Matthieu 17.14-21 ; Marc 9.14-29 ; Luc 9.37-42
Les anciens adversaires du Seigneur, les scribes avaient profité de son éloignement, pendant la transfiguration, pour obtenir un triomphe passager sur ses disciples, qui s’étaient relâchés pendant l’absence de leur Maître ; l’ennemi prenant avantage sur eux, comme il avait tenté Israël lorsque Moïse était resté sur la montagne en présence de Dieu (Exode ch. 32). Il semblerait que les disciples restés au pied de la montagne eussent essayé de chasser un esprit particulièrement malfaisant et qu’ils eussent échoué dans leur tentative : « Ils n’ont pas pu. » Et maintenant, les scribes sont empressés à jouir de leur triomphe ; il y avait aussi là une grande foule, assistant à la défaite des serviteurs de Christ ; les scribes concluaient de l’impuissance des serviteurs à celle du Maître ; alors, Celui qui était un sujet de contestation apparut, revenant de la sainte montagne, le visage encore resplendissant de la gloire qui l’avait environné, en sorte que « tout le peuple, en le voyant, fut dans l’admiration. »
L’impression que produisit cette gloire fut différente de celle qui fut produite par l’aspect de Moïse ; quand la multitude le vit descendre de la montagne, « ils eurent peur et n’osèrent s’approcher de lui » (Exode 34.30), car cette gloire, qui paraissait sur son visage était menaçante, c’était l’éclat solennel de la Loi. Mais la gloire de Dieu brillant sur le visage de Jésus-Christ, quoique solennelle aussi, est pleine de grâce, attirant les hommes à lui, au lieu le les repousser (2 Corinthiens 3.18) ; « on accourut pour le saluer. » Mais, quelle différence, quel contraste entre le spectacle qui attendait Jésus et la scène de la transfiguration ! Sur la montagne, les harmonies sublimes du ciel ; ici, les discordes de la terre ! Sur la montagne, il avait reçu honneur et gloire de la part du Père ; ici, les disciples, auxquels il a confié son œuvre pendant son absence, lui attirent honte et déshonneur. Mais le Seigneur rétablit toutes choses par sa présence, comme un grand capitaine apparaissant dans la confusion d’une bataille, pour réparer les fautes de ses officiers. Jésus arrête l’ennemi, il s’adresse aux scribes et dit : « Sur quoi discutez-vous avec eux ? » il prend ses disciples sous sa protection. Les scribes hésitant à répondre, ce fut le père de l’enfant malade qui prit la parole, et, se prosternant devant Jésus, il exposa sa détresse et l’incapacité des disciples.
Saint Marc retrace toute la scène avec le pinceau d’un maître ; les symptômes de la maladie, tels qu’ils sont décrits par le père, sont ceux de l’épilepsie ; mais, outre l’épilepsie, il y fait une influence diabolique. Les crises étaient soudaines et duraient longtemps ; l’esprit « a de la peine à se retirer de lui, » c’est un « esprit muet ; » quand il prenait possession de l’enfant, il « l’agitait avec violence, jusqu’à ce qu’il écumât et grinçât des dents ; » alors l’enfant « devenait tout raide » comme si la source de la vie était tarie en lui. La folie était la conséquence de cette possession ; les crises pouvaient avoir lieu à tout instant et en tout lieu ; elles exposaient donc le malade à de graves accidents : « Il tombe souvent dans le feu, et souvent dans l’eau. » Le père attribue ces crises à l’influence directe du malin esprit : « Souvent l’esprit l’a jeté dans le feu et dans l’eau pour le faire périr. »
Lorsque le père parla au Seigneur des efforts infructueux de ses disciples : « J’ai prié tes disciples de chasser l’esprit, et ils n’ont pas pu, » Jésus s’écrie avec une indignation pleine de tristesse : « Race incrédule, jusqu’à quand serai-je avec vous ? jusqu’à quand vous supporterai-je ? » Quelques-uns, comme Origène, appliquent ces paroles aux disciples seuls ; ils pensent que le Seigneur parla ainsi parce qu’il était indigné de la faiblesse de leur foi, parce qu’il avait suffi de sa courte absence pour les rendre impuissants contre le royaume des ténèbres. D’autres, comme Chrysostome et, en général, les anciens interprètes, pensent que le reproche ne s’adressait pas aux disciples, mais à la foule ; le mot « race » lui convient mieux ; le Seigneur voit en elle des représentants du peuple juif. La meilleure explication est celle qui concilie ces deux opinions ; Jésus n’a pas en vue exclusivement les disciples, mais aussi la multitude et le père. Les paroles : « Jusqu’à quand serai-je avec vous ? » sont celles d’un maître qui se plaint du manque d’intelligence de ses élèves : Est-il possible que vous ayez si peu profité de mes leçons ? Il pensa qu’il ne pouvait les laisser à eux-mêmes, jusqu’à ce qu’ils eussent compris ses enseignements (Jean 14.9).
