Fils de l’homme ; — Fils de Dieu ; — Seigneur ; — Christ.
Passant à d’autres données du témoignage évangélique, nous nous arrêterons d’abord aux noms de Fils de l’homme, de Fils de Dieu, de Seigneur, de Christ, sous lesquels le Sauveur est si généralement désigné, en les envisageant dans l’ensemble des caractères ou des attributs qu’y attachent les Livres saints.
Les noms de Fils de l’homme et de Fils de Dieu réunis semblent donner immédiatement la doctrine générale de l’Église sur la double nature de Jésus-Christ, et confirmer les résultats de nos précédentes recherches, en particulier ceux que nous avons vu ressortir du κατα σαρκα.
Fils de l’homme. — Ce titre se trouve au moins quatre-vingts fois dans les Évangiles, une seule fois dans les Actes, et nulle part dans les Épîtres, mais il revient dans l’Apocalypse. C’est le nom que Jésus-Christ prend lui-même de préférence, soit pour se désigner à la troisième personne, selon l’usage oriental, comme l’ont supposé quelques interprètes ; soit pour montrer en lui l’idéal de l’hommeb, (opinion vers laquelle diverses causes font pencher aujourd’hui) ; soit par humilité, comme on l’a pensé plus généralement ; soit par d’autres raisons que nous ne pouvons connaître parce qu’elles ne sont pas indiquées.
b – Reuss, Hist. de la théol. chrét.
Ce nom, tout humble qu’il est, emporte dans ses applications à Jésus-Christ des caractères d’une grandeur surhumaine. Le Fils de l’homme est maître du Sabbat, les anges de Dieu le servent ; il est descendu du Ciel ; c’est lui qui opérera la résurrection et le jugement. En comparant Matthieu 26.64 ; 24.30 ; Luc 22.69 avec Daniel 7.13-14, on a la première origine de ce nom et la raison pour laquelle il avait dû devenir une des appellations du Messie.
Quoique ce nom fût un de ceux sous lesquels on désignait le Messie, il était, ce semble, peu usité parmi les Juifs (Jean 12.34). C’est peut-être une des raisons qui portèrent Jésus-Christ à l’adopter, lorsqu’il ne voulait pas se donner ouvertement pour le Messie…
Le titre de Fils de l’homme, avec les attributs et les actes qui s’y rattachent, dépasse en bien des sens l’interprétation fort répandue de nos jours qui n’y veut voir que l’intention de Jésus-Christ de se présenter comme l’homme idéal ou normal. Si quelques applications de ce titre peuvent se prêter ou se plier à cette vue, ce n’est que de loin. En général, ce titre, considéré dans l’ensemble de circonstances qui le déterminent, exprime, éveille un tout autre ordre d’idées. Qu’il implique et constate, malgré ses grandeurs, un rapport intime avec l’humanité, c’est évident ; mais il ne l’est pas moins qu’il le fait en opposition ou en relation secrète avec le titre de Fils de Dieu. Et le plus sûr est de se tenir à cette antithèse qui existe à la surface comme au fond des choses. Elle est la même, si je ne me trompe, que celle de κατα σαρκα dans les Épîtres. L’esprit du Nouveau Testament est que Jésus-Christ est le Fils de Dieu devenu le Fils de l’homme, par amour, et non le Fils de l’homme devenu, par sa sainteté, le Fils de Dieu : fait capital, qui ressort de partout et qui, une fois reconnu, coupe court à l’un des grands courants de la nouvelle théologie.
Fils de Dieu. — Le nom de Fils de Dieu, comme désignation du Messie, était d’un emploi plus général. (Matthieu 26.65 ; 16.15). Je crois, dit Marthe, (Jean 11.27) que tu es le Christ, le Fils de Dieu qui devait venir au monde. (Cf. Jean 1.49). Ce titre avait pu se former de Psaumes 2.7-9 ; Ésaïe 9.5-6 que les anciens Juifs rapportaient au Messie.
