La destruction de Jérusalem dut exercer à plusieurs égards une influence marquée sur le développement de l’institution du dimanche. A envisager l’Église en général, cet événement si considérable du premier siècle confirma de la manière la plus éclatante la doctrine paulinienne sur l’abrogation, par la Nouvelle Alliance, de la loi mosaïque et en particulier de son sabbat. Il élargit singulièrement l’horizon eschatologique et ne permit absolument plus d’identifier le châtiment de la criminelle cité et les catastrophes finales qui sont encore réservées pour l’humanité et dont ce châtiment ne devait être qu’un type prophétique. D’autre part, en voyant disparaître le culte cérémonial de l’Ancienne Alliance, l’Église devait être toujours plus portée à se considérer comme étant désormais le véritable Israël, l’Israël spirituel, et à développer ses propres institutions, en particulier celle du dimanche. Il était même à craindre qu’elle ne fût tentée de retourner en arrière à son profit et de rétablir dans son propre sein une imitation de la loi mosaïque. On sait que cet écueil fut loin d’être évité et que cette dangereuse tendance se manifeste déjà dans l’épître de Clément Romain (ch. 41).
L’Église judéo-chrétienne dut être bouleversée par la catastrophe, d’autant plus qu’un nouveau sanhédrin surgit à Jabné (ou Jamnia) et qu’il prit à l’égard des chrétiens l’attitude la plus hostile. Le rabbin Tarphon alla jusqu’à déclarer qu’on trouverait le salut dans les temples des idoles plutôt que dans les assemblées chrétiennes. Il fut interdit aux Juifs de manger avec les chrétiens, et une formule d’excommunication fut même introduite contre eux dans les prières liturgiques. — Au commencement du second siècle, une Église non judaïsante fleurit à Aelia-Capitolina et un grand nombre de chrétiens d’origine juive en firent partie. Plus tard, les chrétiens de Palestine furent massacrés en grand nombre par le faux messie Bar-Kokeba dans la violente persécution qu’il souleva contre eux. — Après la ruine de Jérusalem, les chrétiens judaïsants semblent s’être partagés en trois groupes distincts. Les uns, imbus des principes modérés de l’apôtre Jacques et sous la direction de son cousin, Simon, semblent s’être toujours plus rapprochés des ethnico-chrétiens et avoir fini par se fondre avec eux. D’autres formèrent une secte nazarienne qui apparaît au second siècle distincte des Ebionites et dont Justin Martyr parle avec indulgence : tout en conservant un attachement excessif aux formes du judaïsme, ils ne se faisaient remarquer par aucune grande erreur doctrinale et célébraient le dimanche à côté du sabbat. D’autres enfin s’étaient exaltés au plus haut degré dans leurs idées judaïques et devaient toujours plus s’éloigner de la doctrine apostolique pour se combiner avec les sectes juives, surtout l’essénisme, et se constituer en hérésie déclarée. Telles furent probablement les origines de l’ébionitisme.
En fait, à l’époque, qui peut être dite de saint Jean, parce qu’il était alors la plus grande personnalité apostolique qui eût survécu, la célébration du dimanche apparaît sous un nouvel aspect et plus accentuée que précédemment. Jean le désigne déjà par son nom propre et c’est à ce jour qu’il rattache expressément la magnifique révélation prophétique consignée dans l’Apocalypse : « Moi, Jean, votre frère et qui ai part avec vous à la tribulation et au royaume et à la persévérance de Jésus, j’étais dans l’île appelée Patmos, à cause de la parole de Dieu et du témoignage. Je fus ravi en esprit le jour du Seigneur (Ἐγενόμην ἐν πνεύματι ἐν τῇ κυριακῇ ἡμέρᾳ), et j’entendis derrière moi une voix forte, comme le son d’une trompette, qui disait : Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le aux sept Églises (Apocalypse 1.9-11). » C’est la seule fois que se trouve dans le Nouveau Testament l’expression ἡ κυριακή ἡμέρα, proprement : le jour seigneurial ou dominical, et elle est évidemment employée comme bien connue.