Et maintenant, puisqu’il doit accomplir lui-même l’œuvre de délivrance, il dit : « Amenez-le-moi. » Cependant, comme on amenait l’enfant, une nouvelle crise se produisit : « Il tomba par terre, et se roulait en écumant ; » le royaume de Satan est toujours agité, lorsque le royaume de Christ est proche ; Satan est en fureur, parce que son temps est court. Jésus interroge le père : « Combien y a-t-il de temps que cela lui arrive ? » Le père décrit le misérable état de son enfant, et il ajoute : « Si tu y peux quelque chose, viens à notre secours, aie compassion de nous ; » il unit sa cause à celle de son enfant, comme la Cananéenne. Le mot « si » nous montre qu’il y avait de l’incrédulité chez lui. Voici quel est le sens de la réponse du Seigneur : La question de savoir si la guérison peut s’accomplir ou non, dépend de toi ; il y a une condition sans laquelle ton enfant ne peut être guéri, mais il dépend de toi que cette condition soit remplie. Ce qui pourrait me retenir, c’est le manque de foi de ta part si la guérison est difficile, c’est toi qui la rends telle ; peux-tu croire ? tout est là ; « tout est possible à celui qui croit ! » La foi est donc la condition de la guérison ; la foi du père est acceptée au lieu de celle du malade, vu les circonstances. Jésus cherche à la produire dans l’âme du père ; alors celui-ci s’écrie : « Je crois, Seigneur ! » et il ajoute : « Viens au secours de mon incrédulité. » Sa foi naissante lui fait apercevoir les abîme d’incrédulité qui sont en lui.
Le Seigneur, pour récompenser ce faible commencement de foi, accomplit la guérison. Il s’adresse solennellement à l’esprit : « Je te l’ordonne, moi le Prince du royaume de lumière, sors de cet enfant et n’y rentre plus. » La guérison sera complète et durable. Malgré lui, le mauvais esprit sort, en cherchant à faire mourir l’enfant ; ce dernier paroxysme fut si terrible, et épuisa tellement les forces de l’enfant, qu’il « devint comme mort, de sorte que plusieurs disaient qu’il était mort. Mais Jésus le prit par la main ; » une nouvelle vie fut communiquée à l’enfant.
Les disciples demandèrent ensuite pourquoi ils n’avaient pu opérer ce miracle, puisqu’ils avaient chassé des démons en d’autres occasions ; Jésus leur dit que c’était à cause de leur incrédulité. Ils avaient négligé de fortifier leur foi, en sorte qu’ils n’avaient pu vaincre cet esprit malin, d’une espèce particulièrement malfaisante, car il y a une hiérarchie dans l’enfer (Matthieu 12.45 ; Éphésiens 6.12). « Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière et par le jeûne ; » la foi victorieuse, dans ce cas, est celle qui se fortifie par la prière. Le secret de toute faiblesse est l’incrédulité, mais le secret de toute force, c’est la foi ; aussi, le Seigneur ajoute : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d’ici là, et elle se transporterait ; rien ne vous serait impossible. »
Nous retrouvons la même image dans Luc 17.6 ; 1 Corinthiens 13.2. Une très petite foi peut triompher des plus grands obstacles ; le plus faible pouvoir spirituel peut surmonter les plus grandes puissances de ce monde.