Nous retrouverons, dans le développement dogmatique au sein de l’Église réformée, les mêmes phases successives que nous avons constatées au sein de l’Église luthérienne. Elle aussi eut tout d’abord à se constituer dogmatiquement et à affirmer sa doctrine, soit en face du catholicisme, soit en face de l’Église luthérienne. Ce travail de fixation de la foi réformée, commencé sous l’influence de Zwingle, s’acheva sous celle de Calvin.
Zwingle et Calvin furent le Luther et le Mélanchthon de la Réforme.
Zwingle (1484-1531) fut, comme Luther, un homme d’initiative, d’action et de combat. Il montra la même résolution à rompre avec Rome et à fonder une Église nouvelle sur le double principe de l’autorité unique de la Parole de Dieu et de la justification par la foi. Mais il se montra plus radical que lui. Il appliqua avec plus de rigueur le principe du sacerdoce universel et celui de l’autorité exclusive de la Bible. Aussi remonta-t-il beaucoup plus haut dans le passé pour chercher ses modèles, et prétendit-il constituer l’Église nouvelle d’après le type des Églises apostoliques. Il n’admit ni épiscopat ni hiérarchie ; tous les pasteurs furent égaux et assistés de conseils laïques. Le culte fut réduit à, une simplicité excessive : on proscrivit même les cloches, les orgues et jusqu’au chant.
Zwingle ne fut pas seulement l’organisateur d’une Église nouvelle, il en fut le théologien. Il écrivit son Commentarius de vera et falsa religione, et nous retrouvons chez le théologien l’esprit radical du réformateur. En théologie, comme en matière d’organisation et de culte, il va plus loin que Luther dans la voie de la réaction. Il rompt plus complètement avec la tradition théologique du passé, comme avec la tradition ecclésiastique. En doctrine, comme en tout le reste, il remonte aux temps les plus primitifs. Ainsi sa notion des sacrements est fort peu sacramentelle, et il n’accorde qu’une médiocre valeur aux élaborations théologiques accomplies au sein de l’Église sur les grands dogmes chrétiens de la Trinité et de la personne de Christ. Il fait assez bon marché des symboles des grands conciles, auxquels prétendait se rattacher la foi luthérienne, et professe une sorte d’universalisme que l’on peut regarder comme une tendance au rationalisme.
Mais le grand théologien de la Réforme fut Calvin. Moins homme d’initiative que Luther et Zwingle, il rappelle Mélanchthon par certains traits de son caractère. Il fut avant tout un homme de cabinet et d’étude, un penseur et un théologien, plutôt timide que hardi, à ce qu’il dit lui-même, pacifique par inclination, mais d’une fermeté et d’un courage inébranlables dès que le devoir a parlé. Comme penseur, il déploie les mêmes qualités que comme homme. Esprit systématique, puissant génie d’organisation, il marque d’une forte empreinte d’unité et de puissance son œuvre théologique de même que son œuvre ecclésiastique.
L’Institution chrétienne, dont la première édition est datée de Bâle, 1535 (elle ne sortit de presse qu’en mars 1536), fut le grand ouvrage théologique de Calvin. Elle s’augmenta d’édition en édition, comme les Loci de Mélanchthon. La lettre à François Ier, qui la précède, lui donne le caractère d’une apologie.
