(1528)
Wolmar lui fait connaître l’Allemagne – Orléans en 1022 et 1528 – Angoisses et humilité de Calvin – Ce qui a fait triompher les réformateurs – Phases de la conversion de Calvin – Il n’invente pas une nouvelle doctrine – Je t’offre mon cœur immolé pour toi – Son zèle au travail – Il remplace Pierre de l’Étoile – On cherche des lumières près de lui – Il cherche des cachettes pour étudier – Il explique la Parole dans les familles – Son premier ministère
Calvin devait recevoir autre chose de Wolmar ; il allait commencer, sous sa direction, l’œuvre de toute sa vie, — apprendre et enseigner Christ. Les connaissances qu’il acquérait à l’université d’Orléans, la philosophie, le droit, le grec même ne pouvaient lui suffire. La faculté morale est la première dans l’homme, et doit être la première, même dans une université. Le but de la Réformation était de fonder, non un empire intellectuel, mais un empire moral ; elle devait faire rentrer la sainteté dans l’Église. Cet empire avait commencé dans Calvin ; sa conscience avait été remuée ; il avait cherché le salut et l’avait trouvé ; mais il avait besoin de connaître, de croître dans la grâce, de pratiquer dans la vie, et c’est ce qu’il allait faire.
Melchior, comme Mélanchthon, s’était appliqué à étudier les saintes lettres dans la langue originale, et y avait trouvé la lumière et la paix. Calvin, de son côté, ayant reçu quelque goût pour la vraie piété, comme il le dit lui-même, s’était enflambé d’un grand désir d’avancera. » La confiance la plus intime, les communications les plus libres, s’établirent entre le professeur et le disciple. Melchior parlait à Calvin de l’Allemagne et de la Réformation ; il lisait avec lui le Testament grec, il lui exposait les richesses de Christ qui y sont annoncées, et en étudiant les épîtres de saint Paul, il lui expliquait la doctrine de la justice imputée, qui en est l’âme… Calvin, recueilli dans le cabinet de son maître, écoutait en silence et embrassait avec respect ce mystère étrange et pourtant si profondément en accord avec la justice de Dieu !… « Par la foi, disait Wolmar, l’homme s’unit à Christ et Christ s’unit à lui, en sorte que ce n’est plus l’homme que Dieu voit dans le pécheur, mais son Fils bien-aimé luire même ; et que l’acte en vertu duquel Dieu rend le pécheur héritier du ciel, n’est point un acte arbitraire. Cette doctrine de la justification, ajoutait Wolmar, est, selon Luther, la doctrine capitale, articulus stantis vel cadentis Ecclesiæb. »
a – Calvin, Préface aux Psaumes.
b – « Wolmarus lutheranum virus Calvino instillabat. » (Flor. Rémond, Hist. de l’Hérésie livre VII, chap. 9)
Mais le docteur suprême de Calvin était Dieu. Il eut encore à Orléans de ces luttes, qui souvent se prolongent dans de puissantes natures. Quelques-uns le prennent simplement pour un esprit métaphysique, un théologien docte et subtil : au contraire, nul docteur n’a connu plus que lui ces tempêtes qui remuent l’âme jusque dans ses plus profonds abîmes. « Je me sens pointé, disait il, piqué au vif du jugement de Dieu. J’ai une bataille perpétuelle, je suis assailli et ébranlé, comme quand un homme d’armes est contraint par un coup terrible à reculer de quelques pas en arrière. » La lumière qui l’avait tant réjoui, quand il était au collège à Paris, lui semblait presque s’évanouir. « Je suis comme un malheureux, enclos dans une basse prison, qui n’a qu’obliquement et à demi la clarté du jour, par une fenêtre haute et étroite. » Cependant il persévéra ; il fixa ses regards sur Jésus-Christ, et bientôt il put dire : « Si je n’ai pas la pleine et libre vue du soleil, je discerne pourtant de loin sa lumière et je jouis de sa splendeurc. »
c – Calvin, Institution, 3.2.17, 19.