[Les trois principales dates entre lesquelles on peut hésiter pour l’époque de la composition du livre, « sont comprises dans les limites de la vie de l’apôtre Jean. Ce sont le temps du court règne de Galba, en 68, ou bien le temps du règne de Vespasien, 69-79, ou enfin l’époque du règne de Domitien, de 81 à 96 » (Godet Etudes bibliques). Pour nous, de même que Godet, Hoffmann, Hengstenberg, Ebrard, Lange, Zahn, nous maintenons l’époque de Domitien. Cette date a été très clairement indiquée par Irénée, disciple de Polycarpe, qui l’était lui-même de Jean (Adv. haeres. V, 30, 3), et elle est confirmée, entre autres, par les données de l’Apocalypse sur l’état spirituel des sept églises de l’Asie Mineure, à chacune desquelles Jean écrit une lettre spéciale. « Il est remarquable, dit Godet, que dans toutes les récentes hypothèses sur la composition de l’Apocalypse, le remaniement final doit avoir eu lieu sous Domitien ou plus ou moins longtemps après lui ; ce qui donne jusqu’à un certain point gain de cause à la tradition d’Irénée. » — Dans la Rev. theol. de 1888, p. 159, Schoen signale une discussion approfondie qui a paru dans la même Revue (1883, p. 443-459), comme ayant démontré d’une manière irréfutable que les deux premiers chap. de l’Apocal. sont postérieurs à l’an 70 et qu’ils indiquent une date au moins aussi avancée que la tradition.]
L’adjectif κυριακός ne se retrouve lui-même qu’une seule fois dans le Nouveau Testament : 1 Corinthiens 11.20, dans une épître de Paul bien antérieure à l’Apocalypse, et il y apparaît comme se rapportant manifestement au Seigneur Jésus. « Lors donc que vous vous réunissez, ce n’est pas prendre le repas dominical. Car quand on se met à table, chacun commence par prendre son repas et l’un a faim, tandis que l’autre est ivre. » Ce repas ne saurait être autre que celui qui de toute manière mérite d’être appelé le repas du Seigneur Jésus et où tout doit se rattacher à lui. Dans les versets 23-29 du même chapitre, tous relatifs à la cène, se trouvent, non sans intention, 5 fois le nom de Seigneur (ὁ Κύριος) se rapportant incontestablement à Jésus, 1 fois l’expression complète de Seigneur Jésus, et dans la traduction française, 7 pronoms se rapportant non moins sûrement à lui, tandis qu’il n’est aucunement parlé de Dieu le Père.
1 Corinthiens 11.20 rend déjà très probable qu’il faut interpréter le κυριακή de Apocalypse 1.10 en le rapportant également au Seigneur Jésus. Très probable, disons-nous, non : certain, car le mot Κύριος, d’où vient κυριακός, peut en lui-même désigner le Père du Seigneur Jésus presque aussi bien que celui-ci. Il est vrai que dans le Nouveau Testament le mot Κύριος semble appliqué spécialement à Jésus depuis sa glorification, comme cela ressort particulièrement de Actes 2.36 ; 10.36 ; Romains 14.8-9 ; 1 Corinthiens 7.22-23 ; 8.6 ; Philippiens 2.9, 11. On a même pu soutenir, mais non sans exagération, que tous les passages où Paul parle du Κύριος sans citer l’Ancien Testament, se rapportent à Jésus et non à Dieu le Père. Dans l’Apocalypse, c’est bien à Jésus que se rattache le mot Κύριος, Apocalypse 11.8 ; 14.13 ; 17.14 ; 19.16 ; 22.20-21, et dans le 3e et le 4e de ces versets Jésus est même appelé Seigneur des seigneurs (Κύριος κυρίων). Toutefois il est certain que le mot Κύριος désigne assez souvent dans le Nouveau Testament Dieu le Père et que tel est le cas, dans l’Apocalypse même, Apocalypse 1.8 ; 4.8, 11 ; 11.4, 15, 17 ; 15.3-4 ; 18.8 ; 19.6 ; 21.22 ; 22.5-6, bien que là encore on puisse remarquer que le mot n’est jamais employé seul, sans qualificatif, excepté Apocalypse 4.11, dans une apostrophe adressée directement à Dieu.
