lequel nous travaillons et sommes accablez. En un autre lieu il dit que la Loy a esté mise pour les transgressions, voire afin d’humilier les hommes en les ayant convaincus de leur damnation Gal. 3.19. Or pource que telle est la vraye préparation et unique pour venir à Christ, tout ce qu’il dit en divers mots, s’accorde très-bien ensemble. Mais pource qu’il a eu à débatre contre des séducteurs, qui enseignoyent qu’on se pouvoit justifier, et mériter salut par les œuvres de la Loy, pour abatre leur erreur il a esté quelquesfois contraint de prendre la Loy plus estroitement, comme si elle commandoit simplement de bien vivre, jà soit que l’alliance d’adoption ne s’en doyve point séparer, quand on parle de tout ce qu’elle contient.

2.7.3

Or il est expédient de veoir en brief comment nous sommes rendus tant plus inexcusables, après avoir esté enseignez par la Loy morale, pour nous soliciter à demander pardon. Or s’il est vray que la perfection de justice soit monstrée en la Loy, il s’ensuit pareillement que l’observation entière de la Loy est entière justice devant Dieu, par laquelle l’homme puisse estre réputé juste devant son throne céleste. Pourtant Moyse ayant publié la Loy, ne fait point de doute d’appeler en tesmoin le ciel et la terre, qu’il a proposé au peuple d’Israël la vie et la mort, le bien et le mal Deut. 30.19. Et ne pouvons contredire, que l’obéissance entière de la Loy ne soit rémunérée de la vie éternelle, comme le Seigneur l’a promis. Toutesfois il nous faut d’autre part considérer, asçavoir si nous accomplissons telle obéissance, de laquelle nous puissions concevoir quelque confiance de salut. Car de quoy sert-il d’entendre qu’en obéissant à la Loy on peut attendre le loyer de la vie éternelle, si quant et quant nous ne cognoissons que par ce moyen nous pouvons parvenir à salut ? Or en cest endroict se démonstre l’imbécillité de la Loy : car d’autant que ceste obéissance n’est trouvée en nul de nous, par cela estans exclus des promesses de vie, nous tombons en malédiction éternelle. Je ne dy pas seulement ce qui se fait, mais ce qui est nécessaire qu’il adviene. Car comme ainsi soit que la doctrine de la Loy surmonte de beaucoup la faculté des hommes, nous pouvons bien de loing regarder les promesses qui y sont données : mais nous n’en pouvons recevoir aucun fruit. Pourtant il ne nous en revient rien, sinon que par cela nous voyons d’autant mieux nostre misère : entant que toute espérance de salut nous est ostée, et la mort révélée. D’autre costé se présentent les horribles menaces qui y sont mises : lesquelles ne pressent pas aucuns de nous, mais tous généralement. Elles nous pressent, dy-je, et nous poursuyvent d’une rigueur inexorable, tellement que nous voyons une certaine malédiction en la Loy.

2.7.4

Pourtant, si nous ne regardons que la Loy, nous ne pouvons autre chose que perdre du tout courage, estre confus, et nous désespérer : veu qu’en icelle nous sommes tous maudits et condamnez, et n’y a celuy de nous qui ne soit forclos de la béatitude promise à ceux qui l’observent. Quelqu’un demandera si Dieu se délecte à nous tromper. Car il semble bien advis que c’est une mocquerie, de monstrer quelque espérance de félicité à l’homme, l’appeler et exhorter à icelle, promettre qu’elle luy est appareillée, et cependant que l’accès soit fermé. Je respon, que combien que les promesses de la Loy, d’autant qu’elles sont conditionnelles, ne doyvent point estre accomplies sinon à ceux qui auront accompli toute justice (ce qui ne se trouve entre les hommes,) toutesfois qu’elles n’ont point esté données en vain. Car après que nous avons entendu qu’elles n’ont point de lieu ni efficace envers nous, sinon que Dieu par sa bonté gratuite nous reçoyve sans aucun esgard de nos œuvres : après aussi que nous avons receu par foy icelle bonté, laquelle il nous présente par son Evangile, ces mesmes promesses avec leur condition ne sont point vaines. Car lors le Seigneur nous donne gratuitement toutes choses, en telle sorte que sa libéralité vient jusques à ce comble, de ne rejetter pas nostre obéissance imparfaite : mais en nous remettant et pardonnant ce qui y défaut, l’accepter pour bonne et entière, et par conséquent nous faire recevoir le fruit des promesses légales, comme si leur condition estoit accomplie. Mais d’autant que ceste question sera plus plenement traittée, quand nous parlerons de la justification de la foy, je ne la veux point maintenant poursuyvre plus outre.

