Conférences à Bâle, à Berne, à Saint-Gall, en d’autres lieux – Diète à Zurich – Les petits cantons – Menaces à Berne – Secours étrangers
C’était sur Œcolampade, étranger à la Suisse, que devaient tomber les premiers coups ; et ce n’était pas sans quelque crainte qu’il retournait à Bâle. Mais ses inquiétudes furent bientôt dissipées. La douceur de ses paroles avait frappé les témoins impartiaux, plus que les clameurs du docteur Eck, et il fut reçu aux acclamations de tous les hommes pieux. Les adversaires firent, il est vrai, tous leurs efforts pour qu’on le chassât des chaires, mais en vain ; il enseignait et prêchait avec plus de force qu’auparavant, et jamais le peuple n’avait montré une telle soif de la Paroleo.
o – Plebe Verbi Domini admodum sitiente. Zw. Epp. p. 518.
Des choses à peu près semblables se passaient à Berne. La conférence de Bade, qui avait dû étouffer la Réforme, lui donnait un nouvel élan dans ce canton, le plus puissant de toute la ligue des Suisses. A peine Haller était-il arrivé dans la capitale, que le petit conseil l’avait cité devant lui et lui avait ordonné de célébrer la messe. Haller demanda à répondre devant le grand conseil, et le peuple, croyant qu’il devait défendre son pasteur, accourut. Haller, effrayé, déclara qu’il aimait mieux quitter la ville que d’y causer quelque désordre. Alors le calme s’étant rétabli : « Si l’on exige, dit le réformateur, que je célèbre cette cérémonie, je résigne ma charge ; l’honneur de Dieu et la vérité de sa sainte Parole me tiennent plus à cœur que le souci de savoir ce que je mangerai ou de quoi je serai vêtu. Haller prononçait ces paroles avec émotion ; les membres du conseil étaient touchés ; quelques-uns même de ses adversaires fondaient en larmesp. La modération était encore une fois plus forte que la force elle-même. Pour donner à Rome quelque satisfaction, on ôta à Haller les fonctions de chanoine ; mais on l’établit prédicateur. Ses plus violents ennemis, Louis et Antoine de Diesbach et Antoine d’Erlach, indignés de cette résolution, quittèrent aussitôt le conseil et la ville, et renoncèrent à leur droit de bourgeoisie. « Berne a fait une chute, dit Haller, mais s’est relevée avec plus de force que jamais. » Cette fermeté des Bernois fit une grande impression en Suisseq.
p – Tillier, Gesch. v. Bern., III. 242.
q – Profuit hic nobis Bernates tam dextre in servando Berchtoldo suo egisse. Œcol. ad Zw. Epp. p. 518.
Mais les suites de la conférence de Bade ne se bornèrent pas à Berne et à Bâle. En même temps que ces choses se passaient dans ces villes puissantes, un mouvement plus ou moins semblable s’opérait dans plusieurs des États de la confédération. Les prédicateurs de Saint-Gall, revenus de Bade, y annonçaient l’Évangiler ; à la suite d’une conférence, on enlevait les images de l’église paroissiale de Saint-Laurent, et les habitants vendaient leurs habits précieux, leurs joyaux, leurs bagues, leurs chaînes d’or, pour fonder des maisons de charité. La Réformation dépouillait, mais pour revêtir les pauvres ; et les dépouilles étaient celles des réformés eux-mêmess.
r – San Gallenses officiis suis restitutos. (Zw. Epp. p. 518.)
s – Kostbare Kleider, Kleinodien, Ring, Ketten, etc. freywillig verkauft. Hott. III. p. 338.
A Mulhouse on prêchait avec un nouveau courage ; la Thurgovie et le Rheinthal se rapprochaient toujours plus de Zurich. Immédiatement après la dispute, Zurzach enleva les images de ses églises, et presque partout le district de Bade reçut l’Évangile.