Le nom de Fils de Dieu, υιος Θεου, pris seul et indépendamment des caractères qui l’accompagnent quand il est appliqué à Jésus-Christ, ne déciderait rien sur sa nature ; car il est donné aux anges, aux magistrats, aux adorateurs du vrai Dieu, par opposition aux idolâtres (et, en conséquence, au peuple d’Israël tout entier), et, plus particulièrement, aux chrétiens fidèles… Ce terme peut se ramener à trois acceptions principales. Il marque 1° un rapport de création : ainsi Adam est appelé fils de Dieu (Luc 3.38) comme étant sorti immédiatement de ses mains, et le genre humain est la race de Dieu (Actes 17.29) ; 2° un rapport de ressemblance morale (Matthieu 5.9, 45 ; 2 Corinthiens 6.18), la régénération étant une sorte de génération spirituelle (nouvelle naissance, nouvelle création) ; 3° un rapport d’adoption qui, à certains égards, se confond avec le précédent et, à d’autres égards, s’en distingue (Galates 6.5 ; 1 Jean 3.1-2). Un homme quelconque peut donc être appelé fils de Dieu sous l’un de ces rapports ou sous tous ensemble.
Mais le nom de Fils de Dieu est donné à Jésus-Christ dans des acceptions ou avec des attributions toutes spéciales ; et c’est de là qu’il tire son importance dogmatique.
a) Il lui est appliqué en raison de sa naissance miraculeuse (Luc 1.35).
b) Il le désigne comme Messie, avec les caractères surhumains sous lesquels le Messie est annoncé par les prophètes. Aussi ce nom, consacré parmi les Juifs comme désignation du Christ, se joignait déjà chez eux à des idées de divinité. Ils accusent Jésus de blasphémer pour se l’être donné. Ils veulent le faire mourir, parce qu’il disait que Dieu était son propre Père (πατερα ιδιον), se faisant égal à Dieu… C’est aussi avec une auréole divine que se montre dans Philon le Fils de Dieu, le Λογος, de même que dans les écrits rabbiniques et cabalistiques, la Mimrah, la Schekinah.
c) Le nom de Fils de Dieu est surtout donné à Jésus-Christ en raison de ses mystérieux rapports avec le Père. En tant que Fils, il est la manifestation de Dieu, la splendeur de sa gloire απαυγασμα της δοξης αυτου, l’expression ou la représentation de son essence (χαρακτηρ της υποστασεως) (Hébreux 1.2-3) ; il est l’image du Dieu invisible, aussi est-il le Fils, ο Υιος, dans un sens supérieur et absolu qui n’appartient qu’à lui. Il est le Fils unique qui était dans le sein du Père… Comme Fils, il a la vie en lui-même et il la donne. Lui seul connaît le Père et le Père seul le connaît (Matthieu 11.27 ; Luc 10.22 ; etc.) Tout ce que le Père fait, le Fils le fait également. Il est un avec le Père. Toute la plénitude de la Divinité habite en lui (Colossiens 1.19) ; il a pu dire : Celui qui m’a vu a vu le Père (Jean 14.9).
Le nom de Fils de Dieu devient un des noms propres du Sauveur, comme celui de Christ et d’autres encore qui étaient d’abord purement appellatifs. Aussi, quoiqu’il le désigne surtout dans sa nature supérieure, il ne le fait pourtant pas d’une manière absolue et exclusive. Il s’applique à sa personne entière dans son office de Médiateur. Il le caractérise en tant que Θεανθρωπος, et peut, par conséquent, lui être donné dans des circonstances où n’apparaît que sa nature inférieure, de même que le titre de Fils de l’homme s’unit en lui à des attributs et à des actes divins, quoiqu’il marque spécialement son humanité…
On a dit que dans les Synoptiques Jésus-Christ ne se donne nulle part le titre de Fils de Dieu, et l’on conclut de là que c’est d’après ses idées propres que l’auteur du 4e Évangile le lui fait prendre si souvent. — Mais, dans les Synoptiques, Jésus-Christ s’appelle fréquemment le Fils, ο Υιος, en ce sens élevé que le nom de Fils de Dieu emporte dans l’Évangile selon saint Jean. Ainsi Matthieu 11.27 ; Luc 10.22 : Nul ne connaît le Fils, etc. ; Matthieu 21.37 : Il leur envoya son propre fils… ; Matthieu 26.65, où il répond à Caïphe qui l’adjure de déclarer s’il est le Christ, le Fils de Dieu ; Matthieu 27.43, où le peuple rappelle qu’il s’est dit le Fils de Dieu. Et puis Matthieu 16.16 ; Luc 4.9 ; Marc 13.32, etc., où il accueille visiblement ce titre que lui donnent et saint Pierre et le Tentateur et les démons qu’il expulse.
On a dit encore qu’en tout cas dans les Synoptiques le rapport que ce nom révèle entre Jésus-Christ et Dieu a une base essentiellement éthique, du même genre que celle que fonde la régénération, et que le 4e Évangile seul le fait porter sur une base métaphysique. — Mais les textes ci-dessus, en particulier Matthieu 11.27 ; 21.37 ; 26.65, indiquent manifestement une relation de nature, et non pas uniquement une relation morale.