2.7.5

Ce que nous avons dit l’observation de la Loy estre impossible, il nous le faut briefvement expliquer et confermer. Car il semble advis que ce soit une sentence fort absurde, tellement que sainct Hiérosme n’a point fait doute de la condamner pour meschante. Touchant de la raison qui l’a meu à ce faire, je ne m’en soucie : il nous doit suffire d’entendre la vérité. Je ne feray point yci grandes distinctions des manières de possibilité. J’appelle Impossible, ce qui n’a jamais esté veu, et est ordonné par la sentence de Dieu que jamais ne sera. Quand nous regarderons depuis le commencement du monde, je dy qu’il n’y a eu nul de tous les saincts, lequel estant en ceste prison de corps mortel ait eu une dilection si parfaite, jusques à aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa vertu. Je dy d’avantage, qu’il n’y en a eu nul qui n’ait esté entaché de quelque concupiscence. Qui contredira à cela ? Je voy bien quels saincts imagine la superstition : c’est asçavoir d’une telle pureté qu’à grand’peine les Anges du ciel soyent semblables : mais cela répugne tant à l’Escriture qu’à l’expérience. Je dy encores plus, qu’il n’y en aura jamais qui viene jusques à un tel but de perfection, jusques à ce qu’il soit délivré de son corps. Ce qui est prouvé de plusieurs évidens tesmoignages de l’Escriture. Salomon disoit en dédiant le Temple, qu’il n’y a homme sur la terre qui ne pèche. David dit que nul des vivans ne sera justifié devant Dieu 1Rois 8.46 ; Ps. 143.2. Ceste sentence est souvent répétée au livre de Job. Sainct Paul l’afferme plus clairement que tous les autres : La chair, dit-il, convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair. Et ne prend autre raison pour prouver que tous ceux qui sont sous la Loy sont maudits, sinon pource qu’il est escrit que tous ceux qui ne demeureront point en l’obéissance des commandemens, seront maudits Gal. 5.17 ; 3.10 ; Deut. 27.26. En quoy il signifie, ou plustost met comme une chose résolue que nul n’y peut demeurer. Or tout ce qui est prédit en l’Escriture, il le faut avoir pour éternel, et mesmes pour nécessaire. Les Pélagiens molestoyent sainct Augustin de ceste subtilité : c’est qu’on fait injure à Dieu, s’il commande plus outre que ce que les fidèles ne peuvent faire par sa grâce. Luy, pour éviter leur calomnie, confessoit que le Seigneur pourroit bien s’il vouloit exalter un homme mortel en perfection angélique : mais que jamais ne l’avoit fait, et ne le feroit point à l’advenir, pource qu’il a dit du contraire[a]. Je ne contredy point à ceste sentence : mais j’adjouste qu’il n’y a nul propos de disputer de la puissance de Dieu contre sa vérité. Et pourtant je dy que ceste sentence ne se peut caviller, si quelqu’un dit estre impossible que les choses advienent, desquelles nostre Seigneur a dénoncé qu’elles n’adviendront point. Mais encores si on dispute du mot, Jésus-Christ estant interrogué de ses disciples qui pourroit estre sauvé : respond que cela est impossible aux hommes, mais à Dieu que toutes choses sont possibles Matth. 19.25. Sainct Augustin monstre par bonnes raisons, que jamais nous ne rendons en la vie présente l’amour à Dieu que nous luy devons : L’amour, dit-il, procède tellement de la cognoissance que nul ne peut parfaitement aimer Dieu, qu’il n’ait cognu premièrement sa bonté[b]. Or ce pendant que nous sommes en ce pèlerinage terrien, nous ne la voyons sinon obscurément, et comme en un miroir : il s’ensuit doncques que l’amour que nous luy portons est imparfait. Ainsi, que nous ayons cela pour certain, que l’accomplissement de la Loy nous est impossible, ce pendant que nous conversons en ce monde : comme il sera démonstré ailleurs par sainct Paul Rom. 8.3.

[a] Lib. De natur. et grat.
[b] Lib. De spiritu et litera, in fine, et sæpe alias.

2.7.6

Mais afin que le tout s’entende plus clairement, recueillons en un sommaire l’office et usage de la Loy qu’on appelle morale : duquel selon que je puis juger, il y a trois parties. La première est qu’en démonstrant la justice de Dieu, c’est-à-dire celle qui luy est agréable, elle admoneste un chacun de son injustice, et l’en rend certain, jusques à l’en convaincre et condamner. Car il est besoin que l’homme, lequel est autrement aveuglé et enyvré en l’amour de soy-mesme, soit contraint à cognoistre et confesser tant son imbécillité que son impureté : veu que si sa vanité, n’est rédarguée à l’œil, il est enflé d’une folle outrecuidance de ses forces, et ne peut estre induit à recognoistre la foiblesse et petitesse d’icelles, quand il les mesure à sa fantasie. Mais quand il les esprouve à exécuter la Loy de Dieu, par la difficulté qu’il y trouve il a occasion d’abatre son orgueil. Car quelque grande opinion qu’il en ait conceue au paravant, il sent lors combien elles sont grevées d’un si pesant fardeau, jusques à chanceler, vaciller, déchoir, et finalement du tout défaillir. Ainsi l’homme estant instruit de la doctrine de la Loy, est retiré de son outrecuidance dont il est plein de sa nature. Il a aussi besoin d’estre purgé de l’autre vice d’arrogance, dont nous avons parlé. Car ce pendant qu’il s’arreste à son jugement, il forge au lieu de vraye justice une hypocrisie, en laquelle se complaisant il s’enorgueillit contre la grâce de Dieu, sous ombre de je ne sçay quelles observations inventées de sa teste : mais quand il est contraint d’examiner sa vie selon la balance de la Loy de Dieu, laissant sa fantasie qu’il avoit conceue de ceste fausse justice, il voit qu’il est eslongné à merveilles de la vraye saincteté, et au contraire, qu’il est plein de vices, desquels il se pensoit estre pur au paravant. Car les concupiscences sont si cachées et entortillées, que facilement elles trompent la veue de l’homme. Et n’est point sans cause que l’Apostre dit qu’il n’a sceu que c’estoit de concupiscence, sinon que la Loy luy dist, Tu ne convoiteras point Rom. 7.7. Car si elle n’est descouverte par la Loy, et tirée hors de ses cachettes, elle meurtrit le malheureux homme, sans qu’il en sente rien.

