Saint Augustin avait laissé sans le résoudre le problème de l’origine de l’âme humaine : entre le créatianisme et le traducianisme il ne s’était pas prononcé. Après lui, la même incertitude persiste chez les auteurs qui se rattachent à lui plus étroitement. Tandis que les semi-pélagiens ou les écrivains plus indépendants, comme Cassien, Gennade, Cassiodore enseignent nettement que les âmes sont créées par Dieu, saint Fulgence, saint Grégoire, saint Isidore, saint Ildefonse continuent de déclarer que leur origine est inconnue.
Cette question d’origine toutefois n’est pas celle qui passionne le plus le ve siècle et les siècles suivants, à propos de l’âme humaine. Fauste a soulevé une polémique en soutenant, dans ses lettres iii et v, que l’âme est corporelle, parce qu’elle est quantitativement localisée. Son sentiment est partagé par Gennade ; mais il est réfuté par Claudien Mamert dans ses trois livres De statu animae, par Licinianus de Carthage, et généralement condamné par nos autres auteurs, Fulgence, Cassiodore, saint Grégoire, saint Isidore. Ce dernier prononce d’un mot que « male… a quibusdam creditur animam hominis esse corpoream ». La spiritualité de l’âme entraînait comme corollaires naturels son invisibilité et son immortalité. On les admet. Sur le premier point cependant, saint Grégoire fait observer que Dieu a miraculeusement quelquefois rendu visibles les âmes des trépassés, et il en rapporte des exemples.
Le chapitre précédent a exposé les controverses agitées au ve siècle, surtout en Gaule, autour des doctrines augustiniennes de la grâce, et comment le second concile d’Orange (529) les avait tranchées. Les décisions du concile furent généralement acceptées. Cassiodore, saint Grégoire, saint Isidore enseignent comme lui la nécessité d’une grâce prévenante même pour le commencement de la foi et des bonnes œuvres ; mais du reste ils notent avec soin l’indispensable coopération de la liberté humaine : « Si superna gratia, écrit saint Grégoire, nocentem non praevenit, nunquam profecto inveniet quem remuneret innocentem… Superna ergo pietas prius agit in nobis aliquid sine nobis, ut subsequente quoque nostro libero arbitrio, bonum quod iam appetimus agat nobiscum, quod tamen per impensam gratiam in extremo iudicio ita remunerat in nobis ac si solis processisset ex nobis. » Cassiodore et saint Isidore paraissent également adopter les vues du concile sur l’entière impuissance du libre arbitre déchu pour le bien même purement moral.
Sur les questions non résolues à Orange, la doctrine qui continue de prévaloir aux vie et viie siècles est celle-de saint Augustin, légèrement adoucie au moins dans l’expression. La vocation de tous à la foi est gratuite. Pour tous aussi, qu’il s’agisse des enfants ou des adultes, la prédestination est absolue et indépendante de la prévision de leurs mérites ou de leurs fautes. Il n’y a pas à se demander pourquoi l’un est choisi, l’autre est rejeté : les jugements de Dieu en cette matière sont insondables : nous savons seulement qu’il est juste et miséricordieux. Il y a un nombre fixé d’élus. Ce nombre est petit, déclare saint Léon : au jugement de saint Grégoire, il est égal au nombre des anges restés fidèles ; au jugement de saint Isidore, à celui des anges déchus, nombre qui d’ailleurs n’est connu que de Dieu seul. Quant au sort des enfants morts sans baptême, on s’en tient encore à l’opinion de saint Augustin qui les condamne à des peines positives et au feu de l’enfer : « Perpetua quippe tormenta percipiunt, écrit saint Grégoire, et qui nihil ex propria voluntate peccaverunt ». « Luunt in inferno poenas », dit saint Isidore, et saint Ildefonse transcrivant saint Augustin : « Mitissima sane omnium poena erit eorum qui, praeter peccatum quod originale traxerunt, nullum insuper addiderunt. »
Plus que jamais, aux néophytes barbares qui entrent dans l’Église, les moralistes et les prédicateurs inculquent que la foi sans les œuvres est inutile et morte : « Fides ergo nuda meritis inanis et vacua est. » Mais d’ailleurs ils ajoutent que, si les œuvres faites en état de péché grave sont stériles, ces mêmes œuvres au contraire, faites avec la grâce de Dieu, sont méritoires de la vie éternelle, et sont méritoires d’autant plus qu’elles ont coûté plus de travail et d’effort : « Semen eorum, explique Cassiodore, significat opera fidelium, quae in hoc mundo seminantur, ut in illa aeternitate eorum laudabilis fructus appareat. »