On découvrit à Orléans qu’il y avait dans ce jeune homme des choses nouvelles et étranges. C’était dans cette ville, en 1022, que le réveil des temps modernes, si l’on peut ainsi parler, avait commencé, parmi les présidents d’une école de théologie, alors fort célèbre. Des prêtres, des chanoines avaient dit aux chrétiens qui les écoutaient, soit dans Orléans soit dans les villes voisines, qu’ils devaient être remplis du don du Saint-Esprit, que cet Esprit leur révélerait toutes les profondeurs, toute la dignité des Ecrituresd, qu’ils seraient nourris d’un aliment céleste et vivifiés par un rassasiement intérieure… » Ces hérétiques avaient été mis à mort à Orléans. Les verrait-on renaître, après plus de cinq siècles, dans la ville, dans l’université même ? Plusieurs docteurs, et même des étudiants s’opposèrent à Calvin : « Vous êtes un schismatique, lui dirent-ils ; vous vous séparez de l’Église ! » Calvin, effrayé de ces accusations, fut en proie à de nouvelles angoisses.
d – « Sancti Spiritus dono repleberis, qui scripturarum omnium profunditatem ac veram dignitatem te docebit. » (Mansi, Gesta Synodi Aurelianensis, XIX, p 376.)
e – « Deinde cœlesti cibo pastus, interna satietate recreatus… » Ibid.)
Alors, il nous l’apprend lui-même, il se mit à méditer les Psaumes et dans les luttes de David, il retrouva toutes les siennes : « Ah ! disait-il, le Saint-Esprit a ici portrait au vif toutes les douleurs, tristesses, craintes, doutes, espérances, sollicitudes, perplexités et même les émotions confuses, dont mes esprits ont coutume d’être agités… Ce livre est une anatomie de toutes les parties de l’âme… Il n’y a pas d’affection en l’homme qui ne soit ici représentée comme en un miroirf. » Cet homme, que la légende romaine et d’autres encore font vain, orgueilleux, insensible, voulait se voir tel qu’il était, sans se dérober aucune de ses fautes. « Il faut, disait-il, que de tant d’infirmités auxquelles nous sommes sujets, et de tant de vices dont nous sommes pleins, aucun ne demeure caché. Ah ! certes, c’est un excellent et singulier profit, quand toutes les cachettes étant découvertes, le cœur est mis en lumière et bien nettoyé de toute hypocrisie et de toute méchante infectiong. »
f – Calvin, Préface des Commentaires sur les Psaumes.
g – Ibid.
Voilà les principes par lesquels la Réformation a triomphé. Ses grands organes voulaient que les cœurs fussent nettoyés de toute méchante infection. Singulière illusion que celle de ces écrivains qui, voyant les choses autrement qu’elles ne sont, attribuent cette œuvre divine à de vils intérêts et à de basses passions. Ses causes, selon eux, c’est la jalousie des moines augustins ; c’est l’ambition des princes ; c’est l’avidité des nobles ; ce sont les passions charnelles des prêtres, qui, pourtant, nous l’avons vu, avaient dans le moyen âge un champ beaucoup trop libre. Un regard profond, jeté dans l’âme des réformateurs, nous dévoile la cause du réveil. Si les écrivains dont je parle avaient raison, la Réformation pour s’accomplir n’eût pas dû attendre le temps de Luther ; car depuis des siècles il y avait dans la chrétienté des princes ambitieux, des seigneurs avides, des moines jaloux et des prêtres impurs. Ce qu’il y avait alors de nouveau dans le monde, c’étaient des âmes qui, comme celles des réformateurs, s’ouvraient à la lumière du Saint-Esprit, croyaient à la Parole de Dieu, trouvaient Jésus-Christ, estimaient toute autre chose en comparaison de lui comme une perte, vivaient de la vie de Dieu, voulaient que toutes les cachettes fussent ouvertes et que les cœurs fussent nettoyés de toute hypocrisie. Telle fut la véritable cause de la Réformation.
Les adversaires de l’Évangile comprenaient le danger que les principes professés par Calvin faisaient courir à l’Église romaine ; aussi l’appelaient-ils méchant, profane, « ils lui chargeaient sur la tête, comme il parle, un monde d’opprobres ; » ils disaient qu’il fallait le jeter hors de l’Église. Alors l’étudiant, « abattu mais non perdu, » se retirant dans sa chambre, s’écriait : « Si j’ai la guerre avec de tels seigneurs, je ne suis pourtant pas, ô Dieu, en discorde avec ton Église ! Pourquoi hésiterais-je à me séparer de ces faux docteurs que les apôtres appellent tes ennemish ?… Maudits par les prêtres iniques de leur siècle, tes prophètes ne demeurèrent-ils pas dans la vraie unité de tes enfants ? Encouragé par leur exemple, je résisterai donc à ceux qui nous oppriment, et ni leurs menaces, ni leurs dénonciations ne sauront m’ébranleri. »
h – « Quos pronuntiabant Apostoli esse habendos pro hostibus, ab iis cur dubitassem me sejungere ? » (Opusc. lat., p. 124 ; franc., p. 169.)
i – Opuscules.
