Les incrédules eux-mêmes sont contraints d’avouer qu’il y a eu une écriture de Moïse. Spinosa prétend que Moïse écrivit deux livres : le livre de l’Alliance, qui ne contenait que les lois qui sont décrites depuis le vingt-deuxième verset du vingtième de l’Exode, jusqu’au vingt-quatrième chapitre du même livre, et qu’il composa en Horeb, lorsque Dieu traita alliance avec le peuple d’Israël au pied du mont Sinaï ; le second, qu’il composa longtemps après lorsque l’alliance fut renouvelée, et que Moïse écrivit ces lois avec plus d’étendue dans un livre où il inséra cet autre petit livre de l’Alliance ; cette dernière Écriture ayant été ensuite nommée le livre de la loi.
On peut juger par le caractère de cet auteur, que s’il avait pu s’empêcher de nous accorder ce principe, il l’aurait fait. Mais comment aurait-il pu nier qu’il n’y ait eu parmi les Juifs un livre de la loi, et que ce livre n’ait été écrit par Moïse, puisque c’est là la tradition constante et universelle des Juifs, puisque tous les prophètes parlent incessamment de cette loi, et que ce n’est qu’à cette loi qu’on peut rapporter l’établissement de la religion judaïque avec toutes ses cérémonies ? Certes, s’il est vrai que Moïse ait été le législateur des Juifs, il est vrai qu’il y avait une loi de Moïse, qui comprenait les ordonnances de ce grand homme ; de sorte que, comme l’on ne peut douter raisonnablement du premier de ces deux principes, il faut que l’autre soit nécessairement véritable.
Mais on est peut-être en peine de savoir quel est ce livre qui a porté le nom de la loi de Dieu parmi les Juifs. Il paraît, par les premières paroles du Deutéronome, que c’est là le livre de la loi ; car voici quel en est le commencement : Moïse commença donc à déclarer cette loi au-deçà du Jourdain au pays de Moab, disant, etc. Ensuite, après avoir marqué les lois que Dieu leur donnait, et après avoir rapporté les bienfaits de Dieu, qui devaient être les motifs de l’obéissance des Israélites, ce qui dure jusqu’au chap. 31, il est ajouté : Or Moïse écrivit cette loi, et la donna aux sacrificateurs, etc., et peu après : Alors tu liras cette loi ici, eux l’entendant, etc., afin qu’ils craignent l’Éternel votre Dieu, et prennent garde à faire toutes les paroles de cette loi ici, etc.
Cette considération donne du jour à ce qui est rapporté au chap. 8 de Néhémie, savoir, qu’on assembla tout le peuple d’Israël ; qu’Esdras, lévite, apporta le livre de la loi, et y lut en la place qui était devant la porte des eaux, depuis le jour venu jusqu’à midi. Il ne faut point douter qu’on ne lût toute la loi, selon le commandement de Moïse, qui ordonnait de lire toute la loi devant l’assemblée d’Israël, de sept ans en sept ans. Or, j’avoue que la moitié d’une journée ne suffisait pas pour lire tout le Pentateuque, et pour l’expliquer au peuple, comme il est dit que les lévites exposaient la loi de Moïse au peuple ; et il est vrai aussi, qu’à restreindre la loi au décalogue avec les malédictions contre les transgresseurs, ou même aux ordonnances qui sont contenues depuis Exode.20.22 jusqu’au chap. 24, il y avait dans la moitié d’une journée beaucoup plus de temps qu’il n’en fallait ; ce qui nous confirme dans la pensée qu’on ne lut que le Deutéronome, et que c’est le Deutéronome qui portait, d’une façon particulière, le nom de loi de Moïse.
Quoi qu’il en soit, il est du moins certain que cette loi était au temps d’Esdras, et avant Esdras. Elle était avant Esdras, puisque, longtemps auparavant, Jérémie, Habacuc, Baruc, Ezéchiel avaient prophétisé la ruine de Jérusalem et la captivité du peuple, comme un effet du mépris que les Juifs avaient fait de la loi de Dieu ; que, pendant la captivité, Daniel, Mardochée, les trois enfants hébreux avaient attaché leur cœur à la loi de Moïse, et s’exposaient à toute sorte de dangers pour vivre conformément à cette règle ; ce qui même ne pourrait avoir été inventé que sur ce fondement véritable, qu’il y avait alors une loi de Moïse ; et qu’enfin, lorsque Zorobabel eut ramené les Juifs de Babylone, ils offrirent des sacrifices conformément à la loi de Moïse : c’est Esdras qui le rapporte en ces termes au chap. 3 de son livre : Ils bâtirent l’autel du Dieu d’Israël pour y offrir des holocaustes, ainsi qu’il est écrit en la loi de Moïse, homme de Dieu, etc. Et ils offrirent sur lui les holocaustes à l’Éternel, à savoir, les holocaustes du matin et du soir : ils célébrèrent aussi la fête solennelle des Tabernacles, ainsi qu’il est écrit, etc., et après cela l’holocauste continuel et des nouvelles lunes et de toutes les fêtes solennelles de l’Éternel, etc.
