Formes Du Baptême. — Question du Baptisme. — Doit-on baptiser par « immersion » ou par « effusion » ? — Importance attachée à la question par les Baptistes, qui pourtant ne voient dans le sacrement qu’un symbole. Leurs arguments : 1° exégétique ; 2° historique ; 3° dogmatique.
Doit-on baptiser par immersion ou par effusion ?
De nos jours, les baptistes (antipédobaptistes, autrefois anabaptistes) ont donné beaucoup d’importance à cette question, qui devrait en avoir si peu au sein du Christianisme, religion de l’esprit, non de la lettre, et dans des Églises où l’on ne considère les sacrements que comme des symboles. On concevrait encore cet attachement servile à la forme du rite et à son mode d’administration chez les personnes qui font du baptême le canal de la grâce, l’instrument du Saint-Esprit, car elles devraient craindre de fermer ou d’obstruer cette source du salut en altérant l’institution primitive. Mais ce n’est pas de ce côté que viennent les scrupules, c’est de la part de ceux qui élèvent le plus le principe de la liberté et de la spiritualité chrétienne. Ce ne sont pas les catholiques, les puseystes, les confessionalistes que nous rencontrons ici, ce sont des hommes qui sous tous les rapports, à part celui-là, se montrent les adversaires les plus prononcés du cérémonialisme. Les baptistes sont au nombre des chrétiens qui ont banni avec le plus de rigidité le rituel du culte.
Les baptistes posent l’immersion comme essentielle et obligatoire. Elle est à leurs yeux la forme divinement établie et absolument nécessaire ; là où elle manque, là n’est pas le vrai baptême, de la même manière que dans les principes du catholicisme et du haut anglicanisme, il n’y a pas de véritable ordination là où n’existe pas la succession apostolique des pasteurs : c’est-à-dire que des deux parts on arrive à faire dépendre le Christianisme tout entier d’une pure formalité extérieure ; ces deux tendances extrêmes, si opposées à tant d’égards, ne se doivent rien sous ce rapport-là. — Le principe des baptistes sur ce point, si secondaire en apparence, les a conduits à des conséquences d’une infinie gravité : 1° Les baptistes rigides considèrent les membres des autres communions chrétiennes comme n’étant pas réellement baptisés, par cela seul qu’ils n’ont pas été immergés. 2° Ils les regardent comme en dehors de l’Église de Christ et ne croient pas pouvoir communier avec eux. 3° Ils accusent toutes les versions de la Bible, autres que les leurs, d’être inexactes, au moins dans l’article du baptême, et c’est une des principales raisons pour lesquelles ils ont formé des Sociétés bibliques distinctes. A eux seuls, disent-ils, de répandre la pure parole de Dieu ! Ainsi, un fait sans importance réelle quant au fond vital du Christianisme, a pris peu à peu d’immenses proportions, au point de vue dogmatique comme au point de vue ecclésiastique et pratique. Il faut se rappeler sa relation avec d’autres questions pour comprendre le zèle extrême que les baptistes mettent à le défendre et l’esprit de séparatisme et de prosélytisme qu’il leur inspire.
Les baptistes s’appuient sur les raisons suivantes : — 1° Le verbe βαπτίζω, dans sa signification propre et son acception commune, marque l’immersion (argument exégétique). — 2° Jean baptisait par immersion, ainsi firent les apôtres, ainsi fit l’Église des premiers siècles, ainsi font les Grecs actuels (argument historique). — 3° Les allusions au baptême que nous trouvons dans le Nouveau Testament (Romains 6.3-5 ; Colossiens 2.12), ne permettent pas de douter qu’il ne s’administrât alors de cette manière (argument dogmatique).
Il serait trop long d’entrer dans les détails d’une discussion que les controverses modernes ont faite si vaste et si compliquée, surtout en Angleterre et aux Etats-Unis, j’en indiquerai seulement les traits et les résultats généraux.
1° Argument exégétique. — Sur le premier point, l’erreur des baptistes consiste à conclure de ce que βαπτίζω a quelquefois le sens auquel ils tiennent (2 Rois 5.14), qu’il l’a nécessairement et toujours. — Or, il est des cas où il ne l’a pas ; ainsi Marc 7.4 : « Et quand ils reviennent de la place publique, ils ne mangent point sans s’être lavés (ἔαν μὴ βαπτίσωνται) » ; Luc 11.38 :« Mais le pharisien le voyant s’étonnait de ce qu’il ne s’était pas lavé avant le repas (ὂτι οὐ πρῶτον ἐβαπίσθν) » ; (cf. 1 Corinthiens 10.1-2). Dans ces textes, l’effet de l’immersion ne se montre pas ou n’existe pas. La pensée saillante est celle d’ablution, de lustration, de purification, de quelque manière et sous quelque forme qu’elle s’accomplisse. Aussi l’auteur de l’Epître aux Hébreux désigne-t-il sous la dénomination générale de βαπτίσμοι, les diverses ablutions légales (Hébreux 9.10).