Ces considérations tendent en définitive à rendre toujours plus probable la relation de ἡ κυριακή ἡμέρα de Apocalypse 1.10 au Seigneur Jésus, mais elles ne la rendent pas encore certaine. Ce qui seul la rend telle pour nous et pour la grande majorité de ceux qui se sont occupés de la question, c’est le rapport de Apocalypse 1.10 avec l’ensemble des données du Nouveau Testament sur le dimanche et aussi avec maintes déclarations ecclésiastiques du iie siècle. Les données du Nouveau Testament, nous les avons déjà passées en revue, en examinant, dans les Évangiles, ce que le Seigneur a fait après sa résurrection pour en solenniser l’anniversaire hebdomadaire, puis, dans les Actes et les Epîtres, 1 Corinthiens 16.2 ; Actes 20.7. Quant aux déclarations du iie siècle, nous y arriverons bientôt, comme à une contre-épreuve. Mais nous ne voulons pas tarder à donner sommairement quelques indications relatives à la langue ecclésiastique du iie siècle et au delà ; elles ont manifestement de l’importance et plusieurs d’entre elles seront plus tard amplement confirmées.
La cène était souvent appelée dans les églises latines dominicum. Ainsi, dans les Acta Saturnini, Dativi, etc., qui datent du temps de Dioclétien, il est dit, par exemple : Dominicum cum fratribus celebravi ou : Intermitti dominicum non potest. On y trouve aussi dominica sacramenta. Tertullien appelle la cène convivium dominicum, et il dit ailleurs : Quomodo dominica solemnia celebrabimus ? D’après Zahn, dominicum ne signifie jamais le dimanche, qui était dit dies dominica ou simplement dominica. — Κυριακόν, qui, comme substantif, signifie ordinairement dans la langue ecclésiastique temple, c’est-à-dire maison du Seigneur, comme le rappellent encore les mots Kirche et Kirk, désigne aussi quelquefois la cène, tandis que Κυριακή est le nom propre du dimanche. L’ouvrage de Papias, disciple de l’apôtre Jean, Λογίων κυριακῶν ἐξηγήσεις, devait se rapporter à l’histoire du Seigneur Jésus, à ses actes et à ses paroles, même à des écrits sur cette histoire, même à nos Évangiles. En tout cas, Papias parle expressément des Évangiles de Matthieu et de Marc (Eus. Hist. eccl. III, 40). — Dans un passage de Denys de Corinthe, conservé par Eusèbe, les Saintes Écritures du Nouveau Testament sont désignées comme κυριακαί γραφαί, et Zahn et Riggenbach ne manquent pas de rapprocher cette expression du titre de l’ouvrage de Papias, en disant qu’il a puisé les κυριακά λόγια précisément dans les κυριακαί γραφαί, dont parle Denys de Corinthe.
