La nuée de témoins

William Booth

« Un peuple particulier zélé pour l’action bonne. »
(Tite 2.14)

S. O. S. ! Au secours ! (1).

(1) Le radiogramme « S. O. S. » – (Save our souls !)… (Sauvez nos âmes !) – est employé par les navires en perdition.

La carrière de l’Anglais William Booth fut celle d’un grand conquérant : épopée d’un Mahomet chrétien, ou d’un Napoléon pacifique. Il naquit en 1829, l’année où Gratry s’enferma dans un couvent d’Alsace. Dès l’âge de treize ans, il perdit son père, qui s’était ruiné dans les affaires, et il travailla pour soutenir sa mère ; ses réserves inépuisables d’énergie lui auraient ouvert le chemin de la fortune, s’il n’avait pas aiguillé brusquement vers l’apostolat.

Agé de quinze ans, il fut remué par les appels d’un pasteur méthodiste, se déclara « converti », et quitta l’église anglicane pour se rattacher à l’église wesleyenne. Bientôt, il se mit à évangéliser lui-même, dans les misérables cottages de Nottingham. Nommé prédicateur laïque, à l’âge de dix-sept ans, il prêcha en pleine rue, du haut d’une chaise. Deux ans après, il résolut d’être pasteur ; mais il paraissait frêle ; un médecin le prévint que l’exercice du ministère le mènerait au tombeau en peu de mois. Il persévéra quand même ; si bien qu’à force de surmenage, et sans autre boisson que du thé ou de l’eau, il prolongea sa vie au-delà des bornes ordinaires.

Au début, son salaire annuel n’atteignait pas 1.300 francs. Bien des années plus tard, il vécut sur les intérêts d’un capital de 125.000 francs, don d’un ami ; il prélevait alors, sur cette modeste rente, non pas seulement la « dîme » biblique, mais la troisième partie, pour le royaume de Dieu. Quand il devint pasteur, il ne disposait pas de telles ressources, et la pauvreté retarda son mariage. Cependant, âgé de vingt-six ans, il épousa la femme remarquable dont la mémoire est inséparable de la sienne. Elle fit plus que partager sa vie, elle fut associée à son ministère, elle inspira son apostolat ; même elle compléta son message, elle enrichit son expérience d’âme, par les qualités complémentaires d’une intelligence plus nuancée, et d’une pénétration morale plus délicate ; l’intensité de sa consécration spirituelle ne le cédait en rien à celle de l’apôtre ; et elle maniait la parole publique avec une autorité qui dépassait, peut-être, celle du grand orateur populaire, remueur de foules dans le monde entier. Elle fut mère, aussi ; elle éleva de nombreux enfants.

Restés l’un et l’autre hors des « liens du mariage », ces époux assortis providentiellement eussent-ils mieux servi le Royaume de Dieu ? Des vingt et un personnages qui auront défilé devant vous, à partir du IVe siècle, sur l’écran de l’histoire ecclésiastique (2), il y a sept célibataires, dont un laïque, Pascal, et six membres du clergé : Chrysostome, Grégoire VII, François d’Assise, Hus, Neff, Gratry. Parmi ceux qui furent mariés, deux au moins souffrirent de solitude morale : Wesley, Robertson. Parmi les autres, nous savons que plusieurs connurent les bénédictions de la pleine communion spirituelle avec la campagne qui les inspirait ; tels Coligny ou Oberlin, Coillard ou Fallot. Mais aucun de ces exemples n’égale en importance religieuse, en valeur sociale, en répercussions lointaines, le cas extraordinaire fourni par William et Catherine Booth.

(2) Sur les quatre noms empruntés à la période préparatoire de Formation, deux évoquent « l’homme de Dieu » marié : Moïse, Esaïe. Certains exégètes pensent que Paul était veuf ; les textes ne permettent pas de se prononcer catégoriquement sur la nature du célibat de l’apôtre, d’après les épîtres.

Une mère suppute et pressent, plus aisément qu’un homme, les souffrances matérielles qu’elle supportera dans sa chair ou dans ses enfants, si elle obéit jusqu’au bout à un idéal de consécration absolue. Cependant, audacieuse elle aussi, héroïque, elle entraîna son mari à rompre avec une église trop timide — (c’était l’église de Wesley !) — et à cingler vers le large, vers l’océan des foules.

Les voyez-vous, ces deux pygmées, devant l’immensité ? Ensemble, ils font le rêve sublime, insensé, de secourir le monde. Puis, ils poussent leur canot de sauvetage dans la tempête.