Cette acception large et spirituelle du terme en est l’acception religieuse, et spécialement l’acception chrétienne. Dès lors, l’idée dominante qu’il exprime, l’idée essentielle et fondamentale, l’idée propre est celle de purification ; celle d’immersion, quand elle s’y rencontre, n’est qu’accessoire et accidentelle. (De même chez les Pères, le baptême de sang et de larmes, où la purification est la seule chose qu’on pût avoir en vue). L’important, c’est l’acte symbolique, ce n’est pas sa forme, parce que tout dépend, en réalité, non de la cérémonie elle-même et de la manière dont elle s’administre, mais de la disposition intérieure qu’on y porte et de la grâce qui y est attachée. Les mots βαπτίζω et βαπτίσμα sont employés dans le Nouveau Testament en un sens très étendu. L’envoi du Saint-Esprit est appelé un baptême Matthieu 3.11 : « Il vous baptisera du Saint-Esprit et de feu. » Or, le Saint-Esprit est partout représenté comme répandu, versé (ἐρχομενος) (Actes 2.17,23) (Cf. Joël 2.28 ; Ézéchiel 37.5), ce qui conduit à l’effusion et non à l’immersion. Et si l’effusion caractérise le baptême d’Esprit, il semble qu’il doit ou qu’il peut du moins en être de même pour le baptême d’eau, qui est le symbole du premier.
Le premier argument des baptistes n’a donc pas la valeur qu’ils lui attribuent.
2° Argument historique. — Sur le deuxième point, nous reconnaissons que l’immersion (et la triple immersion) a été la forme ordinaire du baptême dans les premiers siècles. « Notre Sauveur, dit Tertullien, commande aux Apôtres de baptiser au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, non pas au nom d’une seule personne, car nous ne sommes pas plongés une fois dans l’eau, mais trois fois, une fois à la prononciation de chaque noma ». Un des Canons apostoliques ordonne que l’évêque ou le prêtre qui néglige la triple immersion soit déposé. Cette triple immersion est mentionnée aussi par Jérôme, Basile, Chrysostôme, etc. D’autres permettaient et pratiquaient l’immersion simple, en se fondant aussi sur des idées dogmatiques. Avec une foi identique, dit Grégoire le Grand, des usages différents dans l’Église ne blessent pas. Ainsi, comme il n’y a qu’une seule essence divine en trois personnes, on n’est point blâmable de plonger l’enfant dans l’eau une seule fois ou trois fois ; car de même que par les trois immersions on représente les trois personnes, de même par l’immersion simple on représente l’unité de l’essence. ». L’auteur le plus ancien qui parle du baptême par effusion comme d’une pratique commune, est Gennade de Marseille, au ve siècle, qui dit que de son temps, dans la Gaule, on employait indifféremment l’effusion ou l’immersion. Au viiie siècle l’effusion fut généralement adoptée dans l’Église occidentale, sans l’être pourtant universellement. Erasme nous apprend qu’à l’époque où il vivait tandis qu’on aspergeait en Hollande, on immergeait en Angleterre, comme continue à le faire l’Église d’Orient. Pendant longtemps l’effusion se répétait aussi trois fois (concile d’Angers au iiie siècle).
a – Adv. Praxeas, 26.
