Mon Dieu, je sens que je n’aime pas mes frères comme je devrais les aimer. L’amour fraternel est pour moi un bel idéal, une bonne doctrine ; mais je n’en fais pas une vivante réalité. J’aime quelques parents, quelques amis ; « les péagers n’en font-ils pas autant ? » Je voudrais le bonheur du genre humain ; mais ce désir est si vague qu’il se dissipe dès qu’il faut me lever et agir ! J’admire le dévouement de ces êtres d’élite qui courent à la rencontre des infortunes ; j’entonne les louanges de ces chrétiens qui dépensent fortune et santé, pour éclairer de pauvres pécheurs ; mais voilà tout : je ne sais pas les imiter. Hélas ! j’aurais dû dire : je ne veux pas les imiter ! Et combien de fois je descends encore au-dessous de la tiédeur pour mes frères ! combien de fois je tombe dans l’irritation, peut-être dans une haine passagère, parce qu’ils n’ont pas senti, parlé, agi comme je l’aurais voulu ! Comme je suis prompt à relever les torts qu’on a envers moi ! comme je suis lent à les oublier, et qu’il faut peu de chose pour qu’un homme me déplaise et me devienne antipathique ! Hélas ! si peu que je n’ose pas avouer mes antipathies au monde, persuadé qu’à ses yeux elles seraient injustes… Me voilà, Seigneur, tel que je suis, tel que tu me connais ! Et cependant, Dieu d’amour, tu es mon Dieu ; Jésus, tu es mon Sauveur ; cependant je sais qu’au dernier jour c’est à ceux qui auront secouru, visité, consolé les petits, à ceux enfin qui auront aimé tes frères, que tu diras : « Venez à moi ; » et à ceux qui ne l’auront pas fait : « Allez au feu éternel »… Mon Dieu, mon Dieu, pardonne-moi ; répands ton amour dans mon cœur, que je goûte les joies du sacrifice, les douceurs du dévouement. Fonds les glaces de mon cœur. Mais, hélas ! je sens que la froideur pèse sur ma conscience, sans que l’amour paternel en pénètre mieux dans mon cœur. Je sens que ma demande est plutôt un aveu qu’un désir, et c’est en m’humiliant que je te dis encore : Mon Dieu, apprends-moi à aimer mes frères.