Notes sur les Miracles de notre Seigneur

28. Le statère dans la bouche du poisson

Matthieu 17.24-27

Ce miracle ne nous est raconté que par l’évangéliste saint Matthieu ; nous verrons, en l’étudiant, pourquoi nous devions en trouver le récit dans le premier évangile. On a souvent méconnu le vrai sens, l’importance de ce miracle, en disant que la somme exigée de Pierre était un impôt civil, un tribut qui revenait à l’empereur romain ; c’était plutôt un impôt théocratique, dû au temple de Dieu. Plusieurs interprètes anciens et modernes admettent le premier sens, mais ils sont dans l’erreur ; le didrachme était la somme que nous trouvons mentionnée dans Exode 30.11-16 ; c’était la rançon qui devait être payée par chaque Israélite pour le service du tabernacle, et, plus tard, pour celui du temple. Les deux drachmes équivalant à un demi-sicle, le statère valait donc un sicle entier. C’était un paiement annuel, soit qu’il eût été ordonné par le divin Législateur, soit que l’usage s’en fût répandu après la captivité de Babylone ; on trouve, semble-t-il, des traces d’un tel impôt dans 2 Rois 12.4 ; 2 Chroniques 24.5, 6, 9 ; après la destruction de Jérusalem, Vespa-sien ordonna qu’il fût versé dans le trésor impérial. Ce qui prouve qu’il s’agit bien, dans notre récit, d’un impôt dû au temple de Dieu, et non à César, c’est la parole de Jésus : « Les fils en sont donc exempts. » Comme Fils dans sa propre maison, il en réclame l’exemption.

Nous pouvons penser que Jésus et Pierre, avec d’autres disciples, retournaient à Capernaüm, après une de leurs absences. Le Seigneur passa outre librement, mais les percepteurs retinrent Pierre, qui le suivait ; ayant entendu parler des œuvres merveilleuses de Christ, les percepteurs peuvent bien avoir hésité à son sujet ; dans leur incertitude, ils s’adressent à Pierre. Celui-ci répond que son maître payera l’impôt ; son zèle pour la gloire de Jésus l’engageait à donner cette assurance ; cependant il méconnaît, dans un sens, la dignité supérieure de son Maître : comme Fils dans sa propre maison et Chef de la théocratie, c’est à lui que le paiement était dû. Aucune rançon ne pouvait donc être exigée de lui ; ce n’était pas à lui, le vrai temple de Dieu, à payer l’impôt destiné au temple matériel, dont l’importance avait diminué. C’est afin d’amener Pierre et les autres disciples à la vraie intelligence de sa position comme Fils, que Jésus lui adresse la question qui va suivre ; il est obligé, par l’imprudence de Pierre, de payer le didrachme, mais il le fera sous la forme du miracle qui nous occupe, montrant que toutes choses le servent, même les poissons, car il est le Maître de la nature. Ici, comme en d’autres occasions, la gloire du Seigneur resplendit dans son abaissement ; il affirme, par ce miracle, la vraie dignité de sa personne, qui, sans cela, aurait pu être compromise aux yeux de quelques-uns, mais que les disciples ne devaient pas perdre de vue. Le miracle avait donc pour but de subvenir à une réelle nécessité. Jésus n’attend pas que Pierre l’informe de ce qui s’est passé ; « dès qu’il fut entré dans la maison, Jésus le prévint, » il anticipa sur ce qu’il avait à lui dire, montrant par là qu’il savait déjà ce qui venait d’avoir lieu, qu’il connaissait les pensées du cœur. Il dit : « Que t’en semble, Simon ? Les rois de la terre, de qui perçoivent-ils des tributs ou des impôts ? » L’argumentation procède ici du plus petit au plus grand, des choses terrestres aux célestes, de l’ombre à la réalité.

Lorsque Pierre eut confessé que les tributs n’étaient perçus que des étrangers, Jésus l’amena à la conclusion : que « les fils en sont exempts. » On s’est servi de ce pluriel : « les fils » pour combattre l’interprétation par laquelle le Fils de Dieu n’aurait eu que lui-même en vue dans ces paroles. Cependant, il est évident que Jésus, en se servant d’analogies terrestres, a voulu conclure ici du général au particulier ; on ne peut admettre qu’il ait voulu étendre l’exemption d’impôts à ses disciples ; il ne la réclame que pour lui-même. Ces paroles de Jésus sont un puissant témoignage de sa relation avec le Père, par conséquent de sa divinité.

Malgré tout cela, Jésus-Christ paiera la somme due ; c’est, dit-il, « pour ne pas les scandaliser : » de peur qu’ils nous accusent de mépriser le temple ou de vouloir abolir la loi, afin qu’on ne croie pas que Jésus a usé d’une liberté illégitime, et pour observer l’engagement pris par son disciple. Le paiement, de sa part, n’était donc pas obligatoire, mais simplement convenable, comme il en fut de son baptême, auquel il se soumit volontairement ; il a porté le joug de la loi, pour nous en délivrer.

Alors, renvoyant Pierre à son ancienne profession, Jésus dit : « Va à la mer, jette l’hameçon, et tire le premier poisson qui viendra ; ouvre-lui la bouche, et tu trouveras un statère. » Nous devons penser que Pierre obéit à l’ordre de son Maître, alla à la mer, jeta l’hameçon, et trouva la pièce de monnaie dans la bouche du poisson : « Prends-le, et donne-le-leur pour moi et pour toi. » Il ne dit pas : « pour nous, » afin de maintenir la distinction entre le Libérateur et le libéré.

Il ne s’agit pas, dans ce miracle, d’une simple prévision du Seigneur ; il amena le poisson qu’il fallait, et voulut qu’il mordit à l’hameçon (Jonas 2.1 ; 1 Rois 20.36). Toutes les tentatives de Paulus et d’autres pour faire disparaître le miracle sont absurdes ; Paulus veut que Jésus ait dit à Pierre de vendre un certain nombre de poissons, pour gagner un statère. On ne peut penser, non plus, que le statère fut créé pour cette occasion spéciale ; ce serait sortir de la sphère du miracle, qui a toujours pour base un objet naturel : Jésus-Christ multiplie les pains, il change l’eau en vin, il ressuscite Lazare. Or, on raconte que souvent, des choses précieuses ont été trouvées dans le ventre des poissons.

Les interprétations allégoriques de ce miracle n’offrent rien d’intéressant ; Clément dit que tout pêcheur d’hommes expert dans son art, ôtera le métal d’orgueil et d’avarice de la bouche de ceux qui ont été pris dans le filet de l’Évangile. Le miracle est assez riche en enseignements, sans que nous ayons besoin d’en presser le sens outre mesure.

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