Œuvre capitale, bien supérieure aux Loci de Mélanchthon et au Commentarius de Zwingle, l’Institution est l’un des monuments les plus imposants élevés par la théologie chrétienne. Elle exposait pour la première fois d’une manière systématique et complète, avec une profondeur de vues admirable, et dans une langue qui n’avait pas encore de modèles, la dogmatique de la Réforme. Ce qui frappe dans ce livre, c’est la façon magistrale, synthétique dont est construit pièce à pièce le nouvel édifice qui doit remplacer l’édifice catholique, et, en même temps, la netteté incomparable avec laquelle il pose le double principe de la Réformation, l’autorité de la Bible et la justification par la foi. — Nous relèverons, dans la théologie de Calvin, deux traits dominants :
1° Signalons-en d’abord l’idée inspiratrice et maîtresse, idée profondément religieuse, qui peut se définir ainsi : abaisser l’homme devant l’unique et souveraine majesté de Dieu, humilier sa raison devant les mystères de l’Écriture, humilier son orgueil sous le poids du péché et devant la justice et la souveraineté de Dieu ; en un mot, établir le néant de l’homme devant Dieu. A cet égard, Calvin est, plus que Luther, Mélanchthon et Zwingle, le continuateur et l’héritier direct d’Augustin. Il recommence la lutte contre le pélagianisme, sous toutes ses formes, qui exaltent les mérites de l’homme aux dépens de la libre grâce et de l’absolue souveraineté de Dieu ;
2° Joignons à cela la mysticité de Calvin. Par ce second trait, il se sépare de Zwingle et se rapproche de Luther. La profondeur mystique s’allie chez lui à la rigueur de l’esprit le plus logique qui fût jamais. On en est frappé quand on étudie sa notion du sacrement, et la manière dont il présente le dogme de la prédestination.
L’influence successive de ces deux hommes, Zwingle et Calvin, se trahit dans les divers symboles de l’Église réformée, et permet de les distinguer en deux groupes : les plus anciens, où domine l’esprit de Zwingle, et les plus récents, où domine celui de Calvin.
I. — Les symboles de la première catégorie offrent ce caractère particulier, que ce sont des confessions toutes locales, servant de drapeau religieux et théologique à l’Église d’une ville ou d’un canton, mais non à un groupe considérable et compacte d’Églises. Cela tient à l’influence du milieu politique où s’est développée la Réforme helvétique. La Suisse était une république fédérative, où chaque canton conservait son administration distincte. Chaque canton, chaque ville eut aussi sa confession de foi, comme elle eut son réformateur et sa réforme. Il n’y a, entre ces diverses réformations et leurs divers symboles d’autre lien commun que la Bible, d’autre unité que l’unité d’esprit et de principes. En Allemagne, au contraire, l’Église nouvelle forma une masse compacte et homogène, groupée autour de la grande figure de Luther, et se donna de bonne heure une confession de foi unique, celle d’Augsbourg, qui fut ensuite développée, interprétée, complétée, mais qui ne vit pas s’élever à côté d’elle de confession rivale. De même, quand la Réforme se sera plus tard constituée dans de grands pays, comme la France, l’Angleterre, les Pays-Bas, ses symboles y deviendront des symboles nationaux.
Les plus anciens symboles réformés sont la confession zwinglienne et la tétrapolitaine, envoyées à Augsbourg en 1530. Puis vint la première confession de Bâle, en 1534 ; puis la seconde (1536), appelée aussi première confession helvétique, et rédigée sous l’influence de Bucer, après un nouvel essai avorté de conciliation avec les Luthériens, au moment où se rédigeaient les articles de Smalkalde.
II. — Parmi les symboles du second groupe, où se retrouve l’influence de Calvin, qui avait succédé à celle de Zwingle, nous citerons :
- Le plus ancien de tous, la confession de Genève (1552), où se trouve exposée pour la première fois dans toute sa rigueur la doctrine calviniste de la prédestination, comme l’indique son titre : de æterna Dei prædestinatione… consensus pastorum Genevensis ecclesiæ, a J. Calvino expositus ;
- Le catéchisme de Heidelberg, rédigé en 1562, lorsque l’électeur Frédéric III eut embrassé la doctrine calviniste, et qui est une exposition beaucoup plus complète de la foi réformée ;
- La seconde confession helvétique, rédigée par Bullinger, de Zurich, à la demande du même électeur, en 1564 ;
- La confession française — confessio gallicana, — en 40 articles, rédigée en 1559, au premier synode général, tenu à Paris, et renouvelée à La Rochelle en 1571 ;
- La confession anglaise — c. anglicana, — en 39 articles, publiée sous Elisabeth (1568-1571), et qui est demeurée la règle de foi de l’Église anglicane ;
- La confession écossaise — c. scotica, — en 25 articles (1560) ;
- La confession belge — c. belgica — (1562), etc.