C’est un de ces sujets, entre mille, où se montrent les abus de la manie actuelle, qui fait chercher dans chaque auteur et dans chaque livre du Nouveau Testament une théologie et une christologie particulières, passant souvent à pieds-joints sur les données les plus expresses ou les vaporisant, afin de mieux accentuer les différences. L’histoire de ce qui est sorti de là depuis un demi-siècle serait aussi curieuse qu’instructive. Laissons cette tendance suivre son cours, bien convaincus qu’elle se discréditera d’elle-même, avec les découvertes qu’elle prône un jour et qu’elle renverse le lendemain. Partant d’un fait parfaitement vrai, les diversités d’intention et d’exposition des Livres saints, elle en méconnaît un autre non moins certain, leur unité foncière. Elle coule le moucheron et avale, etc.
Le nom de Fils de Dieu, étudié dans toute l’étendue des applications qu’en font nos auteurs sacrés, dans l’ensemble de caractères, d’actes, d’attributs qu’ils y attachent, suffirait presque, à lui seul, pour fonder le dogme ecclésiastique relativement à la personne de Jésus-Christ.
Seigneur. — Pris seul, le titre de Seigneur, Κυριος, ne fournirait non plus ni lumières positives, ni preuves formelles. C’est, dans l’Écriture comme ailleurs, une expression de respect, dont les inférieurs se servent vis-à-vis de leurs supérieurs à tous les degrés de la hiérarchie sociale. Les domestiques l’emploient envers leurs maîtres, les femmes envers leurs maris. C’est même quelquefois une simple formule de politesse. Il est, çà et là, donné à Jésus-Christ dans cette acception commune (Jean 4.11, la Samaritaine lui dit : Seigneur, tu n’as rien pour puiser, etc. et Jean 5.1, le malade lui dit : Seigneur, je n’ai-personne, etc.). Mais ce mot a reçu une acception spéciale et supérieure dans l’ordre religieux. Les LXX l’ont employé pour rendre ceux d’Adonaï, El, Elohim, et surtout celui de Jéhovah. Les écrivains du Nouveau Testament, dont le grec s’est formé à bien des égards sur celui des LXX, ont fait de même. Ainsi Κυριος est devenu synonyme de Θεος et il est mille fois appliqué à Jésus-Christ dans cette haute signification…
On ne saurait mettre en doute que les auteurs du Nouveau Testament appliquent le nom de Seigneur à Jésus-Christ dans cette acception élevée où il n’appartient chez eux qu’à l’Être suprême, de la même manière qu’ils lui appliquent, sans hésitation, des passages qui se rapportent à Jéhovah dans l’Ancien Testament. Ils appellent Jésus-Christ le Seigneur de toutes choses (Actes 10.36), le Seigneur des Seigneurs (Apocalypse 17.14), notre Dieu et Seigneur (Jude 1.4). Deux traits méritent d’être surtout notés à ce sujet : 1° Nos auteurs sacrés environnent ce nom de Seigneur de caractères et d’actes divins en le donnant à Jésus-Christ. 2° En plusieurs endroits, on ne sait si c’est à Dieu ou à Jésus-Christ qu’il se rapporte dans leur pensée, et les interprètes se partagent.
Quant au premier fait, savoir les attributs de divinité qu’ils rattachent au nom de Seigneur en le donnant à Jésus-Christ, les exemples en sont innombrables. Il est dit qu’un grand nombre de personnes crurent et se convertirent à lui (Actes 11.21), qu’on lui recommandait les anciens (Actes 14.23), que plusieurs fois il apparut à saint Paul, lui promettant d’être avec lui et de le garder… Saint Paul invoque le nom du Seigneur ; il le prie par trois fois de le délivrer d’une affection particulière ; il lui demande de faire croître et abonder les Thessaloniciens dans la charité ; il le supplie de faire miséricorde à la famille d’Onésiphore, d’être avec Timothée. Il bénit constamment les Églises, — ainsi que le font d’ailleurs les autres apôtres, — de la part du Seigneur Jésus aussi bien que de la part de Dieu le Père. On pourrait multiplier indéfiniment les citations. C’est là une des données ou des formes les plus prononcées du langage et de l’enseignement apostolique.
