L’heure de l’évangélisation des païens avait sonné, mais ce ne fut que peu à peu et sous la haute direction du Saint-Esprit que l’Église primitive entreprit cette évangélisation. Pierre fut conduit malgré lui à se rendre chez le centenier Corneille pour lui annoncer l’Évangile, puis à baptiser les incirconcis sur lesquels le Saint-Esprit venait d’être manifestement répandu (Act. ch. 10). La première persécution chassa les fidèles jusque dans la grande cité païenne d’Antioche et ils y fondèrent une nombreuse communauté, où ils reçurent pour la première fois le nom de chrétiens (Actes 11.19-26). Dans cette ville, devenue le premier centre des ethnico-chrétiens, Barnabas et Saul furent mis à part pour un premier grand voyage missionnaire en pays païen et, au début même de ce voyage, Saul devenait déjà Paul, l’apôtre par excellence des Gentils (Actes 13.1-12), vocation spéciale pour laquelle il avait été appelé à devenir apôtre. Il devint tel, non seulement par ses voyages missionnaires, mais encore par ce qu’il nommait lui-même son Évangile, c’est-à-dire la conception du christianisme à lui révélée : l’Église y était affranchie des langes de l’Ancienne Alliance, et l’idée chrétienne brillait dans toute sa pureté, sa spiritualité, son universalitéa.
a – Actes 9.15 ; 22.15 ; 26.16-18 — Romains 2.16 ; 16.25 ; 2 Timothée 2.8, etc. — Cp. 2 Corinthiens 11.7 ; Galates 2.2,7 ; Éphésiens 3.1-12, etc.
Lors de la grande discussion qui, aussitôt après le premier voyage missionnaire de Paul, eut lieu à Jérusalem au sujet des Judéo-chrétiens qui prétendaient qu’il fallait circoncire les païens et exiger l’observation de la loi de Moïse, l’assemblée entière adopta la proposition de Jacques qui, n’interdisant aux ethnico-chrétiens que l’abstention des viandes sacrifiées aux idoles, du sang des animaux étouffés et de l’impudicité, les laissait complètement libres au sujet du sabbat mosaïque (Actes 15.1-33).
Mais, bien que Paul, en tant que Juif de naissance, observât lui-même le sabbat, il est deux passages de ses épîtres qui sont très explicites et même très énergiques sur l’abrogation du sabbat mosaïque par l’Évangile pour les chrétiens d’origine païenne. Comment retournez-vous, écrit-il aux Galates (Galates 4.9-11), à ces faibles et pauvres rudiments ? Vous observez religieusement jours et mois et époques solennelles et années ! Je crains bien d’avoir inutilement travaillé pour vous. Et aux Colossiens (Colossiens 2.16-17) : Que personne donc ne vous juge au sujet du manger ou du boire ou en matière de fête ou de nouvelle lune ou de sabbat ; c’était l’ombre des choses à venir, mais le corps est en Christ.
[Meyer, Godet, les Bibelw. de Bunsen et de Lange font dater l’épître aux Galates du long séjour de Paul à Ephèse ; Godet, de son commencement ; le Bibelw. de Lange, de l’an 55 ou 56. Le séjour de Paul à Ephèse eut lieu, d’après Wieseler et Godet, de 54 à 57 ; d’après Meyer, Ewald, de 55 à 58. Ἡμέρας παρατηρεῖσϑε, καὶ μῆνας, καὶ καιρούς, καὶ ἐνιαυτούς. Segond : vous observez les jours, les mois, les temps et les années. Παρατηρεῖσϑαι ne signifie pas simplement observer, mais observer religieusement. Olshausen dit : « Ce qui est ici blâmé, ce n’est pas la fête en elle-même… mais la superstition qui s’y mêlait, l’opinion qu’il y avait là une nécessité pour le salut. » Oltramare traduit καιρούς par les saisons ; Paul devait avoir ici en vue les grandes fêtes annuelles, telles que Pâque et les Tabernacles. Il y a donc une certaine progression : les jours correspondent aux sabbats, les mois aux néoménies, les époques solennelles aux grandes fêtes annuelles, les années tout d’abord à l’année sabbatique.