[« En un mot, dit Zahn, Papias puise les κυριακά λόγια dans les κυριακαί γραφαί, expression par laquelle Denys de Corinthe, environ 30 ans après la composition de l’œuvre de Papias, désigne les écrits du Nouveau Testament et avant tout, cela va de soi, ceux qui se rapportent immédiatement au Κύριος, à savoir les Évangiles. « Il est incontesté, dit Riggenbach, que λόγιον signifie d’abord une parole de Dieu, une parole prophétique. Mais il est tout aussi incontestable que le pluriel λόγια est appliqué à l’Écriture de l’Anc. Test., comme désignant celle-ci par son contenu principal, en tant qu’elle est une collection de paroles de Dieu, qu’elle renferme les révélations de Dieu. Tel est le sens du mot dans Romains 3.2. L’expression de τά λόγια est donc employée comme synonyme de γραφή ou de ἱερά γράμματα, et pas seulement tard, mais, par exemple, dans Josèphe (B. J. 6, 5, 4) et dans Clément Romain (1 Corinthiens 53, cp. avec 19). Quant au Nouveau Testament, Denys de Corinthe, pas longtemps après Papias, applique aux Évangiles l’expression de κυριακαί γραφαί … Les écrits du Nouv. Test. portent donc ici le nom de κυριακαί γραφαί, à côté des γραφαί de l’Ancien. Si celles-ci s’appellent aussi τά λόγια (τοῦ Θεοῦ), cette dénomination correspond pour les Évangiles à celle de λόγια κυριακά. Hilgenfeld est aussi d’accord là-dessus et il donne de nouvelles preuves du fait dans sa Revue (1867, p. 183). » — « Le mot λόγια, dit Charteris, semble avoir été de bonne heure un équivalent de « Saintes Écritures, » que le contenu en fût des paroles ou des récits (Voir Romains 3.2 ; Hébreux 5.12 ; 2 Clém. 13). »]
Clément d’Alexandrie parle aussi de αἱ κυριακαί γραφαί, comme se rapportant à nos Évangiles. Tous ces sens ecclésiastiques attribués à dominicum, dominica,κυριακόν, κυριακή, λόγια, κυριακά, κυριακαί γραφαί, où il s’agit toujours du Seigneur Jésus (sauf peut-être pour κυριακόν signifiant temple), ne confirment-ils pas le sens analogue donné à κυριακή ἡμέρα dans Apocalypse 1.10 10 ?
On pourrait s’étonner, il est vrai, que dans ce verset il n’y ait pas proprement : en un jour de dimanche (ἐν κυριακῇ ἡμέρᾳ), au lieu de : le jour du dimanche (ἐν τῇ κυριακῇ ἡμέρᾳ). Mais, en fait, d’après l’édition de Tischendorf, dans presque tous les passages du Nouveau Testament où il est nommément question du 1er jour de la semaine, l’article se trouve également, à savoir Marc 16.2 ; Luc 24.1 ; Jean 20.1, 19 ; Actes 20.7 ; Matthieu 28.1 (εἰς μίαν σαββάτων) fait seul réellement exception, car dans 1 Corinthiens 16.2 (κατά μίαν σαββάτων), Paul voulait dire que l’offrande devait se faire chaque 1er jour de semaine. Or dans Apocalypse 1.10, c’est tout autre chose : Jean voulait faire ressortir, non pas proprement qu’il avait eu sa vision un jour de dimanche, mais (comme nous dirions nous-mêmes) le jour du dimanche, ce jour-là de la semaine et non tel autre, ce jour toujours grand pour les chrétiens, comme mémorial de la résurrection du Seigneur. Et, en définitive, on peut se demander si une intention du même genre n’aurait pas présidé à la rédaction tout d’abord de Actes 20.7, mais aussi de Marc 16.2 ; Luc 24.1 ; Jean 20.1, 19. « L’emploi ou l’omission de l’article, dans certains cas, dit Winer (Grammatik des neutest. Sprachidioms, p. 102), provient ainsi de la manière dont on se représente la chose, mais n’a point d’influence sur la pensée matérielle. Aussi a-t-on à distinguer dans l’emploi de l’article une nécessité objective et une subjective. » Dans les 4 passages qui viennent d’être indiqués, comme aussi dans Apocalypse 1.10, n’y aurait-il pas précisément cet emploi subjectif de l’article, l’auteur voulant par là accentuer ou souligner l’expression à laquelle l’article est associé ?
Outre l’interprétation qui voit dans Apocalypse 1.10 une allusion au dimanche et qui semble avoir été généralement adoptée de tout temps, quatre autres ont été présentées, que nous devons signaler.
D’après la première, à laquelle nous ne pouvons rattacher aucun nom et qu’il suffira de mentionner, le jour du Seigneur, dont il est ici parlé, serait la période générale de la dispensation évangélique. On alléguait sous ce rapport Jean 8.56 ; Psaumes 118.24.