Quant au second fait, quiconque a étudié les Actes et les Épîtres avec quelque soin sait combien il s’y rencontre de passages où il est douteux si l’écrivain sacré, en nommant le Seigneur, a en vue Dieu ou Jésus-Christ. Qu’on examine Romains 14.6-14 où le nom de Seigneur se rapporte tantôt à Christ (v. 6-9), tantôt à Dieu (v. 11), et où « comparaître devant le tribunal de Christ » c’est rendre compte à Dieu… Il en est du titre de Seigneur dans les Épîtres de saint Pierre et de saint Paul, comme de l’emploi du pronom dans celles de saint Jean. Dans 1 Jean 2.3-4, le αυτον peut également se rapporter au Fils ou au Père, et il en est de même dans d’autres cas. En prenant le titre de Seigneur comme le nom propre de Jésus-Christ dans l’ordre divin (ainsi que l’indiqueraient quelques textes de saint Paul : 1 Corinthiens 8.6 ; 12.5 ; Éphésiens 4.5) et en le lui appliquant toutes les fois que rien ne constate qu’il doit être rapporté au Père, le doute, l’embarras critique diminué ; mais on a alors un nombre croissant de passages qui établissent le fait précédent, savoir que ce nom, en tant que donné à Jésus-Christ, emporte avec lui des caractères formels de divinité.
Si Jésus-Christ est Dieu, si le Fils et le Père sont un, il n’y a rien d’étonnant dans cette confusion de titres qui fait hésiter les interprètes ; il reste des difficultés et des incertitudes exégétiques, mais aucune difficulté, aucune incertitude dogmatique, aucun danger d’erreur sérieuse. Tandis qu’avec l’opinion unitaire, quelle qu’on la fasse, tout est étrange dans cette application du nom de Seigneur à Jésus-Christ, tout y est en opposition avec l’esprit de la révélation évangélique, dont un des objets prédominants était de renverser le polythéisme.
Christ. — Une autre particularité du langage sacré, tout aussi remarquable que les précédentes, c’est l’emploi du nom de Christ dans les formules de la foi et de la piété… Le nom de Christ tient dans le Nouveau Testament la même place que le nom de Jéhovah dans l’Ancien. Tout se fait au nom du Seigneur Jésus. Le baptême, consécration solennelle de l’homme à Dieu, s’administre en son nom comme au nom du Père (Matthieu 28.19). Il n’est même mentionné que le nom de Christ dans les Actes et dans les Épîtres, quoique tout annonce que la formule d’institution s’était partout conservée dans l’Église. Porter le nom de Christ parmi les hommes, rendre témoignage à son nom est le but du ministère apostolique. C’est en son Nom que s’opèrent les miracles. Croire en son Nom est la condition fondamentale du salut. Le pardon, la vie éternelle, toutes les bénédictions célestes s’obtiennent en son Nom… L’obéissance évangélique consiste à agir en son Nom (1 Corinthiens 5.4). Invoquer son Nom, c’est le caractère distinctif et constitutif du Christianisme (οι επικαλουμενοι το ονομα του Χριστου). On voit que tous les attributs du grand nom de Jéhovah environnent le nom de Christ ; tous les sentiments et les actes religieux s’y rattachent.
On a distingué l’expression εν τω ονοματι, correspondant à l’hébreu bachem, de l’expression εις το ονομα correspondant à lachem. La première marque le principe de l’action, la force par laquelle elle s’opère. Ainsi Psaumes 20.5 : Nous marchons à enseignes déployées au nom de notre Dieu (bachem), c’est-à-dire appuyés sur son secours. De même Actes 3.6 : Au nom de Jésus de Nazareth, c’est-à-dire par sa puissante intervention (εν τω ονοματι), lève toi et marche… La seconde expression marque l’objet de l’action. Ainsi Ésaïe 26.8 : C’est vers ton Nom (lachem) que tend le désir de notre âme… De même Matthieu 28.19 : Les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, c’est-à-dire les consacrant à ce Nom trois fois saint (εις το ονομα). Les deux formules sont appliquées à Jésus-Christ dans bien d’autres textes… On trouve aussi επι τω ονοματι (Actes 2.38) et υπερ του ονοματος (Actes 5.41)…
L’adoration et l’obéissance spirituelle, tout ce qui constitue le culte religieux, s’attache donc au nom de Christ, de la même manière qu’au nom de Jéhovah. De là, pour la raison théorique et pratique, de là, par la dialectique des choses, la divinité du Rédempteur, dans le sens, absolu. Autrement, comment serait-il ainsi l’espoir de ses disciples, leur recours, leur appui, leur force en tout temps, en tout lieu, en tout état ? Comment l’Église attendrait-elle tout de lui et se reposerait-elle avec tant de confiance sur son Nom ?