Mais peut-on conclure de là que l’immersion soit la forme primitive absolue et, par suite, la forme obligatoire du baptême, la seule que les fondateurs du Christianisme aient employée et la seule légitime ? On a nié qu’elle ait été pratiquée dans aucun des cas du Nouveau Testament. Et s’il est difficile de ne pas la voir dans quelques passages comme Matthieu 3.6,16 ; Jean 3.23 ; Actes 8.36, il est tout aussi difficile, pour dire le moins, de la supposer dans d’autres, comme Actes 2.41 (les 3 000) et Actes 10.48 (Corneille) et Actes 16.30-33 (geôlier de Philippes). Il est plus que probable qu’attachant peu d’importance au mode extérieur du rite, on le modifiait alors selon la nécessité des circonstances ; les faits semblent l’indiquer, et l’on peut d’ailleurs le conclure du principe de spiritualité qui domina la conduite, aussi bien que la doctrine des premiers prédicateurs de la foi, et qui frappait jusqu’aux apparences de formalisme et de cérémonialisme (Jean 4.2 ; 1 Corinthiens 1.17). Ce n’était pas Jésus-Christ qui baptisait, c’étaient ses disciples. « Ce n’est pas pour baptiser que f ai été envoyé, dit saint Paul, mais pour prêcher l’Evangile. » Evidemment, dans l’esprit du Christianisme, ce n’est pas à la vertu ou à la forme du rite qu’il faut regarder, c’est à la puissance de la Parole et de la grâce, par conséquent aux dispositions d’esprit et de cœur. On comprend aisément qu’on ait peu à peu supposé à l’immersion une vertu particulière, à mesure que le pur esprit de l’Évangile s’altère dans l’Église et qu’on cherche une mystérieuse efficacité à toutes les pratiques religieuses. Cependant, à l’époque même où l’immersion était environnée du respect le plus profond et le plus général, elle souffrait encore des exceptions. On en dispensait, par exemple, les prisonniers, les malades (κλινικοι) et autres. Constantin fut baptisé par aspersion, Clovis par effusion. Ce baptême était universellement tenu pour valide (Cyprien Ep. 69). Toutefois, on lui attribua pendant un temps moins d’efficacité et de sainteté qu’au baptême où l’on « était lavé en entier de l’eau du salut (Ibid) ». On distinguait par le nom de « κλινικοι » ceux qui l’avaient reçu et on les excluait des ordres sacrés. Cela s’explique par les idées de l’époque. Mais le fait reste toujours, en preuve que l’immersion n’avait pas été posée dès le principe comme nécessaire et obligatoire, puisqu’on s’en écartait en certains cas. En outre, aux époques mêmes où elle était le plus exaltée, le caractère dominant et constitutif du rite, dans la doctrine ecclésiastique, est celui de purification, ainsi que dans le Nouveau Testament. Quelque attaché qu’on soit à la forme extérieure, c’est de la signification mystique qu’on se préoccupe surtout. Le baptême est appelé λουτρον, καθαρισμος, αγνισμος, etc., purgatio, lavatio, etc. C’est par là que les Pères expliquent le baptême du Saint-Esprit, le baptême des larmes, le baptême de sang, et une foule de textes de l’Ecriture. Et c’est de cette vue fondamentale, restée toujours dans l’Église, qu’est venue la pratique générale de l’Occident, où l’effusion a remplacé peu à peu l’immersion ; car, dès qu’on fait de la purification le point essentiel et central, la forme perd son importance ; elle peut se modifier sans inconvénient, selon les temps, les lieux, les personnes. La seule chose nécessaire est le caractère sacramentel de la cérémonie, et, dans le monde occidental, elle le conserve pour ceux-là mêmes qui y attachent les plus hautes influences salutaires (catholiques).
3° Argument dogmatique. — Les baptistes insistent en s’attachant à des passages tels que Romains 6.3-4 ; Colossiens 2.12. Là, disent-ils, le mode du baptême est formellement donné, en même temps que son sens intérieur et son but spirituel : le baptisé est représenté comme enseveli avec Christ et ressuscité avec lui ; cela ne pouvant s’entendre que de l’immersion, prouve, sans réplique, qu’elle était alors universellement pratiquée et, par cela même, divinement établie. « J’apprécie si fort la preuve fournie par ces textes, dit Carsonb, que je les regarde comme pleinement décisifs. Dieu nous y donne lui-même l’explication de son ordonnance. »
b – Théolog. des Etats-Unis.
Quand il serait positif (et il ne l’est pas) que le fait de l’immersion est là attesté, tout ce qui en résulterait c’est que saint Paul a pris, parmi les pratiques alors usitées, celle qui rendait plus sensible cette mort du vieil homme et cette naissance de l’homme nouveau, effet nécessaire de l’union avec Christ par la foi ; il ne s’ensuivrait nullement qu’il la déclare indispensable et obligatoire, en la faisant seule légitime. Il ne dit pas un mot de cela. Et l’esprit des passages cités, comme l’esprit général de l’Évangile, ne permet pas de lui supposer une telle doctrine. Que veut-il établir Romains 6.3-4 ? C’est l’incompatibilité de la justification avec la persévérance dans le mal. Et il le fait en montrant que la foi justifie et régénère tout ensemble, parce qu’en faisant participer spirituellement à la mort de Christ, elle fait participer aussi à la résurrection et jette dans l’âme les racines de la vie céleste. Voilà le fond de sa pensée et le fort de son argument, qui revient chez lui à des points de vue très divers (Éphésiens 2.1-7 ; Colossiens 3.1-4). L’allusion au baptême n’est qu’accessoire ; c’est une simple image.