D’après Bleek, Godet, l’épître aux Colossiens aurait été écrite de Rome ; d’après Meyer, de Césarée. Μὴ ο᾽ῦν τις ὑμᾶς κρινέτω ἐν βρώσει ἢ ἐν πόσει, ἢ ἐν μέρει ἑορτῆς ἢ νουμηνίας ἢ σαββάτων. Nous avons traduit σαββάτων par le singulier, comme le font Rilliet, Oltramare, Meyer, etc. Ici il n’est pas question d’années, et la progression est l’inverse de celle qui a été signalée dans la note précédente : d’abord les grandes fêtes annuelles, puis les néoménies, puis les sabbats. Le mot ἑορτῆς correspond au mot καιρούς de Galates 4.10.]
D’autre part, à côté de ces déclarations catégoriques, nous voyons poindre, d’après 1 Corinthiens 16.2 et Actes 20.7, dans les églises d’origine païenne fondées par l’apôtre, la distinction d’un jour hebdomadaire autre que le sabbat, comme particulièrement saillant au point de vue religieux.
Pendant son séjour à Ephèse, Paul écrivit sa première épître aux Corinthiens ; or que dit-il 1 Corinthiens 16.1-4 ? « Pour ce qui concerne la collecte en faveur des saints, agissez, vous aussi, comme je l’ai ordonné aux Églises de la Galatie. Que chacun de vous, le premier jour de la semaine, mette à part ce qu’il aura le bonheur de pouvoir amasser. Et quand je serai venu, j’enverrai avec des lettres, pour porter vos libéralités à Jérusalem, les personnes que vous aurez approuvées ; et, si la somme mérite que j’y aille aussi moi-même, elles feront le voyage avec moi. » Pour bien apprécier la donnée ici renfermée, entrons dans quelques détails sur la vaste et importante collecte organisée par l’apôtre pour venir en aide aux chrétiens pauvres de Jérusalem.
Déjà dans Actes 11.29-30, Paul, encore désigné comme Saul et sous la direction de Barnabas, s’occupe de secourir ces chrétiens à la suite d’une famine qui, dans la quatrième année du règne de Claude, se fit surtout sentir à Jérusalem et dans quelques pays voisinsb. Plus tard, d’après Galates 2.10, lors de la Conférence apostolique de Jérusalem entre Jacques, Pierre et Jean, d’une part, et, de l’autre, Paul et Barnabas, conférence racontée à la fois dans l’épître aux Galates et dans Act. ch. 15, les premiers recommandèrent fraternellement aux deux apôtres des Gentils de « se souvenir des pauvres, » c’est-à-dire des chrétiens indigents de Jérusalem, et Paul ajoute : « ce que j’ai bien eu soin de fairec. »
b – D’après Winer, Meyer, Bunsen, cette famine eut lieu en 44 ; d’après Wieseler, en 45 ; d’après Ewald, 45 ou 46. Godet place en 44 le voyage de Barnabas et Saul en Judée lors de la mort d’Hérode-Agrippa (Actes 12).
c – La Conférence apostolique de Jérusalem est mise par Wieseler en 50 environ ; par Winer, en 50 ou 51 ; par ldeler, Ewald, Meyer, Bunsen, en 52 ; par Godet, au commencement de 52 ou vers la fin de 51.