Wetstein, en 1752, a cru qu’il s’agissait ici du grand jour du jugement. Liant étroitement ἐγενόμην ἐν πνεύματι à ἐν τῇ κυριακῇ ἡμέρᾳ, il traduisait : diem judicii vidi in Spiritu, i. e. prævidi representatum. Mais le ἐγενόμην ἐν πνεύματι peut très bien se suffire à lui-même, dans le sens de : je fus en extase, j’eus une vision. Pour l’interprétation de Wetstein, il faudrait probablement un autre verbe que ἐγενόμην, un verbe indiquant le mouvement, signifiant : je fus ravi ou transporté, et ἐις plutôt que ἐν. En second lieu, la vision qu’eut Jean ne se rapporte pas d’abord au grand jour du jugement, auquel correspondent proprement les ch. 19 et 20. De plus, dans le Nouveau Testament, il est très souvent question du jour du Seigneur comme jour du jugement, et parmi les nombreuses désignations qu’on rencontre sous ce rapport, on ne trouve jamais celle de ἡ κυριακή ἡμέρα. Enfin le contexte de Apocalypse 1.10 est tout rempli de l’idée de la présence et de l’action de Jésus glorifié ; dans les versets 5 et 18, il ya même allusion directe à sa résurrection glorieuse et définitive (Le premier-né d’entre les morts. J’étais mort, et voici je suis vivant aux siècles des siècles). Cette seconde interprétation ne paraît plus soutenue.
Il en est de même de celle qui a été défendue par C.-C.-L. Francke et d’après laquelle le jour du Seigneur de Apocalypse 1.10 serait le jour de Pâques, tel que nous l’entendons. Hengstenberg dit avec raison (p. 162), en renvoyant à l’article de Suicerus sur κυριακή, que selon l’usage unanime des plus anciens docteurs grecs et latins dans les contrées les plus diverses, c’est le dimanche qui est désigné comme le Jour du Seigneur et non le jour de Pâques. Nous aurons aussi l’occasion de constater que le jour de Pâques pour l’ancienne Église n’était pas l’anniversaire de la résurrection du Seigneur, mais celui de sa mort.
Une quatrième interprétation est professée par les Adventistes du septième jour et elle est exposée par J. -N. Andrews dans son Histoire du sabbat et du premier jour de la semaine. Le jour du Seigneur est alors le sabbat. Mais comment se pourrait-il que l’apôtre Jean au milieu même des Églises de l’Asie Mineure fondées par saint Paul, se fût mis ainsi en flagrante contradiction avec celui dont il était le si digne successeur ? Saint Paul n’avait-il pas écrit Galates 4.9-11 et Colossiens 2.16-17 ?
Un des arguments d’Andrews est que saint Jean dans son Évangile, d’une date postérieure à celle de l’Apocalypse, mentionne deux fois le 1er jour de la semaine en le désignant simplement comme tel. « C’est là, dit-il, une preuve on ne peut plus convaincante que Jean ne considérait point le 1er jour de la semaine comme ayant droit au nom de jour du Seigneur ou à tout autre comportant un caractère de sainteté. » Mais cette désignation numérique du 1er jour de la semaine était habituelle chez les Juifs et devait aussi être employée par les premiers chrétiens, comme elle le fut dans Matthieu 28.1 ; Marc 16.2 ; Luc 24.1 ; Actes 20.7 ; Jean 20.1,19 ; 1Cor.16.2. Lorsque, dans ces versets, Matthieu, Marc, Luc, Jean parlaient de la résurrection du Seigneur et de ses apparitions à plusieurs de ses disciples, ils pouvaient d’autant mieux se servir de cette simple et courante désignation que celle de Jour du Seigneur ne pouvait déjà exister lors de cette résurrection et de ces apparitions, puisque ce furent elles qui posèrent le fondement du dimanche. Quant à 1 Corinthiens 16.2 ; Actes 20.7, il est probable que lorsque Paul écrivait la 1re aux Corinthiens et plus tard s’arrêtait à