Rien de plus propre que de tels faits à prouver à quel parti la victoire était vraiment demeurée. Aussi Zwingle, regardant tout autour de lui, rendait gloire à Dieu. « On nous attaque de beau coup de manières, disait-il, mais le Seigneur est plus fort, non seulement que les menaces, mais aussi que les guerres elles-mêmes. Il y a dans la ville et dans le canton de Zurich un accord admirable en faveur de l’Évangile. Nous surmonterons toutes choses par des prières faites avec foit ». Peu après, s’adressant à Haller, Zwingle lui disait : Tout suit ici bas sa destinée. Au rude vent du nord succède un souille plus doux. Après les jours brûlants de l’été, l’automne nous prodigue ses trésors. Et maintenant, après de durs combats, le Créateur de toutes choses, au service duquel nous sommes, nous ouvre le chemin pour pénétrer dans le camp de nos adversaires. Nous pouvons enfin accueillir la doctrine chrétienne, cette colombe si longtemps repoussée, et qui ne cessait d’épier l’heure de son retour. Sois le Noé qui la reçoit et la sauve… »
t – Fideli enim oratione omnia superabimus. (Zw. Epp. p. 519.)
Cette année même, Zurich avait fait une importante acquisition. Conrad Pellican, gardien du couvent des franciscains à Bâle, professeur de théologie depuis l’âge de vingt-quatre ans, avait été appelé, parle zèle de Zwingle, comme professeur d’hébreu à Zurich. Il y a longtemps, dit-il en y arrivant, que j’ai renoncé au pape et que je désire vivre pour Jésus-Christu. » Pellican devint, par ses talents exégétiques, l’un des ouvriers les plus utiles dans l’œuvre de la Réforme.
u – Jamdudum papæ renuntiavi et Christo vivere concupivi. (Zw. Epp. p. 455.)
Zurich, toujours exclu de la diète par les cantons romains, voulant profiler des dispositions meilleures qui se manifestaient chez quelques-uns des confédérés, convoqua, au commencement de 1527, une diète à Zurich même. Les députés de Berne, de Bâle, de Schaffouse, d’Appenzell et de Saint-Gall s’y rendirent.
« Nous voulons, dirent les députés de Zurich, que la Parole de Dieu, qui nous conduit uniquement à Jésus-Christ crucifié, soit seule prêchée, seule enseignée, seule magnifiée. Nous abandonnons toutes les doctrines humaines, quel qu’ait été l’usage antique de nos pères ; certains que s’ils avaient eu cette lumière de la Parole divine dont nous jouissons, ils l’eussent embrassée avec plus de respect que nous, leurs faibles neveuxv… » Les députés présents promirent de prendre en considération les représentations de Zurich.
v – Mit höherem Werth and mehr Dankbarkeit dann wir angenommen. Zurich. Archiv. Absch. Sonntag nach Lichtmesse.
Ainsi la brèche faite à Rome s’agrandissait chaque jour. La dispute de Bade avait dû tout réparer, et dès lors, au contraire, des cantons incertains semblaient vouloir marcher avec Zurich. Déjà les peuples de la plaine penchaient pour la Réformation ; déjà elle serrait de près les montagnes ; elle les envahissait, et les cantons primitifs, qui furent comme le berceau et qui sont comme la citadelle de la Suisse, semblaient, serrés dans leurs hautes Alpes, tenir seuls encore avec fermeté pour la doctrine de leurs pères. Ces montagnards, exposés sans cesse aux grandes tempêtes, aux avalanches, aux débordements des torrents et des fleuves, doivent lutter toute leur vie contre ces redoutables ennemis et tout sacrifier pour conserver la prairie où paissent leurs troupeaux, la cabane où ils se mettent à l’abri des orages et que la première inondation emporte. Aussi l’instinct conservateur est il fortement développé en eux et se transmet-il, depuis des siècles, de génération en génération. Conserver ce qu’on a reçu de ses pères est toute la sagesse de ces montagnes. Ces rudes Helvétiens luttaient donc alors contre la Réformation qui voulait changer leur foi et leur culte, comme ils luttent encore à cette heure contre les torrents qui tombent avec fracas de leurs sommités neigeuses, ou contre les nouvelles idées politiques qui se sont établies à leurs portes, dans les cantons qui les entourent. Ils seront les derniers qui mettront bas les armes devant la double puissance qui déjà élève ses signaux sur toutes les collines environnantes et menace toujours de plus près ces peuples conservateurs.