Alors, commence une lutte inégale et grandiose entre William Booth et les forces de perdition. Sauver, sauver ! voilà son mot d’ordre, sa divine hantise : sauver ceux que les églises n’atteignent plus ; sauver cette population des faubourgs de Londres qui gît, sacrifiée, dans son ordure, comme une bête saignée à mort par les sangsues de la misère, de l’ivrognerie, de la débauche et du crime ; sauver ces parias, ces hors-cadre, ces sans-foyer, par des moyens appropriés à leur déchéance (moyens inédits, tapageurs, scandaleux peut-être aux yeux des sages, mais efficaces, car la populace accourait, dans les rues, vers la fanfare des nouveaux évangélistes) ; sauver, enfin, par une équipe de sauveteurs, farouchement résolus, jurant d’aboutir, coûte que coûte, à force d’amour et de sacrifice.

Mais, demanderez-vous, quel but exact se proposait Booth ? Quel contenu donnait-il au terme de « salut » ? – La réponse est facile, car il n’a cessé d’affirmer, sous mille formes différentes, mais avec la même et pathétique véhémence, que le salut consiste à ne pas tomber dans un enfer éternel. Il écrivait : « Ayons le courage d’avertir ceux qui font le mal, que la colère et la ruine les atteindront. Nous savons que nos maisons, nos rues, nos villes, sont pleines de gens qui vont à la damnation ; ils sont entraînés, avec la rapidité d’un train express, vers la gauche du tribunal de Dieu. Alors, pourquoi ne pas le proclamer clairement ? Répétons-le, répétons-le, répétons-le encore, jusqu’à ce qu’ils se le disent à eux-mêmes. » Dans un autre article, il écrivait : « Ecoutez, écoutez le piétinement de millions d’hommes en marche vers les peines éternelles. Floc ! floc ! floc ! De tous les pays, et spécialement des pays chrétiens, de toutes les cités, de toutes les maisons, les voilà en route, enfants, pères et mères, vieillards ; ils montent vers le tribunal suprême, pour être précipités dans l’enfer. » Et encore : « Riches et pauvres, ignorants et intellectuels, se ressemblent tous en un seul point ; ils sont pécheurs devant Dieu. Non, ils ont deux points en commun ; d’abord, le fait qu’ils sont méchants ; ensuite, le fait qu’ils enfoncent, enfoncent, enfoncent plus bas, plus bas, toujours plus bas, vers le même Enfer. »

Tel est l’état du monde, et Dieu n’y peut rien changer sans le secours des chrétiens, explique Booth. « Je nie absolument que Dieu règne ici-bas. Attribuer tout ce qui se passe à la Providence, n’est que du fatalisme. On rejette par-là sur Dieu la responsabilité du péché, du vice, de la misère. » En réalité, « Dieu est sans cesse vaincu. Le Diable règne ; il est le Prince de ce monde. Ses serviteurs couvrent le globe d’une cruelle et brûlante lave d’iniquité. La plupart des conditions sociales, morales, politiques et religieuses, ici-bas, sont d’origine diabolique.

C’est Dieu qui le dit. » Il faut donc lutter pour « Jéhovah ».

On comprend, dès lors, l’intensité de l’appel désespéré à la croisade contre Satan. Il s’indigne contre ceux qui l’accusent d’aller trop vite. « L’iniquité avance comme un incendie de pampas, dévorant tout, et l’on veut nous retenir ! Est-ce que l’évangélisation va aussi vite que les démons ? Aussi vite que la mort ? Nous sommes des pompiers courant au feu. Quoi ! des gens pieux qui croient à l’Enfer (et qui voudraient même y envoyer ceux qui en doutent) refusent de diminuer leur confort, ou de supporter la plus légère peine, lorsqu’il s’agit d’empêcher les malheureux pécheurs de rouler au gouffre ? Nous avons à servir Dieu et à sauver le monde, – au moins dans la plus large mesure possible. C’est réglé ; cette révélation est écrite dans la Bible, et dans nos cœurs, par le Saint-Esprit. Il est réglé, aussi, qu’un pareil devoir implique pour nous, comme pour notre Maître, persécution, haine, douleur, chagrin, humiliation ; bref, la Croix. Impossible d’y échapper, et nous ne cherchons pas à être épargnés. »

On lui demanda où il trouverait des volontaires pour une pareille aventure. La réponse éclata, cornélienne : « Dans les débits ! » Il tint parole ; bientôt se multiplièrent les témoignages publics rendus, par d’anciens ivrognes, à la puissance rédemptrice de l’Evangile. En même temps, pour la réalisation de son programme apostolique, le hardi pionnier puisait dans ce bouillonnant réservoir d’enthousiasmes et d’immolations, l’église de Jésus-Christ. D’une main de maître, aidé par le coup d’œil d’un conducteur-né, d’un capitaine par vocation, Booth utilisait tous les concours, suscitait toutes les collaborations, avec l’instinct du stratégiste, fixant à chacun le poste où ses talents seraient mis en pleine valeur où sa bonne volonté produirait son entier rendement. C’est ainsi qu’il sut, à la fois, élargir et intensifier son effort, par un appel calculé à l’activité laïque et à l’activité féminine ; deux aspects caractéristiques, et fondamentaux, de son œuvre primesautière.