La conversion de Calvin, commencée à Paris, fut achevée à Orléans. Il y a, nous l’avons dit, plusieurs phases dans cette œuvre. La première est celle de la conscience, où l’âme se réveille ; la seconde est celle de l’intelligence, où l’esprit s’éclaire ; puis vient la dernière, où l’homme nouveau s’édifie, s’enracine de plus en plus en Jésus-Christ et porte des fruits pour Dieu. A Paris, Calvin avait entendu dans son cœur la voix divine qui l’appelait à la vie éternelle ; à Orléans, il ne cessait d’étudier les saintes lettresj, et il devenait savant dans la science du salut, nous dit Théodore de Bèze. L’Église elle-même a de telles phases ; la première époque de son histoire, celle des Pères apostoliquesk, fut celle d’une piété simple, sans élément scientifique ; la seconde, celle des apologistes, fut celle d’une intelligence chrétienne qui cherche à justifier la foi aux yeux de la raison. Calvin suivit aussi cette marche ; mais il ne se livra pas à un intellectualisme qui eût ramené la mort dans son cœur. Tout au contraire, la troisième phase commença aussitôt et la vie chrétienne devint en lui toujours plus intime et toujours plus active.
j – « Interea tamen ille sacrarum litterarum studium simul diligenter excolere in quo tantum etiam promoverat. » (Beza ; Vita Calvini.)
k – De l’an 70 à l’an 130.
La conversion de Calvin et des autres réformateurs (nous devons insister sur ce point), ne fut donc pas simplement un changement apporté par l’étude dans leurs pensées et leur système. Calvin ne se donna point pour tâche d’inventer une théologie nouvelle, comme l’ont dit ses adversaires. On ne le vit pas méditer froidement sur l’Église, feuilleter curieusement les Écritures, y chercher quelque moyen de détacher de Rome une partie de la chrétienté. La Réformation ne fut pas le fruit d’un raisonnement abstrait ; elle provint d’un labeur du dedans, d’un combat spirituel, d’une victoire, que les réformateurs remportèrent à la sueur de leur front, ou plutôt — de leur âme. Au lieu de composer sa doctrine chapitre après chapitre, comme on l’imagine, Calvin altéré de justice et de paix, la trouva auprès de Jésus-Christ. « Placé comme dans la fournaise de Dieu (ce sont ses propres expressions), les écumes et les ordures de sa foi, furent ainsi purifiées. » Calvin fut mis au creuset, et la vérité nouvelle sortit, brûlante et brillante comme l’or, du travail de son âme embrasée. Pour comprendre les productions de la nature ou celles de l’art, il faut étudier de près les secrets de leur formation. Nous avons naguère cherché à reconnaître le principe générateur de la Réforme dans le cœur de Luther ; nous cherchons maintenant à le discerner aussi dans Calvin. Convictions, affections, intelligence, activité, tout se formait alors dans cet admirable génie, sous les rayons vivifiants de la vérité.
Il vint un moment où Calvin, ne voulant plus posséder que Dieu, renonça au monde, qui dès lors n’a cessé de le haïr : « Je ne t’ai pas provoqué par mon amour, disait-il, tu m’as aimé de ton bon gré ! O Christ ! tu as relui à mon âme, et dès lors tout ce qui éblouissait mes yeux par une fausse splendeur s’est incontinent évanoui, ou du moins je n’en tiens plus compte. Comme ceux qui vont sur la mer, quand ils voient leur navire en danger, jettent tout à l’eau afin qu’ayant déchargé le navire, ils puissent parvenir en sauveté au port, ainsi je préfère être dépouillé de tout ce que j’avais, plutôt que d’être privé seulement de toi. J’aime mieux vivre pauvre et misérable que d’être noyé avec mes richesses. Ayant jeté mes biens à la mer, je commence à avoir espérance d’échapper, puisque le vaisseau est allégé… Je viens tout nu et tout vide à toi… Et ce que je trouve en toi n’est pas un gain léger et vulgaire… J’y trouve toutes chosesl. » Ainsi Calvin élevant la main vers Dieu lui offrit en sacrifice son cœur brûlant d’amour. Il fit même de cette grande pensée son titre de noblesse, son blason, et gravant cette image sur son cachet, un cœur immolé qu’une main présente, il écrivit autour : Cor meum velut mactatum, Domino in sacrificium offero. O Seigneur, je t’offre en sacrifice mon cœur immolé pour toi. » Ce fut sa devise, — et ce fut sa vie.
l – Calvin, in Ep. Johan. — Pauli ad Philip., etc.