2.7.7

Pourtant la Loy est comme un miroir, auquel nous contemplons premièrement nostre foiblesse, en après l’iniquité qui procède d’icelle, finalement la malédiction qui est faite, des deux, comme nous appercevons en un miroir les taches de nostre visage. Car celuy auquel défaut toute faculté à justement vivre, ne peut autre chose faire, que demeurer en la boue de péché. Après le péché s’ensuit malédiction. Parquoy d’autant que la Loy nous convainc de plus grande transgression, d’autant elle nous monstre plus damnables, et dignes de plus grand’peine. C’est ce qu’entend l’Apostre, quand il dit, que par la Loy vient la cognoissance du péché Rom. 3.20. Car il note là le premier office d’icelle, lequel se monstre aux pécheurs qui ne sont point régénérez. A un mesme sens revienent aussi ces sentences : Que la Loy est survenue afin d’augmenter le péché : et pourtant qu’elle est administration de mort, laquelle produit l’ire de Dieu, et nous occit Rom. 5.20 ; 2Cor. 3.7. Car il n’y a nulle doute que d’autant plus que la conscience est touchée de près de l’appréhension de son péché, l’iniquité croist quant et quant : veu qu’avec la transgression lors est conjoincte la rébellion à l’encontre du Législateur Rom. 4.15. Il reste doncques qu’elle arme la vengence de Dieu en la ruine du pécheur : d’autant qu’elle ne peut sinon accuser, condamner et perdre. Et comme dit sainct Augustin, Si l’Esprit de grâce est osté, la Loy ne proufite d’autre chose que d’accuser et occir[c]. Or en disant cela, on ne fait nulle injure à la Loy, et ne dérogue-on rien à son excellence. Certes si nostre volonté estoit du tout fondée et reiglée en l’obéissance d’icelle, il nous suffiroit de cognoistre sa doctrine pour nostre salut. Mais comme ainsi soit que nostre nature, comme elle est corrompue et charnelle, soit directement répugnante à la Loy spirituelle de Dieu, et ne se puisse corriger par la discipline d’icelle : il s’ensuit que la Loy, qui avoit esté donnée à salut, si elle eust esté bien receue, nous tourne en occasion de péché et de mort. Car puis que nous sommes tous convaincus d’estre transgresseurs d’icelle, d’autant plus qu’elle nous révèle la justice de Dieu, d’autre costé elle descouvre nostre iniquité : d’autant plus qu’elle nous certifie du loyer préparé à la justice, elle nous asseure pareillement de la confusion préparée aux iniques. Parquoy tant s’en faut qu’en ces propos nous facions quelque injure à la Loy, que nous ne sçaurions mieux recommander la bonté de Dieu. Car par cela il appert que nostre seule perversité nous empesche d’obtenir la béatitude éternelle, laquelle nous estoit présentée en la Loy. Par cela nous avons matière de prendre plus grande saveur à la grâce de Dieu, laquelle nous subvient au défaut de la Loy : et à aimer d’avantage sa miséricorde, par laquelle ceste grâce nous est conférée, entant que nous voyons qu’il ne se lasse jamais en nous bienfaisant, et adjoustant tousjours bénéfice sur bénéfice.

[c] De corrept. et gratia ; Vide Ambros., De Jac., cap. I, et Vita beata, cap. VI.

2.7.8

Or ce que nostre iniquité et condamnation est convaincue et signée par le tesmoignage de la Loy : cela ne se fait point afin que nous tombions en désespoir, et qu’ayans du tout perdu courage, nous abandonnions en ruine : car cela n’adviendra point, si nous en faisons bien nostre proufit. Bien est vray que les meschans se desconfortent en ceste façon : mais cela advient de l’obstination de leur cœur. Mais il faut que les enfans de Dieu vienent à autre fin, c’est d’entendre ce que dit sainct Paul, lequel confesse bien que nous sommes tous condamnez par la Loy, afin que toute bouche soit fermée, et que tout le monde soit rendu redevab’e à Dieu Rom. 3.19 : mais ce pendant en un autre lieu il enseigne que Dieu a tous enclos sous incrédulité : non pas pour perdre, ou mesmes pour laisser périr, mais afin de faire miséricorde à tous Rom. 9.31 : asçavoir afin que se démettans de toute vaine estime de leur vertu, ils recognoissent qu’ils ne sont soustenus sinon de la main. D’avantage, qu’estans du tout vuides et desnuez, ils recourent à sa miséricorde, se reposans entièrement en icelle, se cachans sous l’ombre d’icelle, la prenans seule pour justice et mérite, comme elle est exposée en Jésus-Christ à tous ceux qui la cherchent, désirent et attendent par vraye foy. Car le Seigneur n’apparoist point aux préceptes de la Loy rémunérateur sinon de parfaite justice, de laquelle nous sommes tous despourveus : au contraire se monstre sévère exécuteur des peines deues à nos fautes : mais en Christ sa face nous reluit plene de grâce et de douceur, combien que nous soyons povres pécheurs et indignes.