Troas en allant à Jérusalem, la désignation chrétienne du 1er jour hebdomadaire n’existait pas encore et que, lorsque Jean écrivit son Apocalypse, elle n’était pas ancienne. L’institution du dimanche, en se développant dans l’Église, finit par avoir son vrai nom, et cela, on ne peut en douter, sous l’influence du Saint-Esprit et avec l’assentiment de l’apôtre ou des apôtres encore vivants, de même que ce ne fut qu’à Antioche, au début de l’apostolat de Paul, que les disciples reçurent leur vrai nom de chrétiens (Actes 11.26). L’Évangile de saint Jean est si loin d’être en opposition avec l’interprétation de Apocalypse 1.10 dans le sens du dimanche qu’il est le seul qui ait signalé pour l’Église un des piliers sur lesquels le Seigneur a fondé l’institution, car seul il nous a transmis le récit de la seconde apparition de Jésus ressuscité à une réunion de disciples (Jean 20.26-29), en ayant soin de stipuler qu’elle eut lieu huit jours après la résurrection du Seigneur (v. 26), et encore en donnant à entendre qu’il n’y avait point eu de réunion semblable depuis celle du grand dimanche (Jean 21.24). Comme nous l’avons aussi déjà remarqué au sujet de la première apparition du Seigneur à ses disciples, le quatrième évangéliste accentue soigneusement l’indication du jour de cette apparition. Le soir de ce jour, qui était le premier jour de la semaine, dit-il. — Jean a donc eu sa grande vision le jour du dimanche et il a voulu le constater, il a voulu qu’on le sût ! Comment ne pas avoir à cette idée une véritable émotion et comme un bouillonnement de hautes pensées ?
En un tel jour, où le vieil apôtre, brutalement arraché à son vaste troupeau, devait plus que jamais y penser avec sollicitude et surtout se sentir près de son Seigneur glorifié, il devait aussi être particulièrement porté à prier, par là même à recevoir une communication extraordinaire du Seigneur. Ainsi, lorsque Pierre était monté dans une chambre haute à Joppé pour prier (Actes 9.9), il reçut la mémorable vision qui l’appelait à ne pas regarder comme souillé ce que Dieu avait déclaré pur, et à se rendre sans hésitation chez le centenier Corneille, le premier des incirconcis qui devaient être baptisés. Ainsi Saul de Tarse était en prières (Actes 9.11), lorsque le Seigneur apparut en vision à Ananias et lui enjoignit d’aller visiter l’ancien persécuteur, futur apôtre des Gentils. L’apôtre Paul enfin priait dans le temple de Jérusalem, lorsqu’il fut ravi en extase et vit le Seigneur qui lui disait : « Hâte-toi et. sors promptement, parce qu’ils ne recevront pas ton témoignage sur moi… Va, je t’enverrai au loin vers les nations » (Actes 22.17-21).
Pour peu qu’on ait étudié l’Apocalypse, ne discerne-t-on pas de profondes analogies entre ce livre, d’une part et, de l’autre, l’Évangile et la 1re Epître de saint Jean, particulièrement entre le 1er et le 2d de ces trois écrits ? Ne reconnaît-on pas dans chacun des deux une étonnante réunion de qualités supérieures qui d’ordinaire semblent s’exclure, p. ex., la plus candide simplicité et l’art le plus consommé dans l’enchaînement de l’ensemble, la prédominance des plus hautes intuitions mystiques et le soin du détail, la précision la plus exacte ? Ne reconnaît-on pas aussi d’intimes rapports entre les données des deux livres, le même enseignement caractéristique sur Jésus comme Parole et comme Agneau de Dieua ?
a – Jean 1.1-18, cp. à Apocalypse 19.13 et aussi à 1 Jean 1.1. — Jean 1.29, 36 ; cp. à Apocalypse 5.6-6.17 ; 12.11 ; 13.8, 11 ; 14.1-5, 10 ; 15.3 ; 17.14 ; 19.7-9 ; 21.9, 14, 22, 27 ; 22.1, 3.