L’interprétation baptiste fait porter toute la force de la déclaration sur le rite extérieur ou même sur la forme. Il est inutile de dire combien de telles vues sont peu en harmonie avec l’esprit du Christianisme. Elles auraient quelque couleur dans l’opinion que les sacrements possèdent une vertu intrinsèque et qu’ils versent d’eux-mêmes la grâce dans les âmes ; car alors la forme pourrait emporter le fond. Mais les baptistes professent hautement à cet égard les principes de la Réformation.
En dernier résultat, le Nouveau Testament ne prescrit rien, ni directement ni indirectement, sur le mode du baptême ; ainsi qu’on pouvait s’y attendre d’après la nature toute spirituelle du Christianisme. Le sens et le but de l’acte sont l’essentiel, la forme est en soi indifférente (Jean 13.9 ; Romains 14.17). L’Évangile étant destiné à conquérir le monde entier, ses rites obligatoires ont dû être établis de manière à pouvoir s’accomplir dans tous les temps et dans tous les lieux. Que l’immersion ait été pratiquée dès l’âge apostolique, nous l’accordons sans peine ; mais plusieurs faits indiquent que l’effusion le fut également, et c’est à cause de cela qu’elle s’est toujours conservée, malgré les opinions superstitieuses des âges suivants.
Il est triste que, par des scrupules excessifs, on introduise ainsi le cérémonialisme dans l’Église en rompant la communion des disciples. On s’appuie sur un principe infiniment recommandable en soi : le respect des coutumes primitives, l’imitation des temps apostoliques ; mais 1° il est plus que douteux, nous l’avons vu, que ce principe soit applicable ici, puisque tout semble démontrer que le baptême s’administra, au commencement, des deux manières ; 2° quand il n’en serait point ainsi, c’est l’esprit de l’exemple des apôtres, comme de l’exemple de Jésus-Christ, qu’il faut suivre, ce n’est pas la lettre ou la forme extérieure. L’imitation servile est en désharmonie avec les tendances du Nouveau Testament, qui prescrit à la fois la liberté et la fidélité. La plupart des baptistes le reconnaissent, en dehors des préoccupations de la controverse. Ils s’écartent de l’institution primitive de l’eucharistie (les apôtres la reçurent après le repas, assis ou couchés) ; ils négligent l’ablution des pieds (Jean 13.15), l’onction des malades (Jacques 5.14), les agapes, le baiser fraternel (Romains 16.16). Ils ne se font pas scrupule de manger du sang ou des viandes étouffées (Actes ch. 15), de porter les cheveux longs ou courts (1 Corinthiens 2.10), etc., etc., quoiqu’on ait sur ces points des préceptes et des exemples tout ensemble.
La forme du baptême, comme celles de la Sainte Cène et du Culte, tombent sous la juridiction de l’Église. Ce sont là des points qu’elle doit régler par son pouvoir disciplinaire, et c’est une obligation pour les fidèles de se soumettre à ses ordonnances, aussi longtemps qu’elles ne blessent pas la conscience chrétienne et qu’elles ne compromettent nullement la foi et la vie spirituelle. Car il y a une limite, et nous l’avons posée ailleurs, au delà de laquelle la tolérance deviendrait une infidélité, et la soumission aux hommes une révolte contre Dieu. Ainsi, par exemple, je puis prendre indifféremment dans la Sainte Cène du pain sans levain ou du pain levé ; je puis la recevoir debout dans une église presbytérienne, ou à genoux dans une église anglicane, tandis que je ne pourrais consentir à adorer le sacrement avec les catholiques. On a, sans doute, le droit de combattre les ordonnances ecclésiastiques qu’on juge mauvaises pour les faire modifier ou changer, mais tant que l’Église les maintient et qu’elles ne touchent point aux choses essentielles, on doit les observer. C’est, je crois, le vrai principe chrétien en cette matière. — On pourrait, du reste, en faveur des consciences faibles, suivre ici la règle prescrite par saint Paul relativement aux viandes et aux fêtes (Rom. ch 14 et 15). Pourquoi nos Églises, dans l’intérêt de la paix et de l’union, n’accorderaient-elles pas l’immersion à ceux qui tiennent à cette forme, s’ils consentaient, comme ils le devraient, à ne la demander que pour eux et à ne point condamner ceux qui la considèrent comme indifférente, s’ils la pratiquaient sans vouloir l’imposer, usant envers les autres du support qu’on aurait à leur égard ?