Déjà les regards de quelques-uns s’arrêtaient sur lui avec admiration. La clarté étonnante de son esprit, les convictions puissantes de son cœur, l’énergie de sa volonté régénérée, la force de son argumentation, les traits lumineux de son génie, les sévères beautés de son éloquence, tout annonçait en lui l’un des grands hommes du siècle. « Merveilleux esprit ! dit un de ses principaux adversaires, FloriMond de Rémond, esprit vif et subtil au possible, prompt et soudain en ses imaginations ! Que cet homme eût été recommandable si en séparant les vices (l’hérésie), on eût pu réserver les seules vertusm. » Il y a dans Calvin des lacunes ; il n’eut pas cette imagination riante qui surtout dans l’âge où il était alors, colore la vie des plus brillantes couleurs ; l’humanité lui apparaissait comme un immense naufrage. Mais doué du regard de l’aigle, il découvrait les délivrances de l’avenir, et sa main puissante, fortifiée de Dieu, allait préparer ces grandes transformations de l’Église et du monde.
m – Flor. Rémond, Hist. de l’Hérésie, livre VII, chap. 10.
Il était infatigable à l’œuvre. Quand la journée était terminée et que ses condisciples se livraient à la dissipation ou au sommeil, Calvin, se contentant d’un léger repas, de peur d’appesantir sa tête, se retirait dans sa chambre et s’y mettait à l’étude des Écritures. A minuit il éteignait sa petite lampen, et le matin, quand il se réveillait, avant de sortir du lit, il ruminait, dit de Bèze, ce qu’il avait lu et appris durant ses veilleso. « Nous avons été ses amis ; nous avons même alors partagé sa chambre, disait-on à Théodore de Bèze. Ce que nous vous rapportons, nous l'avons vu. » — Hélas ! ajoute l’ami du réformateur, ces longues veilles, tout en développant merveilleusement ses facultés et en enrichissant sa mémoire, affaiblissaient sa santé et lui préparaient ces souffrances et ces maladies fréquentes, qui ont abrégé ses joursp. »
n – « Ad mediam usque noctem lucubrare. » (Bezae Vita Calvini.)
o – « Mane vero, quæ legisset, in lecto veluti concoquere. » (Bezæ Vita Calvini.)
p – « Et tandem etiam intempestivam mortem attulit. » (Ibid.)
Le goût des Écritures ne détournait point Calvin de l’étude des lois. Il ne voulait pas que les travaux de sa vocation souffrissent en quelque manière du travail de la piété. Il fit de si remarquables progrès dans la jurisprudence, qu’il fut bientôt regardé par les élèves et par les professeurs, comme un maître et non comme un écolierq. Un jour même, Pierre de l’Étoile lui demanda de donner sa leçon à sa place, et le jeune homme de dix-neuf à vingt ans, le fit avec tant de science et de clarté, qu’on le regarda comme destiné à devenir le plus grand jurisconsulte de France. Les professeurs se faisaient très souvent remplacer par luir.
q – « Doctor potiusquam auditor haberetur. » (Ibid.)
r – « Quum saepissime obiret ipsorum doctorum vices. » (Ibid.)
A la science, il joignait la fraternité. Tout en suivant les enseignements de l’Étoile, Calvin s’adjoignait, comme il parle, aux fidèles serviteurs de Dieu. « Il faut, pensait-il, que tous les enfants du Père soient liés ensemble d’un lien de conjonction fraternelle. » Il se rencontrait aussi avec tout le monde, même avec les contredisants, et s’ils attaquaient les grandes doctrines de la vérité évangélique, il les défendait. Mais il ne se mettait pas en avant. Il savait discerner quand, jusqu’à quel point et à qui il était expédient de parler, et n’exposait pas la doctrine de Christ aux moqueries des infidèles par l’imprudence ou les craintes de la chair. S’il ouvrait la bouche, chacune de ses paroles portait coup. « Quand il a sa Bible à la main, disait-on, nul ne peut lui résister. »
Des étudiants qui avaient de la peine à croire, des bourgeois qui ne pouvaient comprendre, venaient lui demander de les instruires. Il en était confus. « Je ne suis qu’une misérable recrue, disait-il, et vous vous adressez à moi, comme à un généralt … » Ces requêtes ne cessant de se renouveler, Calvin se mit à chercher quelque cachette où il pût se dérober aux importuns, lire, méditer et prieru. C’était la chambre d’un ami, quelque coin de la bibliothèque de l’université, ou quelque ombrage retiré sur les bords de la rivière. Mais au moment où il était plongé dans la méditation ou dans l’étude des Écritures, il se voyait entouré tout à coup de personnes avides de l’entendre, qui refusaient de s’éloigner. Hélas ! s’écriait-il, tous mes lieux de retraite se transforment en écoles publiquesv. »
s – « Omnes purioris doctrinæ cupidi ad me, discendi causa, ventitabant. » (Prœf. in Psalm.)
t – « Novitium adhuc et tyronem. » (Ibid.)
u – « Tunc latebras captare. » (Ibid.)
v – « Ut mihi secessus omnes instar publiées scolæ essent. » (Ibid.)
