L’âme très riche, très tourmentée, très victorieuse, d’un Tommy Fallot reflète admirablement les divers aspects du mouvement spirituel qui vise à la transformation de l’Eglise. En lui on retrouve le zèle religieux d’un Félix Neff et d’un Adolphe Monod ; l’indépendance théologique d’un Alexandre Vinet et d’un Frédéric Robertson ; le christianisme social d’une Elisabeth Fry et d’un Alphonse Gratry ; la vision missionnaire d’un William Booth et d’un François Coillard. De plus, il se déclarait lui-même disciple de Frédéric Oberlin, l’un des pionniers de la réforme de la Réforme, avec George Fox et John Wesley.
Ces trois précurseurs d’un christianisme qui est, avant tout, une vie, s’affranchirent des formules et des formes rigides ; ils affirmèrent que toutes les Eglises, malgré leurs diversités dogmatiques et rituelles, respirent l’air du même Evangile. En travaillant, sans l’avoir cherché, ou sans le savoir, à réformer la Réforme, ils travaillaient pratiquement à élargir le Protestantisme, à en faire un Catholicisme. Car tout progrès vers l’Evangile spirituel est un progrès vers l’Eglise spiritualiste ; et celle-ci, par définition même, ou par la force irrésistible des choses, est une Eglise universaliste, donc une Eglise catholique.
Cette logique secrète et providentielle des situations s’est affirmée, en Tommy Fallot, avec une rigueur et une vigueur divines. Cet humble chrétien, saisi par l’Esprit, comme les voyants d’Israël, est devenu l’instrument d’une pensée d’En-Haut qui le dominait ; dans un champ d’action bien modeste (mais qui ne l’était pas plus que la Palestine du huitième siècle avant notre ère), il est devenu le prophète et le porteur d’un Idéal auquel appartient l’avenir.
Ses expériences ecclésiastiques l’avaient préparé à cette mission. Fortifié par l’Eglise luthérienne, puis pasteur des Eglises libres, il mourut au service des Eglises réformées, avec la nostalgie de l’Eglise unie et universelle, qu’il nommait « catholique-évangélique ». Les phases principales de son développement spirituel furent liées aux crises de protestation déclenchées, dans sa conscience, par certaines déviations du christianisme ou l’apostasie partielle de la chrétienté. Il s’éleva, successivement, de toute son âme, contre l’individualisme piéitiste, contre le doctrinarisme intransigeant, contre le sectarisme ecclésiastique ; pour les combattre, il s’affirma tour à tour, audacieusement, socialiste, puis mystique, enfin chrétien tout court, ou catholique, au-delà du romanisme et du protestantisme. Dans cette position suprême, il rejoignait Oberlin et Vinet.
Il discernait clairement que le drame de la Réforme fut, dans son essence, un débat entre disciples du pape sur la meilleure manière d’affirmer les valeurs spirituelles et l’idéal évangélique dans l’Eglise de Jésus-Christ. Ce débat s’est concrétisé en des formations ecclésiastiques opposées, et qui, depuis le XVIe siècle, s’affirment par l’antithèse de leurs principes ou la contradiction de leurs méthodes. Mais l’Esprit de Jésus-Christ s’affirmera, un jour, avec une puissance irrésistible, dans un renouveau de vie religieuse à travers toutes les Eglises. Alors la chrétienté « anti-protestante », et la chrétienté « anti-romaine », qui s’arc-boutaient l’une contre l’autre, et se maintenaient en place par leur opposition même, – comme deux taureaux affrontés, perdront leur point d’appui, et s’effondreront, dans la mesure où elles n’étaient plus que des formations de combat.
Au-dessus du romanisme et du protestantisme s’épanouira le Christianisme.
Cette vision de Tommy Fallot marque son apport dans l’histoire. Elle suffit à caractériser la nature de son génie, l’ampleur de son message, la splendeur de la bénédiction qu’il aura préparée dans la solitude, et fixe la place d’honneur que l’Eglise future lui réserve parmi les hommes de Dieu.