« toutes les familles de la terre seront bénies en toi et en ta postérité. » Beaucoup de peuples païens ont été plus puissants et plus riches que le peuple de Dieu. Il ne s’agit donc pas ici de bénédictions temporelles, mais de ces biens célestes qui seuls peuvent suffire au cœur de l’homme. Le gage de ces biens, et le plus précieux de tous, est le don du Saint-Esprit. Ce don manquait au monde païen ; l’humanité en avait soif comme une terre desséchée a soif de la rosée et de la pluie du ciel. L’Esprit promis, voilà la bénédiction d’Abraham, qui doit se répandre sur sa postérité, pour déborder ensuite sur toutes les familles de la terre et faire produire à l’humanité ses plus nobles fruits. Dans le don de l’Esprit, qui renferme tous les autres, est mystérieusement préformée la gloire qui doit un jour être manifestée dans les enfants de Dieu. Mais il faut, pour qu’il se réalise, qu’un divin mystère s’accomplisse dans la postérité d’Abraham : il faut que la nature humaine soit unie à Dieu, sanctifiée, changée en un temple de l’Esprit et de la gloire de Dieu, par l’incarnation du Fils. Tel est l’éternel dessein de l’amour de Dieu. Ce dessein est le centre de toutes les promesses. « Dieu manifesté en chair, » voilà le grand mystère de piété que l’Eternel met sous les yeux de Jacob, dans un tableau à la fois aimable et sublime, car l’Esprit prophétique révèle les secrets de Dieu par des visions aussi bien que par des paroles.
Le mystère de la vision de Jacob est accompli en Christ. Jacob voit le ciel ouvert et une échelle dont le pied repose sur la terre et le sommet touche le ciel ; le Seigneur lui apparaît, sous une figure humaine, debout sur le degré le plus élevé de cette échelle, que montent et descendent les anges de Dieu. Le ciel, qui s’est fermé sur l’humanité coupable et maudite, ne doit donc point demeurer à toujours fermé ; la communion brisée entre Dieu et la terre sera rétablie, plus parfaite qu’au commencement, et pour ne plus être interrompue. Dieu, qui a caché sa face, l’abaissera de nouveau miséricordieusement vers l’homme ; il descendra jusqu’à lui, et ces glorieuses relations ne cesseront plus.
L’enfant Jésus est couché dans la crèche de Bethléem ; l’échelle de Jacob est dressée : le pied en repose bien sur la terre, car cet enfant est un vrai fils des hommes, né de femme, participant à notre nature humaine faite de poussière ; mais le sommet touche au ciel, car cet enfant est et reste le Seigneur de l’univers. Le ciel est ouvert, le lien est rétabli entre la terre et le ciel ; les cohortes célestes descendent vers les hommes, et les bergers entendent et voient ce que nul homme n’avait jamais vu ni entendu.
Quand Jésus appela ses premiers disciples et commença de leur manifester sa gloire, il leur dit : « Désormais, vous verrez le ciel ouvert et les anges montant et descendant sur le Fils de l’homme » (Jean 1.51). Il vivait sur la terre, en tout semblable aux hommes, et cependant il pouvait s’appeler « le Fils de l’homme qui est dans le ciel » (Jean 3.13). L’Eternel offre un jour au roi Achaz un signe, « soit dans les lieux bas ; soit dans les lieux élevés. » Sur son refus, lui-même lui en annonce un, ce fils de la vierge, dont le nom sera Emmanuel, « Dieu avec nous » (Ésaïe 7.10-14). C’est lui qui est — selon l’interprétation d’Irénée — le « signe dans les lieux bas et dans les lieux élevés » : en-bas, car il est vrai homme, semblable à nous, quoique sans péché ; en-haut, car il est le Seigneur de gloire, vrai Dieu, digne du même honneur que le Père et le Saint-Esprit. Il est le signe miraculeux d’en-bas, car il est descendu jusqu’au plus profond de la misère humaine, jusque dans l’abîme de l’abandon de Dieu et dans les obscurités de la mort et du royaume des morts. Il est le miracle d’en-haut, car il a élevé avec lui dans la gloire qu’il avait auprès du Père avant que le monde fût, cette nature humaine qu’il avait revêtue, et avec laquelle il a subi pour nous le jugement ; il a introduit notre humanité dans le sanctuaire céleste ; il l’a élevée sur le trône ; il l’a présentée au Père, sainte, irrépréhensible, parfaite ; c’est comme homme qu’il a été couronné de gloire et d’honneur ; il reste vraiment homme dans son élévation.
Voilà le mystère dans lequel les anges désirent de voir jusqu’au fond (1 Pierre 1.12), qu’ils considèrent avec admiration et adoration. Sans envie, avec amour et allégresse, ils contemplent l’honneur ineffable qui nous a été fait ; avec joie et humilité, ils servent Celui qui s’est fait homme pour nous, et ils louent dans leurs hymnes le Père, qui a résolu et exécuté cette œuvre. C’est ainsi qu’ils montent et descendent. Ils regardent en bas, et ils sont émus de la profondeur d’abaissement où est descendu le Fils de Dieu ; ils regardent en haut, et ils reconnaissent dans l’homme assis à la droite de Dieu leur Roi et leur Maître. Ils rendent hommage à Celui qui, chargé du péché du monde, a été pour un temps fait inférieur aux anges, et à Celui en qui l’humanité a été élevée bien au-dessus des anges, jusque dans la plus intime proximité de Dieu. Avec eux, nous nous prosternons aussi, et nous confessons dans une sainte allégresse le mystère de piété ; avec eux, nous entonnons le « Trois fois saint » en l’honneur du Père, du Fils et de l’Esprit. — C’est ainsi que le mystère de l’échelle de Jacob est accompli en Christ.