Alors, il cherchait des cachettes plus profondes, car il voulait comprendre avant d’enseigner. Les Français aiment à voir clair dans les choses ; mais leur défaut, en s’éclairant, est quelquefois de ne pas suffisamment approfondir, quelquefois aussi de ne pas reconnaître qu’en approfondissant, on arrive à des vérités, en présence desquelles les esprits les plus éminents doivent reconnaître leur incompétence et croire la révélation de Dieu. Déjà dans le moyen âge, plusieurs en France avaient voulu examiner avec leur raison les mystères de la foi catholiquew ; Abélard avait été à la tête de cette phalange. Calvin n’était pas un nouvel Abélard. Il ne prétendait pas scruter des mystères impénétrables ; mais il cherchait dans les Écritures la lumière et la vie de son âme.
w – « Catholicæ fidei mysteria ratione investiganda. » (Abélard, Introd. ad Theol., p. 1059.)
On revenait à lui. Plusieurs bourgeois d’Orléans, lui ouvrant leurs maisons, lui disaient : « Venez et enseignez ouvertement le salut de l’homme. » Calvin reculait… « Que personne ne touche à mon repos, disait-il, laissez-moi en paix… ! » Son repos, c’est-à-dire ses études, c’était son unique pensée. Mais ces âmes avides de vérité ne se rendaient pas aisément. « Repos des ténèbres ! répondaient les plus ardents ; paix abjectex ! venez et parlez ! » Calvin rappelait cette parole de Chrysostome : « Quand même mille personnes vous appelleraient, pensez à votre faiblesse et n’obéissez qu’à la contraintey. » « Eh bien, nous vous contraignons, » répondaient ses amis. O mon Dieu ! s’écriait Calvin dans de tels moments, que me veux-tu… ? Pourquoi me poursuis-tu ? Pourquoi me fais-tu promener et tournoyer par divers changements sans me laisser jamais de repos ? Pourquoi, malgré mon naturel, me produis-tu en lumière et me fais-tu venir en jeuz ? » Calvin se rendit pourtant, et comprit que son devoir était de publier l’Évangile. Il allait dans les maisons de ses amis. Quelques hommes, quelques femmes, quelques jeunes gens l’entouraient, et il se mettait à expliquer l’Écriture. C’était un enseignement tout nouveau. On n’entendait pas ces distinctions et ces déductions de la science scolastique, si familières alors aux prédicateurs. La parole du jeune homme était d’une simplicité admirable, d’une vie saisissante, d’une sainte majesté qui captivait les cœurs. « Ah ! disaient, en se retirant ses auditeurs, il enseigne la vérité, non en un langage affecté, mais avec une profondeur, une solidité, une gravité telles, que tout homme qui l’écoute est ravi d’admiration. » Ces paroles sont d’un contemporain de Calvin, qui vécut dans les lieux et dans le cercle même où se trouvait alors le réformateur. Étant à Orléans, ajoute cet ami (Théodore de Bèze), Calvin, choisi dès lors pour être un instrument d’élite dans l’œuvre du Seigneur, avança merveilleusement le règne de Dieu dans plusieurs famillesa. »
x – « Ignobile otium colere. » (Pœef. in Psalm.)
y – Chrysostomus, De sacerdotio, lib. IV.
z – « Calv., Prœf. in Psalm., p. 3. C’est le français de Calvin.
a – Théod. de Bèze, Histoire de l’Église réformée, p. 6.
Ce fut donc bien à Orléans, que Calvin commença son œuvre d’évangéliste et se manifesta au monde comme chrétien. L’activité de Calvin dans cette ville est une preuve qu’il était alors converti à l’Évangile, et qu’il l’était depuis quelque temps, car il n’avait pas une de ces natures expansives qui mettent tout de suite au dehors ce qu’elles portent en dedans. Ce premier ministère du réformateur exclut les hypothèses en vertu desquelles Calvin n’aurait été converti qu’à Orléans, ou plus tard à Bourges, ou même plus tard encore, dans un nouveau séjour fait à Paris.
Ainsi le jeune docteur croissait au dedans, agissait au dehors, réfutait les objections des contradicteurs et conduisait à Christ les âmes humbles qui avaient soif de salut. Une circonstance domestique vint l’enlever tout à coup à cette pieuse activité.