La littérature chrétienne de Rome, au iiie siècle, est représentée surtout par deux noms, ceux d’Hippolyte et de Novatien.
Peu de mémoires ont été autant obscurcies par la légende que celle de saint Hippolyte. C’est dans ces derniers temps seulement que l’on a pu reconstituer, d’une façon bien imparfaite, la carrière de cet homme considérable.
On pense qu’il était né vers l’an 170-175 : où exactement, on l’ignore. Il se désignait lui-même comme disciple de saint Irénée ; mais cela peut s’entendre de sa formation intellectuelle dans les livres de l’évêque de Lyon. Quoi qu’il en soit, saint Hippolyte nous apparaît, vers l’an 212, prêtre de l’Église romaine et docteur déjà estimé. Origène, venu à Rome à cette époque, eut l’occasion de l’entendre. A cette date, Zéphyrin était pape et avait pour conseiller Calliste. Hippolyte ne s’entendait pas avec eux sur la solution à donner aux difficultés doctrinales soulevées par le patripassianisme. L’avènement de Calliste en 217 amena la rupture complète. Hippolyte fit schisme, et constitua, à Rome même, une église dissidente dont il devint l’évêque. Cette situation dura dix-huit ans, jusqu’en l’année 235. A ce moment éclata la persécution de Maximin, dirigée surtout contre les chefs de l’Église. Sans distinguer entre les deux rivaux, le pape et l’antipape, l’empereur fit saisir à la fois et déporter Pontien et Hippolyte dans l’île insalubre de Sardaigne, où ils ne tardèrent pas à mourir. Mais, avant son départ, Hippolyte avait reconnu sa faute et, revenant lui-même à l’unité de l’Église, avait recommandé à ses partisans de réintégrer le vrai bercail. Rien ne s’opposait dès lors à ce qu’il fût considéré comme un martyr légitime et honoré comme tel. La Depositio martyrum insérée dans le Catalogue libérien de 354 marque, au 13 août d’une année qu’elle ne précise pas, la déposition de son corps sur la voie Tiburtine : Ypoliti in Tiburtina et Pontiani in Callisti. Il est peu probable cependant que la statue d’Hippolyte, retrouvée en 1551 près de sa sépulture, lui ait été élevée par l’Église romaine officielle : elle a dû l’être plutôt par ses partisans, de son vivant ou peu après sa mort.
A en juger par le nombre et la variété de ses œuvres, saint Hippolyte était évidemment très richement doué. Son esprit a embrassé toutes les formes de la science sacrée, exégèse, apologie, dogmatique, morale, discipline, histoire et géographie, peut-être même poésie religieuse. Il est cependant d’abord et avant tout exégète. Inférieur à Origène, dont il ne possède ni l’érudition ni la pénétration, il lui ressemble pourtant par son goût pour l’allégorisme, mais pour un allégorisme plus sobre et plus rationnel. C’est, malgré tout, un occidental. Théologien, il a bataillé aux côtés de Tertullien contre les gnostiques et les sabelliens. Prédicateur et homéliste, il a témoigné d’un vrai talent oratoire. Photius trouvait son style clair, noble, sans recherche. En fait, saint Hippolyte s’est peu préoccupé de bien écrire : il vise surtout aux idées et au fond, et le mouvement que l’on remarque dans sa phrase vient plus de la vivacité du sentiment que de l’effort littéraire. Ajoutons d’ailleurs que, sur beaucoup de points, nous ne pouvons que très imparfaitement juger de son talent. Bien que vivant à Rome, saint Hippolyte a écrit en grec, au moment où le latin allait devenir la langue de l’Église romaine ; et cette circonstance, jointe au souvenir fâcheux que son schisme avait laissé, a fait que le plus grand nombre de ses écrits se sont perdus.
Nous connaissons par leur titre ou nous possédons environ trente-cinq ouvrages de saint Hippolyte. La liste en est fournie en partie par un catalogue gravé sur sa statue, en partie par Eusèbe, saint Jérôme, Théodoret, Photius et autres auteurs. On peut les diviser en ouvrages scripturaires, — ouvrages contre les hérésies, — ouvrages d’apologie et de dogmatique, — ouvrages d’histoire et de chronologie, — enfin ouvrages de discipline et d’édification.
I. Ouvrages scripturaires.
Les œuvres-scripturaires de saint Hippolyte n’affectent pas, la plupart du temps, la forme de commentaires suivis : ce sont plutôt des homélies sur des morceaux choisis du texte sacré. C’est ainsi qu’il a commenté certaines parties de la Genèse, des Nombres, du Deutéronome, de Ruth, du premier livre des Rois, des Psaumes, d’Esaïe et d’Ezéchiel. Mais il avait commenté entièrement les Proverbes, l’Ecclésiaste, le Cantique des cantiques, Daniel et Zacharie. De tout cela il ne reste guère que des fragments. Seuls se sont conservés, pour une bonne part le commentaire sur le Cantique, et presque en entier le commentaire sur Daniel. Ce dernier, qui est de l’an 204 environ, se trouve être le plus ancien commentaire sur l’Écriture que l’on connaisse.
Pour le Nouveau Testament, saint Hippolyte semble avoir expliqué des textes épars. Son seul ouvrage suivi est un commentaire sur l’Apocalypse, mentionné par saint Jérôme (Vir. ill., 61) et dont il reste quelques citations.