« L’Armée du Salut ».

Cependant, il ne songeait pas encore à militariser sa propagande ; la société qu’il avait fondée en 1865 se nommait, simplement : « La Mission chrétienne ». D’où lui vint l’idée bizarre de la métamorphoser en armée ? Un jour, qu’il dictait son rapport annuel, il formula cette affirmation : « La Mission chrétienne est une armée de volontaires. » Puis, après une pause, il se pencha au-dessus de son secrétaire, biffa les derniers mots et inscrivit : « La Mission chrétienne est une armée du salut. » Déjà les collaborateurs de Booth, au lieu de l’appeler « le superintendant général », avaient adopté, en parlant de lui, l’abréviation : « le général ». Et celui-ci se trouva brusquement, dès 1878, à la tête d’une armée. Uniforme, drapeau, grades, hiérarchie, s’en suivirent, par voie de logique interne ; et l’ancien superintendant emporté par son génie d’organisateur, poussa jusqu’aux ultimes conséquences les avantages, pour sa cause, de la discipline militaire.

Sut-il peser, théoriquement, le pour et le contre d’un système que le « général » des Jésuites, Ignace de Loyola, chef de la milice papale, reconnut si propice à ses desseins autocratiques, et qui répugne à la conscience protestante ? Celle-ci, forgée par le libre Evangile, hésite à engager la personne morale dans un enrôlement qui semble entraîner une abdication de l’individualité légitime.

D’ailleurs, les développements subséquents de la nouvelle armée, dirigée plus tard par un fils du général Booth, devaient aboutir à une crise du commandement, et poser, un jour, dans toute son acuité, non seulement le problème de l’autorité, mais la question de l’autoritarisme et de la hiérarchie militaire au service de Jésus-Christ.

D’autre part, de l’intérieur même de l’Armée du Salut, des critiques surgirent, parfois, au nom de l’idéal pacifique ou pacifiste, contre cette militarisation. William Booth aurait volontiers répondu, comme un penseur américain : « Sur le terrain des réalités morales, la vie est une guerre. Le développement aux fins suprêmes du monde est une sorte de patriotisme cosmique, lequel réclame, lui aussi, des volontaires. » Au surplus, Booth n’était pas un spéculatif, et la transformation de sa Mission en Armée lui apparut suffisamment justifiée, au nom de ce principe : Il faut économiser les minutes. Vinet disait : « Il faudrait être sans conscience et sans entrailles pour ne pas avouer qu’il se fait, dans le monde, une perte horrible de temps. » Or, on en gagne, à pouvoir déplacer un évangéliste-officier, par télégramme, d’Europe en Amérique, d’Amérique en Asie. On en gagne, à exiger la stricte obéissance à un règlement militaire qui descend dans le détail, prévoit les tentations, et prémunit contre elles ; par exemple, en imposant l’abstinence d’alcool et de tabac ; cela, non point derrière les murs d’un couvent, mais au sein d’une mouvante association de missionnaires, mêlés au monde, éparpillés à la surface du globe. Ces restrictions, ou ces renoncements, sont l’unique objet que se proposent, par ailleurs, des sociétés spéciales, qui recrutent péniblement leurs adeptes par des engagements précis ; mais, dans l’Armée du Salut, tout cela va de soi, ce sont les « à-côté » de la grande entreprise, les copeaux qui tombent de l’établi dans le moderne atelier du Charpentier.

Songez encore aux énergies morales suscitées par le simple port de l’uniforme. Voilà le salutiste préservé de toutes les dépenses exagérées de toilette, ou même des frais qu’entraîne le souci élémentaire de suivre d’assez près la mode, pour passer inaperçu. Outre l’économie d’argent, notez la disparition de secrètes rivalités et de jalousies inavouées, dans le domaine vestimentaire. Par là, une mentalité « non conformiste » est créée : l’idéal n’est plus de ressembler à un mannequin de cire, costumé dans un magasin de « nouveautés » ; on prétend conserver sa personnalité à travers le flux et le reflux des fantaisies éphémères. Enfin, le port d’un uniforme ridicule ou méprisé (comme la soutane parfois), en isolant un homme, en faisant de lui une proclamation vivante et un drapeau, l’affranchit de la timidité, lui épargne les circonlocutions pour entrer en matière, décuple son courage, et, même à son insu, l’exhausse à la dignité de témoin : assis ou debout, dans le « tram », ou sur l’estrade, silencieux ou discourant, toujours il rend témoignage à l’Evangile.