Parmi ces confessions, je retiendrai seulement la gallicana, ou Confession de La Rochelle, celle qui nous intéresse le plus, et je l’analyserai rapidement, en la comparant à la confession d’Augsbourg. Je relève entre ces deux symboles une triple différence.
1° La confession de La Rochelle a un caractère moins directement apologétique, et plus théologique : double signe d’une époque postérieure. Trente ans se sont écoulés depuis la diète d’Augsbourg. La Réformation est connue ; elle a fait ses preuves. Certaines accusations sont tombées d’elles-mêmes, certaines calomnies ne sont plus possibles. Aussi ne retrouvons-nous pas, dans la confession française, cette série d’articles qui, dans la confession d’Augsbourg, sont destinés à réfuter des accusations injustes, à faire justice de reproches immérités, à écarter des préjugés hostiles. De même, pendant ces trente années, un certain travail théologique s’est accompli. L’Institution de Calvin a paru, et a donné à la doctrine protestante une forme plus précise, plus complète, plus scientifique. De là une plus grande précision dogmatique, un ensemble plus complet, une plus grande part faite à l’élément théologique.
2° Le plan et l’ordonnance générale diffèrent dans les deux confessions. Il y a d’abord une diversité toute de forme. La confession d’Augsbourg se divisait en deux parties : une exposition, en 21 articles, et une polémique contre les erreurs que l’on repoussait, en 7 articles. Nous ne retrouvons pas cette division dans la confession de La Rochelle. La polémique y est mêlée à l’exposition. A propos de chaque article important, la condamnation de l’erreur contraire, professée, soit par les anciens hérétiques, soit par l’Église romaine, soit par les sectaires désavoués par la Réforme, suit immédiatement l’exposition de la doctrine de l’Église. — Mais à cette diversité tout extérieure, et par cela même secondaire, s’en ajoute une autre plus importante, qui touche au fond des choses, et qui trahit la divergence générale de point de vue que nous avons déjà signalée entre les deux Églises. La confession d’Augsbourg prenait pour centre de son exposition la doctrine de la justification par la foi. Tout convergeait vers l’article IV, où cette doctrine est affirmée. Ce qui précède en établissait les fondements et les prémisses ; ce qui suit en développait les conséquences. On reconnaît là la prédominance du principe matériel, que nous avons constatée comme un des caractères distinctifs de l’Église luthérienne. Tout autre est la disposition de la confession de La Rochelle. Elle prend pour point de départ Dieu et sa Parole ; puis elle expose tout ce qu’enseigne la Parole de Dieu sur Dieu lui-même, sur l’homme, le monde, le péché, le salut et l’Église. On voit ici la prédominance du principe formel. — Ajoutons que la confession de La Rochelle, comme celle d’Augsbourg, et plus encore que celle d’Augsbourg, cite à chaque instant la Bible : pas une phrase, pas une ligne, pas un mot qui ne soit justifié par un texte biblique indiqué en note après chaque article.
3° Les deux confessions diffèrent enfin par la place considérable que tient, dans la confession française, la doctrine de la prédestination, laquelle est à peu près absente de la confession allemande. Non seulement elle y est formellement accusée, mais encore elle fait partie intégrante du plan du salut, tel que l’exposent les théologiens calvinistes, qui partent du point de vue de Dieu et non du point de vue de l’homme. C’est un anneau essentiel dans l’enchaînement de leur système.
Parcourons rapidement la confession elle-même, pour justifier ces remarques générales.
