On nous objectera peut-être en effet que la question ici posée a été tranchée par les conclusions du chapitre précédent, tout au moins en ce qui concerne le permis. Car en excluant les conseils évangéliques du domaine moral, comme nous l’avons fait, nous nous sommes donné l’apparence d’en avoir exclu toute détermination de l’activité morale qui ne serait pas l’objet d’un commandement absolu. Or, à la différence du devoir, qui est l’objet du commandement, la catégorie du permis comprend les actes qui sont l’objet d’un conseil. On pourrait en effet se laisser surprendre à cette apparence qui résulte de l’identité du terme conseil, appliqué à l’un et à l’autre cas ; et cette confusion est d’ailleurs presque constante dans les traités sur cette matière.
Nous ferons toutefois remarquer d’emblée qu’il est possible de distinguer entre un conseil relatif à telle action ou détermination individuelle qui, bien que plus rapprochée de la perfection morale, serait censée n’être pas obligatoire pour l’individu et être remise à son libre choix, et un conseil portant sur deux manifestations ou modifications extérieures et également légitimes de la même disposition morale. Dans le premier cas, on oppose l’œuvre morale plus parfaite à l’œuvre morale moins parfaite (et par œuvre nous entendons non pas l’acte extérieur, mais la disposition qui en est l’essence), en laissant l’œuvre plus parfaite facultative pour l’agent. Dans le second cas, on n’oppose plus œuvre plus parfaite à moins parfaite, mais, étant donnée une disposition moralement bonne et parfaite à un moment donné, il peut se présenter deux ou plusieurs modes permis et par conséquent également approuvables, de réaliser cette disposition. La réfutation que nous venons de faire de la doctrine des conseils évangéliques et des œuvres surérogatoires, laisse intacte la part de l’option individuelle portant sur deux partis également moraux et également permis qui se présentent à la réflexion de l’homme dans tel cas donné.
Une seconde confusion, presque constante chez ceux qui traitent cette matière, est celle que l’on fait entre les catégories de l’indifférent et du permis, à telles enseignes que l’Encyclopédie de Herzog réunit ces deux sujets sous une seule rubrique, en renvoyant, dans le registre général, de l’un à l’autre.
Nous distinguons les deux catégories de l’indifférent et du permis en ceci, que l’indifférent est en dehors du domaine régi par la loi, ne ressortit pas encore à l’ordre moral, tandis que le permis y a, selon nous, sa place assignée et consacrée par la loi elle-même. Aussi traiterons-nous ces deux sujets dans deux paragraphes distincts.