Est-ce que la notion de l’« Eglise militante », si chère aux imaginations chrétiennes, et qui inspira tant de cantiques, n’orientait pas William Booth vers une église militarisée ? Au reste, il s’est bien gardé contre l’exorbitante et naïve prétention de fonder une église ; son ambition unique fut d’organiser une Société de sauvetage. Il jeta ainsi à la chrétienté cet avertissement : « Assez de paroles, agissons ! » Ce qui signifie : Trêve aux discussions ecclésiastiques ou doctrinales ; éteignons même ces brandons de discorde qu’on nomme les sacrements ! – Que faut-il entendre par là ? Les socialistes affirment : « La religion est affaire privée ». De même, les salutistes seront libres, individuellement, de recourir au Baptême ou à la sainte Cène, dans les sanctuaires ; mais l’Armée du Salut, en tant que telle, et pour conserver sa cohésion intime, extirpera ces trois plants vénéneux qui paralysèrent de leurs tentacules, et empoisonnèrent de leurs fruits, la chrétienté traditionnelle : le parlementarisme ecclésiastique, le byzantinisme doctrinal, et le ritualisme sacramentaire. Quelle attitude audacieuse ! Ici, le bon sens devient génial, il lui pousse des ailes comme aux aigles ; il est visionnaire et créateur. A son insu, et peut-être malgré lui, l’archi-évangéliste prenait sa place prédestinée dans l’histoire de l’Eglise universelle, et travaillait à promouvoir sa « Transformation ».

En tous cas, les événements ne déçurent point les prévisions du Général. Deux ans après la fondation de son Armée, les salutistes s’incrustaient aux Etats-Unis et en Australie ; l’année suivante, en France et en Suisse ; l’année d’après, en Suède, au Canada, aux Indes, puis en Nouvelle-Zélande ; si bien que William Booth pouvait dire à un candidat au saint ministère : « Vous allez vous fixer dans une paroisse ? Eh bien ! pendant que vous piétinerez sur place, nous ferons, nous, le tour du monde. » Haute par le ciel, il ne cessait donc d’arpenter la terre. Rien ne ressemble moins à l’attitude adoptée par les Ordres contemplatifs, que la vision de l’Au-delà séquestre hors la vie ; sans doute, les religieux claustrés prient pour l’humanité, et pensent acquérir quelques « mérites » au profit des pécheurs ; s’ils oubliaient réellement leurs frères, ils seraient plus près des solitaires bouddhistes que des apôtres chrétiens. Mais le contraste est, quand même, extraordinaire, entre les conclusions tirées de la foi au monde futur, – par le moine qui a fait vœu de silence, et par le salutiste qui a fait vœu de propagande. Nous avons vu, tout à l’heure, comment la croyance en la perdition éternelle expliquait cette activité sans trêve et sans bornes.

Cependant, je vous ai rendus attentifs a un autre aspect de l’apostolat d’un Booth. En effet, sans déplacer théoriquement son centre de gravité, situé dans l’au-delà, il fut contraint, par l’expérience même, à méditer sur la méthode efficace pour toucher le cœur humain ; or, pour l’atteindre, il faut traverser un milieu matériel et un organisme physique. Lorsque les circonstances extérieures forment une cuirasse impénétrable, il est impossible d’éveiller la fibre spirituelle. Si bien que William Booth, obsédé par le péril des âmes, en vint graduellement à mettre au premier plan la détresse des corps : non qu’elle fût la plus importante, mais elle était la plus pressante. « Qu’il est malaisé, s’écriait-il, de sauver l’âme d’un homme qui a les pieds mouillés ! »

En suivant cette nouvelle direction, Booth obéissait à l’un des penchants les plus irrésistibles de sa nature. Dès son enfance, la silhouette morne des indigents et des chômeurs, dans sa petite ville, avait provoqué en lui un sursaut de pitié. Devenu adulte, il disait : « Je ne puis jamais voir une douleur, sans me poser deux questions : Quelle est la cause de cette souffrance ? et : Que puis-je, moi, pour la soulager ? Un jour qu’on appelait son attention, en Italie, sur la beauté du paysage, il répliqua : « Observez plutôt ces femmes qui travaillent la terre. Ne peut-on rien tenter pour alléger leur sort ? » Et quel éclair de compassion fulgure à travers cette fondation unique : un Bureau spécial de consultations in extremis, pour les désespérés que tourmentait la hantise du suicide !