2.7.9

Quant est de l’instruction que nous devons prendre en la Loy, pour nous faire implorer l’aide de Dieu, sainct Augustin en parle souvent : comme quand il dit, La Loy commande, afin que nous estans efforcez de faire ses commandemens, et succombans par nostre infirmité, nous apprenions d’implorer l’aide de Dieu[d]. Item, L’utilité de la Loy est de convaincre l’homme de son infirmité, et le contraindre de requérir la médecine de grâce, laquelle est en Christ[e]. Item, La Loy commande : la grâce donne, force de bien faire[f]. Item, Dieu commande ce que nous ne pouvons faire, afin que nous sçachions ce que nous luy devons demander[g]. Item, La Loy a esté donnée pour nous rendre coulpables : afin qu’estans coulpables nous craignions, et qu’en craignant nous demandions pardon, et ne présumions point de nos forces[h]. Item, La Loy a esté donnée afin de nous faire petis, au lieu que nous estions grands : afin de nous monstrer que nous n’avons point la force de nous-mesmes d’acquérir justice, afin qu’estans ainsi povres, et indigens, nous recourions à la grâce de Dieu[i]. Puis après il adjouste une prière, Fay ainsi Seigneur, commande-nous ce que nous pouvons accomplir, ou plustost, commande-nous ce que nous ne pouvons accomplir sans ta grâce : afin que quand les hommes ne pourront accomplir par leurs forces ce que tu dis, toute bouche soit fermée, et que nul ne s’estime grand : que tous soyent petis, et que tout le monde soit rendu coulpable devant Dieu[j]. Mais c’est chose superflue à moy, d’assembler des tesmoignages de sainct Augustin sur ceste matière, veu qu’il en a escrit un livre propre, lequel il a intitulé, De l’esprit et de la lettre. Touchant du second proufit, il ne le déclaire pas si expressément : possible à cause qu’il pensoit que l’un se pourroit entendre par l’autre, ou bien qu’il n’en estoit pas si résolu, ou bien qu’il ne s’en pouvoit pas despescher comme il eust voulu. Or combien que l’utilité dont nous avons parlé, convient proprement aux enfans de Dieu, toutesfois elle est commune aux réprouvez. Car combien qu’ils ne vienent pas jusques à ce point, comme font les fidèles, d’estre confus selon la chair, pour recevoir vigueur spirituelle en l’esprit, mais défaillent du tout en estonnement et désespoir, néantmoins cela est bon pour manifester l’équité du jugement de Dieu, que leurs consciences soyent agitées de tel tourment. Car tant qu’il leur est possible ils taschent tousjours de tergiverser contre le jugement de Dieu. Maintenant combien que le jugement de Dieu ne soit point manifesté, néantmoins par le tesmoignage de la Loy et de leur conscience ils sont tellement abatus, qu’ils démonstrent ce qu’ils ont mérité.

[d] Epist LXXXIX.
[e] Epist CC.
[f] Epist. XCV.
[g] Lib. De corrept. et gratia.
[h] In Psalm. LXX
[i] In Psalm. CXVIII
[j] Au sermon XXVII.

2.7.10

Le second office de la Loy est, à ce que ceux qui ne se soucient de bien faire que par contrainte, en oyant les terribles menaces qui y sont contenues, pour le moins par crainte de punition, soyent retirez de leur meschanceté. Or ils en sont retirez, non pas que leur cœur soit intérieurement esmeu ou touché, mais seulement ils sont estreins comme d’une bride, pour ne point exécuter leurs mauvaises cupiditez, lesquelles autrement ils accompliroyent en licence desbordée. Par cela ils ne sont de rien plus justes ne meilleurs devant Dieu. Car combien qu’ils soyent retenus par crainte ou par honte, tellement qu’ils n’osent pas exécuter ce qu’ils ont conceu en leur cœur, et ne jettent hors la rage de leur intempérance, néantmoins ils n’ont point le cœur rangé à la crainte et obéissance de Dieu : mais plustost d’autant plus qu’ils se retienent, ils sont d’autant plus enflambez et eschauffez en leur concupiscence, estans prests de commettre toute vilenie et turpitude, sinon que l’horreur de la Loy les restreinst. Et non-seulement le cœur demeure tousjours mauvais, mais aussi ils hayssent mortellement la Loy de Dieu : et d’autant que Dieu en est autheur, ils l’ont en exécration : tellement que s’il leur estoit possible ils l’aboliroyent volontiers : veu qu’ils ne le peuvent endurer commandant ce qui est bon et sainct et droict, et se vengeant des contempteurs de sa majesté. Ceste affection se monstre plus apertement en d’aucuns, aux autres elle est plus cachée, néantmoins elle est en tous ceux qui ne sont point régénérez : c’est qu’ils sont induits à se submettre tellement quellement à la Loy, non pas d’un franc vouloir, mais par contrainte, et avec grande résistance : et n’y a autre chose qui les y astreigne, sinon qu’ils craignent la rigueur de Dieu. Néantmoins ceste justice contrainte et forcée est nécessaire à la communauté des hommes, à la tranquillité de laquelle nostre Seigneur pourvoit, quand il empesche que toutes choses ne soyent renversées en confusion : ce qui seroit, si tout estoit permis à un chacun. D’avantage ; il n’est point inutile aux enfans de Dieu, d’estre régis par ceste doctrine puérile, du temps qu’ils n’ont point encores l’Esprit de Dieu, mais s’esgayent en l’intempérance de leur chair, comme aucunesfois il advient que nostre Seigneur ne se révèle point du premier coup à ses fidèles, mais les laisse cheminer quelque temps en ignorance, devant que les appeler. Car lors estans restreins de toute dissolution par ceste terreur servile, combien qu’ils ne proufitent pas beaucoup présentement, veu que leur cœur n’est encores dompté ne subjugué : néantmoins ils s’accoustument ainsi petit à petit à porter le joug de nostre Seigneur, afin que quand il les aura appelez, ils ne soyent du tout rudes à se submettre à ses commandement, comme à une chose nouvelle et incognue. Il est vraysemblable que l’Apostre a voulu toucher cest office de la Loy, en disant qu’elle n’est point donnée pour les justes, mais pour les injustes et rebelles, infidèles et pécheurs, meschans et pollus, meurtriers de leurs parens, homicides, paillards, larrons, menteurs et parjures, et entachez de tels vices qui contrevienent à saine doctrine 1Tim. 1.9-10. Car il monstre en cela, que la Loy est comme une bride pour refréner les concupiscences de la chair, lesquelles autrement se desborderoyent sans mesure.

