De ce que nous venons de dire sur le sens de ce nom, il résulte qu’il est si étroitement lié à la révélation de l’A. T., qu’il n’a pu prendre naissance nulle part ailleurs. On a souvent cherché à lui attribuer une origine païenne. Mais rien de plus vain que ces tentatives. Un jour on a cru la chose prouvée ; on avait découvert un soi-disant nom de divinité égyptienne, composé des sept voyelles Jéiôouac. Evidemment, c’était de là que venait le nom Jéhovah. Mais, vérification faite, il s’est trouvé que ces sept voyelles servaient à désigner sept notes. Pharaon s’écrie, Exode 5.2 : « Qui est Jéhovah [tour que j’obéisse à sa voix ? Je ne connais point Jéhovah ! » Ce nom ne vient donc pas d’Egypte. Pharaon-Néco peut fort bien changer le nom d’Eliakim en celui de Jéhojakim (2 Rois 23.34), sans que cela prouve aucunement que le nom de Jéhovah soit originaire des bords du Nil. L’historien sacré veut simplement montrer par là aux Israélites que l’Éternel lui-même a aidé Pharaon à les vaincre. Nébukadnézar en fait autant avec Mattanja, auquel il donne le nom de Sédécias, qui signifie « la justice de Jéhovah » (2 Rois 24.17). Voyez Ésaïe 36.10, où Rabsaké s’écrie : « Suis-je monté contre ce pays-ci sans l’ordre de Jéhovah ? »
c – Ἱεηωουα
[Je renvoie le lecteur désireux d’étudier cette question plus à fond à Tholuck, qui, dans ses Mélanges, examine les diverses hypothèses qu’on a faites relativement à une origine égyptienne, phénicienne ou indienne du nom de Jéhovah. Il dévoile en particulier la grossière erreur de Voltaire, qui prétend avec tant d’assurance que le nom de Jéhovah provient des mystères égyptiens, que Schiller lui-même s’y est laissé prendre, et qu’il reproduit telle quelle cette opinion dans son « Envoi de Moïse ». Parmi les modernes qui ont repris cette hypothèse, citons Röth, qui rapproche Jéhovah de Joh, le Dieu de la lune chez les Egyptiens.]
Le nom de Jéhovah est un produit de la révélation de l’A. T. Mais, suivant le sens qu’on donne au fameux passage Exode 6.3, on est amené à lui assigner une origine plus ou moins antique. « Je suis apparu comme El-Schaddaï à Abraham, à Isaac et à Jacob ; mais je n’ai point été connu d’eux par mon nom de Jéhovuh. » Cela, veut-il dire que les trois grands patriarches n’ont pas même entendu prononcer le nom de Jéhovah, — ou bien qu’ils n’ont pas éprouvé tout ce qu’il y a dans ce nom de précieux et d’excellent ?
Si l’on prend à la lettre le verbe connaître, c’est à Moïse que ce nom a été révélé pour la première fois. Telle était déjà l’opinion de Josèphe (Antiq. 2, 12, 4). Alors, comme l’usage si fréquent que la Genèse fait du nom de Jéhovah ne peut pas s’expliquer par une anticipation, on est forcé d’admettre que le Pentateuque est en contradiction avec lui-même, et qu’il admet deux époques où l’on a commencé à se servir du nom de Jéhovah : les temps primitifs (Genèse 4.26 ; 12.8), et l’époque de la sortie d’Egypte.
[Ebrard cherchait encore en 1849 à expliquer par une continuelle anticipation l’emploi de ce nom dans la Genèse. Il a recours à la comparaison suivante : « Nous parlons, par exemple, de l’antistès Bullinger, parce que Bullinger remplissait à Zurich une charge équivalente à celle d’un antistès actuel. Nous oublions que le titre même d’antistès ne fut mis en usage à Zurich qu’au 17e siècle. » Mais que veut donc dire Genèse 4.26 : « On commença alors à invoquer le nom de l’Éternel ? »]
D’après la seconde interprétationd, le passage Exode 6.3 veut dire seulement que les patriarches n’ont pas connu tout ce qu’il y a dans le nom de Jéhovah. C’est tout à fait l’équivalent de Exode 3.15-16 et d’autres passages, tels que Exode 33.19, comparé avec Exode 34.6, où la révélation de certaines perfections divines est rattachée à la proclamation du nom de Jéhovah, sans qu’on puisse dire pour cela que ce nom n’existât pas auparavant : « Vous connaîtrez que je suis Jéhovah, votre Dieu, lisons-nous dans Exode 6.7 ; vous connaîtrez, non pas mon titre de Jéhovah, mais les trésors de secours et de délivrance qu’il y a dans un Dieu qui s’appelle ainsi ». Comparez ici Exode 8.18 ; Psaumes 76.1.
d – Voir surtout Kurtz, Hist. de l’ancienne Alliance.
Enfin, lorsque nous considérons :
1° Que le nom de Jéhovah se rencontre aussi dans ces morceaux Eloïstes de la Genèse, où il est à peu près impossible d’expliquer leur présence par anticipation ou par interpolation.
2° Qu’il entre dans la composition du nom de la mère de Moïse, Jokbed, « Qui a Jéhovah pour gloire » (Exode 6.20), et de plusieurs noms antiques (1 Chroniques 2.25, Achija ; 1 Chroniques 4.18-19, Jéhudija, Hodija ; 1 Chroniques 7.8, Abija).
[Pour chercher à se tirer d’embarras, Ewald admet sans aucun fondement historique que le nom de Jéhovah était connu dans la famille de la mère de Moïse, et Schultz prétend que des noms qui ne se trouvent que dans les Chroniques n’ont aucune valeur probante. Quant au nom de la mère de Moïse, Schultz s’en débarrasse par l’hypothèse d’une modification qu’on lui aurait fait subir plus tard.]
3° Qu’il est fort peu probable que Moïse reçoive pour moyen de légitimation auprès du peuple un nom que chacun ignore, et qui pourtant doit être le nom du Dieu de leurs pères (Exode 3.15), — toute hésitation doit cesser, et l’on est forcé d’admettre que le nom de Jéhovah était connu longtemps avant Moïse.