A l’élan de la pitié s’ajouta l’élan de l’indignation. L’explorateur Stanley ayant rédigé un ouvrage intitulé :

Dans la plus noire Afrique, Booth publia, en 1890, un gros livre auquel il donna ce titre amer et vengeur : Dans la plus noire Angleterre. C’est, d’abord une description froidement précise du prétendu « ordre » social dans nos pays dits chrétiens, un ordre qui sue le désordre, – « cet informe brouillon, déclarait Vinet, que nous appelons la nature des choses ». Si le gémissement de la misère sans espérance retentissait, pour la première fois, à nos oreilles, écrit Booth, la situation serait moins grave. « Mais nous l’avons entendu si souvent, que le cas en devient désespéré. Le cri déchirant des masses déshéritées nous est devenu aussi familier que la morne rumeur des villes ou les soupirs du vent dans le feuillage ». Alors, il passe en revue les faits. A tous les coins de rue, dans la boutique du cabaretier, jaillit comme une rivière l’Eau de mort durant dix-sept heures sur vingt-quatre, pour la destruction du peuple… Le taudis empoisonne l’air de son haleine immonde et fétide… Par des salaires de famine, dans la confection à domicile, et ailleurs, on écrase le visage du pauvre, on vole de leur du la veuve et l’orphelin et les coupables sont envoyés au Parlement, alors que les prophètes les envoyaient en Enfer… La Jeune fille, sans pain, sans protection, est pourchassée par une meute qui la pousse à l’abime de l’ignominie. Devant des énormités pareilles, une rage impuissante fait bouillir le sang dans mes veines… Des colonies de païens et de campés au centre de la capitale, éveillent à peine l’attention. Quelle satire de notre Christianisme ! Par une raillerie macabre des églises osent, pour se désigner elles-mêmes, invoquer le nom de Celui qui vint « chercher et sauver ce qui était perdu ». Et ces églises, entourées de multitudes qui appellent au secours, ou bien somnolent dans l’apathie, ou bien se passionnent à propos de chasubles. A quoi bon tout cet appareil de sanctuaires, pour sauver les hommes d’une perdition future, quand on ne leur tend même pas une main secourable pour les sauver d’un enfer présent ? Que les chrétiens oublient, pour un moment, leurs querelles sur l’infiniment petit et l’infiniment obscur ! Qu’ils concentrent toutes leurs énergies dans une commune tentative pour briser, ici-bas, une terrible perpétuité de la perdition ! »

Pareils accents ressemblent fort à ceux du Père Gratry ; tous les pionniers du christianisme social en reconnaissent l’inspiration, qui leur est familière. J’ai cité, tout à l’heure, des articles écrits, cinq ans plus tôt, par « le Général », et qui ne semblaient pas animés du même esprit. Le contraste est si frappant, que William Booth jugea utile de s’en expliquer dans la préface de son livre sur La plus noire Angleterre. « La pitié pour les misérables est l’énergie impulsive qui n’a cessé de m’animer, durant les quarante années de mon service actif pour le salut des hommes. » Sans doute, explique-t-il, si j’en ai relevé beaucoup, c’est « avant tout par des moyens spirituels ». Et cependant, la proportion de ceux qu’on délivre reste hideusement insignifiante, auprès des multitudes que l’abîme engloutit. « C’est pourquoi, mon christianisme et mon humanité (s’il est permis de séparer ce qui reste inséparable), n’ont cessé de gémir après une méthode plus compréhensive et plus efficace de sauvetage. Ne voit-on pas que d’immenses multitudes sont vouées fatalement à la faim et au péché, au péché et à la faim, à moins qu’on ne leur apporte une aide extraordinaire ? En proposant de tirer, d’abord, du gouffre les classes qui se noient, je ne cesserai pas de viser le changement du cœur ; c’est pour transformer l’homme, que nous irons à son secours. » Le plan de relèvement social qu’il élabore n’est donc qu’une « méthode supplémentaire », ajoutée aux divers moyens qu’il a déjà employés pour obtenir la conversion. « Je continue à n’espérer qu’en la régénération pour la délivrance du genre humain, ici-bas et dans l’au-delà  » ; mais il s’agit que la nouvelle naissance devienne moins difficile, ou cesse d’être impossible ; pour cela, il faut diminuer l’empire et la misère matérielle. « Même si je n’atteins pas le but souverain, j’aurai du moins soulagé les corps à défaut des âmes ; et si je ne sauve pas les parents, j’aurai du moins assuré aux enfants une meilleure chance. »

Et William Booth ajoutait avec tranquillité, sur le ton de l’autorité impériale : « Pour la préparation du présent livre, je reconnais les services rendus par les officiers que je commande. Je n’aurais nul espoir de mettre en œuvre une partie quelconque du programme esquissé dans l’ouvrage, si des milliers d’hommes n’étaient pas prêts à tendre toutes leurs énergies à mon appel et sous ma direction, pour travailler au salut du prochain, sans attendre aucune récompense terrestre. »

Ce passage extraordinaire est une véritable révélation sur la personnalité de notre héros. Un de ses plus fervents admirateurs écrivait, en effet : « Je ne suis pas de ceux qui considèrent William Booth comme un saint ; mais ce qui m’émerveille en lui, c’est sa faculté de créer des saints. La grandeur de cet homme réside en ce pouvoir formidable, enivrant, dans l’inlassable énergie qui suscite sans trêve ce qu’il y a de plus aimable et de plus beau sur la terre : l’esprit de rédemption qui cherche les plus dégradés, plonge avec joie dans un abîme de souillures, et qui, satisfait de rester inconnu du monde, se garde pur et sans tache. »