2.7.11

On peut appliquer à tous les deux ce qu’il dit en un autre passage : c’est que la Loy a esté pédagogue aux Juifs, pour les mènera Christ Gal. 3.24. Car il y a deux genres d’hommes, lesquels elle meine à Christ par son instruction puérile. Les premiers sont ceux desquels nous avons parlé au paravant, qui estans trop pleins de la fiance de leur propre vertu ou justice, ne sont point capables de recevoir la grâce de Christ, s’ils ne sont premièrement rendus vuides. La Loy doncques leur monstrant leur misère, les range à humilité : et par ce moyen les prépare à désirer ce dont ils ne pensoyent point avoir faute. Les seconds sont ceux qui ont mestier de bride pour estre restreins, afin de ne vaguer point selon les concupiscences de leur chair. Car là où l’Esprit de Dieu ne gouverne point encores, les concupiscences quelquesfois sont si énormes et exorbitantes, que l’âme est en danger d’estre comme ensevelie par icelles en un mespris et contemnement de Dieu. Et de faict, il en adviendroit ainsi, n’estoit que Dieu y pourvoit parce moyen, retenant par la bride de sa Loy ceux ausquels la chair domine encores. Pourtant, quand il ne régénère point du premier coup un homme lequel il a esleu pour l’appeler à salut, il l’entretient jusqu’au temps de sa Visitation, par le moyen de sa Loy, sous une crainte, non point pure et droicte, comme elle doit estre en ses enfans : laquelle toutesfois est utile pour ce temps-là à celuy qui doit estre amené de longue main à plus parfaite doctrine. Nous avons tant d’expériences de cela, qu’il n’est jà mestier d’en alléguer quelque exemple. Car tous ceux qui ont demeuré quelque temps en ignorance de Dieu, confesseront qu’ils ont esté ainsi entretenus en une crainte de Dieu telle quelle, jusqu’à ce qu’ils fussent régénérez par son Esprit, pour commencer à l’aimer de bon courage et affection.

2.7.12

Le troisième usage de la Loy, qui est le principal et proprement appartient à la fin pour laquelle elle a esté donnée, a lieu entre les fidèles, au cœur desquels l’Esprit de Dieu a desjà son règne et sa vigueur. Car combien qu’ils ayent la Loy escrite en leurs cœurs du doigt de Dieu : c’est-à-dire, combien qu’ils ayent ceste affection par la conduite du sainct Esprit, qu’ils désirent d’obtempérer à Dieu, toutesfois ils proufitent encores doublement en la Loy : car ce leur est un très-bon instrument ; pour leur faire mieux et plus certainement de jour en jour entendre quelle est la volonté de Dieu, à laquelle ils aspirent, et les confermer en la cognoissance d’icelle. Comme un serviteur, combien qu’il soit délibéré en son cœur de servir bien à son maistre, et luy complaire bien du tout, toutesfois il a besoin de cognoistre familièrement et bien considérer ses mœurs et conditions, afin de s’y accommoder. Et ne se doit personne de nous exempter de ceste nécessité. Car nul n’est encores parvenu à telle sagesse, qu’il ne puisse par la doctrine quotidienne de la Loy s’advancer de jour en jour, et proufiter en plus claire intelligence de la volonté de Dieu. D’avantage, pource que nous n’avons pas seulement mestier de doctrine, mais aussi d’exhortation, le serviteur de Dieu prendra ceste utilité de la Loy, que par fréquente méditation d’icelle il sera incité en l’obéissance de Dieu, et en icelle confermé, et retiré de ses fautes. Car il faut qu’en ceste manière les saincts se solicitent eux-mesmes, à cause que quelque promptitude qu’ils ayent de s’appliquer à bien faire, néantmoins ils sont tousjours retardez de la paresse et pesanteur de leur chair, tellement qu’ils ne font jamais plenement leur devoir. A ceste chair la Loy est comme un fouet, pour la chasser à l’œuvre : comme un asne lequel ne veut tirer avant, si on ne frappe assiduellement dessus. Ou pour parler plus clairement, puis que l’homme spirituel n’est point encores délivré du fardeau de sa chair, la Loy luy sera un aiguillon perpétuel, pour ne le laisser point endormir ny appesantir. En cest usage regardoit David, quand il célébroit la Loy de Dieu de si grandes louanges : comme quand il dit, La Loy de Dieu est immaculée, convertissant les âmes : les commandemens de Dieu sont droicts, resjouissans les cœurs Ps. 19.8, etc. Item, Ta Parole est une lampe à mes pieds, et clairté pour dresser mes voyes : et tout ce qui s’ensuit au mesme Pseaume Ps. 119.105. Et ne répugne rien cela aux sentences de sainct Paul ci-dessus alléguées : où il est monstré, non pas quelle utilité apporte la Loy à l’homme fidèle et desjà régénéré : mais ce qu’elle peut de soy-mesme apporter à l’homme. Au contraire, le Prophète monstre avec quel proufit nostre Seigneur instruit ses serviteurs en la doctrine de sa Loy, quand il leur inspire intérieurement le courage de la suyvre. Et ne prend pas seulement les préceptes, mais il adjouste la promesse de grâce, laquelle ne doit point estre séparée quant aux fidèles, et laquelle fait que ce qui seroit amer s’adoucit pour avoir bonne saveur. Car si la Loy seulement en exigeant nostre devoir et menaçant, solicitoit nos âmes de crainte et frayeur, il n’y auroit rien moins aimable : surtout David démonstre qu’en icelle il a cognu et appréhendé le Médiateur, sans lequel il n’y auroit nulle douceur ne plaisir.