Art. IV : Nous reconnaissons que ces livres sont canoniques et la règle très certaine de notre foi, non pas tant par le commun accord et le consentement de l’ Église, que par le témoignage et la persuasion intérieure du Saint-Esprit, qui nous les fait distinguer des autres livres ecclésiastiques sur lesquels, bien qu’ils soient utiles, on ne peut fonder aucun article de foi.
Art. VI : Cette Écriture Sainte nous enseigne qu’en cette seule et simple essence Divine, que nous avons confessée, il y a trois Personnes, le Père, le Fils, et le S. Esprit. Le Père, première cause, principe et origine de toutes choses. Le Fils, sa Parole et Sapience éternelle. Le S. Esprit, sa vertu, puissance et efficace. Le Fils éternellement engendré du Père. Le S. Esprit procédant éternellement de tous deux ; les trois Personnes non confuses, mais distinctes, et toutefois non divisées, mais d’une même essence, éternité, puissance, et égalité. Et en cela avouons ce qui a été déterminé par les Conciles Anciens, et détestons toutes sectes et hérésies qui ont été rejetées par les saints Docteurs, comme S. Hilaire, S. Athanase, S. Ambroise, et S. Cyrille.
Art. XXVII : … Nous disons donc suivant la Parole de Dieu, que c’est la compagnie des fidèles, qui s’accordent à suivre cette Parole, et la pure Religion qui en dépend, et qui profitent en elle tout le temps de leur vie, croissant et se confirmant en la crainte de Dieu, selon qu’ils ont besoin de s’avancer et de marcher toujours plus outre. Même quoiqu’ils s’efforcent, qu’il leur convient avoir incessamment recours à la rémission de leurs péchés, néanmoins nous ne nions point que parmi les fidèles il n’y ait des hypocrites et réprouvés, desquels la malice ne peut effacer le titre d’Église.
Art. XXXIV : Nous croyons que les Sacrements sont ajoutés à la Parole pour plus ample confirmation, afin de nous être gages et méreaux de la grâce de Dieu, et par ce moyen aider et soulager notre foi, à cause de l’infirmité et rudesse qui est en nous ; et qu’ils sont tellement signes extérieurs, que Dieu opère par eux en la vertu de son Esprit, afin de ne nous y rien signifier en vain ; toutefois nous tenons que toute leur substance et vérité est en Jésus-Christ ; et si on les en sépare, ce n’est plus rien qu’ombrage et fumée.
Art. XXXV : Nous en confessons seulement deux, communs à toute l’Église, desquels le premier, qui est le Baptême, nous est donné pour témoignage de notre adoption ; parce que là nous sommes entés au Corps de Christ, afin d’être lavés et nettoyés par son Sang, et puis renouvelés en sainteté de vie par son Saint Esprit. Nous tenons aussi, bien que nous ne soyons baptisés qu’une fois, que le profit qui nous est là signifié s’étend à la vie et à la mort, afin que nous ayons une signature permanente, que Jésus-Christ nous sera toujours justice et sanctification. Or bien que ce soit un Sacrement de Foi et de Pénitence, néanmoins parce que Dieu reçoit en son Église les petits enfants avec leurs Pères, nous disons que par l’autorité de Jésus-Christ les petits enfants engendrés des fidèles doivent être baptisés.
Art. XXXVI : Nous confessons que la sainte Cène (qui est le second Sacrement) nous est témoignage de l’union que nous avons avec Jésus-Christ ; d’autant qu’il n’est pas seulement une fois mort et ressuscité pour nous, mais aussi nous repaît et nourrit vraiment de sa chair et de son Sang, à ce que nous soyons un avec lui, et que sa vie nous soit commune. Or bien qu’il soit au Ciel jusques à ce qu’il vienne pour juger tout le monde ; toutefois nous croyons que par la vertu secrète et incompréhensible de son Esprit il nous nourrit et vivifie de la substance de son Corps et de son Sang. Nous tenons bien que cela se fait spirituellement, non pas pour mettre au lieu de l’effet et de la vérité, imagination ni pensée ; mais d’autant que ce mystère surmonte en sa hautesse la mesure de notre sens, et tout ordre de nature. Bref, pour ce qu’il est céleste, ne peut être appréhendé que par Foi.