Dans l’ouvrage terrible où il décrit les dessous de la civilisation occidentale, Booth déclare, avec une sombre ironie, qu’il réclame en faveur des hordes humaines, broyées par la misère, un confort égal à celui du cheval de fiacre. En effet, celui-ci est protégé par une Charte en deux articles : « I. Quand il tombe, on le relève. – II. Tant qu’il vit, on l’alimente, on l’abrite et on l’occupe. » Mais l’évangéliste ne se borne point à brosser un tableau dantesque des bas-fonds ; il indique un remède à la plaie du chômage ; il esquisse tout un programme, original et grandiose, de sauvetage social en trois parties et à trois degrés : la colonie urbaine, la colonie agricole, et la colonie d’émigration. Pour lancer une telle entreprise, le Général demandait 2.500.000 fr. ; il les obtint. Hélas ! la tâche dépassait les forces d’un homme, et même d’un géant, secondé par une milice d’apôtres ; il ne parvint pas à entraîner jusqu’au bout l’opinion publique. Et d’ailleurs, y eût-il réussi, la question sociale demeure insoluble par des palliatifs ; c’est tout le système du capitalisme, et le régime actuel de la propriété, qu’il aurait dû critiquer, pour découvrir les sources cachées du paupérisme contemporain. William Booth refusait de creuser aussi profond ; et cela par principe. « Je sympathise intensément, disait-il, avec les aspirations qui animent les rêves socialistes. Mais je suis un homme pratique, aux prises avec les réalités d’aujourd’hui. Certes, je garde l’esprit ouvert, et suis libre de préjugés ; je tends les bras vers l’Utopie que d’excellentes gens me proposent. Encore faut-il que je puisse l’effleurer du bout des doigts. Dans les nuages, à quoi sert-elle ? Je n’ai que faire de chèques à toucher dans la Banque de l’Avenir. »

On pourrait s’étonner que Booth n’ait pas appliqué les mêmes principes de bon sens au dogme des peines éternelles. D’ailleurs, qu’il ait eu raison ou non de repousser la théorie socialiste, il gardera l’impérissable honneur d’avoir protesté contre l’état présent des choses, d’avoir exprimé son indignation, non seulement par tant d’appels courageux, mais par tant d’actes persévérants ; d’avoir multiplié les refuges de nuit, les cuisines populaires, les ateliers d’assistance par le travail, les asiles et les maisons de relèvement, dans toutes les contrées ou flottait la bannière salutiste ; enfin, d’avoir contribué à former, dans son pays, une opinion publique ; un malaise collectif à l’égard du problème social.

Devant la mappemonde.

Les dernières années de William Booth marquèrent l’extension magnifique de son activité mondiale. Rien ne parle davantage à l’imagination que l’honnête Annuaire de l’Armée du Salut ; la nomenclature des territoires occupés commence par une liste des « Continents »… Voilà qui dépasse l’horizon des plus célèbres conquérants. Et le journal officiel de l’invasion salutiste, publié chaque semaine, à Londres, est tellement destiné à pénétrer dans tous les recoins de la terre habitable, que des fils et des filles prodigues sont ramenés sans cesse à leurs parents, des extrémités de la planète, par une simple annonce dans le Cri de Guerre : un bref et pathétique appel à l’enfant perdu, une promesse de pardon.

A mesure qu’il approchait du terme de sa carrière, le Général paraissait doué du don d’ubiquité. Par exemple, âgé de soixante-dix-huit ans, il visita les Etats-Unis, traversa triomphalement le Canada, et se rendit au Japon, où il s’entretint avec l’inaccessible empereur. Il revint en Angleterre, où l’Université d’Oxford lui conféra un de ses titres les plus enviés, dans une brillante cérémonie. Puis, il repartit pour l’Amérique, et proposa au président Roosevelt la fondation d’une « Université de l’Humanité ». Ensuite, il porta la bonne parole en Allemagne, en Danemark, en Suède et en Norvège.

Et devant qui s’ouvraient les parlements des nations et les palais des rois ? Un ex-pasteur méthodiste, affublé d’un uniforme bizarre et d’un autre comique, mais qui avait groupé, au service de l’humanité souffrante et pécheresse, une légion de soixante-dix mille missionnaires enthousiastes et disciplinés. Peu à peu, l’élite universelle s’était inclinée devant la catholicité d’un pareil apostolat ; il devint un prophète pour sa génération ; quand le chef tomba, un hommage irrésistible à sa mémoire jaillit de toutes les poitrines ; et la presse française la plus irréligieuse déposa le tribut de son respect, comme une palme, sur la bière du salutiste.