Ici se place 1 Corinthiens 16.1-4, la plus ancienne donnée sur la vaste collecte entreprise par l’apôtre. Il venait de remporter de grands succès à Ephèse lorsqu’il conçut les plans les plus hardis pour ses travaux futurs, ainsi que l’indique Actes 19.21. « Déjà il portait ses regards vers Rome et l’Occident, dit Godet. L’Orient était évangélisé ; le flambeau de l’Évangile était allumé au moins dans toutes les grandes métropoles de l’Asie et de la Grèce, Antioche, Ephèse, Corinthe. A ces églises la tâche de répandre à l’avenir la lumière dans les contrées qui les environnaient et de continuer l’œuvre apostolique. L’Egypte et Alexandrie avaient probablement été visitées, peut-être par Barnabas et Marc à la suite de leur voyage en Chypre. L’Occident restait. C’était le champ qui s’ouvrait en ce moment aux regards et aux pensées de l’apôtre. Mais déjà l’Évangile l’a précédé à Rome. Il l’apprend… Qu’importe ? Rome devient pour lui un simple point de passage. Et son but, reculant avec la marche rapide de l’Évangile, sera maintenant l’Espagne (Romains 15.24)… Un devoir cependant le retenait encore en Orient. Il voulait visiter une dernière fois Jérusalem, non seulement pour prendre congé de la métropole de la chrétienté, mais plus particulièrement pour lui offrir, à la tête d’une nombreuse députation de chrétiens païens, l’hommage de toute la gentilité, dans une riche offrande collectée par toutes les églises, pendant ces dernières années, en faveur des chrétiens de Jérusalem. Quoi de plus propre à cimenter le lien d’amour qu’il s’était efforcé de former et d’entretenir entre les deux grandes portions de la chrétienté ! »
Que voyons-nous en fait déjà dans 1 Corinthiens 16.1-4 au point de vue général de la collecte ? L’apôtre en parle comme d’une chose déjà connue. Il veut faire à Corinthe ce qu’il a déjà fait en Galatie, probablement dans le voyage dont parle Actes 16.6. Chaque chrétien devra désormais, le 1er jour de la semaine, mettre de côté pour la collecte ce qu’il pourra prélever sur son gain. L’apôtre, de retour à Corinthe, recueillera ainsi facilement toutes les sommes préparées. Il fera ensuite porter la somme totale à Jérusalem par des personnes approuvées des Corinthiens et recommandées par les lettres de l’apôtre. Mais si elle mérite qu’il fasse lui-même le voyage, il accompagnera les délégués.
Vient ensuite 2Cor. ch. 8 et 9. Paul n’était plus à Ephèse où il avait écrit la première épître, mais en Macédoine, d’où il devait se rendre à Corinthe. Les Églises de Macédoine, stimulées par le récit de Paul sur l’empressement témoigné par les chrétiens de Corinthe pour la collecte, avaient beaucoup donné selon leurs moyens. Mais le zèle des Corinthiens s’était ralenti. L’apôtre sent le besoin de le réveiller. Avant de se rendre chez eux, il leur a envoyé Tite afin d’y continuer l’œuvre de bienfaisance qu’il avait commencée. Tite, qui représentait l’apôtre, était même accompagné de deux autres frères, délégués des Églises, mais non de celles de la Macédoine.
Romains 15.25-33, écrit de Corinthe, nous montre l’apôtre près de partir pour Jérusalem, afin d’y porter les abondantes largesses de la Macédoine et de l’Achaïe. « Il est étonnant, dit Godet, que Paul ne parle que des Églises de la Grèce, car Actes 20.4 et 1 Corinthiens 16.1 mettent hors de doute la participation des Églises d’Asie et de Galatie. »
Actes 20.4 est fort intéressant. Après être demeuré trois mois en Grèce, probablement à Corinthe, Paul partit pour Jérusalem, en passant par la Macédoine. Il devait être accompagné, tout au moins jusqu’en Asie, c’est-à-dire jusqu’à la province d’Ephèse, par 7 chrétiens, plus ou moins connus et appartenant à différentes Églises : Sopater, de Bérée ; Aristarque et Second, de Thessalonique, donc tous trois des Églises de Macédoine ; Gaïus de Derbe, Timothée, qui était probablement de Lystre, par conséquent deux Lycaoniens (Actes 14.6) ; enfin Tychique et Trophime, qui étaient d’Asie, c’est-à-dire d’Ephèse ou de ses environsd. Ces chrétiens ne partirent pas cependant de Philippes avec l’apôtre, mais quelques jours avant lui : ils devaient l’attendre à Troas, probablement pour préparer le voyage maritime. Chrétiens d’origine païenne, ils n’avaient pas d’ailleurs le même intérêt que Paul à rester à Philippes pour les jours des Azymes. Après ces jours, Paul partit lui-même, avec Luc qu’il avait trouvé à Philippes (Actes 20.6). Les deux missionnaires, arrivés à Troas, y restèrent pendant 7 jours (v. 6), au bout desquels Luc et les 7 autres s’embarquèrent pour Assos, petite ville maritime au sud et à une petite distance. Paul désirait y aller à pied, probablement, comme le conjecture Olshausen, en compagnie des chrétiens de Troas.
d – Actes 16.1-2. Voir Meyer. Trophime est dit positivement d’Ephèse Actes 21.29. Quant à Tychique, on le voit deux fois envoyé par Paul à Ephèse : Éphésiens 6.21 (cp. Colossiens 4.7) ; 2 Timothée 4.12.