Il faut remarquer combien ces divers points de l’enseignement évangélique s’éclairent, se soutiennent, se complètent, et comme l’induction, toujours la même, qui sort de chacun d’eux revêt un degré supérieur d’évidence en se répétant. Elle monte sans cesse jusqu’à ce qu’elle soit enfin remplacée par l’attestation directe. Le titre de Fils de Dieu, envisagé dans l’ensemble de caractères dont l’entourent les écrivains sacrés quand ils le donnent à Jésus-Christ, répand une vive lumière sur ce qui est dit de sa préexistence. Le titre de Seigneur constate et étend encore ce qu’avait appris celui de Fils. Et la place que tient le Nom de Christ dans la pensée des apôtres, dans la foi et la vie de l’Église, appose le sceau de la certitude sur tout le reste, de même que sur les conséquences qu’en tirent spontanément la conscience religieuse et la réflexion logique. Toutes les parties de ce témoignage se lient, se confirment, se vérifient les unes les autres : considération importante, que nous verrons grandir de plus en plus, au point d’embrasser le système chrétien tout entier et de faire tout converger, faits, dogmes, préceptes, vers la divinité proprement dite du Sauveur.
Ces données générales du Livre des révélations renversent ces christologies panthéistiques, ces théories sans nombre et sans nom dans lesquelles le Christ n’est finalement qu’un symbole de l’union substantielle ou morale de l’humanité avec la divinité, l’homme-Dieu, l’homme divin, tels que nous le sommes tous en principe et que tous pouvons et devons le devenir en fait. D’après le Nouveau Testament, le Fondateur du Christianisme est un être à part, le Fils de Dieu par nature devenu le Fils de l’homme par amour. Il préexistait à son apparition sur la Terre. Il a voilé, pour nous sauver, sa gloire divine. Se dépouillant en quelque manière de son propre être (μορφη Θεου), il a revêtu la forme de serviteur (μορφη δουλου). Descendu du sein du Père, venu du Ciel, il y est rentré après avoir accompli l’œuvre de la rédemption : providence de l’homme, sainte et mystérieuse apparition dont émane le salut du monde. Devant ces faits, qui se montrent à la surface et au fond des Livres saints, tombent toutes ces conceptions théologico-philosophiques qui, tout en proclamant la divinité de Jésus-Christ, la font évaporer au creuset de la métaphysique ou de la mystique maintenant en vogue, et qui résolvent le réalisme scripturaire en une sorte de nominalisme, dans lequel chacun met et trouve ce qu’il a dans l’esprit. Ces régions de l’idéal, où l’on se complaît, sont le pays des chimères. Le réel, que la Révélation seule peut nous dévoiler, est décidément tout autre ; et c’est le réel qui importe à la science comme à la foi et à la vie. Il en est de ces christologies rationnelles, malgré l’épithète de scientifiques dont elles se parent, comme des cosmologies spéculatives où les créations de l’homme se substituent à la création de Dieu.
A peine avons-nous touché aux textes sur lesquels la théologie appuie communément le dogme de la divinité de Jésus-Christ. Il nous semble cependant qu’une attentive méditation des quelques faits ou termes bibliques ci-dessus exposés suffirait pour fonder la foi de l’Église. Qu’on réfléchisse, en particulier, à cette identification du Nom de Christ avec le Nom de Dieu, et à cette application qui lui est faite d’une manière si constante du titre de Seigneur, dans le sens supérieur et absolu consacré par les LXX. L’impression qui sort de là est d’autant plus vive et plus forte, la conclusion qu’en tire le sens chrétien est d’autant plus assurée, que ces expressions règnent d’un bout à l’autre du Nouveau Testament et que, venues jusqu’à nous toujours les mêmes, de siècle en siècle, elles nous transmettent la doctrine apostolique avec une incontestable fidélité.
Entrons plus avant dans la discussion, et nous tenant à la division vulgaire, montrons que l’Écriture attribue à Jésus-Christ les noms divins, les perfections divines, les œuvres divines, le culte divin. Cela établi, le dogme chrétien est démontré pour qui reconnaît la révélation biblique ; et nous n’avons rien à dire à ceux qui n’admettent pas cette norme suprême ou qui, ne l’admettant que sous bénéfice d’inventaire, se réservent de la soumettre à l’arbitrage de leurs idées propres.