Art. XXXVII : Nous croyons (ainsi qu’il a été dit) que tant en la Cène qu’au Baptême, Dieu nous donne réellement et par effet ce qu’il y figure. Et partant nous conjoignons avec les signes la vraie possession et jouissance de ce qui nous est là présenté. Et par ainsi, tous ceux qui apportent à la table sacrée de Christ une pure foi comme un vaisseau, reçoivent vraiment ce que les signes y testifient ; c’est que le Corps et le Sang de Jésus-Christ ne servent pas moins de manger et boire à l’âme, que le Pain et le Vin font au Corps.
Art. XXXVIII : Ainsi nous tenons que l’eau étant un élément caduc, ne laisse pas de nous testifier en vérité le lavement intérieur de notre âme au Sang de Jésus-Christ, par l’efficace de son Esprit, et que le Pain et le Vin nous étant donnés en la Cène nous servent vraiment de nourriture spirituelle, d’autant qu’ils nous montrent comme à l’œil, la chair de Jésus-Christ nous être notre viande, et son sang notre breuvage. Et rejetons les Fantastiques et Sacramentaires, qui ne veulent point recevoir tels signes et marques, vu que notre Seigneur Jésus prononce, Ceci est mon Corps, et Cette Coupe est mon Sang.
Les cinq premiers articles posent le point de départ : Dieu et sa Parole. L’article Ier affirme le Dieu unique, infini, tout-puissant, tel que nous pouvons le connaître seul. L’article II affirme que ce Dieu s’est révélé par sa Parole, et les trois articles suivants sont consacrés à cette Parole : livres dont elle se compose (art. III) ; son inspiration et ses preuves (art. IV) ; son autorité souveraine (art. V).
Voilà le fondement posé, le point de départ solidement établi par l’affirmation du principe formel du protestantisme. Il ne reste plus qu’à ouvrir la Bible, et à recueillir ses enseignements : sur Dieu et la Trinité (art. VI) ; sur la Création, et, en particulier, les anges et les démons (art. VII) ; sur la Providence et le problème du mal (art. VIII ) ; enfin, sur l’homme, son origine, sa destination, sa chute (art. IX), et les conséquences de sa chute, savoir : le péché originel (art. X) et la condamnation qui pèse sur le genre humain (art. XI).
« Nous croyons que de cette corruption et condamnation générale, en laquelle tous hommes sont plongés, Dieu retire ceux lesquels en son Conseil éternel et immuable il a élus par sa seule bonté et miséricorde… » (art. XII). Ainsi, la prédestination, l’élection divine est considérée comme le fondement du salut. C’est seulement après cet article que vient l’exposition de la doctrine du salut en Jésus-Christ.
L’article XIII affirme sommairement le fait ; les articles XIV et XV traitent de la personne de Jésus-Christ, les articles XVI-XIX, de son œuvre rédemptrice, et les articles suivants, de l’application de cette œuvre par la foi. C’est la foi qui justifie (art. XX). Elle vient du Saint-Esprit, que Dieu donne à qui bon lui semble, non seulement pour faire entrer les élus au bon chemin, mais pour les y faire persévérer jusqu’au bout (art. XXI). La foi régénère et sanctifie ; c’est elle qui produit les bonnes œuvres (art. XXII). Les figures de la loi ont pris fin (art., XXIII). Il n’y a pas d’autre intercession que celle de Jésus-Christ, et l’on rejette toutes les erreurs catholiques qui contredisent ce fait (art. XXIV).
