Quelque opinion que l’on ait sur la révélation accordée au peuple d’Israël, et quelque interprétation, plus positiviste ou plus supranaturaliste, que l’on donne de tels ou tels oracles particuliers et réputés messianiques, contenus dans les livres de l’A. T. ; que l’on admette on non la coïncidence entre ces oracles et l’événement qui se nomme le christianisme, un fait demeure reconnu de tous les partis : c’est que la prophétie israélite est un phénomène absolument unique dans toutes les littératures de l’antiquité, et les principaux caractères qui la distinguent sont les suivants :
1° La continuité de ce phénomène pendant trois siècles tout au moins, à partir du VIIIe avant Jésus-Christ ;
2° La progression de l’idée prophétique, manifestement soumise à une loi générale d’évolution et de répartition en périodes particulières ;
3° Le contraste existant entre les phases de l’évolution de l’idée prophétique et celles de la réalité historique dans le peuple d’Israël, à raison duquel l’élévation, l’enrichissement et la certification de l’idée sont en raison inverse des prospérités et en raison directe des revers et des ruines essuyés par le peuple d’Israël dans chacune des périodes de son histoire ;
4° La présence d’un double courant qui traverse toute la prophétie de l’A. T., sans jamais se confondre en un seul lit, et qui est demeuré une insoluble énigme pour les interprètes mêmes de cette idée toujours grossissante : le courant des gloires messianiques et celui des souffrances messianiques.
Or Jésus s’est sans hésitation reconnu et proclamé le terme de convergence de l’ancienne loi (Matthieu 5.17) et de l’ancienne prophétie (Luc 4.18 et suiv.) ; préparé par l’une ; prédit par l’autre.
Il se désigne à diverses reprises comme le véritable héritier des gloires messianiques (Luc 4.18 et sq. ; Marc 12.35-37) ; plus grand que Moïse (Matthieu 5.22, 28, 32) ; plus grand que le temple (Matthieu 12.6) ; Maître du sabbat (Marc 2.28) ; Maître du Royaume dont le dernier membre est plus grand que le plus grand de ceux qui sont nés sur la terre jusqu’à lui (Matthieu 11.11 ; Luc 7.28).
Il est surtout le véritable héros des souffrances messianiques : insuccès de la parole (Matthieu 13.13-15) ; inefficacité relative des actes (Matthieu 11.21 ; Luc 7.20) ; échec final de sa personne et de son œuvre (Marc 8.31 ; Matthieu 26.54 ; Luc 24.25 et sq.). δεῖ τὸν υἱὸν τοῦ ἀνθρώπου πολλὰ παθεῖν (Luc 9.22)
Nul autre juif depuis lui n’a eu l’audace d’assumer des responsabilités aussi redoutables ; d’autres messies sans doute se présentèrent, et en foule dès cette époque, pour commander et régner ; aucun pour souffrir et mourir ; et le peuple juif qui s’obstine à attendre encore son Messie, a perdu dès longtemps le moyen de constater un des principaux signes de l’authenticité de sa mission, la descendance de David.
Mais parmi les oracles messianiques, il y en avait qui attribuaient mystérieusement à cet enfant de l’avenir des origines surnaturelles, Michée 5.2 ; des titres et des attributs divins, Ésaïe 9.5 ; la souveraineté finale sur la nature, Ésaïe 11, et sur l’humanité, Psaumes 2 ; Daniel 7.13. En se proclamant le véritable Messie d’Israël, ou en acceptant ce titre de la bouche d’autrui, Jésus s’attribuait donc déjà, contrairement sans doute à l’opinion populaire, la réalité des titres et du rang conférés d’avance au nouveau David ; une essence transcendante au temps et à l’espace, surnaturelle et consommatrice.
Il y eut entre autres deux circonstances de sa vie où il accepta le titre de Messie entendu dans son sens le plus prégnant puisqu’il était accompagné et interprété par celui de Fils de Dieu. Ce fut lorsqu’il félicita l’apôtre Pierre de s’être élevé dans la définition de sa personne au-dessus des opinions courantes en le proclamant le Christ, le Fils de Dieu vivant, Matthieu 16.16 ; et lorsque, la veille de sa mort, il accepta l’interpellation de Caïphe, Matthieu 26.64. Si l’exégèse du Souverain sacrificateur ne lui avait fait connaître qu’un simple homme dans celui qui venait de se déclarer le Messie d’Israël, il n’eût apparemment pas risqué le ridicule en déchirant son vêtement et en criant au blasphème.