Sur cela, il est naturel de faire ces trois remarques : la première, qu’on n’a jamais douté, du moins que l’on sache, que ce livre ne soit d’Esdras ; la seconde, qu’Esdras parle du premier rétablissement des Juifs sous Zorobabel, qui était arrivé longtemps avant l’arrivée d’Esdras même à Jérusalem ; car Zorobabel ramène les Juifs : ils bâtissent un autel dès qu’ils sont arrivés, sur lequel ils sacrifient conformément à la loi de Moïse : ils commencent à bâtir le temple ; l’ouvrage est interrompu pendant plusieurs années. Les prophètes Aggée et Zacharie encouragent le peuple par leurs prophéties. On obtient la permission d’achever de rebâtir le temple. On achève cet ouvrage, et ensuite Esdras arrive de Babylone, menant avec lui quelques-uns des enfants d’Israël, des sacrificateurs, des lévites, etc. En troisième lieu, il faut considérer qu’Esdras n’aurait pu dire, avec la moindre ombre de raison et de vraisemblance, que les Juifs ramenés par Zorobabel avaient sacrifié conformément à la loi de Moïse, homme de Dieu, s’il n’y eût eu avant Esdras une loi de Moïse connue de tout le monde ; ce qui détruit entièrement le soupçon qu’on pourrait avoir, que la loi s’étant perdue, et n’étant plus dans le souvenir des Israélites, Esdras leur en ait donné une toute nouvelle en la place de celle de Moïse.
Il y a un peu plus de sujet de se défier du temps du roi Josias, pendant lequel il est rapporté au deuxième livre des Rois, chap. 22, que le peuple étant tombé dans une telle idolâtrie, qu’il sacrifiait à toute l’armée des cieux, le souverain sacrificateur Hamalkija trouva le livre de la loi dans le temple ; qu’il en donna avis au roi Josias, et que ce livre de la loi fut la règle sur laquelle on réforma le peuple et la religion.
L’incrédulité, qui ne cherche que des sujets de défiance, croit sans doute en avoir trouvé ici une belle occasion ; mais elle se trompe. Le tabernacle ayant été destiné à garder le livre de la loi, et ensuite le temple servant à cela même, il n’est pas étrange que la loi s’y soit trouvée longtemps après. L’historien n’est pas suspect en cela, puisqu’il nous fait comprendre que le peuple était enseveli dans une si profonde superstition, qu’on fut obligé de chercher dans le temple pour y trouver le livre de la loi, ou du moins pour être assuré qu’il n’avait pas été corrompu, et que c’était là la véritable loi de Moïse. Il ne faut donc pas douter que ce livre ne fût trouvé à côté de l’arche, où Dieu avait commandé qu’il fût mis : et là-dessus il me semble qu’il est assez naturel de penser, que si Josias avait fait supposer ce livre, il y aurait fait mettre quelque prophétie qui lui aurait été favorable en son particulier ; que si la supposition était venue de Hamalkija seul, ce dernier y aurait inséré quelque prophétie, par le moyen de laquelle il se serait mis en crédit, et aurait tenu le même rang que Moïse ; que si ce livre avait été supposé du temps de Josias pour détruire l’idolâtrie qui régnait parmi le peuple, les successeurs de Josias qui rétablirent la superstition et l’idolâtrie, n’auraient jamais manqué de découvrir la supposition de ce livre. Voilà des raisons probables, qui nous portent à croire que c’est de bonne foi que le souverain sacrificateur Hamalkija avait trouvé la loi de Moïse dans le temple.
Mais ces incrédules demandent quelque chose de démonstratif, et je crois qu’il faut les satisfaire : je leur demande donc comment Hamalkija, ou celui qui composa en ce temps-là le livre de la loi, pouvait deviner que Dieu susciterait une nation contre les Juifs ; qu’ils seraient dispersés parmi les peuples ; qu’on les ferait idolâtrer pendant leur captivité ; que leurs villes seraient rasées ; qu’ils seraient contraints de manger le fruit de leur ventre ; mais qu’ils se convertiraient à Dieu, et qu’alors Dieu ramènerait les captifs d’Israël, qu’il les rassemblerait d’entre les peuples ? Car toutes ces choses sont clairement prédites dans le Deutéronome, et nous lisons que Néhémie y avait eu égard dans la prière qu’il adressa à Dieu en Babylone. Comment aurait-on prévu du temps de Josias ce qui n’arriva que du temps de ses successeurs ?
Peut-être que cette question embarrassera les incrédules ; cependant ce n’est pas là ce qu’il y a de plus convaincant contre eux. Il est certain que les Juifs avaient une loi de Moïse avant le règne de Josias, puisque David, dans ses Psaumes, ne parle que de la loi de l’Éternel : et, si vous avez peur qu’on en ait changé la matière, on vous fera voir dans les écrits des prophètes qui avaient précédé Josias, et dans les écrits des prophètes qui avaient prophétisé dans le royaume d’Israël, séparé de celui de Juda longtemps avant le règne de Josias ; on fera voir, dis-je, dans les écrits de ces prophètes, tous les faits essentiels qui sont contenus dans le livre du Deutéronome : preuve convaincante et démonstrative que Josias n’a pu supposer l’essentiel de ces livres. Mais il est temps de passer à la considération du Pentateuque en général.