Les art. XXV à XXXVIII contiennent la doctrine de l’Église et des sacrements : utilité et nécessité de l’Église, quoique Dieu puisse agir sans de tels aides, ou moyens inférieurs (art. XXV) ; condamnation des sectaires (art. XXVI) ; définition de l’Église (art. XXVII) et condamnation de l’Église romaine (art. XXVIII) ; nécessité du saint Ministère et de la discipline (art. XXIX-XXXIII) ; les sacrements (art. XXXIV), le baptême (art. XXXV), la sainte Cène (art. XXXVI), les grâces attachées aux sacrements (art. XXXVII-XXXVIII).
Enfin, les art. XXXIX et XL établissent la nécessité de la police civile et de la soumission aux gouvernements établis. Relevons-y cette affirmation, que Dieu « a mis le glaive en la main des magistrats, pour réprimer les péchés commis, non seulement contre la seconde table des commandements de Dieu, mais aussi contre la première ».
Tel est, en abrégé, ce document, l’un des plus remarquables de l’histoire des dogmes, dont on dit beaucoup de mal sans le connaître suffisamment. On y sent la main magistrale de Calvin. Il forme un ensemble très complet, très fortement enchaîné, très conséquent, où l’on peut relever tout à la fois une grande hardiesse et, sur certains points, une grande réserve. Par ces qualités diverses, la confession de La Rochelle rappelle l’Institution chrétienne.
Après cette première période, pendant laquelle l’Église réformée a formulé sa foi et s’est dogmatiquement constituée, commence, pour elle comme pour l’Église luthérienne, la période des controverses théologiques (sans parler de la controverse sur la sainte Cène, toujours pendante entre les deux Églises). Mais, tandis que les controverses, au sein du luthéranisme, se rattachent toutes à la doctrine de la justification par la foi, centre de la théologie de Luther, les controverses au sein de l’Église réformée — moins nombreuses et moins compliquées, — ont spécialement pour objet la doctrine de la prédestination, qui est la doctrine caractéristique du calvinisme. Et, ici comme dans l’Église luthérienne, le résultat fut une fixation plus rigoureuse de la doctrine dans deux nouvelles confessions de foi : le Consensus helvétique de 1675, et les Articles de Dordrecht, qui furent pour l’Église réformée ce que furent, pour l’Église luthérienne, la formule de Concorde et les articles de 1592. — Ici également, nous retrouvons en présence deux tendances, qui rappellent les deux partis que nous avons signalés dans l’Église luthérienne : une tendance large, modérée, favorable à la conciliation et à l’union entre les Églises séparées de Rome, et une tendance étroite, rigide et sectaire, plus calviniste que Calvin lui-même. Ce fut cette dernière qui l’emporta.
Nous dirons seulement un mot de la controverse qui provoqua le synode et les articles de Dordrecht, et qui agita profondément les Pays-Bas, pendant les premières années du xviie siècle.
Un professeur de l’université de Leyde, nommé Gomar, enseignait la double prédestination, au sens le plus rigoureux et le plus absolu. C’est ce qu’on nommait la doctrine supralapsaire. Cette doctrine fut attaquée par un autre docteur, Arminius. Celui-ci soutint : l’infralapsarisme (c’est-à-dire le décret de prédestination rendu seulement après la chute d’Adam), l’universalisme du salut, la prédestination conditionnelle et une conception quelque peu pélagienne de la grâce. Aussitôt se formèrent deux partis, celui des Gomaristes et celui des Arminiens (ou Remontrants, parce que, en 1620, ils présentèrent aux Etats de Hollande une justification sous le nom de remontrance). Les Arminiens, outre leurs idées sur la prédestination et la grâce, avaient aussi le tort, aux yeux des Gomaristes, de représenter des tendances unionistes analogues à celles du parti philippiste en Allemagne. Leur programme était l’union de toutes les Églises séparées de Rome — même les Grecs, — sur la base commune d’une confession de foi composée des articles essentiels suffisants pour le salut. Par là, les Arminiens tenaient à peu près le milieu entre Mélanchthon et Calixte.