II. Ouvrages contre les hérésies.
Contre l’ensemble des hérésies signalées de son temps saint Hippolyte a écrit deux ouvrages. Le premier, que Photius représente comme une réfutation abrégée de trente-deux hérésies (Σύνταγμα κατὰ αἱρέσεων λβ’), est perdu, mais on en retrouve le fond dans le Pseudo-Tertullien, Philastrius et saint Épiphane qui y ont puisé. Le second, Κατὰ πασῶν αἱρέσεων ἔλεγχος, auquel on donne le titre abrégé de Philosophoumena, est conservé presque en entier. Le plan de l’auteur y est magnifique. Il veut, dit-il, exposer tous les systèmes des anciens philosophes et de la sagesse grecque. Après quoi, il fera connaître ceux des hérétiques et montrera que c’est dans la doctrine des philosophes que ceux-ci ont pris leurs erreurs. Les hérétiques apparaîtront ainsi comme les continuateurs des philosophes païens et les tenants de la raison dévoyée contre la sagesse divine. L’exécution répond en effet à ce plan. Sur les dix livres dont l’ouvrage se compose, les quatre premiers (nous n’avons plus les livres ii et iii) s’occupent des philosophes et des théories astrologiques. Les livres v-viii font connaître et réfutent les hérésies chrétiennes jusqu’à celle des encratites. Dans le livre ix. l’auteur traite de Noet et de Sabellius et raconte ses démêlés avec Zéphyrin et Calliste. Le livre x récapitule tout l’ouvrage. La partie qui concerne les philosophes est, en somme, assez faible. On a élevé des doutes (Salmon, Staehlin) sur la valeur des documents hérétiques dépouillés par saint Hippolyte ; et surtout les rapprochements qu’il établit entre les hérésies et les systèmes philosophiques grecs apparaissent souvent fantaisistes et forcés. On voudrait plus de sûreté dans cette érudition tumultueuse. Les Philosophoumena sont postérieurs à l’an 222 ; peut-être faut-il les mettre dans les dernières années de l’auteur.
Outre ces deux compositions, d’un intérêt général, on possède un très important fragment Contre Noet, que l’on soupçonne avoir fait partie, avec l’écrit Contre Artémon cité par Eusèbe (H. E., 5.28.1), d’un ouvrage plus considérable contre l’hérésie monarchienne. On connaît encore une réfutation de Marcion (Πρὸς Μαρκίωνα), que l’on identifie volontiers avec le livre Sur le bien et d’où vient le mal ; puis un écrit Sur les charismes, dirigé probablement contre le montanisme. L’ouvrage Sur l’évangile de saint Jean et sur l’Apocalypse visait les aloges, et les Capita adversus Caium revendiquaient pour saint Jean l’évangéliste la paternité de l’Apocalypse. On a quelques citations de ces deux écrits.
III. Ouvrages d’apologie et de dogmatique.
Le seul ouvrage de dogmatique de saint Hippolyte, et le seul même de tous ses écrits que nous ayons en entier, est la Démonstration d’après les saintes Écritures de ce qui regarde le Christ et l’Antéchrist, généralement désignée par le titre De antichristo. Il est de l’an 200 environ, et expose, d’une façon vivante, les diverses circonstances de la venue, du triomphe transitoire et de la ruine de l’antéchrist. — Les ouvrages suivants sont totalement perdus ou connus seulement par des citations : une apologie Contre les Grecs et contre Platon ou sur l’univers, en deux livres (Photius, cod. 48) ; un Discours sur la résurrection à l’impératrice Mammaea, qu’il faut identifier probablement avec l’ouvrage Sur Dieu et sur la résurrection de la chair, signalé sur la statue et par saint Jérôme (Vir. ill., 61) ; une Exhortation à Sévérina ; un traité sur l’incarnation, mentionné par Ebedjésus ; et enfin une Démonstration contre les juifs, dont l’authenticité n’est pas sûre.
IV. Ouvrages d’histoire et de chronologie.
Il y en a deux indiqués dans le catalogue de la statue. Le premier est intitulé Chroniques (Χρονικά). On en possédait déjà des remaniements latins, mais on en a récemment découvert une partie en grec. C’était une sorte de manuel d’histoire et de géographie profane et sacrée, compilé d’après les livres de l’époque et d’assez peu de valeur scientifique. Le second comprenait un calcul de l’époque de la Pâque et un canon pascal (Ἀπόδειξις χρόνων τοῦ πάσχα καὶ τὰ ἐν τῷ πίνακι). On y trouvait donc deux parties : une introduction théorique, dans laquelle Hippolyte expliquait son comput pascal et le justifiait ; et des tables ou canons qui présentaient le résultat de ses calculs. Une partie de ces tables a été gravée sur la chaire qui supporte la statue. Hippolyte partait de ce principe faux qu’une période de seize ans correspond à un nombre entier et fixe de mois lunaires, et, par conséquent, que la Pâque revient à la même date tous les seize ans. Il se trompait de trois jours, et il fallut, dès 242-243, corriger son comput et plus tard l’abandonner. On pense qu’il l’avait composé vers l’an 224.
V. Ouvrages de discipline et d’édification.
Parmi les œuvres disciplinaires d’Hippolyte, il faut signaler les deux écrits que saint Jérôme lui attribue sur cette question : Faut-il jeûner le samedi ? et sur cette autre : Doit-on communier chaque jour ? D’autre part, on possède, dans une traduction arabe, une collection de canons en 261 numéros, qui se donne comme l’œuvre d’Hippolyte. Ces Canones Hippolyti sont de la plus haute importance pour l’histoire des institutions chrétiennes, mais, sous leur forme actuelle du moins, ne sauraient être considérés comme l’œuvre du docteur romain. Quant aux Odes sur toutes les Écritures mentionnées par le marbre de la statue, on ignore complètement, à supposer que la lecture de ce titre soit exacte, ce que pouvait être cet ouvrage.
En somme, cette revue rapide des écrits de saint Hippolyte confirme bien ce que nous avons dit plus haut de la variété de ses aptitudes et de la fécondité de son génie.