Méditations sur la Genèse

XLI
Le Réveil et le Vœu de Jacob

Genèse 28.16-22

I

Jacob s’était endormi sans soupçonner que l’Eternel fût si près de lui et sans avoir aucun pressentiment de l’apparition céleste qui allait lui être accordée. A son réveil, il est profondément ému de ce qu’il a vu ; jamais il n’avait été pénétré d’un tel sentiment de la majesté et de la sainteté de Dieu. Il s’effraie de sa propre irréflexion ; il a passé la nuit à Béthel, sans se douter qu’il se trouvât dans la maison de Dieu et à la porte des cieux ! Sous l’empire de ces sérieuses et solennelles impressions, il songe à témoigner, en paroles et en actes, son respect, sa reconnaissance et son dévouement au Dieu qui s’est approché de lui et qui lui a parlé si miséricordieusement.

Ce réveil, cette frayeur de Jacob, n’ont-ils rien à nous dire ? Ne connaissons-nous pas par expérience cet état de sommeil spirituel où sont tombés la plupart des chrétiens ! Nous étions à Béthel, dans la maison de Dieu, mais nous n’en savions rien. Baptisés, nous n’avions aucune intelligence de ce que Dieu avait fait pour nous et de l’état de grâce dont il nous avait ouvert l’accès ; membres de l’Eglise, nous ne comprenions pas combien elle est sainte et combien haute est la vocation de ceux qui lui appartiennent. Dieu était proche de nous, et nous passions, sans être saisis par l’impression de sa toute-présence. Sans doute, il est présent dans toute sa création (Psaumes 139.8-10) ; mais il l’est dans un sens tout particulier pour ceux qui ont reçu de Christ une nouvelle vie, qui entendent sa Parole et participent à ses sacrements ; il nous est présent par son Esprit, aussi proche que l’air que nous respirons, aussi proche à notre cœur que nous le sommes à nous-mêmes, — et nous n’en savions rien ! Nous étions indifférents à l’égard de Celui qui est la justice et la sainteté mêmes, qui abhorre et condamne tout péché, ingrats envers Celui qui est l’amour éternel, et dont le cœur est plein de compassion pour nous ! Il nous importait peu d’offenser ou de réjouir Celui qui s’est si prodigieusement abaissé pour nous, de lui plaire ou de lui déplaire par nos discours et nos actions !

Mais Dieu nous a réveillés de ce sommeil, et nous avons sujet de nous frapper la poitrine et de nous écrier avec Jacob : « Le Seigneur était ici, et je n’en savais rien ! » — « Je t’écris ceci, dit Paul à Timothée ; afin que tu saches comment tu dois te conduire dans la maison de Dieu, qui est l’Eglise du Dieu vivant » (1 Timothée 3.14-15). Laissons l’Esprit de Dieu nous apprendre comment nous devons nous conduire dans l’Eglise, ce temple du Dieu vivant. Que ce lieu est vénérable ! » — non pas seulement le lieu où nous nous assemblons pour le culte, mais l’Eglise elle-même, dont nous sommes nous-mêmes les membres. « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple » (1 Corinthiens 3.17). Où que nous nous trouvions, nous sommes à Béthel, environnés de la présence de Dieu et consacrés pour son service. Ce n’est pas seulement quand nous l’adorons que nous sommes à la porte des cieux : même alors que nous remplissons au milieu du monde nos devoirs terrestres, nos désirs doivent être célestes, et le sentiment ne doit jamais nous quitter que le Seigneur nous suit du regard et habite en nous par son Esprit (Philippiens 3.20 ; Colossiens 3.3).

Le Seigneur a, dans sa clémence, oublié le temps de notre ignorance ; il a ouvert nos yeux et nous a fait reconnaître sa présence sainte et douce ; nous savons maintenant où nous sommes. Nous n’avons pas reçu un nouveau baptême, comme si le précédent n’était rien ; nous n’avons pas été transportés dans une autre Eglise, comme si celle où nous avons grandi n’était pas la vraie ; mais nous avons été réveillés, éclairés ; nous avons vu que nous étions à Béthel, en un lieu saint, et que la porte des cieux s’était ouverte pour nous.

Il s’agit donc de ne pas retomber dans le sommeil et dans l’insensibilité ; il s’agit de conserver cette frayeur sainte en présence de Dieu, en même temps qu’une confiance filiale en lui. Le danger, tant que nous vivons dans la chair, au sein d’un monde ennemi de Dieu, c’est cette indifférence, cette paresse de la chair, qui sans cesse tend à nous envahir ; ce sont ces hésitations, cet engourdissement spirituel, qui si aisément nous dominent, alors que nous devrions être fervents d’esprit, dispos pour la prière, prompts à accomplir notre devoir. Comme le froid de l’hiver s’insinue par toutes les fentes d’une maison, l’esprit du monde, qui nous enveloppe de toutes parts, pénètre par la moindre ouverture que nous lui laissons, et vient refroidir notre cœur. Nous vivons dans le temps dont Jésus a dit : « Parce que l’iniquité sera multipliée, la charité de plusieurs se refroidira » (Matthieu 24.12). Veillons sur le feu sacré de son Esprit que Dieu a allumé en nous ; entretenons-le, pour qu’il prévale sur toutes les influences et les exemples du monde ; et que Satan lui-même, qui déchaîne autour de nous les glaciales tempêtes de l’incrédulité, ne puisse éteindre cette flamme céleste !