2.7.13

Aucuns ignorans ne pouvans discerner ceste différence, rejettent témérairement Moyse en général et sans exception, et veulent que les deux tables de la Loy soyent là laissées, pource qu’ils ne pensent point que ce soit chose convenable aux Chrestiens, de s’arrester à une doctrine laquelle contient en soy administration de mort. Ceste opinion doit estre loin de nous, veu que Moyse a très bien déclairé que la Loy, combien qu’en l’homme pécheur ne puisse qu’engendrer mort, toutesfois apporte bien une autre utilité et proufit aux fidèles. Car estant prochain de la mort, il fait ceste protestation devant le peuple, Retenez bien en vostre mémoire et vostre cœur les paroles que je vous testifie aujourd’huy : afin de les enseigner à vos enfans, et les instruire à garder et faire toutes les choses qui sont escrites en ce livre. Car ce n’est point en vain qu’elles vous sont commandées : mais afin que vous viviez en icelles Deut. 32.46-47. Et de faict, si nul ne peut nier qu’en la Loy il n’y ait comme une image entière de parfaite justice, ou il faudra dire que nous ne devons avoir nulle reigle de bien vivre, ou qu’il nous faut tenir à icelle. Car il n’y a point plusieurs reigles de bien vivre : mais une seule, qui est perpétuelle et immuable. Pourtant ce que dit David, que l’homme juste médite jour et nuit en la Loy Ps. 1.2, ne doit estre rapporté à un siècle : mais convient à tous aages, jusques en la fin du monde. Et ne faut point que cela nous estonne, qu’elle requiert une plus parfaite saincteté que nous ne pouvons avoir ce pendant que nous sommes en la prison de nostre corps, tellement que pour cela nous quittions sa doctrine. Car quand nous sommes sous la grâce de Dieu, elle n’exerce point sa rigueur pour nous presser jusqu’au bout, tellement que ce ne soit point satisfait sinon que nous accomplissions tout ce qu’elle dit : mais en nous exhortant à la perfection où elle nous appelle, elle nous monstre le but auquel il nous est utile et convenable toute nostre vie de tendre, pour faire nostre devoir : et si nous ne laissons point d’y tendre, c’est assez. Car toute ceste vie est comme une course, de laquelle quand nous viendrons à la fin, le Seigneur nous fera ce bien, que nous parviendrons à ce but lequel nous poursuyvons maintenant : combien que nous en soyons encores loing.

2.7.14

Maintenant doncques à cause que la Loy sert d’exhortation aux fidèles non pas pour lier leurs consciences en malédiction, mais pour les resveiller de paresse en les solicitant, et chastier leur imperfection, aucuns voulans signifier ceste délivrance de la malédiction d’icelle, disent que la Loy est abroguée et cassée aux fidèles (je parle tousjours de la Loy morale) non pas qu’elle leur doyve tousjours commander ce qui est bon et sainct : mais d’autant qu’elle ne leur est plus ce qu’elle estoit auparavant : c’est-à-dire qu’elle ne confond point leurs consciences d’un estonnement de mort. Et de faict, sainct Paul démonstre bien clairement une telle abrogation de la Loy. D’avantage, il appert qu’elle a esté preschée de Jésus-Christ, veu qu’il se défend de ne vouloir point destruire ne dissiper la Loy Matth. 5.17 : ce qu’il n’eust fait sinon qu’on l’en eust accusé. Or ceste opinion ne fust point venue en avant sans aucune couleur : pourtant il est vray-semblable qu’elle estoit procédée d’une fausse exposition de sa doctrine : comme tous erreurs quasi prenent leur occasion de vérité. Or afin que nous ne tombions en cest inconvénient, il nous faut diligemment distinguer ce qui est abrogué en la Loy, et ce qui y demeure encores ferme. Quand le Seigneur Jésus dit qu’il n’est point venu pour abolir la Loy, mais pour l’accomplir : et qu’il n’en passera une seule lettre jusques à tant que le ciel et la terre faudront, que tout ce qui y est escrit ne se face, en cela il démonstre que par son advénement la révérence et obéissance de la Loy n’est en rien diminuée. Et ce à bonne cause : veu qu’il est venu pour donner remède aux transgressions d’icelle. La doctrine doncques de la Loy n’est en rien violée par Jésus-Christ, qu’elle ne nous dresse à toute bonne œuvre, en nous enseignant, admonestant, reprenant et chastiant.

