En général et lorsque, bien entendu, ces noms sont seuls, sans génitifs ni adjectifs pour les déterminer, on peut dire qu’El ou Elohim, c’est le Dieu qui crée, conserve et gouverne le monde, tandis que Jéhovah c’est le Dieu de la théocratie. Dans son action sur la nature, Elohim peut avoir indifféremment en vue les Païens et les Israélites. Jéhovah ne s’occupe des premiers que pour autant que leurs destinées peuvent avoir quelque influence sur celles du peuple élu. Elohim comme tel demeure complètement en dehors du développement de l’histoire ; Jéhovah, tout au contraire, c’est Dieu se révélant dans l’histoire. Il y a donc quelque chose de bien vrai dans cette pensée de Oetinger : « Dieu est l’Elohim de toutes choses et le Jéhovah de tous les événements. » Elohim demeure infiniment élevé au-dessus du monde visible ; Jéhovah apparaît dans le temps et dans l’espace, pour se donner à connaître aux hommes. Voyez dès le commencement de la Genèse : Genèse 1.1 Elohim ; Genèse 2.4, Jéhovah.
Maintenant, on peut bien s’attendre à ce que cette distinction ne soit pas strictement observée. Elohim ne se révélant que comme Jéhovah à son peuple d’Israël, il n’est pas rare de voir attribués à Jéhovah des actes qui sembleraient bien plutôt devoir être le fait d’Elohim. Quelquefois aussi, mais plus rarement, on est surpris de trouver Elohim là où l’on attendait Jéhovah. Tel est particulièrement le cas dans les Psaumes Eloïstes, remarquables par l’emploi solennel qui y est fait du nom d’Elohim, sans doute dans le but de prévenir toute idée de Dieu étroite et particulariste.
[On sait que le 1er livre des Psaumes est éloïste et le 2e jéhoviste. Hitzig pense que les Psaumes éloïstes ont été composés dans un temps où commençait déjà à se manifester la crainte superstitieuse qu’inspirait le nom de Jéhovah. Mais cette opinion est insoutenable, non seulement parce qu’il y a parmi les Psaumes éloïstes de très antiques compositions, mais aussi parce que le nom de Jéhovah est loin d’en être absolument exclu.]
Cependant les écrivains sacrés se rendent parfaitement compte de la différence qu’il y a entre ces deux noms, ainsi que cela résulte d’abord de certaines expressions qui reparaissent invariablement les mêmes, à bien peu d’exceptions près, dans tout le cours de l’A. T., puis ensuite de certains passages caractéristiques. Les expressions qui ont trait à quelque révélation ne se trouvent presque jamais unies qu’au nom de Jéhovah ; Ainsi parle Jéhovah ; Commandements de Jéhovah ; Paroles de Jéhovah, ; Prononcé de Jéhovah. Dieu n’étant guère connu ou adoré en Israël que comme Jéhovah, on trouve toujours aussi le nom de Jéhovah, sauf dans deux passages de Psaumes éloïstes, Psaumes 69.31 ; 75.2 : « O Dieu, ton nom est près de nous ! » Il n’y a pas jusqu’au morceau éminemment éloïste de 2 Samuel 6.2 qui ne parle du nom de Jéhovah. L’ange qui accompagne le peuple est toujours l’ange de Jéhovah, excepté lorsqu’il y a des raisons particulières pour qu’il soit appelé l’ange d’Elohim. En un mot les théophanies sont toujours l’affaire de Jéhovah. C’est lui, et non pas Elohim, qui converse avec les hommes d’une manière humaine. Genèse 7.16 est particulièrement digne de remarque pour le brusque changement de nom qu’il présente : « Le mâle et la femelle de toute chair entrèrent dans l’arche auprès de Noé, comme Elohim le lui avait commandé, puis Jéhovah ferma l’arche sur lui. » C’est pour cela que les anthropomorphismes s’appliquent presque toujours à Jéhovah et presque jamais à Elohim. La main de Jéhovah se trouve même dans le Psaume éloïste Psaumes 75.9. La main d’Elohim est une expression fort rare et dont l’emploi s’explique toujours par certaines raisons particulières. Toujours nous avons la bouche de Jéhovah et jamais la bouche d’Elohim ; souvent la voix et les yeux de Jéhovah ; rarement la voix et les yeux d’Elohim.
Arrivant maintenant aux passages caractéristiques que nous avons annoncés, citons d’abord Genèse 9.26 et sq., où Dieu n’est qu’Elohim pour Japhet, tandis qu’il est Jéhovah pour Sem ; puis Nombres 16.22, comparé avec Nombres 27.16. Dans Nombres 16.22, où nous est racontée la révolte de Coré, c’est El qui est appelé le Dieu des esprits de toute chair, bien que tout ce chapitre soit jéhoviste. Pourquoi cela ? Parce que c’est de El que provient toute vie naturelle, et que le conservateur du monde ne peut pas vouloir qu’une multitude soit détruite parce qu’un seul a péché. Dans Nombres 27.16, au contraire, où il s’agit de désigner le successeur de Moïse, c’est Jéhovah qui est invoqué comme le Dieu des esprits de toute chair, car c’est Jéhovah qui distribue à chacun les dons spirituels pour l’avancement de son règne, et qui peut par conséquent susciter un nouveau conducteur à son peuple. — Enfin lisez le Psaume 30, et vous verrez toujours le nom de El employé quand il s’agit de la révélation de Dieu dans la nature, v. 2 ; et toujours celui de Jéhovah, quand, à partir du v. 8, il s’agit de la révélation de Dieu dans la Loi.