Ce type mystérieux trouve encore son application dans l’Eglise. Ou bien ce que l’Esprit prophétique fait voir à Jacob, n’aurait-il été réalisé que pendant quelques jours ici-bas, pour disparaître ensuite ? L’échelle, dressée alors que le Fils de Dieu marchait sur la terre, aurait-elle été enlevée, et le ciel, qui était ouvert sur sa tête, se serait-il refermé pour nous ? Grâce à Dieu, il n’en est point ainsi. Le lien reformé entre Dieu et nous subsiste, et les anges montent et descendent encore la céleste échelle.
Quand Jacob se réveilla, il s’écria : « Que ce lieu est vénérable ! C’est ici la maison de Dieu ; c’est ici la porte des cieux ! » Et il appela ce lieu Béthel, et dit : « Cette pierre sera une maison de Dieu ! » — L’Eglise de Christ est le lieu saint, la maison où Dieu fait résidence ; elle est et demeure la porte des cieux. Pour elle et pour tous ceux qui lui appartiennent, la communion rétablie par Christ entre Dieu et l’homme — communion non illusoire, ou imaginaire, mais véritable et réelle — subsiste à toujours. Quand, à la Pentecôte, les disciples furent revêtus d’une force d’en-haut, ils expérimentèrent que le ciel ne s’était pas refermé après l’entrée du seigneur dans la gloire, qu’il venait au contraire de s’ouvrir pleinement sur eux ; et avec eux, tous les croyants, ajoutés à l’Eglise, purent, en recevant le même don, répéter le cri l’admiration de Jacob. Incorporés comme eux à l’Eglise, nous pouvons le répéter comme eux chaque fois que nous nous rassemblons au nom de Jésus, pour célébrer la Cène du Seigneur, pour restaurer nos âmes par la parole de ses serviteurs et la voix de la prophétie. « Voici, j’ai ouvert une porte devant toi, et personne ne la peut fermer » (Apocalypse 3.8). Voilà la promesse du Seigneur ; il la tient. Nous n’avons pas à aller au loin ou à faire le pèlerinage de Jérusalem pour trouver ce lieu saint, celle porte du ciel ouverte. Elle est ici ; ici, où les croyants se rassemblent, où retentit la Parole du pardon, où le sacrifice commémoratif se célèbre selon le commandement du Seigneur, où la bénédiction est donnée de sa part. Le Saint-Esprit habite dans l’Eglise et dans ses institutions ; et là où il habite, habite Dieu lui-même. « Que tes tentes sont belles, ô Jacob ! comme des jardins près d’un fleuve ; comme des cèdres que l’Eternel a plantés le long des eaux ! » (Nombres 24.5-6). Là descendent les bénédictions du Seigneur ; de là elles doivent découler et arroser la terre aride, afin que le désert fleurisse et se couvre de fruits !
C’est ainsi que la vision de Jacob s’accomplit dans l’Eglise ; l’échelle est dressée au milieu de nous. Le bas en repose sur la terre ; nous en voyons les premiers échelons, et nous y posons nos pieds ; et si, pour nos yeux mortels, le sommet est enveloppé d’un nuage, nous croyons cependant, nous avons la certitude, qu’il atteint jusqu’au ciel, et que sur le dernier degré se tient le Seigneur lui-même, le Chef de l’Eglise, qu’il règne sur nous, que sa présence parmi nous est réelle.
Les anges montent et descendent. Cela aussi se réalise pour nous. C’est aux serviteurs de Dieu, que lui-même choisit et sanctifie, et qu’il place à la tête des Eglises, qu’il appartient de monter, pour lui présenter nos prières et nos sacrifices, et de descendre, pour nous apporter les réponses et les bénédictions du Seigneur. Leur mission est de maintenir ouvertes les communications entre l’Eglise et son Chef, d’empêcher le monde et la chair de chasser de vos cœurs le sens céleste. Il faut à cette tâche des hommes élevés au-dessus des tentations vulgaires, qui vivent d’une vie céleste et dans un commerce permanent avec Dieu ; sinon, ils ne seraient pas dignes de s’appeler ses serviteurs ; des hommes qui descendent pour vous apporter sa Parole et faire pénétrer son amour dans vos cœurs ; qui s’approchent des petits et des souffrants, des faibles, pour porter leur fardeau et pleurer avec eux ; qui vont à la recherche des égarés et leur tendent la main ; qui mènent deuil avec le pénitent ; qui ne dédaignent personne et ne négligent rien de ce qui leur est confié ; des hommes enfin qui, comme Jésus, se consacrent tout entiers au service de l’Eglise.
C’est là le double office de sacrificateurs que nous avons à remplir : monter jusqu’au ciel, par l’adoration ; descendre sur la terre, pour prendre soin des âmes. N’est-ce pas là aussi l’office des anges ? Ne sont-ils pas des esprits qui adorent et des esprits qui servent, voyant la face de notre Père qui est dans le ciel, et envoyés sur la terre pour le salut des fidèles ? Notre activité doit ressembler à la leur. Et l’Eglise entière doit prendre part à cette activité sacerdotale : la vie chrétienne ne consiste-t-elle pas à s’élever en esprit dans le ciel, à contempler, à adorer et à louer Dieu, puis à redescendre sur la terre, à être obéissant et fidèle dans le travail terrestre, à servir nos frères avec douceur et amour, humilité et abnégation ? Une telle vie réalise dans l’Eglise le tableau de l’échelle de Jacob.