2.7.15

Touchant ce que sainct Paul dit de la malédiction, cela n’appartient point à l’office d’instruire : mais d’estreindre et captiver les consciences. Car la Loy, quant à sa nature, non-seulement enseigne, mais requiert estroitement ce qu’elle commande. Si on ne le fait, et mesmes si on n’en vient à bout jusqu’au dernier point, elle jette incontinent la sentence horrible de malédiction. Par ceste raison l’Apostre dit que tous ceux qui sont sous la Loy sont maudits, d’autant qu’il est escrit, Maudits seront tous ceux qui n’accompliront tout ce qui est commandé Gal. 3.10 ; Deut. 27.26. Conséquemment il dit que tous ceux-là sont sous la Loy, qui n’establissent point leur justice en la rémission des péchez : laquelle nous délivre de la rigueur de la Loy. Il nous faut doncques sortir de ses liens si nous ne voulons misérablement périr en captivité. Mais de quels liens ? De ceste rigoureuse exaction, de laquelle elle nous poursuit sans rien remettre, et sans laisser une seule faute impunie. Pour nous racheter de ceste malheureuse condition, Christ a esté fait maudit pour nous : comme il est escrit, Maudit sera celuy qui pendra au bois. Au chapitre suyvant sainct Paul dit que Jésus-Christ a esté assujeti à la Loy, pour racheter ceux qui estoyent en la servitude d’icelle : mais il adjouste quant et quant, afin que nous jouissions du privilège d’adoption pour estre enfans de Dieu Gal. 3.13 ; 4.4 ; Deut. 21.23. Qu’est-ce à dire cela ? c’est que nous ne fussions point tousjours enserrez en captivité, laquelle teinst nos consciences liées en angoisse de mort. Néantmoins cela demeure tousjours cependant, que l’authorité de la Loy n’est en rien enfreinte, que nous ne la devions tousjours recevoir en mesme honneur et révérence.

2.7.16

La raison est diverse quant aux cérémonies, lesquelles n’ont point esté abolies quant à leur effect, mais quant à leur usage. Or ce que Jésus-Christ les a fait cesser à sa venue, ne dérogue rien à leur saincteté, mais plustost la magnifie et rend plus précieuse. Car comme ce n’eust esté qu’une bastelerie anciennement, ou un amuse-fol (comme l’on dit) si la vertu de la mort et résurrection de Jésus-Christ n’y eust esté monstrée : aussi d’autre costé si elles n’eussent prins fin, on ne sçauroit aujourd’huy discerner pourquoy elles ont esté instituées. Suyvant ceste raison sainct Paul voulant monstrer que l’observation d’icelles non-seulement est superflue, mais aussi nuisible, dit que ç’ont esté ombres, desquelles le corps nous apparoist en Jésus-Christ Coloss. 2.17. Nous voyons doncques qu’en l’abolition d’icelles la vérité nous reluit mieux que s’il y avoit encores un voile tendu, et que Jésus-Christ, lequel s’est monstré de près, y fust figuré comme de loin. Et voylà pourquoy à la mort de Jésus-Christ le voile du temple s’est rompu en deux parties et est tombé bas Matth. 27.51, pource que l’image vive et expresse des biens célestes estoit manifestée, ayant en soy la perfection de ce que les cérémonies anciennes n’avoyent que les premières traces et obscures, comme en parle l’autheur de l’Epistre aux Hébrieux Héb. 10.1. A quoy appartient le dire de Christ, que la Loy et les Prophètes ont esté jusques à Jean, et que de là le Royaume de Dieu a commencé d’estre annoncé Luc 16.16 : non pas que les saincts Pères ayent esté privez et desnuez de la prédication qui contient en soy l’espérance de salut mais pource qu’ils ont apperceu seulement de loing et en ombrage, ce que nous voyons aujourd’huy en plene clairté. Sainct Jehan Baptiste rend la raison pourquoy il a falu que l’Eglise de Dieu commençast par tels rudimens pour monter plus haut : c’est que la Loy a esté donnée par Moyse, la grâce et vérité a esté faite par Jésus-Christ Jean 1.17. Car combien que l’anéantissement et pardon des péchez fust promis aux sacrifices anciens, et que le coffre de l’alliance leur fust un certain gage de la faveur paternelle de Dieu, cela n’estoit qu’un ombre s’il n’eust esté fondé en Jésus-Christ, auquel seul on trouve ferme stabilité et permanente. Quoy qu’il en soit, cela nous doit demeurer arresté, combien que les cérémonies de la Loy ayent prins fin pour n’estre plus en usage, que cela est pour mieux faire cognoistre quelle a esté leur utilité jusques à l’advénement de Jésus-Christ : lequel en abatant l’observation, a ratifié par sa mort, leur vertu et effect.