On objectera : « Quel dommage que le cercueil fût grotesquement voilé de rouge, et entouré d’une haie de drapeaux qu’on avait cravatés, non de crêpe noir, mais d’attaches blanches ! Pourquoi donc l’Armée du Salut y applique-t-elle à choquer l’opinion par ses allures, ou à décourager des sympathies sincères ? »

Je souscris aux légitimes critiques d’une certaine mise en scène, d’une certaine vulgarité bruyante et candidement ridicule, de certains procédés, quasi-matérialistes, qui visent la conscience à travers les nerfs…, tout comme les pompes les plus raffinées du culte, au Vatican, ne visent l’âme qu’à travers les parfums de l’encens et les soupirs des grandes orgues. (Les extrêmes se touchent !) Mais, lorsque ces critiques sont intelligentes, sincères, quand elles émanent d’un cœur pur, quand elles ne sont pas inspirées par la secrète horreur d’un christianisme conséquent avec lui-même, par l’aversion instinctive de la Croix, alors elles ne ferment pas nos yeux à la divine splendeur d’un effort de rédemption active, sans analogue dans le monde moderne.

On reproche, encore, au salutisme d’avoir oublié la valeur des institutions traditionnelles dans l’Eglise, et l’utilité pédagogique des rites. Ou s’étonne qu’il ait négligé le domaine de l’éducation, la patiente culture de l’enfance. On l’accuse d’avoir méconnu l’infinie variété des âmes ; car celles-ci, trop souvent, semblaient perdre leur originalité profonde ; les « soldats » adoptaient non seulement la théologie spéciale, mais le vocabulaire, et même les intonations de leurs chefs. On a encore inscrit, au passif de l’Armée du Salut, sa précipitation à mettre en scène les « sauvés », dont « le témoignage » prématuré, en public, précédait parfois de peu la rechute. On a déploré le surmenage et la misère des officières, mal nourries, dont le dévouement sublime, poussé au-delà de toutes limites, ruinait la santé en peu de mois. – Ces diverses remarques soulignent les aspects inévitables d’une armée en campagne ; elle est un organisme spécialisé pour la lutte ; rien de moins, mais rien de plus.

Et, cependant, une fois établie la part inévitable de la critique, une fois pesés le pour et le contre, la balance penche, décidément, dans le sens positif, en faveur de l’œuvre géniale fondée par le Général Booth. A la considérer dans son ensemble, à en suivre la courbe ascensionnelle, on voit éclater l’impuissance de la raillerie devant l’élan vainqueur d’une conviction, le néant de la moquerie devant la foi, celle que l’écrivain sacré exprimait déjà en ces termes : « Jésus-Christ s’est donné lui-même pour nous, afin de nous racheter de tout péché et de se créer un peuple particulier, zélé pour l’action bonne. »

Cela, c’est l’Evangile ; ce n’est pas du salutisme ou du calvinisme, c’est la Bonne Nouvelle ; et celle-ci tient tout entière dans cet axiome : Le Sauveur sauve les siens en les rendant capables de sauver les autres. Le christianisme est, par excellence, une religion de rédemption.

Or, William Booth a incarné cette vérité-là. Au déclin, du XIXe siècle agonisant, dans une Europe fatiguée, blasée, religieusement exsangue, où les églises étaient traitées d’anachronismes fâcheux, ou de survivances anodines, par les princes de la science et par les chefs du prolétariat, – l’Armée du Salut marqua une révolte démocratique et spirituelle, une explosion de vie, de joie, de certitude et d’enthousiasme. Sa devise énigmatique : « Sang et Feu » – (que n’aurait pas désavouée Attila, et qui prête à tant de méprises), – n’est que la traduction colorée, en deux coups de pinceau, de la sereine déclaration de l’apôtre Jean : « Il a donné sa Vie pour nous » – (voilà le sang), – « nous aussi,/nous devons donner notre vie pour les frères » – (voilà le feu, en d’autres termes, la ferveur qu’allume en nous l’Esprit saint).

Booth a donc rappelé au monde que, si le christianisme est une religion de rédemption, la piété chrétienne est, par essence, active comme celle du bon Samaritain, chercheuse comme celle du « bon Berger », agressive comme celle du « bon Maître », qui chassa du temple les vendeurs. L’authentique piété chrétienne s’épanouit dans le service et le sacrifice. Consécration, telle est sa devise ; consécration, c’est-à-dire, en langage biblique : mise à part et sainteté. Or, les salutistes prennent au sérieux la doctrine de Wesley sur la sanctification, sur l’affranchissement possible du péché, selon l’idéal affirmé par l’apôtre Paul ; et cette assurance confère à leur piété un accent positif, une allure de libre félicité. Devenir saint (quelle méthode !) – pour devenir disponible (quel programme !) « Je me sanctifie moi-même... pour eux », déclarait le Sauveur.

