Voici la distinction entre ces mois : Αἰτέω, en latin « peto », exprime une plus grande soumission ; c’est, en effet, le terme constamment dans la bouche d’un inférieur qui supplie un supérieur (Actes 12.20) ; d’un mendiant qui réclame une aumône (Actes 3.2) ; d’un enfant qui sollicite une faveur de son père (Matthieu 7.9 ; Luc 11.11 ; Lamentations 4.4) ; d’un sujet qui postule quelque chose auprès d’un puissant (Esdras 8.22) ; de l’homme, invoquant le secours de Dieu (1 Rois 3.11 ; Matthieu 7.7 ; Jacques 1.5 ; 1 Jean 3.22 ; cf. Plato, Euthyph. 14 : εὔχεσθαι [ἔστιν] αἰτεῖν τοὺς θεοὺς, par contre, c’est le latin « rogo » ; ou quelquefois (comme dans Jean 16.23 ; cf. Genèse 44.19) « interrogo », qui est sa seule signification dans le grec classique, ou il ne veut jamais dire « demander », mais seulement « interroger » ou « s’ informer ». Ainsi que « rogare »b, Ἐρωτάω implique l’idée que celui qui demande est sur le pied d’une certaine égalité par rapport à celui dont il sollicite la faveur, comme un roi vis-à-vis d’un roi (Luc 14.32), ou si ce n’est d’égalité, sur le pied d’une connaissance telle qu’elle donne de l’autorité à la demande.
b – Cicéron écrit (Planc, 10.25) : « Neque enim sic rogabam, ut petere viderer, quia familiaris esset meus. »
Ainsi (remarque bien digne d’être faite et qui témoigne de la singulière exactitude des termes dans tout le N. T.), jamais notre Seigneur ne se sert d’αἰτεῖν ou d’αἰτεῖσθαι en parlant de lui-même, pour désigner les faveurs qu’il recherche pour ses disciples auprès de Dieu ; car ici sa prière n’est point celle de la créature adressée au Créateur, mais la demande du Fils au Père. La conscience de l’égalité de son rang, de son intercession puissante et efficace, éclate dans le fait qu’aussi souvent qu’il demande, ou déclare qu’il demandera quelque chose à son Père, il emploie toujours ἐρωτῶ ἐρωτήσω, demande d’un égal à son égal (Jean 14.16 ; 16.26 ; 17.9, 15, 20), jamais αἰτέω ou αἰτήσω. Marthe, au contraire, lui révèle pleinement quelle pauvre idée elle a de sa personne à Lui ; elle lui donne à croire que pour elle il n’est pas plus qu’un prophète, quand elle lui attribue l’αἰτεῖσθαι dont il ne se sert jamais quand il s’agit de lui-même : ὅσα ἂν αἰτήσῃ τὸν Θεὸν δώσει σοι ὁ Θεός ; (Jean 11.22). Bengel fait ici cette remarque : « Jésus, de se rogante loquens ἐδεήθην dicit (Luc 22.32), et ἐρωτήσω, at nunquam αἰτοῦμαι. Non Graece locuta est Martha, sed tamen Johann es exprimit improprium ejus sermonem, quem Dominus benigne tulit : nam αἰτεῖσθαι videtur verbum esse minus dignum. » Comparez aussi sa note sur 1 Jean 5.16.
Il s’ensuivra que l’ἐρωτᾶν, appartenant ainsi à Christ, en tant que ce terme renferme une idée d’autorité, ne peut nous convenir ; aussi, dans aucun cas, le N. T. ne l’emploie pour désigner la prière de l’homme à Dieu, de la créature au Créateur. Le seul passage qui semble contredire cette assertion, c’est celui de 1 Jean 5.16. Le verset est difficile, mais quelle que soit la manière qu’on adopte pour lever la difficulté, on trouvera qu’elle ne constitue point une vraie exception à la règle, et que peut-être, si l’on substitue l’ἐρωτήσῃ à l’αἰτήσει de la première clause du verset, cela confirmera plutôt la règle.