Aberdeen, 15 mars 1637
Respectable et bien-aimé frère en notre Seigneur, que la grâce et la miséricorde vous soient accordées. Je ne saurais mieux répondre à vos questions qu’en cherchant à faire de vous un docteur chrétien. Mais de plus savants que moi y ont travaillé déjà plus judicieusement que je ne suis capable de le faire. Je n’ajouterai que quelques mots à leurs instructions.
Je crois convenable de consacrer chaque jour quelques heures, et surtout celle de midi, à la lecture et à la prière. Au milieu des affaires temporelles, faites en sorte de penser au péché, au jugement, à la mort et à l’éternité, en élevant à Dieu votre cœur. Prenez garde aux distractions qui entraînent l’esprit loin de la prière. Un sentiment profond de notre propre souillure, de notre abaissement, nous vaut souvent plus que celui de la joie. Que le jour du Seigneur lui soit entièrement consacré, soit au culte public, soit au particulier. Prenez garde à vos pensées, surtout à celles de la colère et du désir de la vengeance : mettez-vous en garde contre tout désir secret de persécuter la vérité, car sans cesse nous prenons nos passions furibondes pour du zèle. Evitez de rechercher et de publier le péché d’autrui, surtout quand il s’attaque à la conscience. Vous endurciriez votre cœur, si vous lui permettiez ces dangereux exercices. Dans tous vos rapports avec les hommes, observez une scrupuleuse fidélité. Soyez sincère avec tous : déchargez votre conscience de toute parole trompeuse et oisive, en sorte que tout ce qui est en vous, le dehors et le dedans, soit réglé de telle sorte, que tous ceux qui vous verront parlent respectueusement du doux Maître que nous faisons profession d’honorer.
J’ai bien souffert pour n’avoir pas tout remis à mon Dieu, seule fin de toutes choses. Il faut lui tout abandonner et n’agir que pour Lui, que pour sa gloire, soit que vous mangiez, que vous buviez, que vous dormiez, que vous parliez. Que de fois j’ai laissé sortir de chez moi des personnes dont j’aurais pu tirer quelque parti, sans leur dire un mot de ma foi ou de la méchanceté naturelle de l’homme, ni leur faire un seul reproche de leurs jurements continuels, témoins muets de leur mauvaise conduite, et cela parce que je n’avais point toujours à cœur de faire du bien à tous ! Les calamités de l’Église ne m’ont point ému.
Quand je lisais la vie de David, ou de Paul ou de quelque autre, je me sentais humilié d’être à une si grande distance de ces saints sans que je cherchasse à les imiter. Je n’avais point de repentir des péchés de ma jeunesse, ni de ces mouvements impérieux que soulèvent au dedans de nous l’orgueil, la convoitise, la vengeance et l’amour des vanités humaines, ni même de ce que ma charité était si glacée. Je ne prenais aucun souci de n’avoir pas contredit les ennemis de la vérité, soit en public, soit à table, ou dans des entretiens particuliers. Dans des moments de trouble, on m’avait parlé faussement de Christ, et j’avais ajouté foi à ces paroles sans en éprouver aucune douleur.
Au jour de la prospérité, le péché, qui m’a coûté le plus de larmes, était ma lâcheté à prier, et ma disposition à m’occuper d’autre chose que de la seule nécessaire.
Dans beaucoup de circonstances, j’ai trouvé des secours inattendus. Par exemple, un jour où je voyageais seul à cheval, il me fut donné de pouvoir prier sans interruption. D’autres fois, je pouvais le faire pour mes frères ; en les arrosant, je l’étais aussi moi-même. J’ai souvent senti que Dieu entend nos prières, en sorte qu’en toutes circonstances je m’adressais à Lui. Le Seigneur m’enseignait à ne faire aucune question oiseuse, et ainsi ma route était rendue plus facile.
Ces choses et d’autres encore vous donneront une idée de ce que vous m’avez demandé, Monsieur. Prenez garde aux pensées d’athéisme ; il n’est aucun homme, si parfait qu’il soit, qui n’ait parfois été troublé à leur sujet. Avancer dans la grâce, est ce dont il faut s’occuper avec le plus de soin ; et perdre de sa première ardeur, ce qu’il faut le plus déplorer. Priez pour vos ennemis endormis dans leur aveuglement.
Je vous remercie de tous vos soins pour mon frère et pour moi, j’espère que Dieu vous le rendra dans le ciel. Je suis humilié de tout ce que Christ fait pour un pécheur tel que moi. Un trait de feu ronge mon cœur, de telle sorte que toutes les eaux de l’enfer ne parviendraient pas à l’éteindre. Aidez-moi à glorifier Dieu ; priez pour moi. Que la grâce soit avec vous.