La notion de discipline volontaire et de renoncement par amour, si affaiblie dans la piété protestante moyenne, prosaïque et confortablement médiocre, a jailli comme une flamme au souffle du salutisme. Le Général, non content de se vouer corps et âme à la Cause, lui versait une forte part du contenu de son porte-monnaie. Et quels prodiges d’abnégation réalise, d’année en année, cette « Semaine de renoncement », où chaque soldat de l’Armée du Salut retranche, sur ses dépenses ordinaires, une somme dédiée au Royaume de Dieu ! On s’abstient de sucre, on remet à plus tard l’achat d’un objet désiré, on se prive des véhicules publics, et ces petites économies accumulées finissent par former une rivière d’or.

En vérité, l’exemple d’un William Booth doit éveiller en vos consciences un écho durable. Posez votre doigt sur la mappemonde, au hasard, et vous toucherez un point du globe où les hommes se perdent misérablement, gaspillent leur santé, dilapident leur âme, ruinent leur bonheur ici-bas, compromettent leur paix future et le mystérieux repos d’outre-tombe. Des hommes, nos « semblables », se perdent sous nos yeux, dans nos familles, dans nos églises ! Et nous garderions l’allure, ici-bas, des curieux dans un musée ?

Sans doute, l’Evangile ne se présente pas à tous, et dans tous les cas, sous la même forme. Il ne résonne pas, toujours, comme un ultimatum en temps de guerre. A côté d’un William Booth, il y a place pour un François- d’Assise, ou un Alexandre Vinet ; mais leurs exigences fondamentales sont également absolues, car elles s’inspirent d’un seul et même Christ, le Sauveur, qui, miséricordieusement, inflexiblement, acculait toute âme à ce dramatique dilemme : Adore-toi et meurs, ou adore Dieu et vis !

Est-ce là une mutilation de la nature humaine ? Au contraire. Tout est permis, tout est béni, sauf le péché qui dénature. Il faut à l’humanité des astronomes comme Képler et des musiciens comme Beethoven, des savants et des artistes, des philosophes et des contemplateurs ; toutes les nobles activités de l’esprit, tous les beaux épanouissements de la vie sont légitimes, certes, mais dans le cadre de l’oraison dominicale enseignée par le Fils de l’homme, c’est-à-dire au service d’une pensée directrice, d’un « Souverain Bien » régulateur, d’un idéal qui unifie et purifie, qui hiérarchise tous les sentiments et tous les actes : « Ton règne vienne ! »...

Néanmoins, dans un monde comme le nôtre, à peine évolué hors du chaos, mal dégrossi, où la faune préhistorique semble rugir dans les poitrines humaines, où des fleuves de sang et de larmes se creusent, furieusement, à travers la boue, une issue vers la mort finale, – la mission des apôtres demeure la plus urgente. Le physicien au laboratoire, et l’ivrogne chez le « bistro », ont également besoin d’unification intérieure, d’apaisement, de victoire sur la crainte, la sensualité, l’ennui, la souffrance, le remords ; sous des formes variées, et avec des formules différentes, ils soupirent après le salut.

En apparence, il est vrai, l’influence d’un homme d’action est inférieure à celle d’un homme de pensée ; car elle semble s’épuiser dans le présent, tandis qu’une idée nouvelle survit à son auteur et accompagne les générations successives. Mais l’infériorité de l’homme d’action, à cet égard, n’est qu’une illusion ; car le spectacle même de son dévouement intrépide est générateur de sentiments nouveaux ; il insère dans l’âme humaine un idéal moral que rien n’abolira plus, et qui, tôt ou tard, inspirant l’avenir, sera chanté par les poètes et maxime par les philosophes.

... Un soir de décembre, à Paris, je me trouvais dans une rue large et bruyante, brutalement illuminée par les feux aveuglants de bars, des cinémas, des lieux de plaisir. La foule se bousculait vers la volupté, vers l’oubli, sous l’aiguillon de la secrète angoisse qui pourchasse toujours les troupeaux humains, tout à coup, au coin d’une rue transversale, et qui semblait, par contraste, noyée dans l’obscurité, j’aperçus la silhouette immobile d’une jeune femme, revêtue de l’uniforme salutiste. Comme la sainte Geneviève d’un paysage lunaire, au Panthéon, elle semblait veiller sur Paris. Calme et pâle (avec une voix enrouée, cassée par le surmenage et amortie par la brume de l’hiver), elle annonçait aux passants que là-bas, dans la nuit, à l’endroit signalé par une lanterne jaunâtre, l’Evangile était prêché.

On ne l’écoutait guère, on la remarquait à peine ; mais je discernai autour de son visage fatigué une auréole, invisible pour la multitude, et où brillaient ces vieilles affirmations mystiques, immortellement jeunes : « Jésus-Christ s’est donné… Racheter de tout péché… Peuple particulier… Zélé pour l’action bonne.

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