On peut être très loin de comprendre l’Apocalypse autant qu’on le désirerait. Mais comment ne pas vivement sentir la sainte beauté et la sublime grandeur des scènes de l’adoration de Dieu et de l’Agneau décrites dans les chap. 4 et 5 ? Comment ne pas apprécier comme intarissables sources de consolation et d’espérance, des versets comme Apocalypse 21.1-4 ; 22.3-5 ? Comment ne pas reconnaître le secours si puissant, si bienfaisant, si opportun, si urgent, que l’Apocalypse a dû et devra toujours porter à l’Église dans les temps de martyre et de persécution ? Comment ne pas considérer l’Apocalypse comme le grand livre prophétique de la Nouvelle Alliance ? N’est-il pas à cet égard en harmonie intime soit avec les prophéties de Paul et du Seigneur lui-même, soit avec celles de l’Ancienne Alliance et surtout de Daniel ? La difficulté que nous éprouvons à comprendre le livre n’est-elle pas elle-même une preuve de son inspiration, des services qu’il a toujours à rendre dans l’Église, de la longue échéance des prophéties qu’il renferme ? Toute prophétie peut-elle, avant son accomplissement, être autre chose qu’une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour vienne à paraître (2 Pierre 1.19) ?
Jean était donc un dimanche sur son rocher de Patmos, dans la solitude de son exil il pensait à ses chères églises, il souffrait de ne plus pouvoir leur adresser de vive voix ses instructions, ses exhortations, et voici que tout à coup le Seigneur lui apparaît en vision, il lui dicte même des épîtres aux 7 Églises d’Ephèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie, Laodicée, et les révélations que Jean reçoit ensuite étaient destinées non seulement à ces Églises, mais à l’Église entière jusqu’à son glorieux accomplissement. Quelle chaire, quelle tribune n’était donc pas devenu pour l’apôtre le rocher de son exil ! Comme le dit si bien Godet, « la splendeur apocalyptique répandue dans l’âme de Jean dans le dimanche passé à Patmos, se répandit sur tout le reste de sa vie et illumina l’Église entière » (Le Dimanche).
Ce rapport entre le Dimanche et l’Apocalypse n’est peut-être pas le seul. Lange, dans l’Introduction de son commentaire sur ce livre, arrive à dire : « Avec le jugement final, Christ se manifeste pleinement comme le prince de la victoire, pour ouvrir le grand jour du jugement, qui, en sa qualité de grand samedi de mille ans, commence avec le jugement de l’antichristianisme cultivé et se termine avec le jugement de l’antichristianisme dernier et populaire, pour amener ainsi l’éternel Dimanche. » — Nous n’avons pas su trouver dans le Commentaire toute l’explication désirée de ce grandiose point de vue. Cependant nous lisons, p. 234 : « Quant aux 1000 ans, le nombre est symbolique comme tous ceux de l’Apocalypse ; il désigne une période (Aeon), celle de la destruction par laquelle l’ici-bas deviendra l’au delà. « Les Juifs, dit de Wetteb, attribuaient différents nombres à la durée du royaume messianique ; mais R. Eliéser pensait, d’après Ésaïe 63.4 et Psaumes 90.4, que les jours du Messie seraient de mille ans. Cependant il faudrait aussi tenir compte de la raison plus importante donnée dans le chap. 15 de l’Ep. à Barnabas, (sur laquelle nous aurons à revenir) d’après laquelle, de même que Dieu a créé le monde en 6 jours et s’est reposé le 7e, l’univers doit aussi arriver à son accomplissement dans 6000 ans, et un grand sabbat universel être célébré dans le dernier millier d’années » (précisé même comme le début du règne messianique). — Nous lisons encore page 252 du même Commentaire de Lange : « Comme Dieu sera lui-même pour les bienheureux l’éternelle lumière du jour, ils n’auront plus à retomber dans le sein de la nuit (Apocalypse 21.23 ; 22.5)… Alors se sera levé le jour éternel dans la présence de Dieu. » Quoi qu’il en soit, les points suivants nous semblent pouvoir être établis : 1° Le règne de mille ans se rattache à la période de la 7e coupe, période qui se rattache elle-même à celles de la 7e trompette et du 7e sceau. 