Ce qui rendit la lutte plus vive encore et plus passionnée, c’est qu’il s’y mêla des rivalités politiques. Les Gomaristes étaient du parti du prince d’Orange, les Arminiens étaient républicains. C’est ce qui explique l’agitation universelle et profonde que cette controverse suscita dans les Pays-Bas. Pour faire cesser cette agitation, les Etats généraux provoquèrent l’examen et la solution par un synode de la question controversée. Le synode se réunit à Dordrecht en 1618. La doctrine arminienne y fut condamnée, et la doctrine calviniste de la prédestination fut sanctionnée. Toutefois, le supralapsarisme ne fut pas formulé. Les décisions du synode furent rendues obligatoires par les Etats généraux, et tous les fonctionnaires de l’Église qui refusèrent de les signer furent bannis.
Du reste, les articles de Dordrecht ne furent acceptés comme règle de foi qu’en Hollande et en France, où ils furent adoptés, deux ans plus tard, par le synode général d’Alais, en 1620. De là les disputes et les controverses qui surgirent en France, lorsqu’un professeur de l’académie de Saumur, Moïse Amyraut, se mit à enseigner ce qu’il appelait l’universalisme hypothétique. Tandis que la doctrine calviniste, sanctionnée à Dordrecht, restreignait la vertu rédemptrice de la mort de Christ aux seuls élus, Amyraut étendait cette vertu à tous les hommes. D’après lui, la grâce est universelle, comme le péché, en ce sens qu’elle est offerte à tous ; mais elle est conditionnelle, en ce sens qu’il faut avoir la foi pour la recevoir : « Si vous considérez le soin que Dieu a eu de procurer le salut au genre humain par l’envoi de son fils au monde, et les choses qu’il y a faites et souffertes à cette fin, la grâce est universelle et présentée à tous les hommes. Mais si vous regardez à la condition qu’il y a nécessairement apposée, de croire en son Fils, vous trouverez qu’encore que ce soin de donner aux hommes un Rédempteur procède d’une merveilleuse charité envers le genre humain, néanmoins cette charité ne passe pas cette mesure, de donner le salut aux hommes, pourvu qu’ils ne le refusent pas ; s’ils le refusent, il leur en ôte l’espérance, et eux par leur incrédulité aggravent leur condamnation. » (Traité de la prédestination, Saumur, 1634).
Amyraut admet deux prédestinations, l’une universelle, dont tous les hommes sont l’objet, en tant que virtuellement et conditionnellement sauvés, l’autre particulière, qui m’embrasse que les élus et qui est la prédestination à la foi. Il semble, dès lors, que le particularisme reparaît. Mais Amyraut ajoute qu’on peut croire sans être prédestiné à la foi, sans avoir reçu une grâce spéciale, et même en dehors de la connaissance historique du christianisme. — Amyraut fut cité devant les deux synodes d’Alençon (1637) et de Charenton (1644). On trouva ses explications suffisantes, mais on défendit de s’occuper à l’avenir de ces questions.
Ces controverses et cette fixation plus rigoureuse du dogme calviniste, qui en fut la suite, eurent les mêmes caractères et amenèrent les mêmes résultats dans l’Église réformée que dans l’Église luthérienne. Elles aboutirent au règne d’une orthodoxie intolérante. La juste limite fut dépassée. On alla plus loin que la Bible et l’on imposa, comme articles de foi religieuse, les formules humaines de la théologie : abus d’autant plus regrettable qu’on s’attachait davantage aux questions les plus difficiles et les plus insolubles. Et de plus, dans les pays où l’Église réformée eut le pouvoir politique, en Hollande, en Angleterre et en Suisse, on érigea les articles de foi fixés par les théologiens en lois de l’État, avec des peines civiles pour sanction.
