Quel être étrange je suis, ô mon Dieu ! la prospérité m’éloigne de toi ; l’adversité m’en rapproche. Mes souhaits accomplis, il semble que je sois moins dépendant de toi, et je m’enhardis à suivre ma volonté propre ; il semble que la joie ait dilaté mon cœur pour donner plus de place à mes mauvais désirs ; et je m’élance aussitôt par la pensée vers leur doux et coupable accomplissement ! Suis-je seul à faire de telles expériences ? ou bien ai-je creusé plus profond que d’autres dans les abîmes de mon être pour y avoir fait de telles découvertes ? Je ne sais ; mais je te confesse que c’est la vérité ! Il faut que la réflexion ou plutôt que ton Saint-Esprit vienne pour m’arrêter sur cette pente, et alors je sens mon péché, sans éprouver pour toi plus de reconnaissance ! O misérable que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ! qui m’affranchira enfin du péché ? qui m’en fera perdre le goût et détester la saveur ? je le sais : c’est Christ ; mais hélas ! guéri pour un moment, je retombe si vite, qu’en vérité je dois dire que je me traîne plutôt que je ne marche dans tes commandements. Je les accomplis sans joie, pour calmer ma conscience, et j’avoue que ton amour n’a guère plus que tes menaces renouvelé mon cœur. Non, je ne sais pas t’aimer ; non, je ne suis pas reconnaissant. Jouir de tes dons, voilà mon premier soin ; mais sans jamais me dévouer. Je comprends cet amour et cette reconnaissance ; mais je ne les éprouve pas, ou je les éprouve si faiblement, que je me demande s’il est bien vrai que je sois converti à loi, si l’Évangile est pour moi plus qu’une histoire, plus qu’une théorie ? et dans ma crainte de faire une triste découverte, je cesse de m’étudier pour n’avoir pas à conclure par ma propre condamnation.
Et maintenant qu’ai-je fait, Seigneur ? J’ai sondé ma plaie ; mais ai-je pleuré sur elle ? Non ; et peut-être suis-je fier d’avoir vu si profond ! Mon Dieu, quelle misère ! mon Dieu, grâce et pardon ! Guéris-moi ; me voilà tel que je suis ; toi seul peux me changer.