Aussi ces cantons, à l’époque dont je parle, encore plus irrités contre Berne et contre Zurich, et tremblant de voir cet État puissant leur échapper, réunirent-ils leurs députés à Berne même, huit jours après la conférence de Zurich. Ils demandèrent au conseil de déposer les nouveaux docteurs, de proscrire leurs doctrines et de maintenir l’antique et véritable foi chrétienne, telle qu’elle avait été confirmée par les siècles et confessée par les martyrs. « Convoquez tous les bailliages du canton, ajoutèrent-ils ; si vous vous y refusez, nous nous en chargerons. » Les Bernois irrités répondirent : « Nous avons assez de puissance pour parler nous-mêmes à nos ressortissants. »
Cette réponse de Berne ne fit qu’accroître la colère des Waldstetten ; et ces cantons, qui avaient été le berceau de la liberté politique de la Suisse, effrayés des progrès que faisait la liberté religieuse, commencèrent à chercher, même au dehors, des alliés pour la détruire. Pour combattre les ennemis des capitulations, on pouvait bien s’appuyer des capitulations mêmes ; et si les oligarques de la Suisse ne pouvaient y suffire, n’était-il pas naturel de recourir aux princes leurs alliés ? En effet, l’Autriche, qui n’avait pu maintenir sa puissance dans la confédération, était prête à intervenir pour y affermir la puissance de Rome. Berne apprit avec effroi que Ferdinand, frère de Charles-Quint, faisait des préparatifs contre Zurich et contre tous les adhérents de la Réformew.
w – Berne à Zurich, le lundi après Miséricorde. (Kirchhoff. R. Haller, p. 85.)
Les circonstances devenaient plus critiques. Une succession d’événements plus ou moins malheureux, les excès des anabaptistes, les disputes avec Luther sur la cène, d’autres encore, semblaient avoir grandement compromis en Suisse la Réformation. La dispute de Bade avait trompé l’attente des amis de la papauté, et l’épée qu’ils avaient brandie contre leurs adversaires s’était brisée dans leurs mains ; mais le dépit et la colère n’avaient fait que s’accroître, et l’on se préparait à un nouvel effort. Déjà la puissance impériale elle-même commençait à s’émouvoir ; et les bandes autrichiennes, qui avaient dû s’enfuir des défilés de Morgarten et des hauteurs de Sempach, étaient prêtes à rentrer dans la Suisse, enseigne déployée, pour y raffermir Rome chancelante. Le moment était décisif : on ne pouvait plus clocher des deux côtés et n’être « ni troubles ni clairs. » Berne et d’autres cantons, si longtemps hésitants, devaient prendre une résolution. Il fallait retourner promptement à la papauté, ou se ranger sous l’étendard de Christ avec un nouveau courage.
Un homme venu de France, des montagnes du Dauphiné, nommé Guillaume Farel, donna alors à la Suisse une puissante impulsion, décida la réforme de l’Helvétie romane, qui dormait encore d’un profond sommeil, et fit ainsi pencher la balance, dans toute la confédération, en faveur des nouvelles doctrines. Farel arriva sur le champ de bataille comme ces troupes fraîches qui, au moment où le sort des armes est encore incertain, se précipitent au fort de la mêlée, et décident la victoire. Il prépara les voies en Suisse à un autre Français, dont la foi austère et le puissant génie devaient mettre la dernière main à la Réforme, et la rendre une œuvre accomplie. La France prenait ainsi rang, par ces hommes illustres, dans cette grande commotion qui agitait la société chrétienne. Il est temps que nos regards se tournent vers elle.