Ce résultat fut moins sensible en France, surtout parce que l’Église réformée n’y posséda jamais le pouvoir. La tolérance et la liberté scientifique y furent plus grandes que dans les contrées où l’orthodoxie eut le gouvernement civil pour allié. Plusieurs académies, celles de Saumur, de Sedan, de Montauban et de Nîmes, brillèrent au xviie siècle d’un assez vif éclat. Il faut citer surtout les noms d’Amyraut, de L. Cappel, de Du Moulin, de Chamier, de Samuel Petit. Saumur représentait une tendance plus indépendante, plus large ; les autres académies, une orthodoxie calviniste plus étroite. Ce fut le cas surtout pour Sedan, où les nouveautés d’Amyraut et de ses collègues rencontrèrent l’opposition la plus vive. Il y eut, entre ces diverses écoles théologiques, une lutte, une émulation, une initiative et une activité scientifiques, d’où sortirent de nombreux et importants travaux historiques, critiques, dogmatiques ou polémiques, trop peu connus parmi nous.
En outre, malgré l’adhésion générale aux articles de Dordrecht, la confession de La Rochelle demeura, en fait, la seule autorité au sein de la Réforme française, et, comme elle était moins absolue, l’orthodoxie qui se réclama d’elle fut moins étroite.
La situation n’était pas la même en Angleterre, où le protestantisme était devenu, comme en Allemagne, une religion d’État privilégiée et toute puissante, ayant à sa tête une hiérarchie riche et mondaine. Là, comme en Allemagne, s’établit le règne d’une orthodoxie formaliste et sans vie, qui finit par renier dans la pratique les deux grands principes de la Réforme et les réduisit à n’être plus qu’une lettre morte. Les formules de la théologie officielle avaient remplacé la Bible et étaient imposées comme articles de foi, sous des peines civiles. Et la foi elle-même n’était plus qu’une stérile croyance intellectuelle. Le mouvement scientifique s’était arrêté et la vie religieuse affaiblie. Un réveil était devenu nécessaire.
Il se produisit, en effet, au commencement du xviiie siècle. G. Whitefield et les deux frères Wesley (Jean et Charles) furent les promoteurs de ce mouvement, qui rappelle à quelques égards le mouvement piétiste d’Allemagne et qui aboutit, comme lui, à la fondation d’une Église nouvelle, l’Église méthodiste. Celle-ci offre plus d’une ressemblance avec l’Église morave. C’est la même importance attribuée de part et d’autre à l’organisation intérieure, avec certains détails analogues : ainsi, les classes méthodistes ressemblent aux chœurs moraves. C’est aussi le même zèle missionnaire. C’est enfin une influence du même genre exercée sur la théologie. Le méthodisme ramenait, comme l’Église de l’Unité des frères, toute la doctrine chrétienne à la doctrine du pardon gratuit par le sang versé sur la croix. En outre, il répandait quelques idées particulières sur la conversion, à propos de laquelle il favorisait une certaine mise en scène, et sur la sanctification qu’il voulait, et prétendait pouvoir être, parfaite. Ajoutons qu’il se manifesta une divergence de vues entre Whitefield et Wesley à propos de la prédestination. Whitefield demeura strictement calviniste ; Wesley inclina vers l’arminianisme. — Le méthodisme rendit de grands services à la cause du règne de Dieu et exerça une influence salutaire et vivifiante sur la dogmatique officielle. De plus, au moment de la grande défection de la période suivante, il fut le seul représentant de l’Évangile en Angleterre, comme les Moraves en Allemagne.
Ainsi, le développement dogmatique des deux grandes Églises protestantes est parallèle et passe par des phases successives analogues : fixation de la doctrine dans des confessions de foi plus précises que les premières, à travers certaines controverses ; puis, règne d’une orthodoxie immobile et formaliste, et enfin, réaction salutaire, enfantant des Églises nouvelles, qui seront le seul asile de la foi et de la vie chrétienne dans la période suivante.