2° Il ne suit pas la victoire définitive, mais la dernière et la plus grande des victoires préparatoires. 3° Il sera suivi d’une terrible révolte, puis de la victoire définitive. 4° S’il peut être envisagé comme une espèce de sabbat dans la grande lutte soutenue par le Rédempteur et ses rachetés contre leurs communs adversaires, la dernière révolte correspondrait à la nuit qui suit le sabbat, et l’avènement définitif du Royaume de Dieu, au matin d’une nouvelle et éternelle période, celle de l’éternel dimanche. 5° Cette dernière correspondance peut être d’autant mieux admise que si le 1er Dimanche historique fut le jour de la résurrection du Rédempteur, l’éternel Dimanche commencera par la résurrection de l’ensemble des rachetés et par l’apparition d’un nouveau ciel et d’une nouvelle terre (20.11 à 21.4).
La grande vision prophétique de la Nouvelle Alliance a donc été accordée à l’apôtre Jean le jour du Dimanche : quelle haute et éclatante sanction donnée à la solennisation chrétienne de ce jour, par le moyen du disciple que Jésus aimait et dont la verte vieillesse devait présider au soir des temps apostoliques !
[Une preuve assez touchante de l’union qui s’était établie dans l’Église entre le souvenir de l’apôtre Jean et la célébration du dimanche, peut être tirée d’un livre apocryphe antérieur au 3e siècle, les Acta Johannis, relatifs surtout à sa mort. II y est rapporté qu’un dimanche, après le culte de la communauté, il se serait couché dans une fosse qu’il s’était fait creuser et dans laquelle, le lendemain, on ne trouva que ses sandales et une source jaillissante. Voir Tischendorf, Acta apostolorum apocrypha, 1851, p. 274-276, LXXIII-LXXVI ; Zahn, Gesch. d. Sonnt., p. 58, note 14 ; Real. Encycl., XII, p. 334.]
Sous ce rapport, l’importance de Apocalypse 1.10 peut presque être rapprochée de celle des deux premières apparitions du Seigneur ressuscité à la réunion de ses disciples. A un autre point de vue, ce verset doit l’être surtout de 1 Corinthiens 16.2-3 ; Actes 20.7 comme du reste on a coutume de l’admettre. « Il est hors de doute, dit Hengstenberg, que le dimanche était généralement célébré dans les temps apostoliques. Cela peut être prouvé déjà par le Nouveau Testament. Chacun des 3 passages allégués d’ordinaire a une force probante, et ils en acquièrent davantage, s’ils sont considérés ensemble. » Encore plus, ajouterions-nous, quand on les rapproche des données du 2d siècle.
Dans sa brochure sur le Dimanche, Godet réunit les 3 mêmes passages en voyant le dimanche présenté dans Apocalypse 1.10, comme le « jour spécialement destiné au recueillement privé, à la communion personnelle avec le Seigneur » ; dans Actes 20.7, comme « le jour de l’adoration commune, de la communion de l’Église avec son chef et des fidèles les uns avec les autres, sous l’influence de la Parole sainte et du sacrement de la Cène ; » dans 1 Corinthiens 16.2, comme le jour « où les œuvres de l’amour doivent sceller les actes de dévotion privée, domestique et publique. » « Jour admirablement beau et saint, est-il dit un peu plus loin, que celui où se renouvelle périodiquement ce triple lien si essentiel au bonheur de l’individu, de la famille et de la société : la communion de chaque fidèle avec son Sauveur, la communion de tous les membres du corps de Christ entre eux et la communion de l’Église avec tous les êtres souffrants dans le monde entier. »