Si l’on excepte ce qui regarde la probation des anges et la chute des démons, le rôle bienfaisant des bons anges et malfaisant des anges réprouvés à notre égard, le quatrième siècle latin et saint Augustin lui-même avaient laissé dans l’incertitude et la confusion les questions de l’angélologie chrétienne. Quand les anges ont-ils été créés ? Quelle est leur nature ? Existe-t-il entre eux un ordre, une hiérarchie, et lesquels ? Autant de problèmes insuffisamment résolus. Les siècles suivants vont essayer d’en éclaircir quelques-uns ; mais ils ne le feront qu’en transportant en Occident les conclusions du Pseudo-Denys l’Aréopagite.
Le moment de la création des anges reste toujours discuté. Saint Grégoire se contente de dire qu’ils ont été créés avant l’homme ; Gennade qu’ils l’ont été immédiatement après le ciel et la terre. Cassien les croit antérieurs au monde visible ; et c’est aussi l’avis de Bède, qui adopte simplement l’opinion de saint Augustin, d’après laquelle les anges seraient désignés par le mot caelum du verset premier de la Genèse. Ils auraient reçu l’existence d’abord et avant toute autre créature.
Quelle est leur nature ? Sont-ce de purs esprits, ou sont-ils composés d’esprit et de corps ? Saint Augustin regardait comme plus probable qu’ils étaient corporels. Bien qu’il les nomme des esprits, Cassien croit aussi qu’ils ont un corps d’une matière plus subtile que celle du nôtre. C’est le sentiment de Fauste, de Claudien Mamert, de Gennade » ; et saint Fulgence, sans se prononcer, constate que c’est celui de « magni et docti viri. », qui attribuent aux bons anges un corps igné, et aux démons un corps aérien. A partir de saint Grégoire cependant, l’opinion contraire, si elle ne triompha pas complètement, gagna du terrain. Saint Grégoire connaissait les œuvres du Pseudo-Aréopagite. Sans rejeter absolument l’ancienne façon de parler, il se déclara nettement pour l’absolue spiritualité des anges. Il ne dit pas seulement que ce sont des créatures spirituelles, sans corps : il écarte d’eux l’idée d’une composition de corps et d’esprit. Au même moment, un évêque de Carthage, Licinianus (vers l’an 600), plaidait vigoureusement la même thèse contre Fauste. L’autorité de saint Grégoire entraîna l’assentiment de saint Isidore ; et ainsi grandit peu à peu la doctrine qui affranchissait les anges de toute entrave matérielle : elle devait finalement l’emporter.
Avant saint Grégoire non plus, nous ne trouvons aucun enseignement fixe sur les degrés et la hiérarchie des anges. Cassien se demande d’où viennent les vocables d’anges, archanges, dominations, principautés, et il explique les derniers par le pouvoir qu’exercent les anges sur les nations ou les bons anges sur les mauvais. Saint Prosper observe — ce qu’on répétera souvent après lui — que le mot ange (envoyé) exprime non pas la nature mais une fonction accidentelle des anges : « Spiritus enim naturae nomen est, angelus actionis. » Mais saint Grégoire introduit, bien qu’incomplètement, dans la théologie latine, l’enseignement du Pseudo-Denys sur les ordres angéliques. Il y en a neuf, qui sont, en commençant par les inférieurs, « angeli, archangeli, virtutes, potestates, principatus, dominationes, throni, cherubim atque seraphim ». Le pontife expose quelles sont les prérogatives et les fonctions que dénotent ces diverses appellations, et remarque que les esprits célestes ne sont pas tous égaux en dignité, puisqu’il en est qui envoient, et d’autres qui sont envoyés. Ses vues furent naturellement reproduites par saint Isidore.
Sur l’épreuve des anges, la persévérance des bons, la révolte et la chute des dénions, nos auteurs ne font que répéter ce qui avait été dit avant eux. C’est par la grâce de Dieu unie à leur volonté que les bons anges sont restés fidèles ; et cette fidélité leur a valu d’être confirmés en grâce. Les démons au contraire sont tombés par orgueil : ils se sont « ad seipsos, non ad Deum conversi ». Cassien distingue même pour Satan deux fautes successives ; l’une d’orgueil, dans la révolte contre Dieu, l’autre d’envie, dans la tentation d’Ève. L’autorité de saint Augustin a définitivement éliminé l’interprétation de Genèse.6.2 dans le sens d’un commerce des anges avec les femmes.
Outre la contemplation de Dieu qui les béatifie, les bons anges sont occupés à la garde de la république spirituelle, de l’Église, des nations et des individus. Chaque peuple et chaque homme a son ange qui lui est préposé. Par contre, chacun de nous a aussi son démon qui le suit. Les démons remplissent notre atmosphère ; l’air en est infesté : ils se font entre eux la guerre ; mais ils la font surtout aux hommes, à qui ils apparaissent sous différentes formes, qu’ils attaquent et persécutent matériellement, et dont ils cherchent, par tous les moyens, à perdre les âmes. Ils ne sauraient toutefois leur nuire sans la permission de Dieu.