Selon Schneckenburger, Baumgarten, Godet, les 7 chrétiens susmentionnés étaient précisément des délégués des Églises chargés avec l’apôtre de remettre aux chrétiens de Jérusalem l’argent de la collecte, et cette opinion paraît fondée. Nous retrouvons plus tard, avec Paul et Luc, Trophime à Jérusalem (Actes 21.29) et Aristarque lors du départ pour Rome (Actes 27.2 ; Colossiens 4.10 ; Philémon 1.24).
Revenons maintenant sur 1 Corinthiens 16.1-2. L’apôtre avait donc recommandé à l’Église de Corinthe, comme il l’avait déjà fait pour celles de la Galatie, que chaque chrétien, le 1er jour de la semaine, mit à part ce qu’il pourrait destiner à la collecte. Mais pourquoi ce jour plutôt qu’un autre ? La réponse ne saurait être douteuse d’après ce que nous avons déjà vu et surtout ce que nous verrons toujours plus. Si ce jour était ainsi choisi, c’est parce que dans ces églises on avait déjà coutume de le distinguer en souvenir de la résurrection du Seigneur. On comprend qu’il y fut ainsi devenu le jour hebdomadaire le plus saillant, en particulier le plus propre à ouvrir le cœur aux pensées de foi et de charité.
Actes 20.7 n’est pas moins significatif. Paul et Luc, après avoir rejoint leurs compagnons à Troas, y demeurèrent 7 jours (v. 6), dont le dernier était justement un 1er jour de semaine. Or en ce jour nous voyons les disciples de la communauté assemblés le soir dans une chambre haute pour rompre le pain. Paul leur fait un premier discours qui dure jusqu’à minuit, il ressuscite ensuite le jeune Eutyche qui était mort en tombant d’une fenêtre sur laquelle il s’était endormi. Puis la communauté célèbre l’agape, et Paul reprend la parole pour exhorter jusqu’au point du jour. Ce qui montre bien que la réunion religieuse n’était pas tout extraordinaire, uniquement motivée par le prochain départ de Paul, c’est que l’historien sacré, après avoir dit que l’apôtre s’arrêta 7 jours à Troas, ne manque pas d’indiquer que le 7e était un 1er jour de semaine. Voici ce qui semble résulter de Actes 20.7-12 rapproché de certains passages de la lettre de Pline à Trajan et de la 1re Apologie de Justin Martyr, dont nous aurons plus tard à nous occuper : 1° le soir et la nuit de ce 1er jour de semaine étaient le soir et la nuit du dimanche au lundi, non du samedi au dimanche ; 2° au matin de ce jour, il y avait eu probablement une première assemblée religieuse, dont Luc ne parle pas, et le soir, devait avoir lieu la Cène, qui en fait ne put avoir lieu qu’après minuit ; 3° le 1er jour hebdomadaire était déjà pour les chrétiens d’origine païenne le jour par excellence de la cène ; 4° Paul et ses trois compagnons quittèrent Troas dans la matinée du lundi ; 5° le dimanche était ainsi déjà considéré chez les ethnico-chrétiens comme partant, non du samedi soir, selon l’usage juif, mais du milieu de la nuit du samedi au dimanche, selon l’usage romain, recommandé aux chrétiens par la résurrection de Christ à l’aube du jour.
Il est regrettable que, comme le remarque Riehm, Luther, dans les deux derniers passages sur lesquels nous venons d’insister, ainsi que dans Matthieu 28.1 ; Marc 16.2, Luc 24.1 ; Jean 20.1,19, ait traduit : le ou un sabbat, là où le texte grec porte : le 1er jour de la semaine, c’est-à-dire incontestablement notre dimanche. La fondation du dimanche par le Seigneur et ses apôtres a dû être ainsi singulièrement voilée pour le grand Réformateur, et cette simple erreur de traduction explique en partie le caractère si négatif de l’ancien point de vue luthérien sur la divine institution.