II

Jacob, après son réveil, prend la pierre sur laquelle il a reposé, la dresse, y verse de l’huile et la consacre comme monument de la grâce qui lui a été faite en ce lieu. Ainsi Samuel, après la défaite des Philistins, érigeait une pierre, qu’il nommait Ebénézer, en disant : « L’Eternel nous a secourus jusqu’ici ! » (1 Samuel 7.12). Jacob ne veut pas oublier le bien que Dieu lui a fait ; il veut qu’à Béthel il en reste un monument durable auquel s’attachera son souvenir reconnaissant et celui de ses descendants. Puis, il fait un vœu, digne réponse de son cœur croyant à la manifestation de la faveur divine. Ah ! si notre cœur, à nous que Dieu a honorés de révélations plus hautes encore, savait en conserver ainsi le souvenir ! Se peul-il que l’on oublie, que l’on jette au vent les témoignages de sa sainteté et de son amour, et que l’on vive comme si rien ne s’était passé ! Hélas ! nous portons en nous un cœur toujours enclin à s’égarer. Efforçons-nous donc, comme Jacob, en dépit de notre ingratitude naturelle, de conserver vivante et durable la mémoire des miracles du Seigneur. Il n’est pas de prière que nous négligions plus souvent que l’action de grâces ; qu’elle abonde désormais en nous, et que nous ne laissions jamais se refroidir notre reconnaissance pour tout ce que le Seigneur nous a fait !

Jacob ne demande à Dieu ni grandeur, ni richesse, ni victoire sur ses ennemis. En fait de biens terrestres, tout ce qu’il réclame, c’est que Dieu protège sa vie pendant son périlleux voyage, et lui donne nourriture et vêtement, jusqu’à ce qu’il puisse revenir auprès de son père. Voilà la « piété avec le contentement d’esprit » que l’apôtre recommande (1 Timothée 6.6), la confiance dans ce Père céleste, « qui sait de quoi nous avons besoin, » comme nous le dit Celui dont la vie terrestre a connu les soucis de la pauvreté (Matthieu 6.31-32). Heureux sommes-nous, si nous persévérons dans l’esprit de contentement ; car à ceux qui se confient en lui pour la terre comme pour le ciel, Dieu manifestera sa fidélité paternelle ainsi qu’il le fit pour Jacob.

Jacob fait ce vœu : « L’Eternel sera mon Dieu. » Parole étrange, qui semble dire qu’il est au pouvoir de l’homme de choisir qui sera son Maître et son Dieu. Tel n’en est pourtant pas le sens. L’Eternel est notre Dieu en vertu d’un double droit, celui de la création et celui de la rédemption. Nous sommes l’œuvre de ses mains, et nous sommes aussi la propriété qu’il a acquise au prix du don de son Fils. Ses droits sont absolus ; nos obligations envers lui sont immuables, que nous y soyons fidèles ou non. Le vœu de Jacob signifie donc : « Je dirai hautement que j’appartiens à Dieu, je lui serai un serviteur fidèle, je lui rendrai l’hommage de mon adoration et de mon obéissance ! » C’est là le vœu que nous avons aussi fait comme chrétiens. « Vous avez été rachetés par prix ; vous n’êtes plus à vous-mêmes. Nul de nous ne vit pour soi-même. » Celui qui se regarde comme son propre maître, qui croit pouvoir, sans consulter Dieu, faire ce qu’il veut de ses biens et de ses forces physiques et morales, celui-là est en révolte contre Dieu. Là est la source de notre mal. Il faut que ces sentiments-là meurent en nous, si nous voulons demeurer au nombre des rachetés. Il faut que nous nous sentions appartenir entièrement au Seigneur, et que de cette conviction découlent notre activité et notre patience. C’est là le nerf du christianisme, le ressort de la piété ; tout est renfermé dans le vœu de Jacob : L’Eternel, le Tout-Puissant, le Fidèle, sera mon Dieu, — le Bien suprême auquel je m’attacherai, le Maître auquel j’obéirai, le Roi que je servirai, le Dieu que j’adorerai !

Ce vœu, sortant d’un cœur pardonné et reconnaissant, est agréable à Dieu. Et qui aurait plus de motifs de le former que nous ? Dieu nous a rouvert sa communion ; nous sommes à la porte du ciel, d’où Christ bientôt descendra pour nous apporter la pleine délivrance. Que cela nous pousse à aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de toutes nos forces ! Jacob montra son dévouement non seulement en paroles, mais en actes ; à son retour, il bâtit, comme il l’avait promis, un autel à Béthel, et rendit hommage à l’Eternel en purifiant sa maison, en célébrant un culte solennel, et en consacrant à Dieu la dîme des troupeaux qu’il lui avait donnés (Genèse 35.1-7). Le Seigneur attend de nous comme marques de notre consécration, que nous l’adorions et que nous lui offrions les prémices de notre revenu !

Nous attendons l’heure où la vision de Jacob s’accomplira autrement encore que jusqu’ici. Le mystère de Dieu doit être révélé, et cette terre, où Jacob vit reposer l’échelle, devenir le théâtre de la manifestation de la gloire de Dieu. Alors on verra les bienfaits de la communion parfaite entre le ciel et la terre. Alors de Béthel — de l’Eglise glorifiée et d’Israël rétabli et purifié — le salut découlera sur tous les peuples !

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