2.7.17

La raison que note sainct Paul a un peu plus de difficulté : Du temps, dit-il, que vous estiez morts en vos péchez, et au prépuce de vostre chair, Dieu vous a vivifiez avec Christ : vous pardonnant toutes vos fautes, effaçant l’obligé des décrets, qui estoit à l’encontre de vous, et vous estoit contraire, en le fichant à la croix Coloss. 2.13-14, etc. Car il semble advis qu’il vueille estendre plus outre l’abrogation de la Loy, tellement que ses décrets ne nous appartienent plus de rien : car ceux qui prenent cela simplement de la Loy morale, errent : de laquelle néantmoins ils exposent que la sévérité trop rigoureuse a esté abolie, non pas la doctrine. Les autres considérans de plus près les paroles de sainct Paul, voyent bien que cela proprement compète à la Loy cérémoniale : et monstrent que sainct Paul a accoustumé d’user de ce mot de Décrets, quand il en parle, car aux Ephésiens il dit ainsi : Jésus-Christ est nostre paix, lequel nous a conjoincts ensemble, abolissant la Loy des ordonnances, laquelle gist en décrets Ephés. 2.14, etc. Il n’y a nulle doute que ce propos ne se doyve entendre des cérémonies : car il dit que ceste Loy estoit comme une muraille pour séparer les Juifs d’avec les Gentils. Je confesse doncques que la première exposition à bon droict est reprinse des seconds : toutesfois il me semble qu’eux-mesmes n’expliquent pas encores du tout bien la sentence de l’Apostre : car je n’approuve poinct qu’on confonde ces deux passages, comme si l’un estoit tout semblable à l’autre. Quant est de celuy qui est en l’Epistre aux Ephésiens, le sens est tel : sainct Paul les voulant acertener comme ils estoyent receus en la communion du peuple d’Israël, leur dit que l’empeschement qui estoit auparavant pour les diviser, a esté osté, c’estoyent les cérémonies : car les lavemens et sacrifices par lesquels les Juifs se sanctifioyent à Dieu, les séparoyent d’avec les Gentils. Mais en l’Epistre aux Colossiens, il n’y a celuy qui ne voye qu’il touche un plus haut mystère. Il est là question des observations mosaïques, ausquelles les séducteurs vouloyent contraindre le peuple chrestien. Comme doncques en l’Epistre aux Galatiens, ayant ceste mesme dispute à démener, il la tire plus loing et la réduit à sa source : ainsi fait-il en cest endroict. Car si on ne considère autre chose aux cérémonies, sinon la nécessité de s’en acquitter : pourquoy les appelle-il un obligé ? et un obligé contraire à nous ? Et à quel propos eust-il quasi constitué toute la somme de nostre salut en ce qu’il fust cassé et mis à néant ? Parquoy on voit clairement qu’il nous faut yci regarder autre chose que l’extériorité des cérémonies. Or je me confie d’avoir trouvé la vraye intelligence, si on me confesse estre vraye ce qu’escrit en quelque lieu très véritablement sainct Augustin, ou plustost ce qu’il a tiré des paroles toutes évidentes de l’Apostre, c’est qu’aux cérémonies judaïques il y avoit plustost confession des péchez, que purgation[k]. Car qu’est-ce qu’ils faisoyent en sacrifiant, sinon qu’ils se confessoyent estre coulpables de mort, veu qu’ils substituoyent en leur lieu la beste pour estre tuée ? Par leurs lavemens qu’est-ce qu’ils faisoyent, sinon se confesser immondes et contaminez. Parquoy ils confessoyent la dette de leur impureté et de leurs offenses. Mais en ceste protestation le payement n’en estoit point fait. Pour laquelle cause l’Apostre dit que la rédemption des offenses a esté faite par la mort de Christ, lesquelles demeuroyent sous l’ancien Testament, et n’estoyent point abolies Héb. 9.15. C’est donc à bon droict que sainct Paul appelle les cérémonies, des cédulles contraires à ceux qui en usoyent, veu que par icelles ils testifioyent et signoyent leur condamnation. A cela ne contrevient rien que les anciens Pères ont esté participans d’une mesme grâce avec nous : car ils ont obtenu cela par Christ, non point par les cérémonies, lesquelles sainct Paul en ce passage sépare de Christ, d’autant qu’elles obscurcissoyent lors sa gloire, après que l’Evangile avoit esté révélé. Nous avons que les cérémonies, si elles sont considérées en elles-mesmes, sont à bonnes raisons nommées cédulles contraires au salut des hommes, veu que ce sont comme instrumens authentiques pour obliger les consciences à confesser leurs dettes. Pourtant veu que les séducteurs vouloyent astreindre l’Eglise chrestienne à les observer, sainct Paul à bon droict regardant l’origine première, admoneste les Colossiens en quel danger ils trébuscheroyent, s’ils se laissoyent subjuguer en telle sorte. Car par un mesme moyen la grâce de Christ leur estoit ravie : d’autant que par la purgation qu’il a faite en sa mort, pour une fois il a aboli toutes ces observations externes, par lesquelles les hommes se confessoyent redevables à Dieu, et n’estoyent point acquittez de leurs dettes.

[k] Hébreux ch. 7, 8, 10.

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